Chapitre 16.1_ Envol
Previously... Lys est enfin arrivée à La Vertigineuse, l'une des quatre Cités de l'Aedenia! Elle a utilisé une Iter (une sorte de télé porteur privé qui permet de voyager de Cité en Cité en peu de temps et en toute sécurité, mais au prix d'une lourde fatigue). Là, elle a rencontré Enyo Bellone Anima, la directrice de l'une des Ecoles, et Cédalion, un mystérieux et discret jeune homme qui suit la directrice comme son ombre. Après une longue discussion entre Orfé et Enyo, il est décidé que Lys est condamnée à porter un bandeau lui masquant la moitié du visage afin qu'on ne reconnaisse pas sa mère au travers elle, et qu'elle aura pour Mentor un dénommé Sophian (le beau, le grand, le fort, l'énigmatique, le mysssstérieux Sophian!) . Ce dernier se révèle être l'Ange Déchu, le jeune homme qu'elle avait vu en rêve en train de se faire torturer par Eris Grenat (la méchante très méchante de cette histoire), et il semble ne prêter que peu d'attention à Lys. A la fin du Chapitre précédent, Sophian donne à Cédalion l'étrange ordre suivant: va détacher Batman... soit la mystérieuse silhouette attachée à une chaise, un sac sur la tête, qui était l'ancien Elève de Sophian. À la plus grande stupéfaction -et joie!- de Lys, le dénommé Batman n'est autre qu'Émilien, ami de son frère, qui a suivi notre jeune héroïne dans la mort...
Je mange un bout de pain du bout des lèvres. Je viens juste de finir le résumé de ce qui m'est arrivé précédemment. Emilien, en face de moi, reste quelques secondes les yeux dans le vague. Nous sommes au réfectoire de l'Ecole, en fin de repas, durant lequel j'ai eu plus d'une fois l'impression que l'on m'épiait. Je sais que mes ailes attirent la curiosité des gens, mais malheureusement, une nouvelle source de rumeurs alimente les conversations. Sophian. En un repas, plusieurs personnes m'ont immédiatement abordée pour me demander si ce dernier était mon Mentor. J'ai eu droit aux soupirs de jalousie d'un soldat d'un trentaine d'année ("Tu as de la chance, c'est le meilleur", m'a-t-il dit), à la grimace inquiétante d'un vieille femme ("Fais attention... Enyo est folle d'avoir pris un telle décision."), au sourire d'une fille quinze ans ("Un beau garçon, tu dois être satisfaite!"), et, pour finir, aux regards effrayés d'une petite foule d'enfants étonnés ("Bonne chance!", "J'aurais supplié de ne pas l'avoir, à ta place", "Ah bon? T'as pas l'air aussi effrayante que lui, en tout cas...").
Toutes ces opinions divergentes à son sujet me mettent de plus en plus mal-à-l'aise. Si je pars du principe que chaque parole correspond à une facette de sa personnalité, je me retrouve avec un schizophrène pour Mentor. Tout en racontant mon voyage à Emilien, je n'ai cessé de jeter des coups d'oeil à travers la pièce, à la recherche de Sophian. Après avoir terminé le repas, accompagnée par le silence songeur et inhabituel d'Émilien, je finis par dire:
-Il parait que tu es l'Élève de Sophian?
-Plus maintenant, réplique Emilien boudeusement. Enyo a décidé de me prendre avec elle. Je sens que ça va être chiant.
Je ne peux m'empêcher de sourire en me remémorant les paroles des deux Animae au sujet de mon ami.
-Qu'est-ce que tu as fait à ton Mentor pour qu'il ne te veuille plus?
Le visage d'Émilien s'illumine. Il se redresse sur le banc et se penche vers moi pour me chuchoter avec exitation:
-Cette École est géniale! Tu verras, on peut faire tellement de trucs qu'on ne s'ennuie jamais! Il y a des passages un peu partout. Et puis tu as vu La Vertigineuse? (Son sourire s'élargit en me voyant secouer négativement la tête:) C'est vrai? Je t'y emmène dès demain! Cette ville est magnifique, et j'ai rencontré plein de gens hyper sympa! Ils me prennent pour un cinglé, d'ailleurs, mais ils s'en fichent du moment que je ne leur apporte pas d'ennuis. J'ai découvert grâce à eux des tas d'endroits! Si tu aimes l'adrénaline, il faudra que je te les présente. Je les rejoins la nuit et on passe notre temps à vagabonder et à entrer par effraction dans des lieux trop peuplés le jour.
Il me fait immédiatement la liste des endroits qu'il faut absolument que je voie: les autres Écoles, les donjons, le phare, l'amphithéâtre, les galeries marchandes, la prison, les tunnels près de l'Océan, le temple dédié à Caelus, ... Et surtout le Château où vivent les Vaillard, la Famille Dirigeante de la Cité, et qui lui est encore inconnu.
-Je ne l'ai vu que de loin, mais je sens que je vais adorer! Ils m'ont juré que nous y irons dans quelques semaines, quand ils auront mis en place un plan pour y pénétrer sans se faire remarquer.
Je hoche la tête en baillant.
-C'est pas tout ça, mais... Je crois que j'ai besoin de dormir, je suis crevée depuis des heures. Peux-tu me montrer où est ma chambre?
Emilien acquiesce et se lève, avant d'écarquiller les yeux.
-Mais... Du coup, tu dors dans la même chambre que Sophian, puisque tu es son Élève! Il faut que je démènage mes affaires... Et j'ai pas la clé de la chambre... Allons voir Enyo.
Je me retiens de grimacer en entendant que je vais devoir cohabiter avec mon Mentor. J'aurais de loin préféré être toute seule. Sans se soucier de mon air déprimé, Emilien me guide jusqu'au bureau de la Directrice de l'Ecole, qui est inoccupé. Je le suis ensuite jusqu'à la cour, où plusieurs duels sont organisés, mais toujours aucune trace d'elle. Enfin, Emilien se dirige son regard vers les remparts.
-Viens, peut-être que de là-haut, on trouvera au moins Sophian.
-Pourquoi? demandé-je en l'observant prendre son envol.
J'observe ses ailes se déployer. Une fois dépliées, je remarque qu'il n'a pas deux ailes, mais quatre en vérité, toutes petites, longues, fines et légèrement circulaires à ses extrémités, comme celles d'une libellule. Je reste pantoise devant cette constatation, avant d'aviser une échelle adossée au mur de pierre. J'esquisse une moue dubitative. Je préfère grimper plutôt que voler, pour ma part. Il me faut une minute pour arriver au sommet tandis qu'Émilien y accède en moins de deux secondes. Il répond donc assis nonchanalement au bord du vide, les pieds se balançant en rythme:
-Parce que deux fois par jour, Sophian fait une sorte de footing autour des murailles de l'Ecole. Il m'emmenait avec moi. Je ressens encore les courbatures de ce matin, je doute que tu y survives. Ce type est sans compassion.
Je fais une pause pour regarder autour de moi et évaluer la distance parcourue.
-Ça n'a pas l'air d'être si long que ça, pourtant.
Mon ami secoue la tête.
-Tu ne sais pas de quoi tu parles. Lorsque tu y seras, tu verras à quel point c'est horrible avant et surtout après une journée d'entrainement!
Une fois arrivée à ses côtés, je l'observe se redresser. Ses ailes se sont recroquevillées en triangle, leur position habituelle lorsqu'Emilen ne s'en sert pas.
-Elles sont bizarres, tes ailes, dis-je pensivement.
Il hausse un sourcil ironique.
-Vraiment? Et les tiennes sont normales, c'est pour ça que tout le monde les regarde de travers.
-Tu en as quatre! je soupire. Je galère déjà avec deux, je me demande comment tu fais.
Il commence à parcourir le long couloir au-dessus des remparts, et se met à regarder en contre-bas.
-Tu verras, me promet-il sans cesser de s'agiter. Avec un peu d'entrainement tu te débrouilleras parfaitement.
Je suis loin d'être convaincue, mais ne dis rien pour le laisser se concentrer. Au bout de quelques minutes, il finit par s'avouer vaincu, et descend de notre perchoir avec un soupir exaspéré. Avant de le rejoindre, je me permets d'admirer l'horizon: le soleil se couche lentement, laissant ses rayons dorés se refléter dans les multiples vaguelettes de l'Océan Infini. Ce miroir iridescent me laisse béate d'admiration. J'inspire, me délectant de l'odeur de l'écume. Les légers souffles du vent me font ouvrir les ailes malgré moi, instinctivement. Pour la première fois depuis une semaine, je souhaite oublier. Oublier l'étrange secret de ma présence ici, oublier la peur incompréhensible d'Orfé et d'Enyo, la colère d'Huji, les mystères d'Eleusis, et surtout, oublier cet affreux poids qui pèse petit à petit et de plus en plus sur mes épaules, ainsi que la froideur permanente de mon pendentif en forme de flocon. Oublier, et surtout être seule.
Soudain, mes ailes me démangent. Sans réfléchir davantage, je grimpe sur le rempart afin de savourer pleinement la sensation agréable que me procure le vent qui s'y engouffre, les gonflant comme les voiles d'un bâteau. Je ferme les yeux.
-Lys? demande Emilien, dont la voix et les battement d'ailes se rapprochent. Tu viens? Il faut qu'on aille... LYS!!
Trop tard. J'ai lâché prise en me laissant tomber en avant. Cependant, je n'ai pas la sensation de chuter.
Je dérive lentement.
J'ai gardé mes ailes étendues au maximum, de toute leur taille, et, ainsi, je plane. La peur que j'avais ressentie lorsqu'Orfé essayait de me l'apprendre était (sans jeu de mot) envolée. Pour la première fois depuis le début de ma nouvelle vie, je laisse mon instinct me guider. Ma légèreté m'étonne. Je me laisse un long moment dériver lentement, laissant mes ailes se replier sur elles même pour battre, puis se déployer à nouveau pour profiter de l'accélération ou des nouveaux vents.
Je me permets d'ouvrir les yeux qu'après un long moment de vol. Je suis au-dessus de l'Ecole, à peut-être cent ou deux cents mètres d'altitude. La forme rectangulaire des murailles de l'Ecole semble évoquer un étroit cagibi. J'aperçois les petits points représentants les Élèves et leurs Mentors, tous semblables à de minuscules fourmis. Je constate vaguement qu'Émilien ne me suit pas. Je me détourne de ce spectacle pour me diriger vers l'Océan, dont le bleu associé au doré du soleil m'attire mystérieusement. Je plane dans cette direction, avec la sensation de glisser dans des draps de soie après être sortie d'un long sommeil. Je survole avec une douceur incomparable la falaise. La roche claire ressemble à de l'or, sous le soleil couchant. Le paysage défile sous les battements de mes ailes. Je me pose doucement au bord d'un rocher qui surplombe l'Océan. J'écoute, silencieuse, le roulement des vagues et leur fracassement régulier contre les rochers effilés. Je ferme les yeux pour profiter de la douce chaleur émanant des derniers rayons de soleil.
Ma paix intérieure dure encore quelques minutes, avant que je n'hésite à rentrer à l'Ecole. C'est mon premier jour. Je suis censée aller me reposer calmement après avoir pris l'Iter; de plus, il faut que je retrouve Orfé pour lui demander comment trouver son successeur, et que je rejoigne Emilien pour partir à la recherche de Sophian. Je sens que le moment fatidique où le soleil va se coucher approche, cependant je ne peux me résoudre à rentrer. Pas encore. Alors, je me lève et prends mon élan pour sauter. Là, je m'envole une dernière fois.
J'esquisse quelques battements d'ailes jusqu'à me retrouver totalement au-dessus de l'Océan. Je me rapproche de l'eau, et l'effleure de mes bottes. Toutefois, je ne m'attarde pas, sentant l'humidité m'atteindre et me souvenant de ce qu'avait dit Orfé: les Aedeniens sont des créatures aériennes, elles n'ont rien à faire près du territoire d'Unda. Je me retourne doucement en battant des ailes pour prendre de la hauteur, et me dirige vers le rivage.
J'avance lentement, redoutant le moment où je me poserais, dans l'enceinte de l'Ecole. Ce n'est que maintenant que je me rends compte de la folie inconsciente de mon acte. Et si je m'étais faite attaquer par un Cendré? Et si Sophian me cherchait en ce moment-même, fou de rage d'avoir une Élève fugueuse? Je n'ai pas envie de lui donner une mauvaise image. De plus, j'ignore tout du réglement de l'Ecole. Peut-être ferme-t-elle à la nuit tombée? Cette pensée me fait redoubler de vitesse. Je n'ai pas envie de me retrouver sans abri sûr cette nuit! Je vais le plus vite possible, sentant mes ailes se fatiguer. Quelle imbécile! Je sais pourtant quelles sont mes limites, pourquoi suis-je assez stupide pour chercher à les repousser?
Je regarde résolument devant moi afin de ne pas penser à la douleur de plus en plus forte provenant des muscles crispés de mes ailes. Je remarque une étrange tache noire sur la falaise, mais n'y prête pas particulièrement attention. Soit concentrée sur ta destination, Lys, me seriné-je intérieurement. Tu vas bientôt te poser. Tu...
Je manque de m'arrêter. Ce n'est pas une tache, qu'il y a sur la falaise. C'est une personne qui escalade la raide pente rocheuse. Ma curiosité est si vive que je sens ma douleur et ma peur me quitter. Je m'approche en m'appliquant pour que mon ombre n'avertisse pas le cascadeur.
C'est un Démuni. Ses vêtements et ses cheveux noirs sont recouverts de poussière, de sueur. J'admire un instant ses muscles qui roulent sous le tissu étrangement poisseux recouvrant son dos . Je n'ai pas besoin d'être devin pour reconnaître l'épais liquide rougeâtre. Du sang. Une alarme résonne dans mon esprit, avec un rythme terriblement semblable à celui de la respiration haletante de l'inconnu. Je me rapproche doucement en positionnant mon ombre de sorte qu'il s'appercoive de ma présence. Je ne veux surtout pas lui faire peur, ce serait la meilleure solution pour qu'il tombe.
-Excusez-moi, dis-je prudemment, tendue. Voulez-vous que j'appelle du secours? J'ai l'impression que vous avez be...
Le reste de ma phrase reste coincée dans ma gorge lorsque le visage de l'inconnu se tourne lentement et me jette un coup d'oeil. Ce n'est d'ailleurs pas un inconnu. C'est Sophian. Son regard mordoré quitte le mien pour se concentrer sur la terrible ascension qu'il entreprend. Lorsqu'Émilien disait qu'il était cinglé, j'ignorais à quel point il avait raison.
-Qu'est-ce que tu fais là? dit-il entre deux inspirations sifflantes.
Je croise les bras en levant les yeux au ciel.
-Je pourrais te retourner la question.
Son regard de reproche attise ma colère. Je m'écrie avec toute l'insolence dont je suis capable:
-Je fais du tourisme.
Il se hisse lentement avant de me répondre, le ton neutre.
-De tourisme, vraiment? Tu es au mauvais endroit, le Château des Vaillard est de l'autre côté.
On dirait qu'il fait ses courses, pas qu'il risque de mourir à tout moment. Ne trouvant rien à répondre à cette information, je préfère l'observer. Sophian cale ses pieds dans les deux trous qu'il vient de creuser avec l'aide des deux lames recourbées qui l'aident à grimper, puis en creuse de nouveau en projetant un de ses bras devant lui. Une fois sûr de sa prise, il utilise la force de ses bras et de son torse pour hisser tout son corps. J'accompagne sa progression en montant dans les airs à la même allure qu'il grimpe. Bientôt, la nuit tombe, mais pas une seule fois je ne m'en soucie. Je me ronge suffisamment les ongles à force de m'inquiéter pour ce fou qui risque de chuter et de mourir à tout moment, mais qui est aussi à l'aise qu'un tennisman sur un cour de tennis, aussi fort qu'une montagne de muscle, aussi agile qu'un boa, aussi...
Je pousse un cri quand l'une de ses lames crisse contre la pierre alors qu'il ne se tient que grâce à ses bras. Je vois les mucles de son dos se crisper tandis qu'il se plaque contre la paroi. Il cherche des prises en agitant ses pieds. Sophian va lâcher prise. Effrayée par cette idée, je fonce sur lui pour saisir ses talons et les placer un à un sur une petite corniche, où il se permet de se frotter les mains.
-Merci, fait-il du bout des lèvres. Maintenant, tu peux partir.
-Hors de question, marmonné-je en lui faisant une grimace. T'as failli mourir.
-Non.
Je cligne des yeux, surprise par cette répartie.
-Comment ça, non?
-Non, répète-t-il avec aplomb. Je n'ai pas failli mourir. Tu m'as juste devancé, j'allais me rattraper.
Je le dévisage tandis qu'il s'apprête à reprendre l'escalade de la falaise.
-Qu'est-ce que t'en sais?
-Je me rattrape à chaque fois, de toute façon.
Je me retiens de lui rire au nez. J'évalue d'un regard effaré à quelle hauteur nous sommes.
-Mais bien sûr! Arrête! Tu viens de grimper sur des dizaines de mètres, t'es crevé, on n'y voit rien, alors forcément, t'as failli te louper, point.
Je le défie du regard de trouver quelque chose à redire de ma logique. En effet, malgré le fait que seule la pâle lueur de la lune me permet d'appercevoir Sophian, je suis sûre d'avoir vu ses membres trembler de fatigue.
-Non, persiste-t-il avec un entêtement que j'admirais si je n'étais pas aussi surprise. Je ne suis pas assez fatigué. Pas encore. De plus... Si tu n'y vois rien, c'est uniquement à cause de ta vision. Moi, je vois presque comme en plein jour... Mais si ça peut te rassurer...
Il esquisse un geste... Non, un Geste, avec sa main gauche. Une flamme embrase son pouce, qu'il replie contre sa main. Je grimace, m'attendant à ce qu'il se brûle, ce qui n'arrive pas. Au contraire, la flamme semble former une boule qui commence à grossir, grossir... Puis, Sophian souffle légèrement dessus. La boule de feu décolle de sa main et se positionne au niveau de son visage. Je me retiens de sursauter. Quand Orfé m'a parlé des Gestes, j'ignorais qu'une telle chose était possible.
Il me jette un coup d'oeil et, s'appercevant de ma surprise, ricane.
-Sophian Auxi Anima, psamoldie-t-il avec une ironie mauvaise et douce-amère. Fraîchement Démuni, et béni des Entités. Mon sort t'en bouche un coin, pas vrai? C'est simple, je suis un contre-sens à moi tout seul.
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