Chapitre 9_ Renaissance
Je tombe. L'air frappe ma peau, je sens mes ailes se gonfler sous les assauts du vent.
-Cette fois-ci, étend tes ailes! Freine ta chute!
Ido hurle des encouragements avec force. Le sol se rapproche à toute allure. La panique me serre la gorge. Je ferme les yeux. Je regrette déjà ma décision: je ne peux pas voler. C'est impossible. Je rêve toujours et je ne comprends absolument pas pourquoi je ne me réveille pas. J'ai envie de crier de rage. Ce monde n'est pas le mien. Pourquoi ce n'est pas le mien? Pourquoi suis-je ici? Ai-je quelque chose à accomplir, pour être là?
-Vole!
Désespéré, Ido s'approche de moi et tente de me venir en aide en tirant sur une de mes chevilles. Mais je suis trop lourde, je nous entraîne tous les deux.
Les doutes que je pensais avoir abandonné m'assaillent à nouveau.
Je suis morte, j'en suis sûre.
Je suis décédée... Mais vivante.
-Allez! Vole!
Une nouvelle chance. J'ai vaincu la mort. Je peux remporter une seconde victoire...
J'ouvre les yeux et repousse Ido vivement. Il recule sagement.
Mes bras s'étendent pendant que je fixe l'herbe du sol, à quelques mètres seulement de moi.
Et c'est là que le déclic se fait.
J'ai des ailes. Elles sont belles, d'un blanc nacré, et douces.
Ce sont mes ailes, au même titre que mes bras sont mes bras et mes jambes, mes jambes. De la même façon dont je peux saisir un objet de ma main et marcher, je suis capable de voler.
Je ressens enfin leur présence. Chaque muscle, chaque os, chaque plume de mes ailes fait parti de moi. Et, ensembles, ils répondent à mon appel.
Mon sang ne fait qu'un tour. Les pointes de mes ailes s'éloignent le plus possible de moi. Elles sont désormais étendue au maximum.
Certes, ma chute est considérablement ralentie, mais elle continue toujours. Les lois de la physique reprennent leurs droits, et je suis entrainée vers le bas.
Je prends une profonde inspiration. Mes ailes se replient, s'étirent à nouveau et finissent par battre. Elles frappent l'air avec force. Une fois. Je continue à tomber. Deux fois. Je me stabilise. Trois, quatre fois.
Je remonte.
Ido hurle de joie. Je lui réponds, heureuse.
Je ne me suis jamais sentie aussi vivante qu'en ce moment. Je n'ai pas seulement subi un retour à la vie. Non, c'est une véritable renaissance.
Grâce à mes ailes, je prends de l'altitude. Ido reste au-dessous et me fait signe de le suivre. Je m'exécute, le laissant passer devant. Le petit garçon zigzague souplement entre les branches d'un des trois arbres géants. Il adresse régulièrement un signe à un passant, qui le lui rend immédiatement en souriant, avant de me jeter un regard inquisiteur. Entre les branches, j'aperçois des champs à perte de vue. Les étendues vertes, dorées et brunes sont d'une beauté à couper le souffle. Nous survolons des maisons suspendues dans des arbres à hauteur normale. Je suis stupéfaite: les trois arbres géants dominent un paysage magnifique qui ressemble à une peinture.
Je suis soulagée lorsque, au bout de quelques secondes, je vois Ido plonger. Je commençais à fatiguer, voler m'épuise considérablement. Mon guide atterrit en douceur en face d'une bâtisse en bois, construite à même le sol, contrairement à la plupart des autres habitations. C'est une auberge. C'est un bâtiment assez haut, tout en bois. Devant sont attachés quelques chevaux, ainsi que deux... Seraient-ce des hippogriffes?
Les créatures au corps équin possèdent des ailes repliées étroitement sur leur garrot. Leurs griffes mordent la terre nue. Tandis que je me pose, non sans chanceler, les yeux d'un jaune intense suivent tous mes mouvements. Leur bec est serré par une sorte de muselière de cuir.
Les créatures sombres semblent me dévisager avec mépris. Je fais part de mon impression à Ido, qui hoche la tête.
-Ils regardent tout le monde comme ça. Ce sont des montures de guerre, normalement.
-De guerre?
Le mot me fait frissonner. Mon guide sourit et me dit d'un ton assuré:
-Ne t'inquiète pas. Il n'y a pas eu de batailles depuis au moins une vingtaine d'années, en Aedenia. Nos Vertigineux sont là uniquement pour repousser les pillards.
Je sens ma tête tourner. Vertigineux... Aedenia... Je ne comprends rien à ce qu'il me raconte!
-En Ae-quoi? C'est quoi, ça?
Ido me dévisage.
-Décidément, tu me surprends de plus en plus. Tu ne connais pas l'Aedenia?! C'est le nom du continent, pourtant!
J'avale ma salive. Réfléchis en marmonnant dans ma barbe:
-Le continent... Il y en a combien?
Le garçon semble avoir un temps d'attention limité: il ne m'écoute déjà plus. Il tente de regarder discrètement par une des fenêtres de l'auberge, comme dans l'espoir d'apercevoir quelqu'un. Je hausse le ton et répète ma question. Il se secoue.
-Combien de quoi?
-Ben, de continents...
Ido se pince les lèvres. Il commence à se diriger vers la porte d'entrée de l'auberge. Je trottine derrière lui, malgré que je fasse un pas là où lui en fait deux. Il marche vite.
-Un seul. Mais il se peut qu'il en existe d'autres. Nous ignorons ce qui se trouve au-delà des montagnes, de la forêt et du Désert. Nous sommes enclavés, et tous ceux qui tentent de s'en aller le regrettent beaucoup.
-Comment ça?
Il a piqué ma curiosité. Pourtant, il secoue la tête, refusant de m'en dire plus. J'insiste, mais ne réussis qu'à en retirer ceci:
-Evite d'en parler, m'avise-t-il, tendu. C'est un sujet tabou. Tout le monde a peur de ce qui se trouve en dehors de l'Aedenia. Les gens préfèrent penser qu'il n'y a rien.
Je fronce les sourcils.
-Evidemment qu'il y a quelque chose! J'en suis la preuve vivante!
Mon interlocuteur hoche la tête.
-Il faudra qu'on aille voir la Famille Dirigeante, justement, et à tout prix leur dire! Ce sera génial!
Je trouve qu'il est un peu trop enthousiaste. Il n'a d'ailleurs toujours pas répondu à ma question. J'ai failli mourir à cause d'elle, donc je veux à tout prix savoir. Alors qu'il s'apprête à entrer dans l'auberge, je l'agrippe par l'épaule.
-Bon, maintenant, dis-moi pourquoi tu m'aides!
Ses yeux noirs roulent dans leurs orbites.
-Parce que tu viens d'ailleurs, évidement!
A mon tour, je lève les yeux au ciel. Ce n'est pas vraiment la réponse que j'attendais.
-Et alors?
Il se dégage de mon étreinte. Puis, il m'annonce, à la fois énervé et tout excité:
-Et alors, en Aedenia, lorsqu'on vient d'ailleurs, on va voir la Famille Dirigeante et on lui demande si on peut séjourner sur son territoire. Je rêve de voir La Boisée! C'est juste à côté, à quelques lieues à l'Ouest, mais ma tante a toujours refusé que j'y aille. C'est ma chance! Je rencontrerai les Reuil, et peut-être qu'ils pourront m'envoyer chez les Vertigineux.
Remarquant mon air perdu après cette explication, Ido soupire et reprend plus calmement. Il m'apprend qu'en Aedenia, il y a quatre Cités. Chaque Cité est gouvernée par une Famille Dirigeante. Le petit village où j'ai atterri appartient au territoire de La Boisée, dirigée par les Reuil. Soudain, il se tait. Son changement de comportement m'inquiète. Il se tourne vers moi et m'adresse un regard suppliant. Je recule d'un pas, sa réaction ne me dit rien qui vaille.
-S'il te plait, dis-moi que tu iras avec moi voir les Reuil! Je veux t'accompagner!
Je croise les bras. Hors de question de me laisser attendrir. Il faut que je garde les idées claires. J'ai déjà un autre but que de réaliser son rêve. Ido ouvre de grands yeux, de la même manière que le Chat Botté de Shrek. Ô, mon dieu...
-Je t'en supplie!
Je ferme les paupières et serre. Je m'exaspère.
-Pourquoi veux-tu aller chez les Vertigineux? je demande afin de me laisser le temps de réfléchir.
Son visage s'illumine. Il sort une petite dague en bois de sous sa tunique et fend les airs avec. Son expression se fait sérieuse. Tout à coup, je ne suis plus une adolescente perdue parlant à un petit monsieur je-sais-tout. Non, je suis une jeune femme qui observe un petit garçon enthousiaste m'expliquant son plus grand rêve: sauver le monde. Simplement et modestement. Son visage poupin me saute aux yeux.
Il commence à combattre des ennemis invisibles.
-Les Vertigineux, ce sont de grands soldats! A La Vertigineuse, il y a une école pour eux, et ils sont formés pour sauver l'Aedenia! Arrière!
Je manque d'éclater de rire à la vue de son air farouche. Un homme sort soudain de l'auberge. Petit et musclé, il s'approche de nous. Une lueur amusée brille dans ses yeux noirs. Ses cheveux blancs et son visage buriné attirent immédiatement ma sympathie. Ses rides se plissent alors qu'il sourit à mon guide.
-Tiens, Ido! Tu combats encore les pillards?
L'interpellé cesse son jeu et lève les yeux. Il rend son sourire à l'homme.
-Oui, Huji, il faut bien s'en débarrasser avant qu'ils ne viennent brûler nos moissons!
Le vieil homme éclate de rire en ébouriffant les cheveux blonds du petit. Ses ailes transparentes ont un frémissement amusé.
-Tu protèges peut-être nos récoltes, mais je te vois rarement dans les champs! Il faudrait déjà que les pillards aient quelque chose à brûler, avant que tu ne leur donnes des coups d'épée.
Ido fait la moue. Visiblement, il ne se réjouit pas du travail de la ferme. Enfin, le prénommé Huji se tourne vers moi.
-Tiens, voici donc la petite nouvelle! Je suis ravi de te rencontrer, Ido ne parle que de toi depuis deux jours, ça commençait à rendre fou le village entier!
Le visage de mon guide s'assombrit.
-Ne dis pas n'importe quoi, je ne parle pas tant que ça...
-Bien sûr que si! (L'homme s'approche de moi, et me fait un clin d'oeil, comme s'il s'apprêtait à me faire une confidence:) Il est resté à ton chevet en délaissant totalement son poste aux patrouilles. Tu dois lui plaire sacrément pour qu'il les abandonne pendant deux jours.
Il m'observe soudainement attentivement. Je rougis sous son regard, tout en pensant à ses paroles. Deux jours... Cela fait deux jours que je suis arrivée ici. Il tend la main et serre la mienne.
-Tes ailes ne sont pas communes... Tes iris non plus. D'où viens-tu, ma petite?
Je plisse les paupières. Les paroles d'Ido me viennent à l'esprit. Sans que je ne me décide vraiment, je réponds évasivement:
-Oh, d'assez loin... Au Sud. Ca m'étonnerait que vous connaissiez, mon village est tout petit.
Le vieil homme sourit à nouveau.
-Evidement! L'Aedenia est si grande! Je suis Huji. Huji Syl. Je suis le Père de ce village. Et toi?
Le Père... Je songe un instant que cela correspond certainement aux maires de mon monde. Ido se fige soudain, l'air stupéfait. La pointe de ses oreilles se redresse, indiquant sa curiosité.
-Ah oui! Je savais que j'avais oublié de te demander quelque chose! Comment te nommes-tu?
Evidemment, qu'il a oublié, il parle tellement! J'ignore son intervention, hoche la tête en tâchant de prendre un air convainquant:
-Je m'appelle Lysianassa Faveyrial. Enchantée.
Le vieil homme serre les dents. Je vois tout son corps se tendre. Je regrette immédiatement mes paroles. Qu'ai-je dit de mal? La lueur amicale qui illuminait son regard jusqu'à présent s'éteint. Son air se fait menaçant. Il s'avance vers moi, se penche en tirant sur ma main, qu'il n'a toujours pas lâchée, afin que je sois le plus proche de lui possible, et me souffle, de sorte qu'Ido ne puisse pas entendre:
-Tu devrais partir rapidement. Peu importe ce que tu as promis à ce petit, je t'ordonne de t'en aller. Suis-je clair?
Ma gorge devient sèche.
-Je ne comprends pas ce que...
Brusquement, il me tord le poignet. Je grimace. Ce type était sympa, au début. Désormais, il a l'air de vouloir me tuer.
-Ne me prend pas pour un imbécile. Les gens de ton espèce sont intelligents. Maintenant, je le répète, tu t'en vas. Demain, à l'aube, je ne veux pas que tu sois là. Trouve-toi un autre endroit pour fuir, mais ce ne sera pas ici.
-Qui vous dit que je fuis?
Sa poigne sur ma main se resserre. Pourquoi est-ce que je m'obstine à lui tenir tête? Une partie de moi accepte de décamper immédiatement, tandis que l'autre souhaite des réponses. Cet homme énigmatique pourrait me dire ce que je fais là... Ou au moins m'expliquer pourquoi mon prénom le met dans une telle colère.
-Ton peuple ne fait que ça, fuir, persiffle-t-il avant de me relâcher comme si ma peau l'avait brûlé. Bien, j'ai été ravi de te rencontrer, jeune Lysianassa! Je te souhaite un bon voyage!
Et il s'en va d'un pas nonchalant. Il prend son envol, s'éloigne rapidement. Je reste un instant figée, perdue dans mes pensées. Je frotte mon poignet, absente. Qu'avait cet homme? Il semblait heureux de me rencontrer, jusqu'à ce que je prononce mon nom. Je jette un coup d'oeil à Ido, et vois qu'il a un air aussi choqué que le mien.
-Qu'est-ce que tu as dit à Huji? Il en faut beaucoup pour le mettre en colère.
-Je ne sais pas... je chuchote misérablement.
Ido reste songeur, avant de secouer la tête.
-Peu importe! Allons voir ma tante, je suis sûr qu'elle voudra bien que je t'accompagne.
Je n'ose pas le contredire. Pour l'instant, je ne sais pas comment me comporter. Toutes mes pensées se bousculent, encore et toujours. Ido prend une profonde inspiration, et me dit avec entrain:
-De toute manière, ça change rien, puisqu'on va à La Boisée! Tu n'as pas besoin de l'approbation d'un Père. (Il grimace, comme s'il venait de penser à quelque chose de douloureux.) Par contre, il va falloir partir au plus vite...
Il continue son monologue optimiste en me faisant la liste de tout ce qu'il compte emmener. Il souhaite me fournir des bottes et des vêtements pour le voyage et est persuadé que sa tante voudra bien m'offrir la dague que je lui ai "emprunté". Je me mords les lèvres. Puis, je n'en peux plus: je l'arrête avant même qu'il ouvre la porte pour rentrer dans l'auberge.
-Ido... Merci. Tu es très gentil, mais tu ne vas pas pouvoir venir.
Il reste un instant figé. Sa bouche bée tente d'articuler un "mais...", en vain. Il secoue la tête, reprenant son air condescendant.
-Mais Lys, tu ne tiendras pas un jour sans moi... Tu ne connais rien, ici!
L'emploi de mon surnom me fait sursauter.
-Ne m'appelle pas comme ça! m'écrié-je avec un dédain inexplicable. Je te l'interdis. Et... Et je t'interdis de venir avec moi, aussi.
-Eh! C'est injuste! Je veux juste t'aider, moi!
-Je n'ai pas besoin de ton aide, voilà. Je trouverais un autre guide.
Je regrette, mais la menace d'Huji ne fait que résonner en boucle dans ma tête. J'ai cru déceler dans son regard une ombre de peur. En restant ici, j'ignore pourquoi, mais je pourrais être un danger. Toutefois, j'ai une idée de destination. Je dois apprendre à me battre avant de tenter de retrouver d'éventuels amis.
Les écoles Vertigineuses seront parfaites pour ça.
Le reflet d'une larme attire mon regard dans les yeux d'Ido. Mais je me détourne pour ouvrir sèchement la porte de l'auberge. Je n'ai que le temps de faire un pas, avant qu'une voix féminine ne me souffle discrètement:
-Suis-moi, Faveyrial.
Et qu'une main ne me tire en avant.
***
NDA: Bonjour, j'espère que ce chapitre vous a plu! Désolée pour le retard d'une semaine, mais je tente de faire passer la qualité avant la quantité ou encore la rapidité, j'espère que ce ne sera pas un frein à votre envie de me lire.
Merci beaucoup pour votre présence, vos commentaires et vos votes, ça fait toujours plaisir!
A bientôt pour la suite!
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