Chapitre 5
5.
Il s'appelle Josiah.
Il a l'air gentil.
Un peu comme un rat domestique.
Il a dans la vingtaine, peut-être vingt-quatre ou vingt-cinq ans. C'est un grand local à la peau bronzée, ce qui est quand même assez peu commun dans l'Atlanta. Il a lui aussi les cheveux blonds, mais plus foncés et plus raides que ceux de Nils.
Willow se rappelle qu'il était juste censé le déposer et repartir, et donc il se surprend à se demander pourquoi il est encore là.
Pourtant, le voilà à suivre deux bons amis dans un parc de la ville, la mine renfrognée parce qu'il n'a pas pour habitude de tenir la chandelle à qui que ce soit .
C'est totalement faux.
Il tenait la chandelle tout le temps, car il ne pouvait pas s'afficher avec Steve. Aux yeux de tout le monde, Willow est la personnification du célibat.
Une bonne partie de la journée est passée comme ça. Nils ne pouvait pas tout de suite être déposé chez Josiah car le jeune homme était en ville et avait pas mal d'emplettes à faire. Si Nils n'arrêtait pas de réprimander Willow sur sa manie de poser bien trop de questions, voilà que Josiah n'avait pas fermé la bouche depuis des heures.
Les regardant côte à côte, il se rend compte qu'il n'a jamais vu Nils comme ça. Et par comme ça, il sous-entend avec un ami, à traîner, rire et parler de tout et de rien.
— Les coulées pyroclastiques ont fait s'évaporer la totalité du lac Spirit et de la rivière Fork Toutle, et avec les onze États qui ont subi les retombées de cendres, les commerces se doivent d'augmenter les prix pour maintenir l'économie. Les dégâts s'élèvent pour l'instant à presque trois milliards de dollars.
Mais quand il commence à parler, Willow décroche. Deux grosses têtes, deux intellos. Ce n'est pas un scoop non plus, le dix-huit mai, une éruption volcanique a eu lieu sur le mont Saint Helens de Washington, la plus dévastatrice que les États-Unis aient jamais connue. Pourquoi chercher aussi loin dans les détails et se la jouer monsieur « je-sais-tout » ? Pense-t-il que Jimmy Carter, le président actuel, est prêt à prendre en compte toutes ses suggestions ?
— Josiah fait des études de géomorphologie.
Willow lève les yeux au ciel, il a hâte de partir d'ici, ils ont l'air d'avoir les mêmes centres d'intérêt. Qu'attend-il de plus ? Certes, il était bien réticent à l'idée de laisser son ancien camarade avec un inconnu, mais il voit maintenant ce que Nils peut lui trouver. Mine de rien, malgré ce côté un peu plus rebelle de sa personnalité, Nils semble réellement apprécier les personnes aussi cultivées que lui.
Par ailleurs, il ne peut le nier, ce correspondant a de la prestance. Même si en tant que néophyte, les mots employés échappent à Willow, il ne peut qu'admettre qu'il ne les énonce pas de manière à rendre son discours totalement soporifique.
À la fin de la journée, Willow les ramène à la maison de Josiah, qu'ils découvrent finalement pour la première fois. Elle se trouve à quinze minutes du parc, c'est une jolie demeure aux murs blancs qu'il doit avoir héritée de ses parents. Josiah dit y vivre habituellement avec sa fiancée, mais cette dernière est en stage à l'autre bout de la ville alors elle loge chez une amie en attendant.
À force, Willow doit avouer que ses contrariétés sont moins oppressantes. Elles ne disparaissent pas complètement, mais en même temps, ce n'est pas lui, qui connaît Josiah depuis deux ans.
— Quand t'arrives en Caroline du Nord, appelle ici et dis-moi si c'est joli.
Willow a un faible rire, parce que Nils ressemble à un enfant sur le perron. Il lui tend le numéro de téléphone du fixe de Josiah, alors que le jeune homme leur fait signe avant de monter les escaliers et déposer les affaires de Nils dans une chambre.
— Bon...
Du coup, ils se retrouvent une dernière fois en face à face. Sur le moment, il est vrai que l'ambiance est un peu bizarre.
— Je te remercie, Willow. Vraiment.
L'intonation de Nils l'étonne. Ça n'a pas sa raillerie habituelle, son sarcasme. C'est sincère, ça veut lui dire au moins une fois qu'il n'a pas à s'inquiéter.
— Je sais que je suis pas facile à vivre, donc si ça avait continué on se serait sûrement entretués.
— Ou je me serais jeté du haut d'un ravin.
— Ouais, t'es un brin dramatique toi aussi.
Willow aurait renchéri : « T'as peut-être une mauvaise influence sur moi ». Mais ce n'est plus le moment de faire des plaisanteries. Sinon, ils auront du mal à se dire au revoir.
Après un signe de la main, Willow tourne les talons et remonte dans sa voiture. Roxanne se met à jouer, et essayant d'ignorer le siège maintenant vide, il s'engage sur la chaussée pour rejoindre la Caroline du Nord, alors que le soleil se couche.
En réalité, Willow aurait dû prêter attention au siège passager. Parce qu'après trente minutes de route, il venait de se rendre compte que Nils avait oublié son porte-monnaie.
D'ailleurs, ce dernier était quand même bien fourni.
Willow n'allait assurément pas s'en servir et laisser Nils dans la difficulté. Il peut bien se permettre un dernier détour, il se dit qu'il n'aura qu'à lui demander un peu de liquide en échange pour l'essence.
Alors, il se retrouve à une cabine téléphonique, fouillant dans ses poches pour y trouver quelques pièces. Il mord sa lèvre en composant les chiffres gravés sur le papier, tandis que dans son dos les premières étoiles pointent.
Quelques sonneries, trois ou quatre, puis enfin, une voix graveleuse lui répond :
— Oui, quoi ?
— Josiah ? C'est Willow, tu pourrais prévenir Nils qu-
Il entend une injure, sortie de nulle part. Et quelque chose se retourne dans son estomac alors qu'il vient tout juste de sortir de la ville, presque sur une allée désertique. C'est vrai que pour cette fois, il comptait conduire une bonne partie de la nuit.
— Il s'est barré.
Willow se fige, entendant ensuite le soupir agacé de l'autre côté du combiné. La voix devient tranchante.
— Ta tapette de pote s'est barrée il y a cinq minutes. Je donne pas cher de sa peau.
Le timbre et le choix des mots veulent tout dire, Willow aurait dû se fier à son instinct. Il lui raccroche au nez, non sans l'avoir injurié.
Il aurait dû s'écouter.
Les mains sur le volant, il ralentit devant la propriété du « correspondant » de Nils, non sans y poser un regard acéré.
Il fait d'abord plusieurs tours dans le quartier et dans les chemins voisins. Phares allumés, il passe parfois sa tête par la fenêtre et crie le nom du garçon. À ce stade, si Josiah est encore dans les parages, il doit sûrement l'entendre, mais Willow n'en a rien à faire.
Ce manège dure pendant une bonne vingtaine de minutes, jusqu'à ce qu'à bout, il finisse par la dernière alternative : interroger la dernière personne à l'avoir vu.
C'est ainsi qu'il se gare hâtivement dans le jardin de Josiah, ne s'attendant pas vraiment à voir ce dernier debout sur le perron, l'épaule se retenant au cadre de la porte. Ses pas sont lourds quand il en descend, il ne s'embête pas des modalités et se poste directement devant lui.
— Il s'est passé quoi ?
Josiah lève un sourcil, et grâce à la lumière du salon, Willow peut facilement voir la lèvre fendue du résident, ce qui lui fait écarquiller les yeux.
— Tu veux un dessin ? fait-il d'une voix froide.
— Vous vous êtes battus ?
— Non, j'ai trébuché et j'ai embrassé son poing.
De toute la journée, Josiah n'avait pas fait preuve d'un sarcasme aussi glaçant. Une haine sourde résonne entre ses lèvres, il a aussi une petite éraflure sur la joue.
— Où est Nils ?
— J'en ai rien à foutre.
— Je croyais que c'était ton ami !
Il éclate de rire, à croire qu'il vient de lui raconter la meilleure des plaisanteries. Il se penche un peu, parce qu'il est grand, très grand.
— Je voulais être gentil et lui offrir un toit pour quelque temps, mais la vérité c'est que j'avais déjà hâte qu'il s'en aille.
— Pourquoi ?
Un bruissement se fait entendre derrière eux, suivi d'une voix lourde. Lourde et à la fois terrassée, entre la stupéfaction, la peine et aussi le soulagement :
— Willow ?
Willow fait volteface, pour découvrir le garçon qui revient sur ses pas, à moitié mangé par la pénombre, à moitié dans la lueur des lampes. Les cheveux blonds, le regard fermé, la silhouette presque cambrée. Nils revient, parce qu'il n'a nulle part où aller.
N'avait nulle part où aller.
— Nils !
Willow bondit du perron et fonce vers lui. Et il est horrifié de voir l'ecchymose qui se colore sur son visage, au niveau de sa paupière, à deux doigts de lui avoir laissé un œil au beurre noir.
Nils recule, tout à coup mortifié. Willow avait raison et il se sent minable. Il se camoufle, les deux mains sur son visage. Il devient encore plus minuscule.
Willow tente de contrôler son souffle, il pivote, lentement, pour croiser une dernière fois les yeux de son bourreau. Josiah les observe, presque impassible. Le peu que dénonce son expression, c'est la résignation, comme s'il savait que Nils reviendrait. Il tend la main et balance son sac à même la pelouse, il roule jusqu'aux pieds de Willow. L'un comme l'autre se regardent juste, sans rien dire car c'est éloquent. Il n'a rien à faire ici, tout n'était qu'un tissu de mensonges.
Peut-être que Josiah l'appréciait vraiment, à un instant, mais il est clair que quelque chose l'a un jour fait changer d'avis. Et ça ne date pas juste d'aujourd'hui.
— Viens, on se casse d'ici !
Il prend le bras de Nils, qui hoquète sous la confusion, son autre main s'empare des lanières de cuir du sac, des portières claquent des deux côtés et un moteur vrombit.
On réfléchira après.
***
Update 03/09/24 :
Des chapitres inédits ne vont pas tarder à venir se rajouter à l'histoire, c'est à dire des scènes qui n'ont jamais été là avant aujourd'hui. Je vous invite, même les lecteur.ice.s qui sont familier.ère.s avec Adrénaline, à leur faire un joli accueil :)
Eden.
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