Chapitre 1-partie 1-
L'enfant se sentait seul. Assis, ou plutôt affalé dans une barque en forme de coquille de noix, il ne prêtait guère attention au paysage qui s'étendait devant ses yeux.
Pourtant, le reflet du palais, les arbres de cristal et de perles et la couleur presque irréelle de la rivière sur laquelle il voguait en auraient séduit plus d'un. Les abords d'Aenjord avaient, de tout temps, charmé les Syréciens. Il faut dire qu'après l'obscurité et le froid des abysses, les soleils et la lumière qu'ils offraient à leurs terres étaient une bénédiction et tous en avaient conscience.
Depuis des millénaires déjà, les Syréciens, êtres de l'eau et de l'écume, avaient déménagé, pour ainsi dire, et suivi leurs souverains et leurs gardiennes jusqu'à ces terres plus paisibles. Peu à peu, ils avaient cédé sans trop de regrets leurs nageoires encombrantes et leurs pouvoirs destructeurs pour accueillir la paix et la sérénité. Marchant dorénavant sur deux jambes, ne conservant que peu de traits rappelant leurs origines sous-marines, ils vivaient en harmonie, sans plus contrôler l'âme de qui que ce soit ou détruire les cités de leurs ennemis.
L'enfant soupira. Bien qu'habituellement émerveillé par la beauté du lieu, par les multiples cascades et vallées fluviales qui reliaient les ailes du palais ensemble, l'enfant ne pouvait songer qu'au départ de sa cousine:
" eyhkill stupissy " * pesta-t-il (*pour le bien de vos oreilles, cette expression ne serra pas traduite en Langue moderne mais restera telle quelle, en Seahyne)
Un des wataryens, petites créatures aquatiques orangées et pourvues d'étonnantes nageoires dorsales ressemblant à s'y méprendre à des ailes de papillons, qui nageait près de lui venait de prendre son envol et était retombée, créant ainsi une gerbe d'eau glacée.
Sans pitié, l'enfant le fusilla du regard. Mais l'animal ne lui accordait pas la moindre attention, jouant à un jeu connu de lui seul. Son expression changea, imperceptiblement. Les sourcils toujours froncés, la bouche toujours crispée en une moue boudeuse, l'enfant avait désormais les yeux empreints d'une grande tristesse. Deux gouttes semblaient y prendre forme, chargées d'émotions et de solitude. Il ne chercha pas à les retenir, lorsqu'elles dévalèrent ses joues chérubines, laissant sur leur passage des traces humides. Il s'agrippa au bord de l'embarcation et tenta de se rapprocher le plus possible de la surface, dans l'espoir d'apercevoir le wataryen de plus près. Il avait l'habitude, avec sa cousine, de les suivre en courant le long des diverses berges sablonneuses du côté ouest du palais. La course de ces étranges bêtes résultait d'un savant mélange de sauts, entrecoupés de croassements et de titubations et avait le don de faire rire les deux compères aux éclats.
Bien que Merlyn soit plus âgée que le jeune garçon, elle emmenait son cousin partout avec elle, jamais elle ne lui avait donné l'impression de n'être qu'un enfançon, un bébé que l'on devait à tout prix protéger. Elle l'impliquait dans ses escapades les plus folles, l'emmenait voler les joyaux marins, quand bien même ils auraient pu demander à leurs parents l'accès au coffre dans lequel ils se trouvaient. Tous les prétextes étaient bons pour s'embarquer dans des aventures abracadabrantes. A l'aube de ses quatorze ans, la jeune fille était dotée d'un caractère et d'une force redoutable que tous, à la cour, admirait. Sans compter qu'avec son humour aiguisé et sa sympathie naturelle tous l'appréciaient.
Il se renfrogna encore davantage, son amertume maintenant tournée vers les lois de Leasea. Quelle idée stupide de forcer chaque enfant de sang royal, le jour de ces quatorze ans, à quitter sa famille et à partager le quotidien et la vie d'une autre famille vivant parmi les six îles et pays composants le Royaume ! Certes, cela permettait une certaine "ouverture d'esprit" et d'entrer en contact avec la population et les futurs sujets des potentiels souverains mais tout de même ! Il n'y avait aucune certitude qu'ils accèdent au trône.
Si ça se trouve, Merlyn ne sera pas désignée comme Reine et sera partie pour rien, se dit-il rageusement.
Il en aurait pleuré. Tous ces sacrifices, sans assurance aucune de reprendre un jour le flambeau familial.
A Leasea, six rois et reines gouvernaient de concert, chacun sur un territoire spécifique: Saraja, régnait sur les terres de Rive Droite et son époux, Soan, sur celles de Lagune.
Dilea quant à elle, était Reine de Rive Gauche et partageait la gouvernance des Terres Centrales avec Saraja depuis la mort de son conjoint.
Peter et Aerie ,eux, avaient pour responsabilité de s'occuper respectivement du Lac Majeur et d'Haute-Mer.
Ce ne serait qu'à la mort de chacun d'entre eux que les prochains dirigeants seraient rappelés au palais et devraient prouver leur capacité et habilité à l'intronisation. Trois héritiers se verraient alors confier un territoire, après diverses épreuves et l'approbation du peuple. Les trônes vacants, quant à eux, reviendraient à leurs conjoints et, en attendant un mariage royal, les territoires tomberaient sous la juridiction d'un Conseil élu par le peuple.
Ainsi, le royaume demeurait en paix et toute guerre civile avait été évitée.
Enervé, il attrapa une pierre transparente et la jeta de toutes ses forces. Lorsqu'elle retomba, des vaguelettes se formèrent et quand elle toucha le fond, les autres pierres qui peuplaient la rivière se parèrent de mille et une couleurs et l'illuminèrent.
Son dépit ne fut que croissant. Même sa rage ne pouvait qu'être belle, grandiose, harmonieuse.
Ce monde trop lisse l'agaçait. Il aurait tant voulu pouvoir s'énerver contre ce dernier, s'agacer contre sa mère et le système mais à quoi bon ? Il avait fait ses preuves et tous s'entendaient là dessus..
"Marveen !"
Un hurlement strident retentit alors, perçant la quiétude ambiante. Surpris, le jeune garçon sursauta et tomba par-dessus bord. La température lui glaça les os et lorsqu'il ressortit la tête de l'eau, un étrange compagnon avait élu domicile sur le sommet de son crâne.
Rouspétant, essorant sa chemise blanche devenue transparente, Marveen, une fois remonté dans l'embarcation, commença à ramer pour se rapprocher de l'aile centrale. Sur son chemin, il croisa quelques badauds et marchands qui le regardèrent d'un air étrange. Pensant à tort que cela était dû à son air de chien trempé, il les salua gentiment de la main. Certes, il était en colère contre... la quasi-totalité d'Aenjord mais ce n'était pas une raison pour être malpoli et manquer à ses devoirs. La plupart n'était que de passage ici et il s'en serait voulu s'ils gardaient en esprit une image peu reluisante des familles royales.
Une fois arrivée au ponton d'amarrage, il sauta avec prestance et ne perdit pas de temps. C'est ainsi que clopin-clopant, laissant derrière lui des traînées d'eau qui, au contact du marbre bleuté paraissait scintiller, il se rendit jusqu'à la salle des Abysses.
La porte en corail s'ouvrit sans un bruit et il entra dans la pièce. SI son nom évoquait les ténèbres et le froid, il n'en était rien. La Salle des Abysses, aussi connue sous le nom du Grand Secrétariat était le lieu de travail de Grand Chambellan. Si tous ses prédécesseurs n'avaient pas fait mentir le nom du lieu, ce petit bonhomme aux grandes lunettes papillonnantes l'avait véritablement transformée.
Un tapis chamarré habillait le centre de la pièce, s'alliant à la couleur des rideaux qui, une fois poussés, laissaient apparaître la vue sur les différents canaux et rivières.
C'est d'ailleurs la tête tournée vers la fenêtre que le Grand Chambellan se tenait à cet instant précis. S'il avait entendu le garçon entrer, il n'en avait rien laissé paraître. Pas un tressaillement, pas un mouvement parasite. Il flottait dans la pièce une atmosphère paisible.
Le temps était comme suspendu. Marveen se gratta la gorge, essayant en vain d'attirer l'attention du Peallag. Seul le murmure de la cascade qui prenait sa source deux étages plus haut lui répondit. Il attendit encore un peu, sachant que s'il ouvrait la bouche le premier, il aurait perdu. Pourtant, n'y tenant plus, il entama la conversation:
"Vous m'avez appelé ?
- Oui. Et vous m'avez fait attendre, Marveen.Je suppose que le wataryen qui est posé sur votre tête n'y est pas étranger." lui répondit-il d'un ton réprobateur quoique amusé. Les facéties de son jeune protégé lui offraient des distractions bien à propos.
Décontenancé, Marveen passa la main dans ses cheveux et la retira en un cri surpris; Elle venait en effet de toucher une chose gluante et assez chaude qui à son contact se mit à croasser de bon cœur et s'envola, tournoya dans la pièce flirtant avec le chandelier en forme de méduse avant de finir sa course sur la délicate veste en soie de Grim
- Bien, bien. Qu'avons nous là?
Il attrapa l'animal qui eut un soupir de contentement lorsqu'il lui gratouilla le sommet de sa tête.
Il se retourna enfin, adressant un sourire éclatant à Marveen, laissant apercevoir ses canines démesurément longues et pointues.
- Tu ferais mieux d'aller le remettre dans la rivière. Ses parents doivent le chercher.
- Je n'avais pas prévu qu'il vienne avec moi, lui assura-t-il
- Tu sais, ses petites bêtes sont très intelligentes, continua coquillette, Une fois en contact avec un humain qu'elles apprécient, elles le suivent et ce pour une durée indéterminée. C'est d'ailleurs pour ça que ta mère les apprécie. Elles sont fidèles et aussi un brin têtues. Comme toi.
Sur ces derniers mots, Grim adressa un clin d'œil à Marveen.
- Oh je me souviens ! N'était-ce pas Irving qui s'était réveillé en sursaut, entouré de wataryens qui croassaient ? Son époux s'était moqué de lui pendant des jours. Quelle idée aussi de les nourrir ?
Le wataryen lui adressa un regard noir, comme si durant tout ce temps, il avait espéré obtenir un petit bout de bloulouss (biscuits très répandus à Leasea) ou d'algues marbrées. Il étendit ses ailes et, sans demander son reste, s'enfuit à tire d'ailes. Hors de question pour lui de rester avec lui plus longtemps ! Surtout s'il n'y avait pas de festins à la clé.
- J'avais oublié, elles sont aussi très intéressées. Conclut le Chambellan en riant.
- Un trait de caractère que nous n'avons pas en commun, elle et moi, rétorqua ainsi Marveen ce qui renforça le rire du Chambellan, qui s'apparentait en réalité plus à un grognement qu'à un rire.
- Je ne vois pas pourquoi vous vous moquez. Ce n'est pas comme si je ne daignais me montrer aux réceptions uniquement lorsque l'on m'assure qu'il y aura un banquet et surtout que j'aurais le droit de me lever plus tard le lendemain.
- En parlant de réceptions..., tenta de rebondir le Peallag.
- Et cela n'a vraiment rien à voir avec ma capacité légendaire à aider les cuisiniers lorsque je sais qu'ils testent de nouvelles recettes. poursuivit Marveen, une expression de pure fierté peinte sur le visage.
Grim poussa un soupir de dépit. Il était ravi de voir enfin son jeune ami se dérider (il avait gardé un œil sur lui durant sa promenade fluviale et sa mauvaise humeur lui avait sauté aux yeux) mais il savait que la nouvelle qu'il devait lui annoncer allait faire retomber son bonheur illusoire comme un soufflé. Tout d'un coup plus las, il s'assit dans le gros sofa au centre de la pièce et après avoir déplacé quelques plaids et coussins, il tendit au jeune garçon une assiette de biscuits.
Marveen, un bloulouss dans la bouche et un dans la main, préféra rester debout et explorer la pièce. Bien qu'il s'y rendit tous les jours, pour quelques leçons que ce fussent ou pour recevoir ses devoirs et tâches quotidiennes (car être un prince ne vous empêche pas de récupérer des corvées... loin de là), Grim avait le don d'ajouter par-ci par-là des trésors. Des choses qui, il savait, allaient attirer l'œil du garçon de 9 ans. Une fois, il avait trouvé un parchemin antique datant de l'arrivée des sirènes sur Terre, au détour d'une allée éclairée uniquement par la lumière d'un globe d'eau . Une autre, son intérêt s'était porté sur une partition de musique puis sur un crâne d'hippocampe, exposé dans une vitrine.
Cependant, il n'eut pas l'opportunité de s'engouffrer dans les sombres couloirs de la salle. En effet, Grim reprit la parole ce qui poussa Marveen à l'écouter avec attention. Rien ne déplaisait plus à son maître de répéter ses instructions, si l'on omettait le fait de parler avant qu'il n'ait ouvert la conversation ( mais avec Marveen, Grim avait appris à ses dépendants qu'il devrait s'y faire. Personne au monde n'avait le pouvoir de faire taire cette grande pipelette. )
- Marveen, une réception est organisée au palais ce soir et tu es tenu d'y assister. Je sais qu'avec le départ récent de ta cousine, tu n'as pas vraiment la tête à ça mais il s'agit d'un bal en son honneur...
- En son honneur ? Vraiment ? Mais elle n'y sera même pas ! Elle est déjà partie. partie loin d'ici pour devenir une apprentie des Terres Centrales et apprendre à se battre. C'est hors de question que j'y assiste !
L'enfant prit un air boudeur, rajeunissant par la même occasion
- Et puis vous ne m'avertissez que maintenant! Je ne serais jamais prêt à temps. Je n'ai pas de vêtements, pas de chaussures non plus. Et j'avais prévu d'aller voir les étoiles ce soir !
- Ce ne sera que partie remise, mon jeune ami.
A ses mots, l'enfant grimaça.
- Sans compter que nous n'allions pas prendre le risque que tu t'enfuies encore pour échapper à tes obligations. Il est important de montrer à tous notre unité et ...
- Notre cohésion je sais, je sais. être un descendant de la famille royale n'est pas un privilège mais une responsabilité et je contribue au bonheur et à la paix de la nation, récita-t-il d'une voix monocorde, Mais parfois, je ne peux m'empêcher de rêver à certains privilèges. Comme... comme avoir mon propre Zalliphin par exemple ! Je suis persuadé que certains Empereurs auraient bien voulu m'en offrir un pour mon anniversaire ! Même si c'est une espèce rarissime. C'aurait même été un argument en ma faveur !
- Alors comme ça tu préférerais vivre dans la peur et l'obscurité et obtenir tout en un claquement de doigts sans rien faire pour le mériter ? Jeune homme, je pensais vous avoir mieux éduqué..."
L'enfant resta silencieux. Il savait que ses propos étaient le fruit de son agacement et qu'il cherchait uniquement à déverser sa colère sur quelqu'un d'autre que lui-même.
Souhaiter le retour des Empereurs, le retour dans les profondeurs de l'Océan était stupide. Il se morigéna. Il n'avait plus deux ans tout de même !
Le Grand Chambellan se doutait de ce qui se tramait dans l'esprit de Marveen. A vrai dire, ils passaient tant de temps ensemble qu'il pouvait même prédire ses réactions. Il savait que Marveen, bien que très jeune, avait développé une certaine intelligence et maturité. Et il s'en targuait de l'y avoir aidé. Il avait vu passer tant de futurs héritiers dans son bureau, tant de jeunes enfants qui se rêvaient monarques, qui espéraient récupérer leurs pouvoirs enfouis le jour de leur sacre. Leur seule motivation étant leur confort et bonheur avant le bonheur des peuples qu'ils auraient à leur charge. Certes, il leur avait mis du plomb dans la cervelle mais il était persuadé que la plus grande menace pour le royaume était d'être gouverné par des dirigeants se laissant guider par leurs sombres émotions, rejetant la faute sur les autres et incapable d'endosser leurs responsabilités; quelles qu'elles soient.
Et en ce jour, il se trouvait particulièrement fier du comportement de son disciple. Il attendait simplement qu'il lui dise... :
" J'irai".
Ces mots transpercèrent l'air qui était devenu presque étouffant et teinté d'attentes. Une vague de soulagement envahit Grim. S'il y avait bien une chose que Marveen ne faisait jamais, c'était revenir sur sa parole. Ainsi, bon gré mal gré, il se rendrait au bal royal et se plierait aux attentes des Souverains (qui n'étaient pas insurmontables somme toute).
"Même si je n'en ai aucune envie, j'irai et je tâcherai de faire bonne figure", énonça-t-il d'un ton résigné.
Puis, levant la tête et les yeux plein d'espoirs, il s'enquit:
"C'est bon ? Je peux disposer ?"
A peine le Peallag eut-il acquiescé qu'il se rua hors de la Salle des Abysses, tentant de retenir ses larmes jusqu'à sa chambre, quelques centaines de mètres plus bas.
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Bonjour, bonsoir,
Chose promis, chose due.
Vous voici donc en présence de la première partie du premier chapitre d'Aenjord.
Bon... alors...
Vous en pensez quoi ?
(moi, nerveuse ? Pas du tout)
Première fois que vous rencontrez Grim et Marveen et quelque chose me dit que ce ne sera pas la dernière...
Si vous avez des remarques et des questions, n'hésitez pas ! (idem pour les fautes d'orthographe, j'ai tendance à en oublier certaines)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top