Chapitre 5_ Décadence
Alors que je terminai de me préparer, mon téléphone vibra. C'était Facebook qui m'annonçait que Loki m'avait identifiée sur une photo qu'il venait juste de publier sur mon mur.
J'écarquillai les yeux en découvrant la tête que j'avais sur la publication. C'était la photo qu'il avait prise la semaine dernière, où j'étais vêtue tel Arlequin avec un air si ensommeillé qu'on avait l'impression que je sortais d'hibernation. Mes vêtements criards juraient tellement avec mon épiderme blafard et mes cheveux sombres que l'ensemble -le fantôme d'Arlequin, quoi- était très drôle.
Loki avait écrit en guise de description:
"A mon épouvantail de sœur.
Je t'aime tellement! <3 "
Un sourire au lèvres, j'allais immédiatement répondre:
"Le petit cœur à côté de la description fait un tantinet gay."
Ce à quoi il rétorqua:
"A en croire les rumeurs, je le suis."
"Eh oui, on ne change pas la face du monde..."
"Ma photo est si réussie qu'elle la changera, la face du monde, c'est certain!"
J'eus un rire. Mes doigts pianotèrent:
"Ma vengeance changera la face de l'univers tout entier!"
"Et ton arrogance te perdra dans les méandres du néant."
Je réfléchissais à une brillante répartie quand Odèle s'en mêla:
"On ne comprend rien à ce que vous racontez, c'est dingue!"
Sa réplique fut immédiatement approuvée par Emilien, Samia et Clara qui, depuis le début, suivaient notre dispute fraternelle sans comprendre.
"Et puis, au lieu de rester sur les réseaux sociaux, j'espère que vous êtes prêts."
Ce commentaire-ci fut suivi par Clara qui écrivit:
"Parce que nous arrivons dans trois..."
Samia renchérit:
"... deux..."
Et Emilien termina:
"... un..."
La sonnette se fit entendre.
Je ronchonnai intérieurement. Je n'étais pas encore totalement prête! Tant pis pour des boucles d'oreille ou quelconque maquillage. De toute façon, je n'appréciai pas tant que ça d'en mettre. Je me redressai en soupirant. J'attrapai une petite sacoche qui transportait mon argent, mes pièces d'identité et mon téléphone.
Je restai un moment les bras ballants, ressentant un soudain malaise. Mes yeux parcoururent la pièce. J'avais rangé mon bureau hier, pourtant son état restait lamentable. Mon écharpe bleue Serdaigle chevauchait mes cahiers et mes manuels de cours. J'hésitai un instant et pris l'écharpe en laine. Je me sentais nue, sans. Le reste de la pièce était comme d'habitude. Les draps de mon lit étaient froissés. Mon réveil affichait vingt-trois heures. Ma bibliothèque était toujours aussi surchargée. Je secouai la tête. Tout allait bien, ma chambre était parfaitement normale et je la retrouverai dans quelques heures. Je chassai mon mal-être d'un soupir. Je me faisais des idées.
Je descendis les escaliers si vite que je faillis me casser la figure en arrivant en bas. Je me rattrapai à la rampe avec une telle grâce que je vis Clara, la seule qui remarqua la scène, se mordre la langue pour ne pas rire.
Odèle poussa une exclamation ravie en me voyant et se précipita dans mes bras en hurlant:
-Joyeux anniversaire, ma vieille!
J'eus un rire.
-Ma vieille? Je suis la plus jeune de nous sept!
Clara sourit.
-Tu es aussi vieille que nous à présent.
Loki renchérit avec l'air malicieux qui le caractérisait tant:
-Mais dans soixante-dix ans, à la maison de retraite, ce sera beaucoup plus adéquat, c'est vrai.
Odèle s'écarta de moi et me tendit une petite boite. Encore un autre écrin! Ils ne pensaient qu'aux bijoux ou quoi?
-Qu'est-ce qu'il y a? me demanda Samia en observant la tête que je faisais.
En effet, je remarquai que je gardai mon front et mes yeux plissés dans une expression suspicieuse en contemplant la boite encore fermée.
-Oh, euh, rien, balbutiai-je.
-Alors, ouvre! s'exclama Emilien. Mon frère nous attend dans la voiture, ne traînons pas.
Je soupirai et ouvris pour une seconde fois une petite boîte en moins de quelques heures. Dans celle-ci, je trouvais un petit L argenté, simple et élégant, qui me défia de ne pas l'aimer. C'était certes une babiole par rapport au flocon, mais mes amis avaient tellement l'air de s'être cassé la tête pour me le trouver que j'eus un sourire.
-Merci! dis-je en faisant un tour de pièce pour embrasser tout le monde. Vous n'étiez pas obligé de...
Odèle balaya mes protestations d'un geste de la main.
-Evidemment, qu'on était obligé! fit-elle avec un air indigné. Si on ne t'avait rien offert, tu nous aurais fait la tête pendant des lustres, comme lors du coup de l'esthéticienne!
-Je ne t'ai pas fait la tête pendant des lustres!
-Bien sur que si. Tu es tellement rancunière!
Un grand rire nous prit tous les six. C'était définitif: j'adorais mes amis.
-Bon, tu le mets? me demanda Samia.
Je souris et passai le collier autour de mon cou. Ce n'était pas une chaîne, mais un simple cordon noir en tissu. A nouveau, le métal froid toucha ma peau. Mais, à contrario du flocon qui restait toujours gelé -comme pour me rappeler sa présence- le L se réchauffa rapidement. Je relevai les yeux vers mes amis et leur dit en souriant:
-On y va?
Il pleuvait. La chaussée était trempée. Et Stéphane râlait.
-Je n'ai pas l'habitude de conduire cette voiture, et en plus la route est glissante!
Il était raide et roulait au pas. Ses parents lui avaient prêté leur voiture après maintes et maintes recommandations si bien que, maintenant, Stéphane serrait le volant si fort que les jointures de ses mains étaient blanches. Je lui jetai un regard anxieux.
-Détends-toi, lui dit Loki. Pour l'instant que tu roules doucement, tout va bien.
Le Hobbit hocha sa tête blonde mais répondit en grinçant des dents:
-J'ai un mauvais pressentiment.
-Ne sois pas aussi pessimiste, railla Odèle. Du moment que tu as Loki pour co-pilote, je pense qu'on a pas à s'inquiéter.
-Quel est le sous-entendu? demanda-t-il en jetant un regard noir à ma meilleure amie au travers du rétroviseur.
Cette dernière fit d'un ton neutre:
-Il n'y en a aucun, aucun...
Stéphane secoua la tête, mais je vis que cette intervention d'Odèle l'avait détendu.
-Evitons les petites routes sinueuses, si tu as peur, déclara mon frère calmement.
Les deux garçons à l'avant se lancèrent dans un petit débat pour savoir quel chemin prendre, et qui avait peur ou non. Odèle, Clara et moi étions juste derrière eux et les écoutions plaisanter. Quant à Samia et Emilien, ils avaient déplié deux sièges dans le coffre et se chuchotaient à présent des mots doux.
La soirée commençait bien. Malgré le temps humide, l'atmosphère dans la voiture était chaleureuse et propice aux rires. Clara prit quelques photos avec son mobile afin d'en garder le souvenir. Sur notre demande, elle nous les envoya.
La voiture prit l'autoroute, puis, au bout d'une quarantaine de minutes, Stéphane emprunta une sortie. Finalement, nous nous arrêtâmes devant un bâtiment blanc. Sur celui-ci, il était inscrit en grandes lettres multicolores: Les Crêtes. En sortant du véhicule, nous vîmes des rayons lumineux transpercer la pluie. La discothèque signalait sa présence.
Odéle prit mon bras et nous nous précipitâmes vers l'entrée devant laquelle trois vigiles balayaient les allées et venues du regard. La boîte, si elle n'ouvrait qu'à partir de minuit, voyait déjà quelques personnes affluer, outre mes amis, mon frère et moi. Deux filles de mon âge attendaient devant nous, tandis que trois hommes d'une vingtaine d'années patientaient juste derrière. Heureusement, un petit toit au-dessus de nos têtes nous protégeait de la pluie qui continuait de tremper le parking. Quelques voitures arrivaient, dispersant les gouttes de pluie glacées.
J'étais fébrile. Ce n'était certes pas la première fois que j'allais en boîte, mais cette soirée promettait d'être exceptionnelle. Quelques minutes passèrent. Peu de personnes parlait, comme si nous gardions tous notre énergie pour danser et rire une fois à l'intérieur. Enfin, un homme baraqué ouvrit la porte. Nous redressâmes tous la tête, comme si un gong s'était fait entendre. L'homme nous fit signe de nous approcher. Son regard nous transperçaient tous les uns après les autres. Les deux filles devant nous entrèrent et nous nous contentâmes de les suivre. Nous étions à présent dans un corridor où les murs noirs étaient tapissés d'affiches de prévention -SAM, par exemple. Je quittai ma veste car je commençais à avoir chaud. Tous mes amis firent de même. La lumière bleue présente dans le couloir éclairait particulièrement le blanc, si bien qu'on ne voyait que Loki et son tee-shirt pâle.
-Mes rétines, se plaignit Clara en détournant les yeux comme on évite le soleil.
J'ébauchai un sourire. La cousine d'Odèle ne ratait jamais une occasion de plaisanter. Elle plissa les yeux et fit à mon frère:
-J'hallucine ou tu t'es transformé en ange ou en je-ne-sais-quoi? On ne voit que toi maintenant! On avait dit qu'on se faisait discrets pour passer sans payer!
Elle rouspétait à haute voix, se fichant éperdument du regard inquisiteur de toutes les autres personnes. Nous nous esclaffâmes. Loki fit un clin d'œil à Clara:
-Ne t'inquiète pas, je brille tellement que je vous couvrirai quand vous passerez devant le personnel. J'userai ensuite de mes charmes d'ange pour convaincre les gens qu'ils ne vous ont pas vu.
J'écarquillai les yeux. A mon tour de me lancer dans ce délire foireux.
-Bien sûr! Et il te faut un nom de code, puisque tu es ici incognito.
-Appelez-moi Messie.
Odèle secoua la tête en réponse à son ton empreint de modestie.
-Non, c'est trop pompeux, ça. Ils ne vont jamais y croire. C'est pas convaincant du tout.
-Tu as une autre idée? lui demanda une Samia littéralement pendue au bras d'Emilien, qui avait passé une main derrière son dos.
-Edward Cullen, ricana ma meilleure amie. Ca te va beaucoup mieux.
Je m'attendis à ce que mon frère proteste, mais il eut un sourire en coin.
-Ca marche.
Nous avançâmes et passâmes devant une femme aux cheveux blond platine qui nous demanda nos papiers d'identité. Je lui tendis ma carte d'identité à laquelle elle ne jeta qu'un vague coup d'œil. Je payai dix euros pour l'entrée. La blonde me passa en échange un ticket ainsi qu'une sucette à la pomme. Alors que je m'éloignai de quelques pas, j'entendis Loki dire d'une voix nasillarde qu'il utilisait uniquement pour faire rire ou embêter quelqu'un:
-Si je vous dis que je suis Edward Cullen, est-ce que vous me laissez passer gratuitement?
La femme répondit sèchement:
-Je vous fais payer double.
Puis, elle utilisa un ton plus enjôleur pour déclarer:
-Mais ne vous en faites pas, Eddy, avec un peu de chance vous pourrez vous faire offrir un verre par une belle humaine innocente.
Loki paya son entrée et fourra immédiatement le bonbon qu'il reçut dans sa bouche. Lorsqu'il me rejoignit, je lui fis:
-Alors, Eddy, c'est comme ça que tu uses de tes charmes? C'était pathétique.
-C'était une des rares humaines immunisées, se justifia-t-il malicieusement.
Je ricanai.
-Ben voyons.
De la musique commençait à se faire entendre. Le son semblait faire trembler le sol noir et les murs qui étaient gris ici. Stéphane, Clara, Odèle, Samia et Emilien nous suivirent pour aller déposer nos affaires. Je laissai à contrecœur mon écharpe car elle ne ferait que me gêner pour danser. Afin de commencer la soirée tranquillement, nous nous dirigeâmes vers le bar. J'imitai Loki en prenant une vodka avec du jus d'orange, tandis que Samia, Clara, Emilien et Stéphane demandaient un cocktail et Odèle, elle, se contenta d'un simple coca. Nous nous installâmes dans des fauteuils assez confortables, près de petites tables basses rondes. L'endroit où nous étions était plutôt sombre car toute la lumière se concentrait sur la piste de danse, où il n'y avait pour l'instant personne. En effet, comme nous, la plupart des gens s'asseyaient pour discuter, en haussant le ton pour couvrir la musique qui semblait prendre un malin plaisir à nous rendre sourds.
Le goût amer de l'alcool envahissant ma bouche, je grimaçai et écartai mon verre. J'avalai le liquide qui me brûla la gorge.
-Franchement, dis-je. Je me demande comment ça se fait que tout le monde aime ça.
-Je suppose que ça vient avec la majorité, répliqua Clara d'un ton pince-sans-rire. Genre, le matin de tes dix-huit ans, tu te lèves en prenant ton café extra-noir, tes tartines de miel, ton verre de jus d'orange sans sucres, tout en lisant ton petit journal ou contemplant ta feuille d'impôts. A midi, tu n'hésites pas à parler de ta jeunesse avec tes collègues de boulot. Et le soir, tu bois un petit verre de vin pour te détendre et regardes ton feuilleton télévisé favori: Louis la Brocante. Et tous les autres jours ainsi, jusqu'à ce que la routine s'installe jusqu'à la fin de ta vie.
-Génial, vivement l'année prochaine! m'exclamai-je.
Stéphane leva les yeux au ciel.
-Je suis légalement adulte, mais ça ne veut rien dire concernant la psychologie.
Emilien hocha la tête.
-C'est exact. Tous les matins avant d'aller à la fac, mon frère regarde Inspecteur Gadget en caleçon. Son petit déjeuner est composé essentiellement de croissants énormes, croustillants et très très beurrés. Les seules personnes à qui il pourrait raconter ses souvenirs d'enfance sont ses collègues du Mc Do, qui ne l'aiment pas parce qu'il leur a fait croire lors de son premier jour de travail qu'il était fan de Lyon pour rire.
L'intéressé ricana:
-Sauf que maintenant, plus personne ne me croit, alors je me sens très seul en vendant mes frites.
Mes amis continuèrent ainsi à se raconter des anecdotes amusantes tout en prenant quelques photos. Je me désintéressais rapidement de la conversation pour me concentrer sur la musique. Ici, le DJ ne passait que du latino. Quelques danseurs se dandinaient sur la piste. Je regardai un instant l'heure tout en finissant mon verre. Le temps avait déjà filé à toute allure: il était presque une heure du matin. Je m'apprêtai à ouvrir la bouche pour demander si on comptait aller danser un jour ou l'autre, mais Clara me prit de court. Dans toute la pièce, des accords que je ne connaissais que trop bien résonnèrent. Maître Gims.
-Oh non...
Odèle et moi avions gémi au même moment. Nous détestions ce chanteur. Mais Clara, folle de joie, nous força à nous lever et nous entraîna. Je soupirai en me laissant faire. Autant commencer ainsi, le pire sera passé.
Mes deux amis me prirent une main chacune et commencèrent à se déhancher. Je n'eus pas d'autres choix que de les suivre. Bientôt, mon corps prit le rythme et se laissait entraîner dans la musique. Je dansai sans me demander de quoi j'avais l'air. Après tout, les gens pouvaient bien croire que j'étais bourrée si mon style de danse les dérangeait. Loki, Emilien et Samia se dirigèrent vers une autre salle qui diffusait de la musique électro. Clara finit par les rejoindre, sous prétexte que mon frère devait en avoir assez de tenir la chandelle, pendant que Stéphane, Odèle et moi nous dirigeâmes en direction de la pièce dans laquelle quelques chansons cultes des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix se faisaient entendre.
Tandis que Stéphane faisait le pitre sur du Claude François pour nous faire rire, mon attention fut attirée par un homme blond, qui se dandinaient sur place. Une cigarette aux lèvres, il semblait saoul et dansait en sautillant d'un pied sur l'autre. Au bout d'un moment sa cigarette se brisa en deux, mais il ne s'en préoccupa pas.
-Il a vraiment l'air défoncé, commenta Stéphane très subtilement.
Je sursautai. Il m'avait soufflé ça à l'oreille, me surprenant totalement. Je m'éloignai de lui en reculant et percutai le blond qui me jeta un regard mécontent.
-Eh! Ma cigarette! fit-il d'un ton accusateur, comme si c'était moi qui l'avait cassée.
-Désolée! m'écriai-je.
Il grommela. Le Hobbit, lui, me contempla quelques secondes, le temps que l'homme blond s'éloigne.
-En fait, ton temps de réaction est très limité, ricana mon ami.
Je haussai un sourcil. Je le savais parfaitement, mais rouge de honte après avoir percuté l'homme, j'étais de sale humeur.
-Ah oui? Alors fais un truc surprenant, pour voir.
Mauvaise idée. Ses yeux pétillèrent. Soudain, son visage ne fut qu'à quelques centimètres du mien. Troublée, je ne réagis pas. Je me figeai lorsque ses lèvres effleurèrent ma peau juste à côté de ma bouche. Stéphane se recula, un sourire en coin.
-Tu vois? Ton temps de réaction: zéro.
Il semblait très fier de lui. Mon sang ne fit qu'un tour. Avant que je ne puisse l'en empêcher, ma main percuta sa mâchoire, si fort que ma paume me picota.
-Tu vois? rétorquai-je du même ton tandis que Stéphane me jetai un regard sidéré. Ton temps de réaction: moins trois cents quatre-vingt quatorze.
Odèle, qui avait suivi la scène, éclata de rire. J'allais faire de même, mais ma vision se troubla et je fus prise de vertiges.
Je trébuchai. Ma meilleure amie me rattrapa. Le pendentif que mon père m'avait offert, alors qu'il restait habituellement froid, me brûla soudain la peau. Je grimaçai.
-Lys? questionna-t-elle, son sourire s'effaçant de ses lèvres. Tout va bien?
-Je suis...
Ce furent mes derniers mots. Les visages inquiets de mes amis, la musique, la fumée que le DJ envoyait sur la piste, les lumières, disparurent.
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