Chapitre 10



10.






— La ferme !

— Mais j'ai rien dit, se défend Nils.

— J'entends ton jugement intérieur !

La hanche contre la carrosserie et les bras croisés, Nils observe Willow en train de fouiller dans les méandres du capot de sa voiture. Sous les plaintes et injures du conducteur, Nils n'a pas jugé nécessaire d'alimenter le dialogue, l'autre y arrivait par lui-même. Un Willow agacé est bien plus bavard qu'un Willow heureux, ou qu'un Willow neutre, ou qu'un Willow normal. Un Willow énervé est drôle, un Willow normal, c'est ennuyeux.

Le capot claque, ça fait sursauter Nils. Le nez retroussé, la mine maintenant déconfite, Willow s'avoue vaincu.

— Je vois pas où est le problème..., souffle-t-il.

— Tu m'étonnes, t'es pas mécanicien à ce que je sache.

Willow soupire, il observe ses mains noircies et Nils lui balance une bouteille d'eau pour qu'il les débarbouille un minimum.

Les voilà coincés en bord de route, dans un coin perdu entre la Caroline du Nord et l'État du Maryland.

Le soleil commence à être haut dans le ciel et les garçons ont chaud. Willow se retrouve en débardeur blanc, son jean effilé retroussé pour ne pas se prendre dans ses chaussures. Nils mentirait s'il disait ne pas l'avoir observé une ou deux fois quand il fouillait le coffre arrière, les muscles de ses bras se contractant légèrement à chacun de ses mouvements.

Willow était populaire au lycée, il en va de soi que son physique n'y était pas pour rien.

— Tu pourrais m'aider au lieu de me mater ?

— Je ne te mate pas.

Mensonge.

— Aide-moi.

— Fais-moi toucher le pot d'échappement de ta caisse, je te promets qu'elle explose.

Cela fait environ une heure qu'ils brassent du vent. La seule chose qu'a pu faire Nils jusque-là, a été d'enchaîner de grands gestes idiots à chaque fois qu'un véhicule passait par-là. Mais ils s'étaient engagés dans une voie intermédiaire et ne suivaient plus les routes principales. Donc, les voitures se faisaient plus rares et les herbes plus hautes.

— Toi aussi ! fait Nils. Tu sors une voiture qui a pas servi depuis des années et tu penses qu'elle va faire des miracles ?

— Tu fais marcher ton cerveau que quand c'est pour me chambrer ?

— Y'a quelqu'un !

Nils se fiche royalement des remontrances de Willow, il observe le camion imposant raser le bitume et se met à trottiner sur le bord en agitant les bras.

— Au secours ! Je me fais séquestrer ! Il a menacé mon oncle Hubert !

Willow lève les yeux au ciel, passant une main dans sa nuque moite alors que ses cheveux tombent devant son front. Il a vraiment trop chaud, il transpire de partout.

— Willow !

Mais le ton de Nils a changé et Willow bat des cils, surpris par son timbre tout à coup enjoué. Il pivote pour le voir lui faire un rapide signe de la main.

Plus loin, le grand camion de marchandises s'est calé sur le bas-côté.

Sans perdre de temps, ils le rejoignent au trot. La température crée des ondulations sur l'asphalte et depuis leur emplacement, c'est à croire que le véhicule n'est qu'un mirage.

Mais il y a bien quelqu'un, et quand les garçons arrivent à sa hauteur, leur air soulagé se mute en effroi.

— Merde...

La voix de Nils est tout à coup bien plus basse, il accélère.

Une silhouette se dessine, mais ça n'a rien de rassurant. Elle vient avec une plainte sourde.

Le chauffeur vacille dangereusement contre l'herbe sèche, une main sur sa gorge. Nils l'entend haleter, avant de plier les genoux près d'une vieille souche. Il tente de gagner un arbre abandonné pour s'octroyer un peu d'ombre.

— Le vieux ? Le vieux qu'est-ce que vous avez ?

L'homme n'a pas dû les avoir vu, il semble s'être arrêté en urgence, incapable de continuer de conduire. Willow ralentit la marche, incertain, alors que sans réfléchir Nils s'élance pour l'aider.

Semblant tout de même encore conscient, il tourne la tête quand le jeune homme vient se greffer à son bras boudiné.

— Q-qui êtes-vous ?

Alors qu'il ne tient plus sur ses jambes, Nils l'aide à parcourir les derniers mètres pour qu'il s'écroule à l'ombre d'un acacia jaune. Le soleil passe encore entre quelques branches, la chaleur est à peine plus clémente.

— Qu'est-ce qu'il a ? s'inquiète Willow, arrivant avec un décalage.

— J'essaye de voir ça.

L'homme se retrouve allongé sur le dos, la respiration sifflante et la peau luisante de sueur. Il est assez bien en chair, visiblement au-dessus de la norme, donc Nils a peur de se dire qu'il est en train de faire un infarctus sous leurs yeux. Avec une chaleur pareille, cette hypothèse tient la route.

— Pourquoi il garde ses mains sur sa gorge !

— Parce qu'il a du mal à respirer... Monsieur, eh ho, Monsieur, vous êtes en train d'obstruer votre trachée, enlevez vos mains !

Nils attrape ses poignets, mais l'homme panique. Willow tente de l'aider, et la poigne se dégage pour découvrir des plaques rougeâtres sur la partie découverte de sa peau.

Il s'immobilise un instant, le temps d'assimiler les symptômes et l'image.

— C'est dû à une allergie, il a fait un choc anaphylactique.

— Qu'est-ce qu'on peut faire ?

La tension monte, ils ne cherchaient que quelqu'un pour les dépanner, et voilà qu'un inconnu est à deux doigts de mourir sous leurs yeux.

— C'est sûrement quelque chose qu'il a ingéré, et qui a déjà pénétré son organisme, on peut rien faire sans matériel médical.

— Putain..., grogne Willow.

Il se presse l'arête du nez et ferme les yeux, fort. À part les quelques aspirines qu'il a dans le coffre, derniers souvenirs de son coup de froid, il ne voit pas ce qui pourrait les aider.

— Ah !

Willow bondit vers l'homme avec le visage consterné.

— Monsieur ! C'est votre véhicule de travail ?

La pupille dilatée, la bouche ouverte et les joues cramoisies, l'homme regarde Willow, et péniblement, il hoche la tête dans un sifflement terrifiant.

Alors, Willow se redresse et accourt tel un forcené vers son camion, sous le regard confus de Nils. Il saute sur les sièges en hauteur et se précipite habilement entre le désordre, celui d'un homme d'âge mûr qui passe une bonne partie de ses journées derrière son volant.

Il ouvre la boîte à gants, Nils peut l'entendre réprimer un cri de victoire, et son visage est totalement stupéfait quand il revient sur ses pas avec un kit de premiers secours dans les mains.

— Comment t'as su ?

— Pas le temps, y'aura ce qu'il te faut, là-dedans ?

Nils hoche la tête en s'en emparant, il dit à Willow de se mettre au niveau de la cuisse de l'homme et de faire une entaille dans le vêtement, il a besoin d'une voie d'accès cutanée qui ne soit pas trop éloignée du centre de l'organisme. Willow l'écoute. Nils fouille le débarras, puis soupire en sortant un stylo médical dont il se dépêche d'enlever la goupille. Entre temps, un bruit de déchirure montre que le textile a cédé.

— Qu'est-ce que c'est ?

Willow est pris d'un sursaut quand sans y aller par quatre chemins, Nils enfonce l'aiguille à même sa chair, la maintenant fermement pour être sûr que le remède y pénètre.

— Une dose d'adrénaline, lui répond-il sérieusement.









— Vous allez mieux ?

— Oui... vraiment, je vous remercie...

Une dizaine de minutes plus tard, le malheureux a pu se remettre en position assise, et Willow est retourné dans sa voiture pour lui ramener une bouteille d'eau. Nils est resté à ses côtés le temps qu'il reprenne ses esprits.

— Dis-moi gamin, comment t'as su pour les effets de l'adrénaline ?

Willow entend sa réponse mais ne voit pas son visage. Il a bien envie de savoir, lui aussi.

— Ma mère a beaucoup d'allergies, donc j'ai déjà eu à faire quelque chose comme ça.

Desserrant le col de son uniforme de travail, l'homme hoche la tête. Willow est le seul debout, dans le dos de Nils qui lui, est assis face au grand gaillard qui se fait appeler Jerry.

— Et toi ? fait-il en levant les yeux vers Willow. Comment t'as su que j'avais du matériel médical ?

Ce dernier mord sa langue, mais la réponse semble intéresser également Nils, qui se retourne pour le regarder.

— J'ai un ami qui s'y connaît très bien en voitures, tous les véhicules professionnels se doivent d'avoir un kit de premiers secours pour être en règles.

Nouveau hochement de tête.

— Franchement, s'insurge l'homme. Je savais que leur sauce poivrée avait un goût bizarre, depuis quand on met de l'huile d'arachide dedans ?

Le soleil a dépassé le zénith, la chaleur deviendra encore plus frappante, puis, elle diminuera à l'orée de la nuit. Jerry secoue la tête et observe les deux jeunes nomades qui se chamaillent pour le carré d'ombre.

— Vous faites une sacrée équipe, j'ai vraiment eu de la chance de tomber sur vous, c'était même un miracle. Soit je me retrouvais à agoniser au milieu de nulle part, soit je causais une hystérie collective auprès de gens qui auraient aucune foutue idée de quoi faire pour m'aider.

Nils hausse les épaules.

— Un mal pour un bien, on est tombés en panne donc on avait du temps à perdre.

— C'est pas le moment de plaisanter, le réprimande Willow.

— Ça va, c'est pas comme s'il était encore en train de crever.

Jerry se met à rire.

— Je vous dois beaucoup, vous m'avez sauvé la vie.

Willow s'apprête à rétorquer que ce n'est rien, mais Nils le devance avec un ton tout à fait neutre.

— Vous nous proposez quoi en échange ?

La répartie de ce jeune homme semble étonner Jerry, alors que derrière lui, Willow se frappe le front. Décidément, depuis qu'il n'a plus à cacher son manque de tact, il se permet des choses qui le dépassent.

— Hum... Mon village est à trente minutes d'ici, et il y a un garage. Je pourrais vous y remorquer et faire jeter un coup d'œil pour voir ce qui cloche avec votre voiture ?

Willow est mitigé.

Mais s'il refuse, il aura l'air bien idiot au milieu de nulle part.

— Je peux te parler deux secondes ?

Il interpelle Nils, qui semble surpris par son ton un peu plus sombre. Les deux garçons prennent congé, pour se retrouver près de la Mercedes.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Peu importe le problème avec la voiture, on n'aura pas les moyens de payer la réparation.

— On s'en fout, c'est juste histoire de partir de ce trou paumé.

— Tu réfléchis pas beaucoup pour quelqu'un qui a obtenu les honneurs.

— Tu réfléchis trop pour quelqu'un qui a eu son diplôme à ras le cul.

Willow se sentirait vexé, mais Nils tend la main et lui tapote le haut du crâne en lui souriant. Alors au lieu d'être vexé, il est plutôt déstabilisé.

— Je déconne, en vrai t'es plus malin que je l'aurais pensé. C'est cool.

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