Un

Quelques semaines plus tôt

Henry

D'aussi loin que je me rappelle, j'ai toujours porté des vêtements noirs. Peut-être parce que j'adore qu'ils reflètent la même couleur que mon âme. Ou simplement parce qu'ainsi il est beaucoup plus facile d'agencer mes habits (il faut savoir que je suis daltonien).

Le professeur parle en avant et, pour faire changement, je n'écoute pas. Je griffonne dans Obscur, mon agenda scolaire que j'ai transformé en lieu de gribouillis aléatoires.

«Comment réagir face à un daltonien:

• Ne pas pointer un objet en lui demandant de quelle couleur il le voit.

• Si vous succombez à la tentation, ne pas montrer de pitié sur votre visage lorsqu'il répondra qu'il perçoit uniquement le blanc, le gris et le noir.

• Si vous croyez être incapables de respecter ces règles pourtant simples, ne pas m'adresser la parole.»

Je ne me souviens même plus du cours dans lequel je me trouve. Je lève la tête et j'ai ma réponse en reconnaissant M. Bibeau, le professeur de philosophie le plus captivant/expressif/intéressant. Sans doute pour cette raison que les pupitres se sont transformés en lits douillets et les bras des élèves en oreillers. M. Bibeau n'a jamais rien remarqué; il est à moitié aveugle. Ma conscience me rappelle que lui, au moins, ne voit pas qu'en noir et blanc.

«Qu'est-ce que vous choisiriez entre:

Ne pas avoir de couleurs dans votre vie au sens propre

ou

Ne pas avoir de couleurs dans votre vie au sens figuré?»

Pour ma part, les deux cas s'avèrent bien réels.

Je continue à transférer dans Obscur tout ce qui est dans ma tête et, ce, jusqu'à ce que la cloche nous délivre de ce cours ayant les mêmes effets que des somnifères.

En marchant dans le couloir, j'observe les autres élèves. Leurs sourires radieux dans un endroit pareil me sont plus compliqués à comprendre que n'importe quelle formules mathématiques. Peut-être sont-ils simplement meilleurs acteurs que moi.

«Soit patient, me dis-je à moi-même. Il reste moins de trois semaines. Après, tu ne remettra plus jamais les pieds dans un établissement scolaire.»

Un mince sourire apparaît sur mon visage. «L'université est une porte ouverte vers l'avenir», disent toutes les affiches sur les murs du lycée. Ma porte ouverte à moi, ce n'est rien d'autre que le Trente-Trois Tours, mon magasin de musique. Enfin, celui de ma mère.

«Tu verras maman, je vais m'en occuper aussi bien que tu l'as fait. Je ne le fermerai jamais, crois-moi», pensé-je en regardant au ciel comme si elle pouvait m'entendre.

C'est d'ailleurs à cet endroit que je me dirige, n'ayant plus aucun cours à mon horaire d'aujourd'hui. Je connais ces ruelles de Montréal comme le fond de ma poche, si bien que je pourrais faire le chemin les yeux fermés.

— Salut, Shiva, dis-je en passant les portes pour la millième fois.

Le magasin n'est pas très grand, c'est vrai, mais il contient tous les classiques, de jazz au heavy metal, de Green Day à Elvis Presley. Il y a deux longues rangées de présentoirs. Dans celle de gauche sont disposés les vinyles et dans celle de droite les formats CD. Présentement, ils sont classés par genre mais, parfois, quand l'ennui me prend, je change entièrement l'organisation. Par ordre alphabétique ou par date de sortie ont déjà été testés, mais je trouvais étrange qu'un vinyle de Taylor Swift se trouve à côté d'un vinyle de Tchaikovsky à cause de leur lettre initiale, ou encore qu'un CD de Red Hot Chili Peppers en chevauche un de Céline Dion, parce qu'ils datent tous les deux de 1995.

— Hey, réponds Shiva sans lever les yeux de son ordinateur. Il n'y a eu personne depuis au moins trois heures.

Shiva est d'origine indienne. Ses cheveux sont noirs (enfin, j'imagine... quoique ils pourraient aussi être bleu marin, ce qui serait plutôt étonnant), sa peau est bronzée et il est plutôt bien enrobé. Shiva est un génie de l'informatique; je ne l'ai jamais vu sans son ordinateur portable. En plus d'être mon employé, il est mon colocataire. On s'est rencontré il y a quelques mois, lorsqu'il cherchait un travail pour économiser en prévenance de l'université et lorsque je devais trouver d'urgence un employé si je ne voulais pas fermer le magasin. En plus de ça, nous cherchions tous les deux un appartement. Ma mère venait de mourir et j'hébergeais pour quelques temps chez M. Robert, mon enseignant de littérature (je sais, c'est bizarre, mais il était ami avec ma mère et je dois avouer que c'était le seul prof avec qui j'avais une bonne relation) et Shiva ne voulait plus vivre avec ses parents, comme tout adolescent un beau jour.

— Bon, je file, dit-il en fermant son ordinateur. Je dois terminer mon logiciel.

— À ce soir.

Et il part. Mais quelle discussion. Même si nous nous voyons tous les jours au magasin et à l'appart, notre amitié est restée au même stade depuis la première fois où nous nous sommes rencontrés. Il travaille au magasin le jour, je le remplace après mes cours, il va faire ses trucs informatiques à l'appart et je ferme le magasin le soir, avant de rentrer moi aussi. Voilà notre routine. Disons que nous sommes tous les deux plutôt solitaires, ce qui ne me dérange aucunement, vu ma difficulté à sociabiliser comme des humains normaux. C'est sûrement pour cela qu'on s'entend si bien; on ne ressent pas la nécessité de faire la conversation.

Je sors Obscur, que je traîne partout.

«Top 5 des scénarios COMPLÈTEMENT impossibles (1 étant le moins probable) :

1. Shiva et moi cuisinant des cupcakes en se racontant les derniers potins des élèves populaires.

2. Shiva et moi s'échangeant des bracelets d'amitié. 

3. Shiva et moi parlant des rêves farfelus que nous avons fait la nuit passée.

4. Shiva et moi construisant un fort de coussins en vue d'une soirée-cinéma.

5. La Terre s'arrêtant de tourner, les étoiles de briller, la gravité d'exister.»

Soudain, la porte s'ouvre à la volée et je ferme mon agenda avant d'apercevoir une fille entrant d'un grand bond. Elle est vêtue d'une robe grise (selon moi, évidemment) qui semble un peu trop grande pour elle. Ses cheveux ondulés aux épaules sont plus proches du blanc que du gris, j'en conclue donc qu'ils sont blonds. Ses lunettes Ray-Ban épousent parfaitement son visage, comme si elles avaient été conçues que pour elle.

Je la reconnais immédiatement. Mesdames et messieurs, voici Olivia Chevalier, qui, avec sa bonne humeur 24h/24 (enfin, je la vois qu'au lycée, mais je suis presque certain qu'elle serait joyeuse même dans la cage d'un lion qui n'a pas mangé depuis quatre jours) est un mystère tout entier pour moi.

— Bonjour! s'exclame-t-elle et je note qu'elle ne fait pas que parler, elle chante.

Bonjour, je réponds et ma voix sonne faux comparée à la sienne.

Je remarque qu'elle semble agitée, comme un TDAH qui aurait oublié de prendre ses comprimés.

— Tu t'y connais en musique? me demande-t-elle rapidement.

J'étouffe un rire ironique.

— J'espère bien, je suis propriétaire d'un magasin de musique.

— Parfait. J'ai vraiment besoin de toi.

Olivia Chevalier, la fille dont le nombre d'amis est équivalent au nombre de mots dans le dictionnaire, a besoin de moi, le garçon-fantôme?

Mes pieds redescendent de la table et je me redresse, attentif. Puis, je remarque que je dois avoir l'air ridicule avec mon intérêt trop prononcé, donc je m'affaisse à nouveau sur la chaise.

— Pour quoi? dis-je en m'efforçant de paraître nonchalant.

— Vois-tu-je-fais-partie-d'un-band-et-nous-avons-un-concert-dans-deux-semaines-et-il-nous-manque-une-chanson-à-intégrer-dans-le-programme-et-c'est-la-chanson-finale-donc-il-faut-que-ce-soit-la-bonne-et-pendant-que-je-marchais-je-fredonnais-une-chanson-et-j'ai-crié-C'EST-CELLE-LÀ-mais-voilà-le-problème-est-que-j'ai-toujours-pleins-de-chansons-dans-la-tête-mais-je-suis-nulle-pour-retenir-les-paroles-ou-l'interprète-ou-le-titre-donc-voilà-je-me-demandais-si-tu-ne-pouvais-pas-m'aider-à-trouver-la-chanson?

Jusqu'à maintenant, je n'aurais jamais cru qu'il était possible de dire une phrase aussi longue sans respirer une seule fois.

— Euh, oui, sans doute.

— Parfait! Alors voilà, au début, ça sonne comme ça...

Elle se met à fredonner quelques notes et je l'arrête tout de suite.

Don't Stop Me Now, de Queen.

— Ouiiii, c'est ça! confirme-t-elle.

— Évidemment que c'est ça.

— Un vrai expert, toi!

— Je n'irais pas jusque-là, je connais mes classiques, c'est tout.

— Oh, ça va, le modeste. J'ai fredonné à peine trois notes, donc soit tu es un surdoué, soit je suis une chanteuse remarquable!

Je crois qu'elle attend que je ris, donc je m'efforce à le faire. Probablement la première fois du mois (et il est presque terminé).

— Je paris que tu connais toutes les chansons de tous les vinyles ici.

Je ne nie pas. Ses sourcils se lèvent d'un geste surpris.

— Sérieusement? Je disais ça pour rire! s'exclame-t-elle.

— En fait, on a deux ou trois vinyles de disco. Eux, je ne les connais pas.

— Deux ou trois vinyles sur 500, c'est plutôt une bonne moyenne. Je garde mes paroles, tu es un surdoué.

— J'ai du temps à perdre.

Mais je dois avouer que mon addiction pour la musique est légèrement exagérée. Sauf le disco et l'électronique, j'aime tous les genres. En fait, j'aime surtout les paroles; c'est ce que j'écoute le plus dans une chanson. Souvent, les gens n'y prêtent pas attention, en autant qu'ils aiment le rythme, mais pour ma part, c'est le principal point dont je m'attarde. Les chansons sont une forme d'écriture littéraire et, leurs mots, porteurs de tant d'émotions qu'il m'est juste impossible de les ignorer.

— Savais-tu qu'environ 3% de la population est atteinte d'amusie? demande soudainement Olivia. Ces personnes sont incapables de reconnaître ou de produire de la musique, souvent suite à une lésion cérébrale.

— Pauvre gens.

Je me demande ce qui est pire: ne pas entendre la musique ou ne pas voir les couleurs.

Olivia me fixe étrangement pendant quelques secondes avant de dire:

— Tu es dans mon cours de littérature, pas vrai?

Je hoche la tête en silence. Comment rappeler à quelqu'un qu'il est invisible? Comme ça.

Et histoire aussi.

— Ah, c'est vrai, j'ai eu un blanc de mémoire, déclare-t-elle d'une voix compatible.

C'est bon, dis-le que tu ne m'as juste jamais remarqué.

— Donc, c'est ton magasin?

Je vois qu'elle tente de maintenir la conversation, mais je suis tellement nul dans ce domaine que je pense être meilleur pour dompter des rhinocéros enragés. Je me contente d'acquiescer. Elle se demande sans doute pourquoi je suis propriétaire d'un magasin à 18 ans, alors que je suis encore étudiant, mais je n'ai pas envie de lui apprendre que j'en ai hérité suite à la mort de ma mère. Même moi, la personne la moins instruite en sociabilité, je sais que parler de la mort d'un proche n'est pas un sujet très opportun lors d'une première rencontre. Surtout que ça ne lui attirera que de la pitié, ce dont j'ai horreur.

— Bon, je vais y aller, déclare-t-elle après un moment de silence qui l'a sûrement embarrassée. Merci pour la chanson! Si tu veux venir nous voir jouer, c'est le 1er juin, à 20h au Club Soda. Amène tous tes amis!

Je tente de dire que je ferme le magasin à 21h chaque soir, mais les mots sortent aussi désordonnés que mes cheveux le matin. Heureusement, elle a déjà franchi les portes. Je la regarde s'éloigner sur le trottoir. Elle ne marche pas, elle vole.






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Holaaaaaaa 🙋🤗
Je suis heureuse de vous présenter ma NOUVELLE HISTOIRE, celle dont j'ai travaillé dessus tout l'été! Désolée de l'attente, je sais que j'ai reporté l'histoire longtemps, mais je voulais qu'elle soit la meilleure possible donc je l'ai écrite au complet et non au fur et à mesure. J'ai préféré cette technique, que je n'avais pas utilisé pour Stay Alive et La Voleuse des Mers, parce qu'elle me permettait de perfectionner et d'apporter des modifications à tous les chapitres en même temps, chose qu'on ne peut pas toujours faire si on publie au fur et à mesure. Bref, je saute de joie (dans me tête, parce que en vrai je suis étalée sur mon divan) à l'idée de vous présenter ADOLESCENTS FLUORESCENTS! Comme d'habitude, c'est une histoire complètement différente de la précédente, La Voleuse des Mers. Si vous vous attendez à beaucoup d'actions, vous n'êtes pas au bon endroit... C'est plutôt une histoire qui porte à réfléchir sur différents thèmes qu'on rencontre souvent à l'adolescence, comme les relations toxiques, la recherche de soi-même, les moments plus sombres, peut-être même l'amour qui sait... ;) J'espère du plus profond de mon cœur que vous allez l'apprécier, j'y ai mis beaucoup de temps et d'efforts! N'hésitez pas à commenter votre avis; mon histoire est écrite presque entièrement mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas faire quelques changements bénéfiques.

Quelques petites précisions :

• Comme certains d'entre vous le savent déjà, je suis québécoise, d'autant plus que l'histoire se passe à Montréal. Donc il se peut que des mots ou concepts vous soient inconnus, chers lecteurs majoritairement français. Il suffit alors de commenter et je vous donnerai une explication. :)

• Le système scolaire québécois est différent de celui de France (eh oui, eh oui). Les personnages de l'histoire sont présentement au CEGEP, l'étape après l'école secondaire et avant l'université. Le CEGEP est un milieu où tu choisis plus précisément ce qui t'intéresse en vue de l'université (ou non), par exemple une technique en génie mécanique, un programme de sciences humaines/sociales (le programme d'Henry) ou de sciences de la santé (le programme d'Olivia). Les personnages sont présentement dans leur dernière année au CEGEP, ils ont donc autour de 18 ans.

• Il y aura une vingtaine de chapitres au total, qui sont plus longs que ce que j'avais l'habitude d'écrire dans mes autres histoire. Entre 1000 et 2000 mots (j'espère que ça ne vous découragera pas)...

• Je posterai à CHAQUE DIMANCHE !

Voilàààà

À dimanche prochain!👋
Bisouuuus

- cristal_sky

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