Chapitre 1_ Réveil

La femme eut un sourire. J'eus du mal à déterminer ce qu'il voulait dire. Il paraissait à la fois cruel, mais aussi pensif et rêveur.

Ce n'est qu'au bout d'une dizaine de secondes que je parvins à savoir pourquoi cette femme me mettais mal-à-l'aise.

Elle portait une robe noire qui semblait être un assemblement de tissus et de cuir. Sa peau, d'une blancheur laiteuse paraissait illuminer les ténèbres. Son visage, sans aucune ride, était beau, mais d'une beauté cruelle. Elle avait une longue chevelure noire qui comportait aussi quelques rares mèches argentées. Ses yeux étaient d'un noir glacial, et il y brillait une lueur intense et fiévreuse.
Mais le plus étrange n'était pas là. Lorsque la femme tourna la tête, je lui découvris des oreilles fines et pointues. Quand elle se leva, deux ailes immenses se redressèrent dans son dos. Elles étaient fines et parcheminées. Ce n'était pas des ailes faites de plumes et de duvet. Elles ressemblaient à celle d'une chauve-souris: d'une peau fine, qui semblait douce.

Une homme s'avança. Petit, le cheveux gras et le regard d'une souris apeurée, il semblait étrangement soumis à la femme. Il possédait les mêmes ailes qu'elle et les mêmes oreilles. Court sur pattes, il s'agenouilla devant la femme qui le contempla froidement.

-Maîtresse, dit-il d'une voix chevrotante.

-Parle, ordonna-t-elle. Tout est prêt?

-Oui, chuchota-t-il.

-Quand le corps sera-t-il disponible?

-Le 7 novembre à 23h 31, marmonna-t-il en tendant un parchemin à la femme.

Cette dernière le déroula lentement. Je ne vis pas ce que le papier montrait, mais la femme ébaucha un sourire, dévoilant une dentition parfaite.

-Enfin, murmura-t-elle pour elle-même. Je vais enfin pouvoir me venger...

L'homme la regardait avec crainte. Lorsqu'il prit la parole, sa voix avait un ton persuasif.

-C'est une belle jeune fille, n'est-ce pas? Digne de vous accueillir, Maîtresse...

La femme fronça les sourcils, puis hocha la tête.

-Oui, tu as raison. Tu peux être fier de toi, tu as bon goût. Et toi? Tu as choisi une nouvelle enveloppe charnelle?

L'homme se mordit la lèvre inférieure. Il avait des dents jaunâtres, rien à voir avec celles, immaculées, de celle qu'il appelait sa maîtresse.

-Oui, le frère de cette jeune fille.

-Lysianassa... dit une voix extérieure, comme dans un souffle.

C'était un timbre de voix étrange. Je l'avais déjà entendu. Mais il avait un accent bizarre, qui semblait ancien et méconnu.

La scène commença à s'effacer. La femme eut un sursaut. Elle se redressa, et tira une épée du fourreau qu'elle portait sur le côté.

-Nous avons de la visite, dit-elle, tournant sur elle-même avec une grâce féline.

Dans son mouvement, le parchemin tomba à terre. La voix se fit plus insistante, plus pressante:

-Lys! réveille-toi! s'exclama-t-elle dans une langue que je ne connaissais pas mais comprenais parfaitement.

Je vis, alors que je reprenais conscience, le portrait qui était dessiné sur le papier.

J'ouvris des yeux flemmards.

Cela faisait seize longues années que je me réveillais après une nuit de sommeil, et je ne m'étais toujours pas habituée à cette sensation: l'impression que rester à jamais dans son lit, était la meilleure chose au monde et que cet instant arrêtait le temps et effaçait tous vos quelconques problèmes...

J'en étais là de mes spéculations matinales et habituelles. Et bien sur, la réalité s'imposa à moi avec violence. Je hais ma vie, parfois.

-Lysianassa! Debout!

Je soupirai et m'enfouis sous mes couvertures en gémissant. Alors que tout mon cerveau pensait : Laissez-moi tranquiiiiille!!!, ma bouche et ma raison, les traîtresses, s'exclamèrent d'une seule voix:

-Je me lèèèève!

Je me redressai, donc, avec la sensation que jamais je ne retrouverais mon bien-aimé, mon lit à la tendresse infinie... Pourquoi le lycée existait-il? Pourquoi?
(Oui, je sais, pour mon avenir, blablabla... Tu parles d'un avenir: la crise, les guerres dans le monde, le réchauffement climatique... Honnêtement, j'étais loin d'être optimiste.)

Je tâtonnais un instant à la recherche de mes lunettes tout en pestant contre ma myopie. Une fois les verres en face de mes yeux, je contemplai un instant ma chambre. Les murs étaient blancs et bordeaux. En face de mon lit trônait ma bibliothèque adorée qui était désormais trop étroite, si bien que mes livres se chevauchaient les uns les autres. A l'instar de ce meuble, ma chambre était un bazar indescriptible. Mon bureau était dans le même état que je l'avais laissé hier soir: mon ordinateur désormais éteint était enseveli sous le nouveau t-shirt que j'avais essayé. Des stylos trainaient un peu partout, ainsi que des crayons de papier et ma gomme en forme de panda (oui, de panda, vous avez parfaitement lu). Sur ma chaise, il y avait un jean sale dont je m'étais servi la veille pour aller faire du vélo avec Loki ainsi que mon écharpe Serdaigle.

Moi et mon frère étions deux fans de Harry Potter, et nous avions donc chacun décidé de notre maison. Moi, la maison de la créativité, de l'intelligence et, surtout, de l'imagination. Loki, lui, avait son écharpe Serpentard qu'il réussissait à faire passer pour un accessoire de l'équipe de foot de Saint Etienne lorsque mon père l'emmenait aux matchs.

A chaque fois, je l'imaginais au stade, braillant "Allez Sainté, allez Sainté!!" en agitant son écharpe verte, et une fois je m'étais écroulée de rire en entendant un des potes de mon frère lui demander si son accessoire était un collector de l'équipe. Loki avait répondu très sérieusement à l'affirmative, et cela m'avait achevée. Les amis de mon frère s'étaient sans doute demandés pourquoi Lysi-machin-truc (mon surnom. Tellement poétique, n'est-ce pas?!) s'était soudainement transformée en dinde (je glousse affreusement quand je rigole. C'EST HORRIBLE!!!), mais mon fou rire était tel que j'avais mis une éternité à me calmer. En effet, à chaque fois que je regardais mon frère, celui-ci avait un air tellement sérieux que je m'étranglais une seconde plus tard. Je m'étais demandée à plusieurs reprises si Salazar Serpentard aurait été d'accord: que sa maison serve de source d'inspiration aux fans moldus de sport moldu. Certainement pas.

Je tirais pensivement sur mon haut de pyjama -un t-shirt rose pâle que je n'osais plus porter en public essentiellement à cause de son slogan qui semblait hurler: I love Justin Bieber. Star que j'avais appréciée pendant très exactement une semaine, avant de récupérer soudainement mon cerveau que j'avais débranché par mégarde.

Je portais également un leggings noir trop petit ainsi que des chaussettes jaunes bien chaudes à poussins -j'avais toujours les pieds gelés et cela m'empêchait de dormir. J'étais donc déguisée de si bon matin, et mon air ensommeillé faisait toujours rire Eliott, alias mon petit cousin débile, lorsqu'il venait dormir à la maison et nous coller aux baskets.

C'était sans doute pour cette raison que Loki apparut dans l'encadrement de ma porte, un grand sourire aux lèvres, me disant de sourire.

Un flash et un cri indigné plus tard, mon frère, mort de rire, m'invita à descendre comme si je n'étais pas en train de le poursuivre dans la maison avec mon arme à la main -mon dictionnaire d'anglais, pour être plus précise.

J'abandonnai rapidement la poursuite, sachant que ça ne servirait à rien et que de toute façon, quoi qu'il arrive, je reverrais la photo sur Facebook lors de mon anniversaire, dans une semaine. Je retournai dans ma chambre, maudissant mon frère pour la forme. Je laissai choir mon dictionnaire sur mon bureau, et pris dans mon armoires des sous-vêtements, des chaussettes noires, une chemise fine blanche, un débardeur noir et uni, et pour finir un simple jean slim bordeaux.

J'aimais avoir une tenue à la fois élégante (à mon humble avis), confortable et assez sobre avec mes vêtements. Mais si j'avais une apparence propre et soignée au lycée, j'étais une véritable tornade chez moi. La preuve: j'avais une chemise pour sortir, mais je portais du rose et du jaune pour dormir. C'était le cas pour plusieurs domaines: j'avais l'image parfaite de l'intello avec mes lunettes, mon air timide et silencieux devant les profs, mon langage pouvant être soutenu à l'écrit, le fait que je ne sois pratiquement jamais en retard et tant d'autres choses... Mais je pouvais être une vraie furie: tantôt pleine d'adrénaline, tantôt disant tout et n'importe quoi, pouvant parfois me montrer extrêmement têtue.

Mais il y avait un truc qui ne faisait que me freiner encore et encore, quitte à me faire prendre pour une folle ou une débile, pour être plus honnête.
Je réfléchissais trop. Enormément.

Le plus souvent, je pesais mes mots, je peinais parfois à les trouver. Si je ne les choisissais pas avec soin, j'avais peur de blesser. Lorsque je ne parvenais à ni l'un, ni l'autre, j'avais l'impression de perdre le contrôle de moi-même, ce qui était très désagréable.

Car c'était là l'unique chose que je sache faire et que l'on me reconnaissait. Les mots étaient mon salut, la seule chose que je sache presque maîtriser à merveille.

J'étais trop faible physiquement, et je détestais ça. Je n'étais ni rapide, ni endurante. Lorsque je faisais un parcours épuisant en accrobranche par exemple, ce n'étaient pas mes muscles qui me soutenaient à la fin du parcours noir, mais ma détermination et ma réflexion.

En clair, voici quatre de mes qualités: je pouvais me montrer déterminée dans les situations extrêmes, je savais réfléchir, je savais manipuler les mots et employais donc parfaitement le sarcasme et l'humour quand je le désirais.

Par contre, niveau défaut, il y avait du lourd. J'étais vexée parfois pour un rien, il n'était pas rare que je broie du noir. Je ne pardonnais jamais facilement. J'étais très lente à réagir, pesant toujours le pour ou le contre pour rien ou pensant tout simplement à quelque chose de débile n'ayant aucun rapport avec la question que l'on me posait. Mon temps de réaction entraînait les gens à penser que j'étais totalement stupide ou niaise.

Dans mes pensées, je heurtai mon père qui descendait déjeuner. Il vit que je n'étais toujours pas habillée et soupira en souriant malgré lui -il avait l'habitude.

-Ta mère est proche de l'apoplexie, Lys, me dit-il en me faisant un clin d'oeil malicieux. File à la douche, et peigne-moi ça.

Il désigna le sac de noeuds que j'avais probablement pour cheveux. Je passai la main sur mon crâne, constatant qu'en effet, j'allais prendre une éternité pour tout défaire. Je commençais à croire que mes cheveux étaient des organismes indépendants: ils vivaient leur vie, se fichant complètement de quoi j'avais l'air par leur faute.

-Oui, chef, répondis-je en imitant le salut militaire.

Mon nom fut à nouveau hurlé dans toute la maison.

-Si elle continue, la maison finira par s'écrouler sous ses cris, marmonnai-je.

Mon père ébaucha un nouveau sourire, le sourire dont j'avais hérité.

-Si tu ne la tues pas avant.

Voyant que je ne me pressais pas, il me murmura:

-Plus qu'aujourd'hui, et ensuite tu es en weekend. Et tu sais bien qu'on t'a autorisée à sortir avec tes amis la semaine prochaine. Ce serait bête que ta mère décide de revenir sur sa décision, non?

Son argument fit mouche.

-Je fonce, m'exclamai-je.

J'arrivais dans la salle de bain. Prenant ma douche en un éclair, je songeais à mon rêve. Depuis toute petite je faisais des rêves étranges où je voyais des gens étranges faisant des choses étranges ou parlant étrangement. Or là, la femme m'avait paru dangereuse, très dangereuse. Mais je me sentais également proche d'elle, ce qui ne m'était jamais arrivé avant. Et cette proximité me faisait peur, une peur qui me semblait ancienne, comme inscrite dans mes gènes: la peur de la proie devant le prédateur, je suppose.
C'était comme si cette femme représentait certes un danger, mais pour moi en particulier, ce que je ne comprenais pas.

Je ne voyais vraiment pas ce que j'avais avoir avec elle... Après tout, j'étais une fille normale -enfin, une fille qui essayait d'être normale pour être plus précise. Mon livre préféré était La Voleuse de Livres, mon film préféré était La Grande Vadrouille, je haïssais les épinards au même titre que je haïssais Sophie, une fille populaire et aimée de tous sauf de moi, qui me le rendait bien. J'adorais manger de la pizza au saumon et à la crème fraîche et jamais l'idée de courir nue dans la rue en hurlant: "LES COCCINELLES SONT DES COLÉOPTÈRES!" ne m'était venue à l'esprit.

Alors oui, j'estimais que j'étais normale.

Pourquoi avais-je l'impression d'être la proie qu'on traquait avec un acharnement animal?

Je me séchai, enfilai rapidement mes vêtements. Puis j'agrippai une brosse et commençai à me torturer le crâne.

Enfin, je rassemblai mes cheveux en une queue de cheval, croisant au passage mon propre regard au travers du miroir. Cheveux noir de jais. Yeux verts comme les feuilles d'une forêt entière. Teint très pâle, limite vampirique. Lèvres minces et nez fin.

Je me rendis alors compte que le portrait dessiné sur le parchemin de mon rêve était le mien.

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