CHAPITRE 18

Il faut que je parte maintenant, je n'en peux plus de patienter, d'attendre pour partir. J'ai déjà réglé mes pneus en fonctions de l'adhérence, j'ai choisi d'en prendre des plus durs, quitte à réduire l'adhérence après, afin d'enlever des arrêts au stand et de gagner du temps. Je sais que tout va se jouer à quelques secondes. Il suffit que je rate un virage pour me retrouver à la fin du classement et pouvoir oublier tout espoir de championnat du monde. Je suis stressée à bloc, mais surtout je suis plus prête que jamais à prouver au monde entier que j'ai les capacités physiques pour y arriver. Et Carter est là, il m'observera depuis le poste de contrôle avec Jérôme, je dois lui prouver que je pilote ma voiture à la perfection et que je mérite bel et bien ma place en championnat du monde.

Après ce qu'il me semble être une éternité, nous nous prenons place sur la ligne de départ. Je soupire déjà agacée par le départ, pourquoi faut-il à tout prix que ce soit des femmes en mini jupes qui indiquent notre numéro ? Plus sexiste ça n'existe pas ! Elles ont l'air de se demander, aussi fort que je me questionne sur la raison objective de leur présence ici, ce que je fais dans la voiture. Si je n'avais pas un casque, je passerais une main sur mon visage en poussant un profond soupire.

J'ai essayé de parler de ça à John et Zach mais bizarrement, ça les dérange bien moins que moi. Ils affirment que ce pourrait aussi bien être des hommes, que c'est seulement parce qu'il n'y a que des femmes qui postulent pour ce job. Non mais sérieusement, ils veulent me faire croire qu'elles ne sont pas choisies pour leur physique ? Je comprends à peu près que ça ne les gêne pas plus que ça, mais bon... Au niveau de l'égalité hommes/femmes on est loin d'une parité là ! C'est vrai quoi ! Le jour où des hommes s'allongeront en maillot de bain sur des voitures, pourquoi pas ! Mais jusqu'à présent, ça me parait plutôt être une manière de cultiver les stéréotypes de la soumission féminine... Et ça, j'aime pas du tout !

Je trouve que ma position est un avantage, je suis troisième, c'est à dire à l'extérieur du virage. John est premier, ce qui fait de lui mon principal adversaire dans la course, avec le numéro deux évidemment ! Je sais comment gagner, il faut que je resserre ma courbe pour le dépasser et l'affaire est dans le sac !

Dit comme ça c'est simple, malheureusement ce n'est pas comme si mon meilleur ami allait se laisser faire !

Le départ est annoncé, mon pied rencontre avec violence la pédale. J'accélère en me rabattant comme prévu. Je déteste les départs, j'ai l'impression d'être oppressée. On est tous serrés les uns contre les autres on n'est pas libres de nos mouvements. C'est ce mal être face à l'oppression que me fait accélérer encore, jusqu'à passer deuxième. Je suis derrière John, j'attends le moment opportun, celui où il fera l'erreur qui me permettra de passer devant. Je vais déjà super vite, à près de 200 km/h. Je prends mes virages assez larges, surveillant mes arrières mais j'essaye surtout de rester sereine.

J'ai fait un bon départ, je suis bien partie et je n'ai aucune raison de stresser. Je dois surtout tenir sur la distance et me méfier de la qualité du tracé. Il ne s'agit pas de partir en dérapage. Je vais garder mes pneus trois tours, à moins qu'ils ne s'abîment plus que prévu, et je pense que je les changerais pour des moins adhérents, c'est encore à voir. Je tente un dépassement qui n'aboutit à rien et me reconcentre sur la deuxième place pour l'instant. Il s'est repris trop tôt, je n'ai pas eu le temps de profiter de sa faiblesse. J'accélère, le troisième est loin derrière. J'aurais bien envie de tenter un dépassement, c'est risqué mais j'ai une chance de réussir. John s'attend à ce que je le double par l'intérieur. Mais j'aimerais essayer de jouer l'effet de surprise en passant par l'extérieur. Il faut que j'attende un peu qu'il se rabatte et là, j'accélèrerais et je passerais à l'action. J'ai peur de mal doser mon freinage et de faire une sortie de piste mais d'un autre côté je m'entraîne à ça à chaque fois que je pilote. Si ça ne me sert jamais à quoi bon risquer ma vie à l'entraînement ?

*****

Cinquante tours. Cinquante tours que mes tentatives de dépassement envers John ne donnent rien... Plus qu'un tour... Si je ne le dépasse pas maintenant, je peux dire adieu à la place de rêve qui m'attend peut-être en championnat du monde. Je partirais dans les derniers, génial ! Nous sommes en ligne droite et je décide de tout donner au prochain virage. J'imagine qu'il va le prendre serré, pour gagner du temps... En tout cas, c'est ce qu'il a intérêt de faire si je veux avoir une chance de gagner... Le virage arrive, mon coeur bat à cent à l'heure... Je vais y arriver, j'en suis sûre ! Je m'entraîne tout le temps pour ça ! Jérôme me parle dans mon casque mais ce n'est pas sa voix que je veux entendre, c'est celle de Carter. Cette voix magique que je pourrais reconnaître parmi des millions...

- Noémie, c'est bien ce que tu fais ! Continue ! M'encourage mon entraîneur d'une voix pleine d'entrain.

Je ne réponds pas, je suis trop concentrée sur mon parcours. Le virage arrive, je prends une grande inspiration. John commence à tourner selon la courbe... Ok, c'est bon, j'accélère ! Je suis presque dans l'herbe, au coude à coude avec mon adversaire. Je ne dois pas abandonner, sinon c'est fini...

- Noémie ! Accélère ! Tu peux le faire, tu es une gagnante !

C'est sa voix, la voix de Carter ! J'accélère encore, mon coeur bondit dans ma poitrine, nourrit par un élan d'espoir ajouté à l'adrénaline de la vitesse ! Je commence à me demander comment entendre la voix de quelqu'un peut me faire cet effet là ? Je donne un grand coup d'accélérateur, les chiffres du compteur montent d'un coup ! J'appuie à fond sur la pédale pour récupérer la première place. Le virage est presque fini, si je ne le dépasse pas je crée un accident et finit en queue de poisson dans l'herbe. Mon cœur s'emballe dans ma poitrine, battant jusque dans mes oreilles. Mon champ de vision rétrécit au maximum, reste concentré sur un seul point : la sortie du virage...

La courbe prend fin, heureusement pour moi, je l'ai réussi ! Je regarde dans mon rétroviseur John est derrière moi. Il a dû freiner pour ne pas quitter le circuit... Il me faut quelques instants pour réaliser ce qu'il vient de se passer. Je suis première !

- Mais t'es complètement folle d'avoir fait ça ! S'écrit Jérôme dans mon casque.

- Je sais que je suis folle mais je suis première donc on s'en fout ! Je réponds tout en poursuivant mon dernier tour de circuit.

- C'est super ce que tu as fait ! T'es première Noémie ! S'écrit cette fois Carter d'un ton joyeux.

- Arrête de prendre mon micro Carter ! Entends-je dans un chuchotement lointain.

Je rigole et Jérôme s'énerve... Mais je m'en fiche, je suis première ! C'est un truc de dingue ! J'ai dépassé John !

Je continue à avancer, John s'éloigne petit à petit. Je suis fière de moi, et j'espère que Jérôme le sera aussi, même si pour l'instant il est trop sous le choc pour me féliciter ! Je regarde toujours dans mes rétros, un sourire plaqué sur mes lèvres, quand les pneus de John commencent à glisser dans tous les sens. Je perds mon sourire et commence à stresser pour lui, ses pneus n'ont plus aucune adhérence... C'est la sortie de piste assurée, il faut qu'il freine ! Mais au lieu de ça, il accélère, mon dieu il va se tuer à faire ça ! Au prochain virage il sortira du circuit c'est assuré. Alors autant se protéger de possibles blessures et ne pas foncer comme un fou ! Même moi, sûrement la plus insouciante de tous les participants j'aurais ralenti ! Sa voiture quitte la piste à vitesse folle, je regarde à présent uniquement devant moi, je ne veux pas être témoin du choc... Seul le bruit sourd de la collision me parvient de manière lointaine aux oreilles... Je pousse un profond soupire en sentant mon cœur se serrer fort dans ma poitrine. Mais j'écoute la petite voix dans ma tête qui me somme de me reconcentrer : je suis presque arrivée, j'aurai le temps de me soucier de John une fois la ligne d'arrivé franchie.

*****

C'est enfin fini ! Je suis crevée, mes cervicales me font souffrir mais je me sens tellement bien ! C'est comme ça à chaque fois que je termine une course... Je sors, enlève mon casque et descend ma combinaison sur mes hanches. Au dessous, mon t-shirt blanc est trempé de sueur, très sexy tous ça ! Je vois Jérôme et Carter descendre de la tour de contrôle et leur saute dans les bras à tous les deux. Nous sautons et rions, nous sommes au comble de l'extase ! J'ai réussi !

- Noé je suis si fier de toi ! Déclare Jérôme les yeux pétillants de bonheur.

- Moi aussi ! Poursuit Carter les yeux pétillants de je sais pas trop quoi...

Je ne sais pas s'il est content pour moi, s'il est heureux que la course soit finie ou quoi d'autre encore, c'est trop bizarre, je ne comprends pas du tout la lueur qu'ont ses yeux...

- Mon dieu je n'y crois pas ! Je suis première ! J'ai gagné ! J'ai gagné !

- Oui, oui calme-toi ! Quand même, comme d'habitude tu ne m'as pas écouté Noé ! A un moment ça va être dangereux ! Tu fais ce genre de conneries en coupe du monde t'es morte !

- Oui, je sais, tu me le dis à chaque fois ! Mais tout le temps je ne t'écoute pas et je gagne !

- Il y a un moment où tu vas perdre et où tu vas avoir un accident ! Je te rappelle que je suis ton entraîneur, tu dois m'écouter Noémie !

- Oui mais à ce que je sache, c'est moi qui suis dans la voiture, pas toi ! Je réponds en haussant le ton.

- Eh Noémie, calme toi tu as gagné, c'est le principal on verra pour le reste après... nous détend Carter de sa voix apaisante.

Je me pose des questions sur notre relation, elle évolue de jour en jour, ça me fait un peu peur. J'ai l'impression de ne plus trop gérer ce qu'il se passe. Je ne gère rien du tout en fait...

- Jérôme ! S'écrit une voix au loin.

Nous nous retournons tous les trois en fronçant les sourcils. C'est l'entraîneur de John, il arrive en courant vers nous, plus pâle qu'un mort.

- Qui se passe-t-il ? Demande Jérôme plus qu'inquiet malgré la retenue dont il fait preuve.

Non... Je crois que j'ai déjà compris... J'ai trop bien compris... John... Il... Tout devient flou dans mon esprit, les paroles de son entraîneur m'arrivent sans m'atteindre, je suis en train de perdre connaissance.

- Après l'accélération... Soupire-t-il, il est... putain de merde il est mort ! S'écrit-il en donnant un grand coup de pied dans ma voiture.

Mon rythme cardiaque s'accélère... Mes pensées se bloquent sur un seul et unique sujet : Je l'ai tué...

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