Chapitre 11
11.
Si Nils n'a pas arrêté de se vanter d'avoir trouvé une solution pour leur panne, il fait nettement moins le malin maintenant. Malgré le vent qui siffle, le paysage qui a enfin décidé de bouger et la certitude qu'ils ne sont plus coincés au milieu de nulle part, le jeune fugitif n'arrive pas à se détendre. Au contraire, il est crispé.
— J'allais pas vous laisser avec les cargaisons derrière, se justifie Jerry en riant. Ça se balance de partout, l'un de vous aurait fini écrabouillé !
Les sièges avant peuvent supporter facilement trois personnes, cependant, en plus de l'arrière encombré, une caisse trône aussi au milieu de la banquette, empêchant Nils d'y prendre place. Ils ont dû en venir à cette piètre résolution.
Écrabouillé à l'arrière ? Peut-être que j'aurais préféré ça, tiens !
Pour éviter tout autre malheureux incident, Nils a été contraint de se trouver une place sur les genoux de son compagnon de voyage. Donc, sur Willow.
La route n'est censée durer que trente minutes, mais il a l'impression que cela fait des heures qu'il est dans cette position, pratiquement sur la pointe des pieds pour mettre le moins de poids sur le corps de son camarade de misère. Lui, d'ailleurs, ne parle pas beaucoup. Nils peut juste voir son bras qui repose contre le haut de la portière, et ses doigts qui tapotent le cuir, au rythme d'une chanson récente qui fait vibrer le tableau de bord. Peut-être que s'il chantait, cela les détournerait de la situation un peu gênante. Nils aime beaucoup sa voix. La fenêtre est baissée de moitié, alors au moins, il y a de l'air frais.
La vérité ? Willow n'a pas la tête à se soucier de cette situation, il est bien trop préoccupé par la voiture de son père qu'ils ont laissée sur place. Tellement préoccupé que sans s'en rendre compte, ce n'est plus sur le cuir de la portière qu'il pianote mais directement sur la jambe de Nils.
— Hé ! s'exclame-t-il sous la surprise.
Willow tourne la tête, il voit d'abord sa nuque, puis le regard du garçon quand il pivote pour rencontrer le sien de biais. Son nez est froncé. Willow bat juste des paupières.
D'une certaine manière, Nils se demande s'il est en train de devenir parano. Parce que sans même comprendre sa réaction, Willow lui dit simplement :
— Tu sais, tu peux t'appuyer un peu plus.
— J'ai pas envie !
Willow n'insiste pas, même s'il trouve toujours les réactions de Nils exagérées. Le camion bifurque vers la gauche et s'engage dans un sentier moins plat. Dès qu'ils arriveront, une remorque sera empruntée pour retourner chercher la Mercedes, et ça aussi, ça préoccupe Willow.
— On arrive bientôt, c'est l'entrée du village.
Il entend Nils prendre une inspiration soulagée.
— Eh bah, c'est pas trop t-
Mais la route est devenue plus cahoteuse, et malgré ses bons talents de conducteur, Jerry n'a pas pu éviter une pierre sur le chemin terreux. Nils est coupé dans sa plainte quand le camion se secoue, assez pour le faire glapir et basculer en avant. Pour le retenir, Willow passe rapidement ses bras autour de sa taille et le ramène contre lui. Le souffle de Nils se coupe quand son dos tombe contre le torse de celui-ci.
— Ça va ? l'entend-il lui souffler à l'oreille.
Ce dernier se fige très fort, le regard tourné vers l'angle le plus à droite du pare-brise. De cette façon, il tente de garder contenance.
— Tu peux un peu plus baisser la vitre, gamin, lui dit doucement Jerry.
— Pardon ?
Les bras de Willow restent soudés à lui, sans qu'il ne comprenne que Nils est à deux doigts de se liquéfier. Pendant les prochaines minutes, il mettra tout sur le dos du soleil trop fort, parce que ce n'est pas le moment de se faire des câlins.
Pas comme s'il y avait un moment pour ça, d'ailleurs.
Nils est confus quand il tourne la tête, il n'est pas sûr de comprendre où le conducteur veut en venir.
— Tu peux baisser la vitre s'il fait trop chaud, répète-t-il. T'es aussi rouge qu'un coquelicot.
— Qui tu me ramènes encore Jerry ?
Nils saute totalement du véhicule. Ses jambes flageolent une fois les pieds sur terre.
Le cadre pittoresque et les champs verdoyants sont l'un des seuls souvenirs qu'il ait pu graver sur sa rétine, le reste, il n'arrivait pas à se concentrer. Willow, lui, a pu admirer quelques commerces modestes, et des maisons qui se ressemblent. Et aussi, beaucoup de chèvres et beaucoup de chevaux. Et des vaches. Il les a même comptées. Nils comptait plutôt les secondes.
Une femme se tient devant une grange, portant une chemise à carreaux mauve sous une salopette très large. Elle pose ses mains sur ses hanches et lance un regard plissé à l'homme qui descend à son tour.
— Chérie, ne dis pas ça comme si je le faisais tout le temps.
— C'est limite quand même, la dernière fois c'était le voyageur Strelkov.
— Comment va ce bon vieux Sacha ?
— Ce n'est pas le moment.
Son chignon approximatif s'agite sur sa tête et elle croise les bras. Nils entend un bruit derrière lui, Willow ferme la grande portière et le rejoint pour assister à quelque chose d'un peu électrique entre les deux adultes. Pourtant, de la même façon, c'est une ligne floue entre de la colère et une taquinerie très poussée.
Jerry tente vainement de se justifier.
— Je dois beaucoup à ces mioches, alors j'ai besoin de la remorque et je repars direct.
— Et moi j'ai besoin d'un contexte. Tu comptes me les laisser ?
— Joyce... je te raconte tout à mon retour. Je te jure, ils sont inoffensifs.
— T'as dit la même chose avec Harold il y a deux ans !
Willow lance un regard inquiet à Jerry, il n'a pas non plus demandé l'hospitalité pour les prochaines heures. Ils peuvent très bien s'assoir sur un banc et attendre. Certes, ça ne sera pas très confortable, mais ce n'est pas la mort.
Bien sûr, Nils n'essaye même pas de refuser, lui.
L'homme lève les yeux au ciel.
— C'est pas la même chose, ce sont des ados. Harold, c'est notre oie.
Alors ils se font maintenant comparer à des animaux de basse-cour ?
Nils recherche instinctivement un contact visuel avec Willow, ils se concertent en silence alors qu'autour, le débat sur leur sort se poursuit.
— On a juste besoin du garagiste, tente d'intervenir Willow. On n'est pas obligés de rester avec elle si elle ne veut pas.
La petite dame, toute frêle et mince, incline la tête sur le côté quand la voix de Willow lui parvient pour la première fois. Du peu qu'il ait pu voir, leur village n'est pas minuscule, encore moins dépourvu des bons aménagements – par contre, il n'est pas sûr concernant la disponibilité du matériel. Nul doute qu'il ne doit y avoir qu'un seul centre de réparation, et peu de mécaniciens automobiles.
Jerry pose une main sur son épaule, la mine contrite.
— Le truc, mon grand, c'est qu'on est actuellement en train de négocier avec ledit garagiste. Le meilleur du coin d'ailleurs.
Nils pouffe, puis étrangle son rire en toussant. L'air sombre de « Joyce » démontre que ce n'est pas une blague. Cette dernière, justement, le fusille de ses grands yeux noisette. Elle passe sa langue entre ses dents avant de revenir face à Willow, qui a été le premier à inconsciemment remettre en doute sa profession.
— C'est étonnant venant de la part d'une femme ?
Willow se tend. Nils peut l'entendre déglutir, puis prendre une grande inspiration pour se sortir de là.
— Pas du tout ! se rattrape-t-il en levant les mains devant lui. Mon ami est mécanicien et c'est un gros tas de muscles sans cervelle d'un mètre quatre-vingt-dix, j'ai été distrait par le souvenir de sa sale tronche.
Nils lui mime un pouce en l'air tout sauf discret, l'air de dire : « Bien rattrapé ! » sans aucune vergogne. Ce qui fait que Jerry s'esclaffe dans son dos.
Joyce soupire. Elle risque un coup d'œil derrière son épaule, quand les gloussements des poules dans la grange viennent peu à peu se mêler à la discussion.
— Vous êtes tombés en panne quelque part ? questionne-t-elle avec un unique mouvement du menton vers eux.
Les garçons hochent la tête d'un même geste. Joyce les observe tour à tour. C'est une analyse rapide, mais elle parvient quand même à les mettre mal à l'aise sur le coup.
— Et dans ta grande miséricorde, reprend-elle de manière ironique en se tournant vers son mari, tu les ramasses comme ça ?
— Je te l'ai dit, je te raconterai en détails.
— T'es pas possible... bon, je verrai ce qui cloche avec ta caisse.
Jerry lui sourit et lui tire la joue, sa grande main faisant presque la taille de son visage. La femme grogne et se recule. Elle souffle et revient à ses premières préoccupations.
— Vous avez quel âge sinon ? leur demande-t-elle par curiosité.
— J'ai bientôt dix-neuf ans, répond Willow du tac au tac.
Il n'y avait pas à réfléchir, ce n'est pas un mensonge. Il est majeur et vacciné.
— Et toi ?
Mais bizarrement, Nils est plus réticent. Son regard se perd derrière elle, c'est inconscient.
— Tu as quel âge ?
— J'ai dix-huit ans.
Elle hoche la tête, alors que Willow voit Nils passer sa langue sur sa lèvre et discrètement se la mordre, mais il ne s'attarde pas sur ce geste inhabituel. C'est sûrement juste un tic nerveux.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top