Chapitre 3 -partie 2-


Marveen saluait sans s'arrêter tous ceux qu'il croisait. Refusant de s'appesantir plus longtemps sur son sort et les dernières paroles de sa mère résonnant à ses oreilles, il refusait de se laisser aller à pleurer. Cette période de sa vie était terminée. Dorénavant, il prendrait sur soi. Car il allait revenir et ce jour-là, il revendiquerait le trône qui lui était dû, celui pour lequel il s'était sacrifié. Il deviendrait quelqu'un. Quelqu'un de bien, de juste. Quelqu'un dont ses parents seraient fiers.

Il plongea son regard azuré dans celui de l'horizon. Pas un seul moment, il ne se retourna. S'il cédait, il flancherait. Alors, il avança.

Il sentit soudain une main se poser sur son épaule et une variation du vent. Ici, en plein milieu de l'océan, Marveen ressentait tout plus intensément. Le vent lui parlait, les vagues lui susurraient leurs secrets. Le monde marin s'ouvrait lentement sous ses yeux émerveillés.

Une mouette passa et suspendit son envol, un poisson volant sauta avant de retomber quelques mètres plus loin. Un baleineau jouait près de la coque, et de temps à autre, s'arrêtait pour poursuivre le poisson ailé. Ce dernier tentait de le semer mais c'était sans compter la malice de l'animal.

Grim et son protégé se perdirent dans l'immensité du Thann. Océan empli de surprises, dangereux pour ceux n'ayant pas l'habitude de naviguer en ces flots.

D'une beauté sans pareille et pourvu de vestiges magiques, il s'agissait d'un océan précieux, recelant de l'histoire des syreciens, de leurs secrets.

Le Peallag prit la parole, sans pour autant entailler la bulle de quiétude dans laquelle ils se trouvaient.

"Il me semble que ceci t'appartient"

Se tenait dans ses mains, un sachet en toile. Bleu. Le sachet que Marveen avait trouvé sur l'arbre, juste avant que sa vie entière ne bascule.

Il se dit qu'il avait bien fait d'attendre avant de l'ouvrir. Car maintenant qu'il se trouvait si loin de sa famille, le présent de sa cousine ne pouvait que lui réchauffer le cœur.

Marveen ne répondit pas à proprement parler au Grand Chambellan mais ce dernier pu lire dans son regard toute sa gratitude et sa reconnaissance. Des milliers de "merci" prenaient place dans ses iris et il ne possédait pas assez de temps, assez de vies pour tous les exprimer. Il aurait aimé lui dire merci pour l'accompagner jusqu'à sa nouvelle maison. Merci pour sa gentillesse, pour sa présence, pour son rire, toutes ses tentatives pour essayer de le dérider.

Cependant, Grim n'en avait pas besoin. Car Marveen lui témoignait tant d'affection que chaque fois qu'il posait les yeux sur lui, il sentait sa poitrine se gonfler.

Lui qui ne pourrait jamais avoir d'enfants, ne pourrait jamais élever la chair de sa chair avait trouvé en Marveen un fils d'adoption.

Bien sûr, le garçon ne manquait pas d'amour mais... leur relation était particulière.

Marveen dénoua lentement les nœuds, faisant de ce fait, perdurer le moment.

L'incertitude ne lui avait jamais semblé plus belle qu'en cet instant.

Pourtant, il finit par en sortir une pierre ovale. Il la prit délicatement et du bout des doigts, la fit pivoter sous les rayons des soleils qui illuminèrent les gravures en son centre. Un masle déployait ses frêles branches fièrement et ces dernières retombaient dans ce qui semblait être un océan houleux.

Symbole de force de la nature, symbole de résilience, de courage. Le Masle survivait à tout. Le Masle était l'eau et la terre, le ciel et les abysses tout à la fois.

"Merlyn l'a planté à ta naissance. Le jour même où tu es arrivé au palais. Elle n'a eu qu'à te prendre dans ses bras pour te comprendre instantanément. Pour trouver cet arbre qui te correspond si bien. Je pense d'ailleurs que c'est la raison pour laquelle elle a pour lui une affection particulière.

- Vraiment ? Elle ne me l'a jamais dit, S'étonna le jeune prince

- Et pourtant, c'est le cas. Merlyn t'aime énormément, Marveen. Et elle voulait que tu le saches...

- Mais je le savais déjà ! S'écria-t-il. Penses-tu qu'elle en doutait ?

- Comment aurait-elle pu ?

Tentant de rassurer le garçon, il continua:

- Tu es le petit garçon le plus démonstratif que je connaisse, Marveen. Alors crois-moi quand je te dis que ton affection se lit tant sur ton visage que dans tes gestes. Et puis, elle tenait surtout à ce que tu es un rappel.

- Un rappel de quoi ?

- Un rappel constant qu'une personne veille sur toi, quoi qu'il advienne et peu importe la distance. Mais aussi le rappel que tout ce dont tu as besoin se trouve en toi. Comme le Masle, tu es fort sous tes allures dégingandées. Tout comme lui, tu t'adaptes, tu crois peu importe les obstacles et tu n'abandonnes jamais. Ce présent est un témoignage de sa confiance. Confiance en toi, en celui que tu deviendras loin d'elle.


Il resta pensif quelques instants, les mots de Grim résonnant dans son âme comme dans son esprit. Ils trouvaient écho dans la paix que le Thann dégageait; dans l'eau ondoyante et hypnotique dont il ne pouvait détacher le regard. Chaque mouvement, chaque ressac caressait la coque du bateau en un bruissement. L'océan mettait des images sur les sentiments qui habitaient l'enfant.

L'eau se retirant, la perte.

L'eau englobant, enflant, se transformant en vagues ; l'absence de peur, la certitude qu'il allait y arriver.

*********************

Il se réveilla en sursaut. Le Thann était parcouru de spasmes. Le plancher craquait, les murs se resseraient.

Marveen glissa hors de son hamac et atterrit doucement sur le sol. Dormant en extérieur, la première chose qu'il vit en ouvrant les yeux fut le ciel. Limpide le jour d'avant, il s'était paré de nuage d'orages et d'une noirceur faiblement contenue.

Le roulis du bateau entraînait chacun vers l'avant du pont et tous luttaient contre l'attraction qui allait croissante. Si le marinier résistait sans peine aux tempêtes, ses occupants souffraient de la houle. Les vagues du Thann n'étaient pas de simples oscillations. Non. C'étaient des tours, tours gigantesques qui venaient chatouiller le ciel et briser les étoiles. Des montagnes infinies, dont la hauteur ne pouvait aisément être mesurée.

Étonnamment , il régnait au sein de l'équipage une sorte de quiétude . Aucune excitation ni mouvement de foule. Ils se laissaient porter par les flots impétueux. A quoi bon lutter alors que le seul moyen de survivre était d'embrasser l'océan, de le suivre et de se fondre en lui ?

Marveen sentait avec émerveillement le bateau se soulever, porté par un vent violent.

D'un mouvement leste et assuré, Marveen grimpa au mât. Il oscilla quelques instants, une rafale lui faisant momentanément perdre ses appuis. Mais sa formation de marin, prodiguée par le capitaine et ses hommes,avait payé. Avec une fluidité déconcertante, il se balança jusqu'à la voile principale et se tint en demi-suspension. Devant lui le spectacle du Thann déchaîné se dessinait. Et juste derrière, se détachait une petite lande de terre, perdue au milieu du brouillard.

Leur première escale.
Haute-mer.

Sorte d'atoll comme posé au milieu de l'océan, Haute-mer était connu pour ses grandes bibliothèques et les vestiges de monuments historiques qui parsemaient la cité. La Grande Histoire y trouvait sa source .

Se repassant ces informations en boucle, ce fut avec une appréhension nouvelle que Marveen débarqua.

Au milieu des marins et du convoi, il n'osait s'aventurer dans les ruelles.

Il marcha, focalisé uniquement sur le bruit de ses pas sur les pavés. S'il avait levé la tête, il aurait vu les grands réverbères qui vibraient doucement, illuminant les allées parfaitement pavées. Chacune d'elles étaient bordées d'habitations d'un seul bloc, pourvu de dorures et peintes en un bleu outremer. Sur certaines, l'on pouvait lire le nom d'échoppes, gravées ou encore suspendu dans les airs par un ingénieux système de poulies et de contrepoids.

Les boutiques regorgeaient de trésors en tout genre, de livres et de cartes de lieux oubliés. A chaque coin, un feu de joie brûlait et une flamme ivoire rejetait sa lumière sur les passants.

S'il avait osé, il aurait humé l'odeur de l'encre et des parchemins anciens, l'odeur de l'encens mêlée à celle de l'océan.

La seule chose qui marqua son esprit, lorsqu'il descendit au port fut la couleur des pavés: ivoires. Presque dorés. Comme si le sable y avait élu domicile et avait refusé de quitter ce lieu, empli de savoirs et de mystère.

Même la musique ambiante, savant entrelac de pas pressants, de roulement de houle et de Meythys. Cet instrument, descendant de la conque et de la harpe, se jouait en pinçant des cordes d'écume qui provoquaient des vibrations et faisaient bruisser les clochettes qui se trouvaient à son extrémité. Connu pour sa double mélodie, il avait vu le jour ici, à Haute-mer, dans une de ses nombreuses rues.

Le convoi s'arrêta et enfin, Marveen ouvrit les yeux. Littéralement.

Il se tenait face à un immense bâtiment, presque dissimulé par une statue d'étain. Si le matériau n'avait rien de noble, il n'en était pas moins beau ni résistant. Il avait survécu à l'orage, aux rafales, au sel qui grignotait le fer et aux années qui, inlassablement, avaient passé.

Deux êtres y étaient représentés. Un être marin, encore pourvu d'une nageoire et de griffes, de traits presque animal et d'une féerie teintée d'horreur.

L'autre, plus finement ouvragé, représentait le Savoir. Ses membres graciles, sa figure délicate et le livre qu'il tenait ouvert devant lui ne laissaient aucune place au doute. Haute-Mer était le royaume de l'érudition et de la recherche. L'univers des livres et de la connaissance qu'ils pouvaient renfermer.

Juste derrière, le Heartsease, lieu politique majeur où les élus et les représentants du peuple et le Souverain en place se réunissaient chaque semaine, bruissait d'animation. À cette heure de l'après-midi, les djellew discutaient entre eux des problématiques évoquées lors des réunions hebdomadaires.

Mais tout ceci, Marveen l'ignorait.

Son esprit était complètement happé par l'âme du lieu. Par ce sentiment frémissant qui l'habitait. Il n'avait qu'une envie : pousser la grande porte en bois massif et pénétrer dans cet univers merveilleux et inconnu dont les coupoles miroitaient.

Grim s'avança et alla à la rencontre d'un homme au physique avantageux, sûr de lui, et dont la peau sombre lui paraissait absorber chaque particule de lumière. Comme l'eau mouvante, sa carnation ondulait sous les variations, invisibles à l'œil nu, de l'air et de la vie.

Tous deux parlaient avec animation et bien que Marveen tendait l'oreille, il ne parvenait à comprendre l'essence de leur discussion. Il était contraint d'attendre.

Encore et toujours.

Les marins s'étaient dispersés sans un bruit, sans doute parti se ravitailler pour la suite du voyage, s'ils ne s'étaient pas perdus dans quelques bars qu'il fut. Ainsi, il se retrouva seul.

Se doutant que la conversation était loin d'être terminée, Marveen partit s'assoir sous le porche. Mais l'attente lui semblait interminable et la tentation de découvrir l'intérieur du bâtiment si forte qu'il profita qu'une jeune femme en costume passe pour se faufiler à sa suite.

L'exclamation de stupeur qu'il réprima à grande peine à la vue de la majestuosité du lieu était loin d'être feinte. des étagères s'étendaient sur des kilomètres, peuplées de livres et parchemins, regorgeant de magie, d'espoirs et de savoirs d'antan.

Des xiephies voletaient gaiement à travers les rayonnages, leurs ailes brassant l'air indolemment tandis que des savants, djellew et autres se plongeaient dans l'étude de textes multiples. Ces derniers se trouvaient à plusieurs mètres du sol, sur des tables savamment ouvragées, faites elles aussi d'étain et de poussière dorée.

Il resta ainsi, bouche bée. Cette bibliothèque n'avait rien avoir avec celle du palais, qu'il croyait jusqu'alors la plus belle qu'il lui eût été donné de voir. Ses yeux papillonnaient, ne pouvant s'accrocher à un élément sans que son esprit n'en remarque un autre, plus digne d'interet encore.

La jeune femme qui l'avait précédé se retourna et lui adressa un sourir de connivence:

" C'est la premiere fois que tu viens ici, n'est-ce pas ?

Elle ne se formalisa pas du silence de son interlocuteur, habituée à parler pour deux face au mutisme constant qu'affichait son jumeau.

- Je me souviendrai toujours de la première fois où je suis entrée ici, moi aussi. Je ne pensais pas que pareille splendeur était possible... mais j'aurais dû m'en douter.

Après un instant de réflexion, elle poursuivit

- A la vérité, mon frère était sans aucun doute le plus impressionné de nous deux. Il a du reste 10 bonnes minutes la bouche ouverte et sans prononcer le moindre mot. Il faut dire qu'il a toujours aimé la lecture. Aimer est un faible mot. Disons qu'il est un fervent lecteur idolâtrant les savants et écrivains... cela sonne plus juste.

Personnellement, je suis plus musicienne qu'autre chose. Si je viens ici, c'est avant tout pour récupérer mon instrument. En parlant de ça, il faut vraiment que j'y aille. A plus petit chou, j'espère qu'on se recroisera et sinon, que l'Onde et l'Univers guident tes pas ...

Elle n'attendit pas sa réponse, à peine chuchotée et se précipita vers un escalier flottant qui tenait plus à une marche en verre à demi transparente qu'à un véritable escalier. Lestement, elle atterrit sur une plaque mouvante puis d'un claquement de talon, la dirigea vers un des étages supérieurs.

Le lieu paraissait sans fin. L'infinité même pouvait avoir une limite, qui ne s'appliquait pas ici.

Ce fût uniquement lorsque la tornade blonde disparut de son champ de vision que Marveen expira longuement, se rendant ainsi compte que sa respiration avait été interrompue. Non pas par la cadence démesurément élevée des propos de la jeune femme mais par cette impression de déjà vu. Ce sentiment diffus de connu, de réconfortant quoique improbable.

Il ne chercha pas à l'analyser et après quelques essais infructueux, parvint enfin à attraper une marche qui l'amena jusqu'à une table où, comme par magie -c'était sans doute le cas- , des livres apparurent. Chacun portait sur un sujet différent mais tous étaient susceptibles de lui plaire. Absolument subjugué par l'aisance avec laquelle la bibliothèque avait deviné ses goûts, Maeveen se lança dans la lecture prévue à son effet. 

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