22/12 - L'ultime enquête de Jonas Maniez

hippie - bandage - tuyaux




POUR N'IMPORTE QUELLE AUTRE enquête, Jonas Maniez ne se serait jamais montré aussi imprudent.

Mais aujourd'hui il s'agit de son ami d'enfance, le petit Pierrot. Trente ans qu'il ne l'a pas vu, pourtant lorsqu'on l'a envoyé auprès du corps relever des indices, il a cru s'évanouir en reconnaissant, dans les traits de l'homme étendu au sol, ceux du gamin qui a partagé ses jeux.

S'il avait su que c'était lui, il n'aurait pas accepté de se rendre sur place. Il n'aurait eu qu'à dire « je le connaissais » et on lui aurait retiré l'affaire. Mais les années ont effacé le nom de famille de Pierre de sa mémoire. Et maintenant qu'il a vu le corps, comment reculer ? Comment ne pas en faire une affaire personnelle ? L'affection pour son ami n'a pas disparu en trente ans, il l'a juste éloignée ; elle s'est mélangée à la nostalgie. Il ne sait pas vraiment de quoi il pleure la disparition, entre Pierrot et ses années d'enfance.

Il revoit sans cesse la face livide de son ancien ami, sa poitrine perforée de cinq coups de couteau. Les analyses n'ont rien donné, et Jonas veut la vérité. Alors il n'a pas hésité longtemps quand il a reçu un message anonyme l'invitant à se rendre seul à vingt-deux heures dans cette rue paumée.

Son arme de service est dissimulée sous son veston. Il n'a pas osé demander à quelqu'un de l'accompagner, de crainte qu'on n'alerte ses chefs.

Mais il y croit. On lui a promis un tuyau. Un deuxième message est arrivé un peu après, « une information décisive » disait-il, comme pour l'aider à se décider. Mais Jonas n'en avait pas besoin.

Planté là dans le froid, il commence à douter. N'est-ce pas juste une blague, un petit malin qui trouverait ça drôle de le voir crapahuter jusqu'à l'autre bout de la ville ? Nerveux malgré lui, il plonge la main dans sa veste et en tire son pistolet. Le contact froid de la crosse le rassure. On ne lui a pas interdit de venir armé, après tout.

Seul dans la ruelle, il succombe à l'assaut des souvenirs. Les étés à la campagne chez sa grand-mère Henriette, avec Pierrot, à courir dans les champs, à jouer des tours à son petit cousin... Ah, ils en on fait, des bêtises ! Henriette avait pour philosophie de laisser les enfants vivre sans se mêler à leurs histoires. Elle était là à leur retour, elle pansait leurs plaies sans jamais poser de questions, pourtant Jonas se souvient de sa présence apaisante. Elle protégeait leurs douleurs de bandages de gaze ou de mots. Ses gestes, sa voix et ses paroles étaient pleins de douceur et de compassion. Il avait honte, parfois, d'aimer autant sa grand-mère alors qu'il aurait dû mépriser ces chichis de fillette. Au moins n'était-il pas aussi dépendant que sa chochotte de cousin, qui se réfugiait dans les jupes d'Henriette à la moindre occasion.

Malgré le froid qui s'infiltre en lui, Jonas sourit, plein de tendresse. Elle était patiente Henriette, pour supporter le garnement qu'il devenait pendant l'été. Pierrot et lui en faisaient voir de toutes les couleurs à son cousin, il s'en souvient maintenant. Une fois, ils l'ont attaché à un poteau pour jouer aux Indiens, une autre, ils l'ont enfermé dans la grange pendant toute une journée... Des bêtises de gosses, sous l'œil bienveillant de cette hippie d'Henriette qui savait tout sans rien demander.

Un bruit de pas l'alerte. Son indicateur, enfin ! Un homme s'avance au milieu de la rue. Jonas attend en silence. L'inconnu passe sous un lampadaire et une lueur jaune éclaire son visage.

Le pistolet de Jonas heurte le sol avec fracas. Figé de stupeur, il dévisage l'autre homme.

Son cousin.

« Bordel, mais... Qu'est-ce que...

— Chut », murmure l'autre.

Il s'avance encore. Et encore. Jonas attend, terrifié, stupéfait, incapable d'ordonner ses émotions.

« Je sais qui l'a tué. »

Une douleur vive transperce son flanc. Son cousin l'a attiré à lui et le tient plaqué contre son torse.

« C'est moi », souffle-t-il au creux de son oreille.

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