18/12 - Sœur Octobre
octobre - balustrade - couvent
« SŒUR OCTOBRE, je veux mourir ! »
C'était la sixième fois qu'Isobel prononçait ces mots.
Dramatiquement effondrée sur son lit, la demoiselle sanglotait sans retenue. Dans sa main droite, elle serrait une mèche de cheveux jointe à la dernière lettre de son amant. À côté d'elle, sa gouvernante se tenait raide comme un piquet, une moue désapprobatrice tordant ses lèvres minces.
« Voyons, Jacques n'a qu'un jour de retard.
— Il ne m'aime plus, je le sens », geignit Isobel.
Sœur Octobre ne put retenir un soupir. Lorsque la mère de la jeune fille l'avait priée d'éduquer son enfant, elle avait pensé qu'il s'agirait de l'aider à retrouver le chemin du Seigneur, de compléter son éducation religieuse. Elle n'aurait pas accepté si elle avait su qu'il lui faudrait en réalité éponger ses larmes d'amante éplorée et cacher ses amourettes aux yeux de son père. Sœur Octobre avait décidé à vingt-trois ans qu'aucun homme ne valait une larme, et elle ne s'était jamais mieux portée qu'après cette résolution.
« Soyez raisonnable, ma fille...
— Je me moque de la raison ! » tempêta Isobel en se levant d'un bond.
Elle se précipita vers le balcon et se jeta contre la balustrade. Elle tenta de l'enjamber, gênée par sa robe.
« Isobel, que faites-vous ?
— Je vous ai dit que je voulais mourir !
— Nous sommes au rez-de-chaussée. Cessez ces enfantillages ou vous irez en enfer ! Ceux qui méprisent les dons du Seigneur ne sont pas dignes de Son paradis. »
Isobel fixa sa gouvernante, le désespoir et le défi se mêlant sur son visage trempé de larmes. Sœur Octobre portait bien son nom, songea-t-elle, amère. Elle était ennuyeuse et maussade comme une pluie d'automne, mais portait en elle la froideur des prémices de l'hiver. Elle était sournoise, mauvaise et triste. Ignorait-elle donc tout de la fougueuse renaissance d'un printemps, de la passion brûlante inhérente à l'été ?
Emportée par ses métaphores improbables, Isobel en oublia Jacques pendant un instant. Puis elle revint à ses larmes.
« N'en dites rien à mon père, je vous en supplie ! Il m'enfermerait dans un couvent.
— Ce qui ne vous ferait pas de mal », insinua sœur Octobre, d'un ton flegmatique.
Sa protégée lui répondit par un regard indigné. Elle, au couvent ! On y consumerait sa flamboyante jeunesse, on noierait l'ardeur de son amour ! Sœur Octobre – qui l'aurait dénoncée sans les pots-de-vin maternels – se racla la gorge, touchée malgré elle par le regard torturé d'Isobel. Le Malin se déguisait si bien dans les yeux d'une jeune fille ! Elle se signa et ordonna d'un ton guindé :
« Rentrez, Isobel, vous allez prendre froid.
— Que m'importe le froid, si Jacques ne m'aime plus !
— Il vous aime, mon enfant.
— Alors pourquoi ne m'a-t-il toujours pas demandée en mariage ?
— Écoutez, Isobel... Je ne vois qu'une solution à votre problème. »
La jeune fille leva vers sœur Octobre un regard éperdu de reconnaissance.
« Vraiment ? Me direz-vous laquelle ? supplia-t-elle.
— Mais certainement...
— Est-ce que je dois lui demander moi-même ? coupa Isobel d'un air exalté. Je le sens, notre amour mérite que l'on aille au-delà des convenances !
— Grands Dieux, non ! s'offusqua sœur Octobre. Êtes-vous devenue folle ?
— Alors quoi ? Faut-il le rendre jaloux ? Peut-être devrais-je embrasser le fils du jardinier. Il est follement séduisant, je dois dire – même s'il ne vaut pas Jacques. »
Sœur Octobre crut avoir une attaque.
« Où avez-vous la tête, mon enfant ?
— Mais quelle est votre solution, en ce cas ? se désespéra Isobel.
— La première qui devrait vous traverser l'esprit, répliqua sévèrement sœur Octobre. Priez, mon enfant. Priez pour que votre Jacques connaisse son devoir. »
Sur ces mots, elle se détourna et regagna la chambre. Isobel eut un sanglot de désespoir. Elle déchira sa jupe et escalada la balustrade. Elle retomba deux mètres plus bas, au milieu d'un parterre de fleurs.
Caché sous le balcon, le fils du jardinier n'avait pas perdu une miette de la scène.
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