Huit

Olivia

— Tu me sembles bien réfléchisseuse, ma chère fille.

— Ce n'est pas un mot réfléchisseuse, Albert.

Qui a dit que c'était interdit d'inventer des mots?

Je soupire. Il continue:

— Tu évites ma question.

— Parce que ce n'était pas une question, lui rappelé-je.

— Pourquoi es-tu si réfléch... pensive, ma chère? rectifie Albert.

Je soupire encore. J'ignore la réponse moi-même. Pourquoi la soirée de vendredi (ou plutôt samedi aux petites heures du matin) me trotte encore en tête? Pourquoi ai-je pris aussi mal les paroles d'Henry lorsqu'il a dit qu'il n'avait aucun ami et qu'il n'aimait personne?

— Dis-moi ce qui te tracasse. Tu es toujours si souriante...

— C'est rien, Albert. Seulement que...

Je ne trouve pas les mots pour décrire mes sentiments confus.

— Parfois, j'ai l'impression de sauter des océans pour des gens qui ne sauteraient même pas une simple flaque d'eau pour moi.

— Oh. Je connais ça, tu sais. Mais parfois la personne qu'on veut aider ne veut tout simplement pas de cette aide.

Je le dévisage. Comment arrive-t-il à trouver les mots aussi justes? C'est comme s'il savait exactement ce qui arrivait dans ma vie. Peut-être a-t-il déjà vécu une situation semblable, ce qui expliquerait le «je connais ça» et son air lointain comme si un souvenir avait refait surface d'un coup.

— Mais pourtant, ajouté-je, je sens que cette personne a besoin d'une aide quelconque. Dit, Albert, toi qui étais psychologue, tu as sûrement eu des gens dépressifs?

— Tout un tas. Mais pourquoi me demandes-tu cela? Quelqu'un de ton entourage semble en dépression?

— N-non. En fait, oui. Si tu voyais ce garçon...

Albert me dévisage. Je poursuis:

— Il semble toujours si seul, si... triste. J'essaie de lui remonter le moral; parfois je réussis à le faire rire. Mais sa tristesse revient sans cesse.

— Sais-tu s'il vit quelque chose de difficile dans sa vie? Un deuil, une séparation...

— Sa mère est morte il y a quelques mois, mais je n'ose pas trop m'incruster dans les détails.

Je remarque qu'Albert fronce les sourcils et que son air lointain s'amplifie au fil de mes paroles. Il agit étrangement, je ne l'ai jamais vu comme cela auparavant.

— Je crois que tes efforts ne sont pas inutiles, dit Albert après une bouffé de sa pipe. Une personne dépressive ne montre pas beaucoup son amour pour autrui, même si cet amour est primordial dans sa vie. Tout le monde a besoin d'un ami, de quelqu'un à ses côtés, surtout quand la vie nous met à l'épreuve et est acharneuse.

— Acharneuse? m'exclamé-je devant ce mot inexistant mais je laisse tomber. Donc, tu dis que je devrais continuer à faire ce que je fais? À me tenir avec lui, même s'il ne semble pas toujours apprécier ma présence?

— À toi de décider. Mais j'ai l'impression que c'est aussi pour toi que tu te tiens avec lui; tu aimes sa présence, je me trompe? Sinon, tu ne persisterais pas à le faire rire, à lui...

Je le coupe:

— Là n'est pas la question.

Je n'aurais pas dû me confier à Albert, il me connaît trop bien. C'est comme si j'avais en permanence un écran sur mon front qui lui montrait toutes mes émotions enfouies dans ma tête.

Il pousse un rire amusé et je me force à cacher mon énervement.

— Merci, Albert, j'y vais!

Et je me sauve comme une gamine qui vient de se faire prendre les mains dans un plat de bonbons.

***

— Ce n'est pas sa faute, Mathias, dis-je.

Nous sommes assis à table écoutant depuis vingt minutes mon frère se révolter contre Sam, le principal guitariste du groupe, qui vient de lui annoncer qu'on ne peut plus pratiquer dans son garage. Ses parents ont acheté une Porsche, rien de moins, et ils tiennent à l'entreposer dans la pièce qui nous a servi depuis près d'un an à nos pratiques musicales.

— À moins d'une semaine du spectacle! se plaint Mathias. Où va-t-on pratiquer maintenant?

Je réfléchis à cette question, puis j'ai une révélation.

— Je sais! Pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt?

Mon frère attend des explications devant mon visage illuminé.

— Je connais quelqu'un qui détient un magasin de musique et il y a un local parfaitement isolé avec une résonance impeccable. Je t'assure, il est fait pour nous!

— Sérieusement? se réjouit Mathias dont les traits faciaux se soulèvent de joie. On peut y aller dès ce soir?

— Probablement. Il m'a dit que jamais personne ne la louait.

— Parfait!

Le repas terminé, nous apprenons la nouvelle à Sam et Tim, les deux autres membres du groupe, et une heure plus tard nous sommes devant le Trente-Trois Tours avec, dans la voiture de Tim, nos instruments, nos amplis et nos micros.

Henry se tient au bureau devant la caisse, une capuche noire sur la tête, un crayon dans la main et les yeux rivés sur un cahier qui est probablement celui où il avait écrit son poème en classe.

— Holà niño! s'écrit Tim vers Henry en entrant dans le magasin.

Tim est le garçon le plus singulier que je connaisse, d'où son surnom de Tim Burton. Son apparence et sa réputation est le cadet de ses soucis. Il s'habille comme il veut, dit ce qu'il veut, fait ce qu'il veut; et c'est pour cela que je l'admire. Aujourd'hui, il porte un cardigan orange fleuri, avec des jeans skinny et des bottes de cowboy brunes.

— Salut, répond Henry en levant les yeux de son carnet.

Nos regards se croisent et j'ignore quoi déceler dans le sien.

— On est venu pour le local, déclaré-je.

— Ah oui?

Henry se lève et je lui présente les garçons.

— Vous venez, les gars? dit Sam. On va aller chercher les instruments dans mon auto.

Mathias, Tim et Sam retournent à l'extérieur, tandis que moi je suis Henry vers le local.

— C'est un miracle, dit-il. Cela fait des mois qu'il est vide.

Puis il ouvre la porte et ce que je vois à l'intérieur contredit ses paroles.

— Euh, commencé-je, pourquoi y a-t-il des couvertes, du linge et...

— Oh, merde! marmonne Henry. J'avais oublié...

Il se précipite dans le local pour faire le ménage, ramassant à la va-vite les objets qui longent le sol. Il y a même un mince matelas de sol. Je demande:

— T'as dormi ici, ou quoi?

— N-non!

C'est clair, il ment. Ses joues sont enflammées, il évite mon regard. Cependant, je décide de ne pas l'interroger davantage; ce sujet semble le mettre dans l'embarras.
En vitesse, il transporte tous les objets hors de la pièce, derrière le comptoir du magasin. Je l'aide sans poser de questions, me disant qu'il veut sûrement se hâter dans sa tâche avant que les garçons arrivent. Heureusement pour lui, ceux-ci font leur entrée seulement lorsque le dernier objet, un oreiller, est ramassé.

— Les Adolescents Fluorescents sont prêts! s'exclame Tim.

Henry fronce les sourcils devant ce terme.

— C'est notre nom de band, expliqué-je devant son air incompréhensif. Fluorescents parce que c'est comme cela qu'on se sent lorsque nous jouons de la musique. Nos atomes sont surexcités et nous brillons dans le noir. C'est une métaphore, tu vois.

— Et quand vous serez majeurs, vous allez vous appeler les Adultes Fluorescents? demande Henry. C'est un peu moins beau...

— Je suis majeur, répond Tim, mais est-ce que tu trouves que j'ai l'air d'un adulte?

Henry contemple son accoutrement de haut en bas et pousse un rire discret comme réponse. Tim poursuit:

— Non. Nous serons toujours des adolescents.

Je souris. Puis, nous installons notre matériel dans le local. Sam et Tim, le guitariste et le bassiste, s'accordent, Mathias réchauffe sa voix et j'installe ma batterie avec toutes ses caisses et ses cymbales. Nous entamons quelques notes en groupe, tandis qu'Henry reste dans le cadre de porte et nous observe avec les yeux d'un enfant à Disney World. Mathias le remarque et rigole:

— On dirait que tu regardes un porno, mec.

Henry se ressaisit et dit :

— Je ne travaillerais pas ici si je n'aimais pas la musique.

— Et bien, reste dans le local. Ça nous fera pratiquer devant un public.

Henry s'assoit par terre sans hésiter.

— Alors, la première chanson, c'est All Stars. Tu connais?

— Évidement, répond Henry (et le contraire m'aurait étonnée.) De Smash Mouth, sortie en 1999.

Les garçons sont impressionnés.

— Allez, on commence! dis-je une fois que nous sommes fin prêts. 1, 2, 3, 4!


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Chapitre 8!!! Ce n'est pas le meilleur, je sais, mais les prochains chapitres sont plus à mon goût 🙂🙃

J'espère que vous passez une bonne journée! Pour ma part, j'ai écouté la nouvelle saison de Stranger Things en une journée #aucuneviesociale

Bisouuuu 👻
- cristal_sky

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