Chapitre 26




26.






Willow se réveille avant le soleil.

Il y a encore de la buée à l'extérieur des vitres, l'eau goutte en vapeur condensée. Les environs sont quelque peu obscurs mais une lueur indigo se balade dans le ciel, l'aube arrive tel un champ de lavande.

Et il frissonne, tentant de bouger. Il se sent à l'étroit, juste capable de pivoter une partie de son corps. Il y a une couverture sur lui, remontée jusqu'à son nez. Il remue le bout de ses doigts, et alors, ses derniers se figent. Sa main glisse dans une chevelure hirsute qui n'est pas la sienne. À cet instant, Willow est conscient du souffle ample qui rebondit sur son visage, et du bras qui entoure sa taille dénudée.

Willow ouvre les yeux, le matin accueille le départ de son songe.

Son cœur bat plus fort et ses lèvres se pincent, découvrant contre lui, la silhouette de Nils, encore endormi. Le visage paisible du jeune homme est face au sien, leurs jambes emmêlées et les couleurs de l'aurore prêtes à intégrer l'habitacle. Willow déglutit et bat des paupières, plusieurs fois, alors qu'inconsciemment, ses doigts continuent de doucement se faufiler dans les mèches blondes de son camarade.

Ce n'était pas un rêve.

Sa main glisse vers son cou, et Nils frémit quand Willow effleure les diverses marques qu'il aura laissées sur sa peau, comme si durant cette nuit, ils avaient été leur plus belle œuvre d'art. Willow s'en souvient dans les moindres détails, et il sait qu'à son réveil, Nils aussi s'en souviendra.

Donc, Nils aussi se met à remuer, son nez se fronçant quand un faible soupir lui échappe. Willow attend avec la boule au ventre, incapable de savoir ce qui va en découler. Il se sait quelque peu imprévisible, mais Nils l'est aussi. Et là, dans la situation actuelle, ils ne pourront pas prétendre qu'il ne s'est rien passé. Ils ne pourront pas faire semblant.

Ses cils clairs papillonnent, et lentement, il ouvre les yeux à son tour. Willow voit la brume peu à peu partir de son regard, ce dernier s'ouvre, un peu plus grand. Ils s'observent, et ce qui hier ne représentait qu'un ardent magnétisme revient aujourd'hui comme la décalcomanie de leurs faiblesses.

— Will...?

La voix de Nils est faible, rauque, elle s'élève dans la brume fraîche. Contre son torse, Willow peut sentir son cœur, il bat contre le sien, il accélère. Sur sa taille, il perçoit ses doigts qui font pression, pour se raccrocher à quelque chose. Quelques secondes s'écoulent, dans ce même état entre la confusion et la réalisation, puis entre la réalisation et la crainte. Quand pièce par pièce, le tableau de la veille revient se dresser sous leur cristallin. Ils savent à quoi ils pensent, quels souvenirs les submergent, quelles images s'effilent en courtes mais précises réminiscences.

Ce n'est pas Willow qui panique cette fois, mais Nils. Enfin, il ne panique pas, il se retrouve juste pris dans un désagréable et bruyant fouillis de pensées.

Parce que même si Willow s'est réfréné pour ne pas rendre les choses encore plus compliquées, ils ont quand même fini par coucher ensemble. Alors, les pupilles grandes plongées dans les siennes, Nils ouvre la bouche, sans parvenir à dire autre chose. Il essaye, il articule des mots qui trébuchent, qui roulent sur sa langue sans jamais filer dans l'air. Peut-être tente-t-il de formuler une excuse, une justification. Comme quand quelqu'un se réveille d'une soirée trop arrosée avec un inconnu dans les bras. Sauf qu'ils n'étaient pas bourrés et que Willow est loin d'être un inconnu. Surtout maintenant.

Lorsqu'il comprend la difficulté qu'a Nils pour coordonner ses pensées, le laissant avec une sensation oppressante dans l'estomac, Willow remonte ses mains à ses joues, rapprochant leur visage. Le corps de Nils se crispe un instant, mais il ne le lâche pas des yeux.

Et comme ça, finalement, fébrilement, il parvient à parler :

— Tu vas pas me laisser ?

— Non, le rassure Willow. Je vais pas te laisser.

Il s'avance, pose ses lèvres sur son front et le prend dans ses bras. Nils soupire de soulagement, leur étreinte se fait plus forte. Pour montrer que la veille, ce n'était pas dérisoire.












Ils reprennent la route près d'une heure plus tard, quand il ne fait plus du tout nuit. Ils quittent Philadelphie et toutes les poussières de souvenirs qu'ils auront laissées là-bas.

Le toit rabattu, Nils a les coudes sur la portière, les cheveux au vent quand il observe les collines se dresser dans leur nouveau paysage. Son dos se présente à Willow depuis un moment, et pas âme qui vive sur leur chemin, ils sont seuls.

Ils ne diraient pas systématiquement que l'ambiance est lourde, mais ce n'est pas comme s'ils savaient comment se comporter sur l'instant.

— On va rouler quelques heures, et on gagnera le Massachusetts.

Nils pivote, lorsque Willow fait part de leur nouvelle destination. Il a les yeux sur la route et ceux de Nils parcourent son visage. Il s'assoit convenablement, leur corps parallèle l'un à l'autre.

— Will ?

— Oui ? lui répond-il.

Nils passe ses doigts dans ses cheveux blonds, puis sur sa nuque. Il frémit un instant en effleurant le suçon qu'il garde dans son cou. Le souvenir de ses lèvres, sur sa peau, lui électrise tout le corps.

— Qu'est-ce qu'on est, toi et moi ?

C'est la question qu'ils redoutent tous les deux, la question qui attend des réponses impossibles. Willow mord sa lèvre, le silence suit. Une minute, peut-être plus, et Nils ne sait pas s'il attend, ou s'il se dit que pas de réponse, c'est une réponse.

Aussi, il est pris d'un bref sursaut quand au lieu de continuer son chemin, la Mercedes dévie sur le côté. Les temps se réchauffent. Un peu de brume coule sur les collines au loin, les pneus s'arrêtent dans un carré d'herbe froid. Willow retire ses mains du volant, les ramenant sur ses genoux. Il recule, s'appuie contre son dossier et lève le regard avant de fermer les yeux.

— Je sais pas Nils, ça me travaille...

Il y a quelques jours à peine, Willow lui a dit de but en blanc : « Toi et moi, on n'est pas en couple ». C'était la nuit qui avait suivi leur premier baiser, le moment où tout avait réellement commencé à devenir hors de contrôle entre eux. C'était ce soir-là qu'ils avaient fait le point sur leurs divergences, sur comment ils projetaient leur besoin de l'autre.

Sûrement la bonne personne, sûrement au mauvais moment.

C'est étrange de voir où ils en sont arrivés, de cette rencontre hasardeuse à la sortie de la ville jusqu'à ce concert indépendant à plus d'un millier de kilomètres d'Hemington. Willow fait la rétrospective des situations absurdes dans lesquelles ils se sont trouvés, de comment justement, ce sont ces situations absurdes qui, de fil en aiguilles, ont fini par les rapprocher.

C'est indéniable, ils tiennent énormément à l'autre. Qu'importe si ça ne fait pas longtemps.

— Toi, t'en penses quoi ?

Il a à peine le temps de le voir, après que Willow pose cette question, Nils se redresse. L'herbe se courbe sous une arrivée venteuse, elle vient de l'est. Son corps remue, bouge dans l'espace, habile et déterminé.

Nils pose une main sur le siège, près du visage de Willow. Il se rapproche quand ce dernier rouvre doucement les yeux, et il l'embrasse.

Willow pose alors une main sur sa taille, accueillant son baiser. Chacun de leurs contacts vient avec une harmonie différente de la précédente. Ils s'embrassent pour tenter de chasser ces doutes, pour faire comprendre à l'autre qu'ils n'arrivent peut-être pas à le dire de vive-voix, mais que c'est bien là, ce qui bat bien plus fort dans leur cage thoracique.

Ils se rapprochent, sur cette route sans personne, sans jugement et sans les déboires de la vie. Nils s'assoit sur les cuisses de Willow, qui se retrouve entre lui et le siège, leurs lèvres continuant de se caresser avec tendresse. Avec cette même douceur, leurs mains frôlent le corps qu'ils apprennent enfin à connaître, dont ils ont partagé les cicatrices et les blessures. Ils sont ensemble dans ce périple, ils se le sont promis, peu importe si les choses deviennent bizarres, si du jour au lendemain ils décident de laisser ça derrière eux. Ils resteront ensemble, en tant que camarades de misère, en tant qu'amis, ou en tant qu'amants.

— Je t'aime..., lui souffle Nils à l'oreille.

Willow frissonne. Il se voit faire face à une peur vorace, celle de laisser son cœur à nouveau battre pour quelqu'un.

Nils, une de ses plus grandes peurs était de tomber amoureux. L'une de ses plus grandes peurs était de se dire qu'il donnait peut-être une partie de lui qu'il n'était pas prêt à céder. Il craignait qu'un jour, cette personne sorte de nulle part et découvre ses fêlures. Après tout, derrière le masque qu'il a porté toute sa vie, il était un peu cassé, ce jeune homme que les attentes du monde avaient mené au bord du gouffre.

Sa discussion avec Joyce a peu à peu mis en lumière ce qu'il aurait trouvé risible les premiers jours ; le fait qu'il allait certainement tomber amoureux de Willow, et que ça pourrait devenir une délivrance autant qu'un désastre.

Willow glisse une main dans ses cheveux quand il se recule, ils se regardent. C'est quelque chose d'effrayant pour lui, de se sentir vivant avec quelqu'un. Plus vivant que jamais, plus vivant que ce que le monde a tenté de lui faire croire. Vivre, ce n'est pas ce que les bouquins de sciences racontent. Vivre, ce n'est pas ce qu'un professeur dira de l'avenir d'un élève dans la moyenne, qui n'est ni très bon ni très mauvais en quoi que ce soit. Vivre, ce n'est pas se cacher dans le noir.

Vivre, c'est quand justement, plus rien n'entache qui ils sont vraiment.

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