Piste 4

4) When the hurt is over 05:04


°°°

Un silence lourd commença à s'installer entre les deux garçons. Éros semblait vouloir entamer une conversation, mais étonnamment une fois seule face à Cailean, il ne disait aucun mot. Il essayait tant bien que mal de reprendre une contenance, mais il avait perdu la totalité de ses moyens.

— Je...

Cailean n'avait pas pu s'empêcher de relever la tête, troublé malgré lui. Ivaldi ne put émettre la moindre parole et baissa le visage.Le plus petit, connu sous le nom de Cailean réfréna un sourire amusé, le jeune homme en face de lui l'intriguait de plus en plus. Avec une apparente confiance qui lui faisait certainement défaut en temps normal, il se permit d'interpeller la montagne de muscles.

— Tu voulais dire quelque chose, monsieur Eros Ivaldi ?

Cailean essaya de parler calmement sans laisser transparaître son divertissement. Il ne comprenait pas d'où lui venait cet aplomb, mais il baissait un peu sa garde. Ce qui était vraiment intrigant, c'est qu'Éros qui était un pilier de l'entourage de Giacomo Natoli avec sa prestance ne ressemblait pas à la personne devant lui.Pourtant, le brun pensant que cette ouverture ne se reproduirait pas de sitôt se lança.

— Je trouve ça bien que tu aies accepté d'enfiler ce pull.

Éros hésita un instant avant de poursuivre.

— Ça me fait plaisir.

Il se baissa afin de finir ses exercices. Cailean était interloqué par ce comportement quelque peu déconcertant de la part d'Éros. Pourquoi le fait de porter son sweat le satisfaisait-il ? Ne voulant pas se laisser déconcentrer, il se remit conformément à faire ses jumpings-jacks sous l'œil de leur éducateur.Un petit silence s'installa entre eux, le plus grand et également le plus âgé se sentit légèrement désemparé face à la bouche close de Cailean. Était-il allé trop vite ? L'air un peu bougon, il finit les trois quarts de ses bonds. Soufflant de manière exagérée, il se fit un lynchage intérieur. Natoli avait raison, il ne croyait pas réfléchir, incapable de faire une phrase correcte sans froisser l'autre. Il ne lui restait plus qu'un saut et après il pourra regagner son dortoir pour finir sa nuit.Parallèlement, Cailean ne savait toujours pas quelle attitude adoptée au sujet d'Éros. Devait-il baisser sa garde et le laisser approcher afin de comprendre ses intentions ? Il ne voulait pas lui faire immédiatement confiance, Cailean n'était pas une personne à être bernée par ce genre d'individu. Ses pensées furent interrompues par un grave soupir. Il le prit directement comme une insulte envers son être. Peut-être que sa présence ennuyait Ivaldi, puisque visiblement il n'avait pas obtenu ce qu'il souhaitait.Alors que Cailean était contre le sol, il se leva avec une nouvelle vigueur et se positionna face à son camarade, les mains sur les hanches et les yeux plissés.

— Je ne sais pas ce que tu cherches avec moi, mais ça ne marchera pas. Je ne serais pas ta petite marionnette ! Tu diras à Giacomo que de toute manière je suis déjà à ses pieds et que ce n'était pas la peine de t'envoyer pour me surveiller ! J'ai obéi aux ordres, j'ai de nouveau rempli ma part du contrat, alors serait-ce trop demandé de me laisser respirer ?

Il fit un geste qui selon son éducation était qualifié de totalement irrespectueux et qui allait certainement signifier sa perte : il cracha au pied de son interlocuteur. Cailean n'en pouvait plus, il était à bout, à la limite de la paranoïa.Sa tirade avait attiré Gus qui de loin n'avait pu entendre ses paroles et se rapprocha des deux jeunes hommes pour essayer de comprendre ce qu'il se passait. Cailean en voyant ça se remit directement à faire ses exercices. Son regard ne fixait rien de particulier, il n'envisageait en aucun cas croiser les yeux du garçon brun. Il avait souhaité y croire et il y avait réellement cru. Intérieurement, Cailean avait eu l'audace de penser qu'il aurait pu se reposer sur une personne plus forte. Parce que dès que l'on voyait Eros Ivaldi, sa masse musculaire ne pouvait obtenir que deux réactions : soit un sentiment de peur ou de protection. Cailean voulait dans un dernier sursaut désespéré, à croire qu'Éros se passionnait pour sa personne.Ses yeux commencèrent à s'embuer. Il s'injuriait lui-même de s'être laissé berner par cet imbécile. De toute façon, pourquoi Ivaldi se serait-il intéressé à lui ? Dans un geste rageur, il essuya ses larmes avec la paume de sa main. Ivaldi, stupéfié ne put manquer ce geste. Au même moment, les échos de la voix de Gus leur parvinrent :

— Un souci les jeunes ?

Sa question n'obtint qu'un vague silence en réponse. Les deux garçons ne voulaient en aucun cas se justifier ou même expliquer les raisons de leur mésentente.Cailean ne se calmait pas, Éros n'était pas non plus en reste. S'il avait le privilège de côtoyer d'aussi près Giacomo, c'était pour sa réputation. Dès son plus jeune âge, on l'avait directement associé à son père Alessio Ivaldi, ne lui lâchant quasiment jamais la bride pour s'exprimer librement. Dans sa famille, on n'apprenait pas aux enfants à développer leur imagination et leurs rêves. Au contraire, dès le plus jeune âge d'Éros, on lui avait appris à utiliser ses poings pour s'exprimer au lieu de la parole. Surtout que sa mère avait eu l'idée de l'appeler en l'honneur du Dieu de l'amour : Éros. Son père n'avait jamais vraiment accepté son prénom qui selon lui le rendait faible. Alessio Ivaldi n'avait pu résister aux yeux doux de sa femme. Il était une brute, mais l'amour qu'il portait à sa compagne était sincère. L'entente entre son papa et lui n'a jamais été au beau fixe. Il ne s'est jamais senti proche de ce dernier. Il se contenta de l'imiter, afin d'espérer avoir un jour la reconnaissance de son père. C'est pourquoi il avait essayé d'être le plus viril possible et d'exprimer le moins possible ses émotions, au grand dam de sa mère. De ce fait, réalisant son échec cuisant par rapport à Cailean, car incapable de formuler correctement le fond de sa pensée. La pression montait trop vite en lui, il fallait qu'Eros se dépense, pour extérioriser toute cette contrariété.Rapidement, il finit son travail et sans aucune considération pour Cailean ou pour l'éducateur, il quitta la place. Muet, il ne répondit pas aux appels insistants de Gus. Jusqu'au moment où le professeur mentionna une réprimande.

Le blâme effrayait véritablement les pensionnaires de l'établissement. Quand un jeune cumulait trois blâmes, sa période de détention pouvait être rallongée par la commission de la maison correctionnelle. Si certains cumulaient les blâmes à l'approche de leurs vingt-et-un ans, ils devaient effectuer le reste de sa punition en prison.

Les blâmes étaient le moyen de pression de prédilection des professeurs, chaque blâme était également le synonyme de corvées dénigrantes, donnés parfois par des professeurs sadiques qui prenaient un malin plaisir à rabaisser les moins âgés. Alors, même si Éros savait que Gus ne s'abaisserait pas à lui en donner de trop humiliantes, il ne voulait pas prendre d'avoir un blâme. Malgré les apparences, il tenait à sa liberté et avait en horreur la prison.

— J'ai fini mes exercices, il me semble que j'ai le droit de partir quand c'est fait, non ? Il n'avait pu s'empêcher de finir sur une note quelque peu sarcastique. Il cacha son sourire, finalement le célèbre sarcasme de Giacomo avait déteint sur lui.

— Garçon, tu as intérêt à changer de ton avec moi, immédiatement ! Ce n'est pas un petit morveux qui vient à peine de quitter ses couches-culottes, qui va me manquer de respect ! Tu ferais mieux de t'excuser tout de suite !

Gus en raison de sa stature et sa voix rugissante était vraiment impressionnant. Cailean, impuissant ne pouvait qu'observer la scène espérant ne pas essuyer les répercussions de ce combat de coqs. Gus et Éros se dévisageaient en chien de faïence, aucun des deux ne voulait baisser les yeux. Le plus jeune se rapprocha progressivement de Gus. Puis au bout d'un moment, comprenant finalement qu'il ne souhaitait pas prendre un blâme en raison d'un manquement de respect pour l'un de ses éducateurs, il se rétracta. S'il devait prendre un blâme, autant que cela soit pour quelque chose de grandiose.

Eros se vengerait d'une autre manière. Il n'était pas un bisounours, il avait grandi dans l'un des clans les plus puissants de la planète. Personne ne lui manquera de respect.

Gus, qui n'avait pas loupé le moment où Eros Ivaldi baissa les yeux n'ajouta pas un mot de plus, il avait gagné cette victoire, il ne devait pas rabrouer inutilement le voyou. Ce dernier comme les autres de l'unité Chuck Berry n'étaient pas des enfants comme les autres. Ils en avaient trop vu, trop vécu. Gus gardait l'espoir de soigner ces êtres blessés, d'ailleurs avec ses collègues, il s'amusait à les comparer à des animaux abandonnés qui avaient perdu leurs repères. Ils avaient besoin d'avoir « une autre famille ». Afin de leur donner une meilleure chance ainsi qu'une meilleure éducation.s collègues de Gus n'ignorait en aucun cas sa passion pour les animaux.Il s'était toujours dit que s'il ne parvenait pas à devenir éducateur pour les jeunes en difficulté, il aurait créé son propre refuge d'animaux.Il fallait donner à ces pauvres garçons une autre vision de la vie et des relations humaines. Surtout, il n'était pas naïf quant à l'identité du jeune Eros Ivaldi ainsi que de toute sa troupe.D'ailleurs, lorsque l'équipe pédagogique avait débattu pour savoir s'ils devaient accepter les fils des hauts dirigeants de la mafia, deux autres professeurs et lui avaient réussi à convaincre le reste de leurs collègues. Les trois étaient de fervents supporteurs de la seconde chance.Donc ce garçon était dangereux, Gus devait quotidiennement se bagarrer pour une lutte de pouvoir qui s'était installé dès le départ. Alors il laissa Éros partir et puis comme disait son grand-père, « il ne fallait pas trop tirer sur le string de mémé ».Il se rappela soudainement qu'il avait également un autre rejeton à surveiller et se retourna pour voir Cailean qui l'observait légèrement inquiet vis-à-vis de la posture à adopter avec lui.

— C'est bon, tu peux partir toi aussi. N'oublie pas de te nourrir correctement, tu ne sauras pas à l'avance quand le second entraînement tombera et la prochaine fois, je ne serai pas aussi indulgent. Il planta Cailean sur cette dernière phrase.

Ce dernier quelque peu stupéfait des derniers événements se dirigea vers son dortoir. Pour ce faire, il devait contourner le réfectoire. À cette heure-ci, il commençait à prendre vie, le petit déjeuner n'allait pas tarder. Accélérant le pas, il espérait au moins repasser à son dortoir pour prendre une douche et se préparer. Il haussa les épaules de résignations quand il pensa à la bouteille de parfum qui l'attendait sagement. Blasé, il n'y prêtait pas une grande importance. De toute façon, ça ne pourrait être pire. Ce fut à ce même instant qu'il se retrouva collé derrière le réfectoire qu'il avait pourtant réussi à dépasser.Légèrement sonné face à cette brusque embardée, il essaya de s'exprimer. Ce qu'il ne put réaliser, car une main reposait fermement sur ses lèvres. Une main qui appartenait au corps de... cet enfoiré d'Ivaldi.Cailean ne voulant pas se laisser faire fit une tentative pour refermer ses dents sur les doigts de son agresseur. Ce qui ne plut pas réellement à celui-ci, qui le plaqua plus fortement encore contre le mur. La victime ne voulait toujours pas se laisser faire. Il commença à battre des jambes, à gesticuler dans tous les sens. Malgré son physique pas très volumineux, il avait appris à se battre. S'il arrivait à dégager sa main droite et s'il était assez rapide pour viser la jugulaire il pourrait peut-être...

— Stop ! Arrête de bouger ! Il faut qu'on discute, enfin il faut surtout que je parle et que tu écoutes.

Cailean arrêta momentanément ses efforts pour filer à l'anglaise et resta interloqué face au discours du gorille. Sa curiosité était piquée à vif, alors il fit une sorte de grognement pour lui intimer de continuer.

— Bien, je n'ai jamais su faire ça. Je ne pensais pas que je le ferais un jour. Cailean écoute-moi bien, car je ne me répéterai pas deux fois. Merde, je ne sais pas comment te dire ça ! Je sais que tu ne m'apprécies pas énormément. Mais...

Le concerné ne put s'empêcher de lever ses yeux en l'air. Cailean se rappelait un rappel à l'ordre particulièrement douloureux de la part d'Eros Ivaldi et Tommaso Sachello. Eros s'énerva en le regardant faire.

— Pas la peine de faire cette tête-là ! Tu sais très bien que ce n'est pas aussi simple que ça, ici !

Le garçon entravé n'avait pas besoin de sa bouche pour communiquer, son regard le faisait à sa place. En ce moment, Cailean envoyait une œillade particulièrement massacrante à son partenaire.

— Quoi que tu puisses penser, je n'ai pris aucun plaisir à te tabasser la dernière fois.

Éros baissa les yeux et reprit en fixant Cailean en essayant de transmettre lui aussi par le regard ce qu'il peinait à exprimer par les mots.

— Ce que j'ai à te dire est vraiment important... Au moins pour moi.

L'imposant garçon paraissait si vulnérable, si enfantin qu'il relâcha un peu sa prise sur le corps de Cailean. Ce dernier ne songeait même plus à s'enfuir, il resta même silencieux, en attendant qu'Ivaldi finisse sa tirade. Lui aussi ne put détacher ses yeux sombres de ceux plus mordorés d'Éros.Ce dernier se sentait faible parce qu'il n'arrivait simplement pas à dire ses sentiments et fit donc ce qu'on lui avait toujours appris. Il s'exécuta avec des gestes. Il se pencha rapidement sur le visage du métis, qui ne put anticiper l'action qui allait se produire. Accompagné d'une tendresse dont on aurait pu douter venant de cette montagne de muscles, il se pencha en avant comme pour l'embrasser. Eros se retira aussitôt, ne souhaitant pas faire croire à Cailean qu'il voulait abuser de sa position.Eros recula même de quelques pas, et l'aura autour de lui, ainsi que son comportement et sa voix trahissaient son désarroi. Pour une fois, ses gestes et ses paroles s'étaient alignés sur le même mot d'ordre : l'incertitude.Eros décida à ne pas se laisser abattre ! Il provenait d'une vieille famille dont la réputation n'était plus à refaire. Alors il releva la tête, faisant honneur à ses racines familiales italiennes et affirmées d'une voix forte ce qu'il cherchait tant à dire depuis quelque temps. Il n'avait pas le choix, quel homme pourrait-il envisager d'être, s'il était incapable de faire face à ses émotions ?Sa posture retrouva sa prestance, il ne faiblirait pas, ce n'était pas inscrit dans ses gènes et d'une voix claire, sans aucune once de méchanceté ou de fourberie d'une voix même presque pure, il s'exprima.

— Cailean, tu me plais beaucoup.

Il fit une pause afin de le laisser intégrer ses paroles.

— Je n'ai pas su te l'expliquer tout à l'heure, mais je suis intéressé par toi. Avant que tu ne commences à ne même songer que c'est un coup de Giacomo, ce n'est pas le cas. Réfléchis, si c'était effectivement l'œuvre de ce dernier, il ne m'aurait jamais envoyé, car je ne suis pas assez intelligent selon lui. Alors maintenant, tu vas m'écouter attentivement. Ce n'est pas une blague, je ne joue pas avec toi. Tu connais ma famille, je ne gagne rien à te dire ces mots aujourd'hui, au contraire, je risque beaucoup. Si je te le dis comme ça, de manière brute, c'est pour que tu comprennes que je suis sincère.

Éros, qui ne pensait pas être capable d'une telle déclaration, sentit une légère joie s'emparer de lui. Joie qui fut de courte durée, car seul un silence étourdissant lui répondit.

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