Piste 5
edit : 26/04: corrigé
5) Cosmic Egg 3:07
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Le silence perdurait. Malgré la récente résolution d'Éros de rester fier, il ne put s'empêcher de douter face à l'immobilité de Cailean. Le jeune homme ne bougeait pas d'un cil, son regard était perdu, flou.Finalement, il se décida à se mouvoir. Comme après un réveil particulièrement vaporeux, il émergea. Cailean ne se jeta pas aux lèvres d'Éros pour lui rouler la pelle de sa vie. Il ne se mit pas non plus à paniquer ou à pleurer. En fait, il n'arrivait pas à réaliser.Quelque temps auparavant il avait souhaité qu'Éros témoigne de l'intérêt à son encontre, mais il n'avait pas songé que ça peut être ce genre de démonstration. Cailean savait pertinemment que son silence angoissait le brun. Mais il n'y pouvait rien, il lui fallait quelques minutes d'assimilation.Tout d'abord, il se mit à regarder l'italien d'une manière différente. Sa perception changeait. Doucement, comme s'il agissait avec un animal sauvage blessé, Cailean s'approcha d'Éros.Pour une fois depuis très longtemps, il avait l'illusion de contrôler la situation. Éros attendait sa réaction, ses mouvements, ses paroles. Tout ne dépendait que de lui. Alors que l'écossais aurait pu profiter de cette situation pour assouvir une vengeance songée à plusieurs reprises, il répéta les paroles d'Ivaldi:
- Je te plais, c'est bien ça?
À cet instant précis, il réalisa pleinement la portée de ses paroles. Eros Ivaldi était attiré par lui. Il n'en fut pas effrayé, il avait depuis longtemps compris son homosexualité. D'ailleurs, à l'extérieur de la maison de redressement, l'homosexualité était aussi bien acceptée que l'hétérosexualité. Mais ici, les opinions étaient quelque peu disparates concernant cette orientation sexuelle. Cailean ne cessait de comparer cet endroit à une bulle, coincée avec des idéaux arriérés.Ce dernier qui était un fin observateur et qui retranscrivait tous les événements intéressants se déroulant à l'institut avait remarqué que les jeunes issus de la classe populaire étaient plus tolérants que ceux de la "haute".La position d'Éros n'était pas inconnue de quiconque, il provenait d'une noble famille italienne immigrée en Écosse, il y a presque deux décennies. Il comprit en l'observant qu'il ne se jouait aucunement de lui. Ayant conservé une position dominante, Cailean se rapprocha suffisamment pour que le souffle de sa bouche puisse aller taquiner la résistance d'Ivaldi face à cette tentation. Un sourire enjôleur se positionna sur ses lèvres. Il voulait faire confiance à son instinct. Et puis, Cailean après avoir envisagé Éros comme compagnon, ne pouvait que trouver l'homme plus qu'attrayant. Il possédait un charisme indéniable, son port de tête était fier, digne d'un prince. Les prémices d'un tatouage apparaissaient à l'encolure de son tee-shirt, poussant Cailean à se rapprocher pour en savoir plus. Sa confiance en lui émanait à des kilomètres de distance. Certes, il avait la réputation d'être simple d'esprit, ce qui faisait de lui et Tommaso Sachello, les hommes de main de Giacomo Anatoli. Mais Cailean avait passé beaucoup de temps à observer les rouages de ce petit groupe d'élites et savait que ce n'était pas aussi simple. Tout n'était question que d'alliances, subterfuges, sournoiseries et plus important encore, de loyauté. Et puis de toute manière, Cailean avait une préférence pour les hommes qui témoignaient leurs intentions par des gestes plutôt qu'avec des jeux de langages. Il était même certain qu'Éros possédait une personnalité plus complexe qu'il n'y paraissait au premier abord.C'est pourquoi il avait pris la décision de le croire, mais il n'était pas pour autant un homme facile. Oh que non ! Et le grand italien avait plus d'une chose à se faire pardonner.Sa main droite remonta délicatement le long du t-shirt de l'imposant garçon, elle trouva finalement son objectif: l'encolure de celui-ci. D'une main ferme, il emprisonna ses doigts dans le tissu afin de tirer dessus pour rapprocher leurs deux corps. Cailean n'avait que quelques centimètres à parcourir pour recouvrir la bouche d'Éros de ses lèvres, mais il n'en fit rien. Il se permit d'accentuer son sourire et de reprendre la parole d'un ton bas, presque murmuré.
- Imaginons que tu me plaises un petit peu également. J'attends que tu fasses tes preuves Ivaldi. Tu ne m'auras pas comme ça.
Puis, Cailean se pencha comme s'il voulait combler le reste de distance, mais se recula aussitôt avec un clin d'œil et un léger rire.D'ailleurs, au moment où il se détacha du garçon, il entendit la sonnerie qui annonça le début de la journée. Ils devaient tous les deux faire acte de présence au réfectoire, sous peine de représailles.Alors qu'il allait se diriger d'un pas vigoureux vers la restauration, il se retourna une dernière fois vers Éros en se mordillant les lèvres.
- Ce pull est à moi, maintenant !
Sur cette dernière réplique, il s'éclipsa pour ne pas être en retard. Au fur et à mesure que ses pas l'éloignèrent de l'autre jeune homme, il sentit une légèreté s'emparer de lui. Il ne sut pas d'où lui vint cette nouvelle assurance. Mais, il avait quasiment retrouvé le caractère "d'avant" cet établissement. Il était beaucoup plus téméraire quand il était libre et non emprisonné.À ce sujet, il ne put refréner l'éclat de rire qui le menaçait depuis qu'il avait statufié Éros par son comportement. Cailean n'avait pu manquer son désarroi et son incompréhension. Mais ce qu'il lui avait particulièrement plu, c'était l'éclat de malice qu'il avait entraperçu rapidement dans les yeux d'Éros quand il avait affirmé que ce pull serait dorénavant le sien.
Cailean espérait qu'il avait compris qu'il n'était pas une demoiselle en détresse, même s'il s'acclimatait très mal au fonctionnement de cet endroit. Et qu'il devait parfois paraître plus faible afin de ne pas se battre pour des luttes de pouvoirs fréquentes entre adolescents pleins d'hormones.
Il était persuadé qu'Éros avait saisi quelques nuances à son comportement. Mais quand Cailean parvint finalement au réfectoire, il ne put nier qu'il n'était pas non plus au maximum de ses capacités. La lourde solitude qu'il ressentait depuis quelque temps laissait entr'apercevoir quelques lueurs d'éclaircissements. Pour autant, il ne décrocha pas un regard aux jumeaux quand il passa à côté d'eux, il se devait de les préserver. Et maintenant que Cailean savait qu'Éros s'intéressait à lui, cela lui permettait d'avoir suffisamment de force pour ne pas se retourner vers Edan et Adoh McNeal . Les jumeaux étaient ses meilleurs amis. Et il ressentait un manque de ne plus les avoir à côté de lui.Ses sentiments commencèrent à l'oppresser, Eros Ivaldi faisait partie des personnes qui lui avaient fait du mal par le passé. Comment pourrait-il lui accorder sa confiance ?Ses mains se retrouvèrent sur ses genoux, les ongles franchissaient la barrière du jogging pour venir s'incruster dans sa peau. Doucement, il se rappela les exercices de relaxation. Petit à petit, le calme s'empara de lui parce que Cailean était persuadé qu'il ne s'était pas trompé à propos d'Éros. À force de se convaincre de cette résolution, la crise passa en quelques minutes. Ce n'était pas passé loin pour qu'il recommence le cirque de la dernière fois.Il était content d'avoir appris quelques techniques de sophrologie pour calmer ses crises d'angoisse. Certaines pouvaient être particulièrement violentes et destructrices.Cailean jeta un rapide coup d'œil à l'horloge murale, il avait dix minutes pour se rendre à son premier cours de la semaine. Heureusement qu'il connaissait l'emploi du temps à peu près correctement.Et ce fut lorsqu'il se releva qu'il se rendit compte qu'il n'avait pas son sac à dos, donc ni cours, ni feuilles, ni crayons.
- Mais quel con!
Sa main claqua brusquement contre son front. Il essaya d'évaluer le temps qu'il avait à parcourir pour aller à la salle, et celui pour se rendre à son dortoir. Puis, il se rappela qu'il avait cours avec Monsieur Law. Ce dernier n'était pas réputé pour être à cheval sur l'heure.Avec un dernier coup d'œil à son plateau encore bien rempli, il décida de sortir rapidement du réfectoire puis de se mettre à courir en direction de son dortoir. En sortant du self, il avait bousculé le sac d'Adoh au passage, sans même en avoir conscience.- Il a l'air complètement épuisé et tu as vu sa tenue ? Depuis quand il vient en cours en jogging ?Edan haussa les épaules en guise de réponse. Ce dernier avait surtout remarqué le nouveau sweat de Cailean. Et se demandait à qui il appartenait. Les jumeaux l'observaient tellement souvent qu'ils remarquaient rapidement les nouveaux détails le concernant. Bien qu'ils soient minimes. Edan se demandait surtout si Cailean avait un nouveau colocataire, ce qui pourrait expliquer ce vêtement.Les deux frères se dirigèrent vers leur salle de classe. Contrairement aux unités, les adolescents étaient mélangés en fonction de leurs âges et de leurs niveaux en cours. Une salle de classe pouvait rassembler plusieurs unités, comme c'était le cas avec celle du professeur Law. D'ailleurs, il existait un responsable par unité. Glen Law supervisait l'unité Berry, Francesco Moncada celle d'Hendrix et enfin une femme nommée Beitris Duncan était en charge de Joplin.Les jumeaux arrivèrent sans surprise à l'heure, la porte de classe était légèrement entrouverte, laissant échapper quelques bribes musicales. Connaissant les habitudes de leur professeur, ils ne frappèrent pas et rentrèrent directement s'asseoir dans les rangs. Quelques élèves étaient déjà présents et semblaient détendus, aucune trace du professeur pour le moment. Au fur et à mesure que le temps s'écoulait, la salle se remplit à sa quasi-totalité.Glen Law dispensait le cours d'Histoire-Géographie, il était apprécié par les élèves grâce à son addiction pour la musique. À chacun de ses cours, la musique était présente en sourdine. Le professeur avait également une méthode d'enseignement propre à lui, il avait le pouvoir de rendre chacun de ses cours divertissants, remplis d'anecdotes parfois croustillantes concernant les figures historiques.
Finalement, la sonnerie retentit, mais toujours aucune ne trace du professeur. Finalement, il rentra religieusement dans la pièce, un café fumant dans la main droite et un pain au chocolat dans la main gauche. Personne ne parla, chaque lundi matin était sacré. Pour mettre Mr Law dans de bonnes dispositions, il fallait lui laisser le temps de boire son café. C'est pour cette raison que l'ensemble des élèves ne fit plus aucun geste quand la porte s'ouvrit avec fracas. Et qu'une voix se fit entendre, légèrement paniquée. Parce que cette personne avait bien conscience d'avoir gravement fauté. Elle avait interrompu le moment sacré de Glen Law.
- Monsieur, j'avais oublié mes affaires! Je ne voulais pas arriver en re-.La voix de Glen le coupa avant qu'il puisse finir sa phrase
- Retenue ce soir avec Graham.
Le voyou baissa la tête et le dos légèrement voûté, s'installa au fond de la salle. Cailean ne protesta pas, il savait que cela ne servait à rien quand son professeur était dans cet état d'esprit. Plutôt pensive, sa tête était tournée vers la fenêtre. Et avant que Cailean ne puisse se reconcentrer sur le cours, le professeur se positionna devant sa table.Glen Law se tenait devant lui, un sourire malicieux accroché aux lèvres. Ses idées étaient devenues moins brouillonnes depuis qu'il avait fini son café.
- Je t'offre une chance d'être gracié, mon gars! Si je te dis : His mother told him/ Some day you'll be a man/ And you will be the leader que me réponds-tu ?
Cailean qui n'arrivait pas à se concentrer à cause de la fatigue musculaire, haussa les épaules légèrement honteuses. Le professeur parut déçu, d'ordinaire le jeune garçon répondait à la plupart de ses devinettes.
-Et bien Berry aurait répondu : Of a big old band/ Many people coming/ From miles around, tu n'échappes pas à ma retenue Cailean.
Le concerné souffla longuement, il sentait que cette journée irait de mal en pis. Lorsque de nouveau la cloche sonna, il prit son sac sans grande motivation pour rejoindre le cours de Francesco Moncada.Il traînait les pieds dans les couloirs, en repensant aux dernières révélations au sujet de son professeur. Son acariâtre professeur de science de la vie et de la terre et de physique chimie possédait des liens de parenté avec sa mère. Et donc avec lui, Cailean. Moncada fit un jour, un cours sur la génétique et la transmission des gènes.Chaque élève devait faire un tableau en deux colonnes, séparant ainsi la case "famille de la mère" et "famille du père". Les élèves devaient se concentrer pour essayer de déduire si leur couleur de cheveux provenait plutôt des gènes du père ou de la mère. Ils devaient reproduire cette opération avec d'autres caractéristiques physiques. À cette occasion, Moncada avait démontré qu'il était nécessaire d'avoir plus d'informations pour faire un arbre généalogique. Ce fut à cet instant que Moncada leur présenta son propre arbre généalogique. Ce qui était effrayant et incompréhensible fut le fait que certains noms sur cet arbre étaient familiers à Cailean. Au début, Cailean avait pensé à des coïncidences, mais elles étaient trop nombreuses. Le prénom et le nom de la mère de Fransceco correspondaient au prénom de sa propre grand-mère. Sauf que Cailean n'avait jamais entendu parler d'un oncle paternel. En fait, il ne savait rien à propos de son père déjà, ça faisait des années qu'il ne l'avait pas vu. Il avait dû se faire une raison, peu de personnes possédaient un nom de famille intitulé Iguel.
Et puis flagrant aussi, comme lui. Il s'appelait Cailean Iguel, son professeur faisait l'appel à chaque cours, il était impossible de louper son nom. Cailean ne comprenait pas l'indifférence de cet homme envers lui. Il était extrêmement rare de croiser ce nom de famille, aux origines françaises. Depuis qu'il avait compris ce fait, il n'avait pas réussi à trouver le courage pour engager la conversation avec son professeur.
Son humeur ne s'arrangea donc pas quand il franchit la porte de la salle de classe, sans même réfléchir, il s'installa à la première place libre qu'il vit. Et ce ne fut qu'au moment où il sortit toutes ses affaires qu'il prit connaissance de l'identité de son voisin. Eros Ivaldi. Encore lui.Fatalement, Cailean laissa tomber sa tête sur la table. Sa journée ne pourrait être plus mauvaise que ça. Et le petit rire étouffé qu'il entendit à côté de lui n'arrangea pas les choses. Il lança un regard noir à Éros pour lui intimer de se taire. Mais il n'eut pas grand effet, de toute façon il n'avait pas la force d'insister. Sa nuit avait été incomplète, en plus d'avoir été parsemée par de cruels exercices de sport. Il ne tenait presque plus debout, sa tête alla donc retrouver sa main sur la table. Le métis ferma les yeux pour essayer de récupérer quelques minutes de sommeil avant l'arrivée du professeur.Cailean sursauta presque quand une légère pression se fit sur sa main libre. Il ouvrit brusquement les yeux pour découvrir Éros faisant mine d'être concentré sur la relecture de son cours.
- Qu'est-ce que tu fabriques? chuchota furieusement Cailean.
Le jeune homme à côté de lui ne répondit pas, se contentant juste de sourire et de lui faire un clin d'oeil. Le plus jeune se recoucha dans le confort de sa main et profita de l'instant présent. Qui fut d'ailleurs, de courte durée.
-Iguel, redressez-vous immédiatement! Je ne sais pas comment vous avez été élevé durant votre enfance, mais dans ma classe on se tient correctement.
La voix sèche de son professeur le réveilla instantanément.Jamais Moncada n'avait témoigné un comportement particulier à son égard, mais l'adolescent pressentait que Francesco lui cachait des choses. Et son instinct ne le trompait que très rarement. Depuis le professeur se montrait rude à son égard quitte à être injuste. Le jeune élève commençait d'ailleurs à ne plus supporter les injustices le concernant. Un vent de rébellion soufflait en lui. Un vent de changement, de révolution.Cailean releva fièrement sa tête, il avait trouvé le moyen d'atteindre Francesco. Et au vu de sa personnalité, il en déduisait que l'homme était assez réservé au sujet de sa vie familiale.
- Vous savez professeur- il insista particulièrement sur ce mot de manière dédaigneuse. Antoine de Saint-Exupéry a dit un jour : Je combattrai quiconque prétendra asservir à un individu comme à une masse d'individus, la liberté de l'homme, et à cet instant précis Monsieur vous asservissez ma liberté! Ma position ne vous manque pas de respect. Et si vraiment c'était le cas, vous devriez également intervenir envers d'autres personnes qui adoptent une position réellement grossière.
Il fit une petite œillade insistante envers Bruce McGregor qui prenait la table pour un paillasson pour ses chaussures, sans aucune gêne.Sans laisser à l'homme de répliquer, il continua sa tirade. Et sans lâcher la main d'Éros, auquel il avait emmêlé fermement ses doigts, il continua:
- Il est l'auteur du fameux livre "Le Petit Prince". Un livre qui raconte la quête d'identité d'un petit garçon.
Après tout, Cailean avait compris que Fransceco Moncada était son oncle paternel.
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