modèle - perfectionner - gouttière

LA GOUTTIÈRE TREMBLAIT sous son poids et ses mains étaient moites. Pour la centième fois, Enzo hésita.

« Dépêche », le pressa Lola.

L'estomac du garçon était bien trop noué pour qu'il lui réponde. La structure grinçait. L'angoisse lui tordait le cœur. Lola avait beau lui assurer qu'elle l'avait fait des centaines de fois, il était terrifié. Il avait passé du temps à perfectionner sa stratégie, à imaginer la descente dans ses moindres détails, mais cela n'avait pas suffi. Il était ainsi. Vouloir tout prévoir. Toujours échouer.

Enfin, il s'écroula à côté d'elle, tremblant de tous ses membres, et jeta un regard nerveux à la fenêtre de sa chambre.

« Ma mère saura rien, t'es sûre ?

— P't'être que si, admit Lola en le prenant par la main, mais tu verras... Il y aura plein d'étoiles filantes ! »

Enzo abdiqua. Il ne pouvait pas résister quand il entendait cet émerveillement dans la voix de son amie.

« J'ai du mal à croire que t'as neuf ans, le taquina celle-ci. On dirait un bébé ! »

Malgré lui, il se renfrogna. Il détestait ce genre de remarques, même s'il savait que Lola ne voulait pas être méchante. Cela lui rappelait les moqueries des autres, à l'école. Il n'y pouvait rien si la maîtresse l'aimait bien. Et il ne voyait pas en quoi c'était mal d'obéir aux adultes. Il ne leur faisait aucun mal !

Lola tourna vers lui un visage soudain soucieux.

« Tu recommences à penser à ces idiots.

— Mmh.

— Ils nous embêtent déjà assez quand ils sont là. Oublie-les ! »

Ce n'était pas aussi simple, ils le savaient tous les deux. Mais il acquiesça.

« On y va », décida-t-elle.

Ils se faufilèrent dans les ruelles du village, aussi discrets que des ombres. Enzo s'efforçait de suivre le rythme. Il ne pouvait s'empêcher de penser à sa mère, qui le croyait endormi. Il ne voulait pas qu'elle découvre son absence, il détestait l'idée de l'inquiéter. Elle avait déjà assez à faire depuis que son père était parti. Enzo se faisait tout petit, essayait de déranger le moins possible. Parce qu'il la dérangeait, il le savait. Sans lui, elle n'aurait pas tous ces cernes sous les yeux. Peut-être même que son père serait resté. Il devait réparer les choses, ou du moins limiter les dégâts...

S'enfuir dans la nuit n'était vraiment pas une bonne idée. Même juste pour voir des étoiles filantes.

Pourtant, la main de Lola dans la sienne, le vent frôlant son visage, Enzo n'avait plus l'impression d'être de trop. La nuit et les rues tortueuses du village l'accueillaient. Lola lui souriait, heureuse qu'il l'ait accompagné.

« On y est bientôt, lui glissa-t-elle. Faut traverser, puis y'a le rocher, j'ai caché mon télescope. Tu verras. Ce sera génial. »

Ils s'arrêtèrent avant la route, juste le temps de savourer cette liberté incongrue : ils étaient seuls dans la nuit, délestés de tout regard. Personne ne savait qu'ils se trouvaient ici. Ils étaient à l'abri du monde.

Puis une étoile filante traversa le ciel, Lola sursauta.

« Allons-y », souffla-t-elle, pleine d'excitation.

Les choses auraient pu être si différentes...

L'étoile aurait pu apparaître quelques secondes plus tôt ou plus tard. Ils auraient pu s'élancer dès son irruption, sans une parole. Enzo aurait pu hésiter encore, paralysé par l'indécision. Mais ce ne fut pas le cas.

Lola se mit à courir et traversa en quelques secondes. Enzo s'élança à sa suite, jeta un regard de chaque côté mais, dans l'obscurité, ne remarqua pas l'étroit virage que prenait la route à sa droite.

La voiture arrivait sans un bruit...

Enzo vit soudain les phares trouer la nuit. Ébloui, figé dans leur puissante lueur, il ne se reprit que trop tard.

Il y eut un crissement de freins, un cri de terreur.

Dans l'instant qui précéda le choc, Enzo eut le temps de se dire que c'était dommage, cette coïncidence. Qu'il avait fallu que le sort le frappe au moment où il quittait pour la première fois sa trajectoire d'élève modèle. Comme si la vie trouvait elle aussi qu'il était de trop.

Puis ce fut l'impact. Et il n'y eut plus rien.