Chapitre 2 -partie 2-
Un pas après l'autre. Hypnotisé. Attiré par l'eau. Le trident frémit. De plus en plus fort. Dans son esprit, la vision se fit plus nette. Un mur de brume se dressait devant lui. L'enfant réprima un frisson d'effroi. Son souffle se figea, son cœur manqua un battement. Le sang dans ses veines, ce sang où se mêlaient magie et souvenirs, qui habituellement bruissaient dans ses veines cessa net sa course. En un instant, son corps s'arrêta. La présence de ce mur le rendait malade. Son esprit, tout en lui le repoussait.
Pourtant, ses mains ne pouvaient quitter le trident. Il n'était plus qu'une poupée de chiffon, une enveloppe vide sans volonté. Sa tête tournait, de plus en plus fort.
Puis, le coup partit. D'où ? Comment ? Il n'en avait aucune idée. Ce fut presque sans en avoir conscience qu'il sombra dans le lac, l'image de la barrière brumeuse se précisant sous ses paupières avant de s'estomper lentement, lui laissant une impression de brulure au fond de son cœur.
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La première chose qu'il entendit: ce fut les cris. Ou plutôt le cri. Un cri à vous glacer les sangs, un cri à réveiller un mort. Ce fut d'ailleurs presque le cas.
Aerie, se précipita vers son fils, courant à travers les vagues qui soulevaient le lac. Son talon droit se brisa net, sa robe de bal se coinça dans la vase. Mais elle n'en avait que faire. Son enfant, son fils était là-bas. Étendu au milieu de l'eau, une étrange lumière le drapait. Elle se dépêcha encore, faisant appel à ses pouvoirs pour écarter ce qui se mettait en travers de son chemin, ce qui l'empêchait de rejoindre Marveen.
Autour du lac, les courtisans et autres invités se pressaient et s'invectivaient. Tous cherchaient un moyen pour aller repêcher le jeune garçon avant qu'il ne se noie.
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La vision cauchemardesque fit s'agiter le garçon. Ses bras, ses jambes, son corps entier se convulsait et se révoltait contre ses souvenirs qui le hantaient. Sa poitrine se soulevait avec force, ses faibles poumons tentaient d'emmagasiner le plus d'air possible, ne voulant plus connaître l'apnée terrible qu'il avait vécue, cette impression si tangible, si percutante, cette certitude qu'il allait arrêter de respirer. Là. Maintenant.
Pourtant, il vivait. Sa respiration certes hachée n'était interrompue que par des larmes et sanglots et non pas par la mort.
Une étrange odeur flottait dans la pièce. Un mélange de terreur, d'iode et de soufre. Une légère note fleurie cependant pointait fébrilement le bout de son nez.
Une vague effluve d'ylang ylang complétait ce drôle de parfum. Elle provenait du sachet bleu, présent de Merlyn à son cousin, qui se trouvait abandonné par terre, seul sur le sol sablonneux.
La chambre de Marveen était véritablement l'opposé de celle de Merlyn. Du sable noir composait le sol et une fontaine d'eau salée faisait jaillir des jets d'eau à intervalles réguliers.
Son lit ; un grand lit en baldaquin dont les voilages écrus se balançaient au gré du vent, prenait place sur une sorte d'estrade essentiellement construite à partir de bois flotté et de cordages. La seule touche de verdure que l'on pouvait noter était un petit arbrisseau, offert par la jeune princesse il y a de ça quelques années et qui avait refusé de pousser.
Sur une chaise, à côté de l'enfant, le Grand Chambellan attendait. Ce n'était pas dans sa nature, de rester aussi inactif. Chacun de ses silences avaient un but et objectif à servir. Lorsqu'il ne s'adonnait pas à ses principales fonctions; à savoir s'occuper de Marveen et de son éducation, régler la logistique ainsi que les arrivées et départs du palais, il ne pouvait s'empêcher de suivre mille et une activités. Il apprenait les langues des différents peuples océaniens datant du Siècle, suivait une formation culinaire et s'était même mis à la peinture. Le tout sans jamais manquer à aucune de ses obligations.
Personne ne l'avait vu aussi désemparé que ce jour-là.
Fixant le visage empreint de douleur de Marveen, triturant ses longues griffes et s'agitant nerveusement sur sa chaise, il se voyait contraint d'attendre.
Attendre que son protégé se réveille, attendre que les Souverains décident de la marche à suivre.
Attendre, cela signifiait reculer. Reculer pour mieux sauter. Sauter dans ce futur inconnu où Marveen aurait perdu son père, où la famille royale et le peuple seraient en deuil, où l'équilibre serait menacé. Car quelque fut la décision prise par les monarques, le destin entier d'Aenjord était entre les mains de L'Univers...
***
L'enfant sentit ses poumons se remplir d'eau, son cœur ralentir et ses sens se perdre et ne devenir rien d'autre que de l'eau. Petit à petit, il commença à s'y fondre. Perdant un peu plus de lui-même à chaque instant.
Puis tout d'un coup, le trident disparut.
Et avec Peter, Roi du Lac, père et mari.
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La ronde interminable de ses souvenirs avait enfin cessé et tous les protagonistes avaient laissé la place au néant. Ainsi, plus rien de cette journée ne subsistait dans la mémoire du garçon.
Mais lorsqu'il se réveilla enfin, entouré de ses proches; de sa mère et du Grand Chambellan, il ne put s'ôter de l'esprit qu'un petit sachet bleu l'attendait quelque part.
Cette certitude l'accompagna lorsqu'il dut se rendre à la Salle du trône. Sa surprise était totale. En effet, les souverains n'appréciaient guère ce lieu de pouvoir qu'ils jugeaient ostentatoire. S'ils avaient pu diriger et communiquer les décisions importantes prises durant les séances du conseil et de l'Assemblée depuis la plage, ils l'auraient fait sans hésiter.
Ainsi, ils évitaient tant que possible de s'y rendre et d'y prononcer leurs discours en grande pompe.
Lorsqu'il pénétra dans ce lieu parsemé de magie et d'indifférence, il tenta d'accrocher le regard de sa mère, en vain. Son cœur se serra et il s'empêcha de se gratter l'avant bras jusqu'au sang. Il avança bravement jusqu'à l'estrade où il s'agenouilla et prononça la formule d'usage:
" Que l'Univers guide tes pas sur la voie de l'Onde, jeune Marveen
- Et que l'onde toujours soit en nous, Souverain."
Soan baissa la tête avec grâce , plaça ses paumes l'une contre l'autre en entrelaçant ses auriculaires puis, commença à parler:
- Marveen, ce que nous devons t'annoncer ne va pas être facile à entendre et nous nous en excusons d'avance. Mais nous avons conscience de ton... hostilité envers ceux te parlant comme à un enfant. Alors, nous irons droit au but.
Les Souverains paraissaient nerveux et la pièce vibrait littéralement d'énergie contenue.
L'enfant, désespérément seul face à cette assemblée, ne put qu'hocher la tête en silence et attendre que Soan reprenne la parole.
- Ton père est souffrant. Son état est critique, pour ne rien te cacher. Les meilleurs médecins sont à son chevet et seul l'Univers sait s'il va s'en sortir.
Marveen réprima à grande peine un hoquet de stupeur. La veille, son père allait parfaitement bien. Ils avaient couru ensemble à travers les couloirs en spirale de la Tour Est jusqu'à ce que l'un deux s'effondre sur le sol en criant grâce, se retenant de vomir. Il ne lui avait pas alors semblé essoufflé ou mal-en-point.
Il fut bientôt tiré de ses rêveries par la voix monocorde de Saraja:
- C'est la raison pour laquelle, les Souverains et le Conseil ont pris une décision importante qui, je le sais, ne va pas te plaire. Mais sache que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour te protéger et...
- Vous allez me faire quitter le palais, murmura Marveen, ayant compris leurs intentions.
Puis, il se mit à hurler,
- Vous allez me faire quitter le palais! Alors que mon père est malade, alors que ma cousine vient de partir, alors que je n'ai même pas l'âge, vous allez me forcer à partir !
Il jeta un regard si triste et si désemparé à Aerie que son coeur de mère se brisa:
"Maman, comment as-tu pu les laisser me faire ça ?"
Puis, sans attendre aucune autorisation, il sortit en courant. Nul ne chercha à le rattraper. Il lui faudrait du temps, beaucoup de temps. Mais il n'y avait pas d'autre moyen.
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Partie plutôt courte mais qui clôture le chapitre 2
En espérant que vous avez passé un bon moment,
Je vous dis à la semaine prochaine.
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