11. Altercation Ancestrale

Il fallut quelques temps à Taan pour accepter le fait que Coline soit revenue. En fait, le temps de remettre de l'ordre dans ses idées.
Dans son cœur, elle lui avait déjà pardonné mille fois son colérique départ, et elle sut le lui pardonner mille fois de plus avec ses mots.

Le Tardigrade avait dit, peut-être sur le ton de la blague, que le mystérieux sorcier habitait une tour. Xelios grimpa, à l'aide des deux autres, à la cime d'un arbre facile à escalader, pour localiser une hypothétique tour en ruine propice à la résidence d'un sorcier aigri. Cette dernière dépassait des hauteurs de la forêt d'ambiance nivale, à environ un kilomètre de leur position.
Si tôt reposé au sol, le groupe se mit en marche vers la fin de leur périple. Les épreuves qui les avaient divisés étaient à présent leur force de cohésion.
Dans un sens, ils avaient tous un peu grandi.

Après quelques plaisanteries, une bataille de boules de neige faisant relativiser leur avancée sur le parcours vers la maturité, ainsi qu'une deuxième vérification de la direction de l'objectif à cause de la découverte d'une cascatelle d'une embouchure de Guidepas, ils durent reprendre un peu de sérieux pour se préparer à affronter le sorcier-alchimiste.

Enfin, ils arrivèrent aux ruines, sans doute d'un ancien donjon abandonné par les siècles, qui tenait encore debout de par la solidité des énormes roches de granite moussues et recouvertes d'une fine pellicule nivale. La tour elle-même ainsi que quelques murets effondrés étaient érigés non loin d'un lac qui malgré le froid n'était pas encore gelé. Une sorte de barrage naturel retenait l'eau, laissant quelques cours lui échapper pour rejoindre Guidepas, plus bas.
D'ici, ils pouvaient même voir en contrebas la cité de Roilebois, au loin vers le couchant. Le soleil projetait ses phéniciennes couleurs sur les minces vagues du lac, sur les roches grisées des ruines, et sur l'adret couvert de neiges éternelles des chaînes de montagne qui bordaient le bassin de Roilebois.

Le paysage était à en couper le souffle, et le jour s'achevait comme le voyage des trois aventuriers. Ici, le sorcier, et là-bas, Roilebois.

La grande porte du donjon, essoufflée par le temps, était cernée de deux oriflammes rouges et déchirés, dont le blason était sans nul doute celui du maître des lieux.
Taan frappa à la porte, et chacun se mit en position pour accueillir le mystérieux sorcier.

Les lourdes portes s'ouvrirent lentement, poussant la neige qui s'était accumulée sur le seuil. Un homme exhibant une splendide armure d'or et de plates sortit tout aussi solennellement des ténèbres de la tour, les métaux étincelant sous la lumière vespérale du soleil. Une longue cape ainsi que des tissus de couleur cinabre et ocre flottaient sous le vent, couverts au niveau des épaules par une longue chevelure blonde et soyeuse. Chacun de ses pas était lourd et résonnait par les cliquetis des plaques de son armure.
D'une voix aussi imposante que sa posture, il écrasa les trois voyageurs de ses mots.

« Qu'escomptez-vous faire chez le grand Seigneur Lancedeciel, marauds ?

Taan se tint droite, malgré cela le colosse d'or la dépassait de trois bonnes têtes. Elle répondit d'une voix tout aussi auguste, pour ne pas perdre la face.
- Des rumeurs courent, et parlent d'un sorcier qui s'attaquerait aux Totems des voyageurs sans défense de la région. Votre Seigneur est-il un lâche pour œuvrer ainsi ?

- Vous êtes donc ceux dont ce couard ergotant m'avait touché mot, la face souillée par ses larmes ridicules après sa pitoyable défaite...
Préparez-vous à mordre de mon brand, misérables ! Je défendrai Lancedeciel jusqu'au dernier de mes souffles !

Déclenchant d'emblée sa Tercera, le colosse vit sa chevelure se changer en une voluptueuse crinière dorée, enveloppant un visage qui s'étirait pour former un bec aquilin et féroce. Un majestueux griffon au plumage d'or déploya toute son envergure, dominant autant de sa taille, de sa prestance et de sa noblesse les trois aventuriers, qui firent quelques pas en arrière face au hurlement imposant de la créature.
Coline fit tournoyer son Totem grossi autour de sa main pour lui faire prendre de la vitesse, Xelios cibla fermement l'ennemi de sa lance, et Taan prépara ses poings et sa toile.

De lourds flocons tombèrent doucement depuis les cieux, reflétant par scintillement les couleurs vespérales du ciel.
Quand le premier des cristaux de givre eut atteint le sol, une violente valse s'engagea entre les quatre combattants. Les ailes d'or brun paraient les assauts de Coline, pourtant imprévisible dans ses déplacements, le bec tranchant et les griffes acérées empêchaient Xelios de s'approcher suffisamment du griffon pour tenter un coup, et la furie dynamique de la bête menaçait Taan au moindre de ses mouvements et déchirait chaque tentative de ligotage avant qu'elle ne soit complète.
Ces éléments forçaient chacun à garder un mouvement perpétuel, afin d'éviter les coups ravageurs de la créature autant que pour espérer l'atteindre, sur un coup du hasard ou grâce à une erreur dans l'attention surhumaine que le rapace félin devait porter sur chacun d'entre eux.

La danse dura, ne perdant en intensité que pour redoubler d'efforts l'instant d'après, menée un moment par le trio pour être ensuite reprise par le fauve aviaire. Le soir avait achevé sa descente dans le ciel, et la pleine lune avait fait une trêve avec les aurores pour être de nobles mais silencieux spectateurs du combat du sol.
La fatigue ainsi que la douleur des rares coups qui avaient atteint leurs corps forcèrent Xelios et Coline à prendre plus de recul. Taan, en revanche, demeurait en pleine fureur, et parvenait même à tenir tête à la bête d'or malgré un soutien réduit. Pendant quelques temps, du moins; un rugissement royal la projeta au sol, et une patte puissante s'assura de l'y maintenir.

Oubliant le danger, les deux camarades essoufflés chargèrent en un assaut assez barbare, qui fut facilement balayé par le griffon à la crinière d'or, glorieux et invaincu.
« Vous fûtes de bien nobles adversaires, avoua-t-il. On sentait dans ses mots que cela lui coûtait beaucoup de le dire.
Rejoignez Lancedeciel, et il vous couvrira de pouvoirs et de gloire.

- Pour... toussa Taan, son torse écrasé par les griffes lourdes de l'animal.
Pour ce qui est du pouvoir, je dois avouer être déçue...

La pression du vainqueur augmenta sous sa colère.
- Comment ? scanda-t-il, son bec tordu dans un rictus de haine.

- Je ne sais pas... Un griffon devrait bien être capable d'appeler une forme ancestrale, non ?

- Petite sotte, jura la bête. La Forme Ancestrale n'est qu'une légende, contée par des plébéiens qui ignorent tout du vrai pouvoir.

- Et pourtant... sais-tu quel jour nous sommes, aujourd'hui ?

- Le... 21 décembre ? Et alors ?

- C'est le solstice d'hiver. Le jour où la nuit recule face à la lumière qui revient. Le jour...
Une lumière intense émana du torse de Taan, faisant reculer le rapace dont l'expression perdit tout orgueil.

- Le Jour où l'Hiver donne sa force pour vaincre ses ennemis. »

L'aventurière s'était levée, nimbée d'un halo éblouissant. Elle joignit ses mains, et des lueurs bleutées s'accumulèrent entre ses paumes dans un tourbillon de neige.
Derrière la silhouette de la voyageuse se dessinait la forme fantomatique d'un flocon géant très élaboré, dont les branches de givre étaient liées à la manière d'une toile d'araignée.

Le bec du griffon parut s'ouvrir pour protester, mais la charge de lumière qui fut propulsée par Taan l'immergea dans son flot.
Quand tous ces éclats de brillances furent retombés, il ne resta de la bête sous le clair de la lune qu'un cône de glace gravé de motifs archaïques qui englobait complètement la noble créature piégée.

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