Chapitre 8 - Leëla

— Tu as lu ma lettre ? Tu te fiches de moi ? C'est personnel, tu n'as pas à faire ça ! Tu t'es prise pour qui ? explosé-je, en la dévisageant, alors qu'elle est redressée dans son lit et me fixe, un petit sourire toujours sur les lèvres.

— T'es vraiment incroyable, toi, à m'accuser de n'importe quoi ! rigole-t-elle.

Je l'attrape par le bras pour la faire sortir de la chambre, en continuant de piailler. Peut-être que je réagis excessivement, mais alors là, elle dépasse les bornes ! Je peux la supporter tant qu'elle ne touche à rien, mais ça, je ne l'accepte pas ! Il y a tellement de choses dans cette lettre que personne ne sait, à savoir mon placement déjà ! Je ne veux pas que tout le monde puisse le savoir et me regarde bizarrement !

— Dégage, t'es vraiment une peste !

— Mais lâche-moi !

— Toi lâche-moi !

Elle m'empoigne à son tour en perdant sa moue narquoise, tire sur mon pull comme pour me secouer alors que j'attrape une mèche de ses cheveux pour la faire cesser. Elle hurle, je me débats et elle cesse de me tenir quand la porte s'ouvre en grand sur le couloir, après que ma tête ait claqué contre le mur. On a dû nous entendre, car les filles nous regardent étrangement tous les deux, alors échevelées.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? On a entendu des cris...

— C'est rien, affirme Elyn, avec un regard dédaigneux. Quand on est conne et qu'on accuse les gens pour rien, il faut apprendre à fermer sa bouche...

Je grimace et me frotte l'arrière du crane, alors décontenancée.

— Tu fouilles mes affaires et ouvre mon courrier ! C'était privé, tu n'avais pas à faire ça !

— De toute façon, t'as vraiment une vie nulle à chier. Va t'acheter des vrais parents et après tu seras autorisée à me parler d'égale à égale.

Et elle quitte la chambre comme si elle avait parfaitement raison en fermant le débat maintenant. Face à la porte close, je n'ai plus rien à dire. Alors je ferme à clé, et m'effondre sur mon lit en pleurant, en serrant ma lettre contre moi, l'arrière de ma tête me lançant à cause du choc contre le mur après avoir été brutalement lâchée. Et je maudis le monde de ne pas avoir une famille normale, une coloc sympa, une situation plus simple. Tout ça, c'est beaucoup trop pour une seule personne.

***

Je ne réapparais que le lendemain, alors qu'Auwane me saute dessus pour savoir si ça va et ce qu'il s'est passé. Mais je ne suis pas vraiment d'humeur, après avoir passé une nuit complète à tenter de trouver le sommeil.

Je finis quand même par le faire pour lui expliquer ma version des faits, puisqu'Elyn s'est empressée de dire la sienne. Elle a d'ailleurs fini par dormir dans la chambre d'une de ses amies, après s'être plainte de moi à la maitre d'internat. A ce qu'il paraît, elle va même pouvoir changer de chambre. Pourtant, personne ne semble au courant de notre pseudo-bagarre, elle n'a révélé que mes accusations et des cris. Mais durant la journée, je n'arrive pas à me débarrasser de cette sensation que tout le monde m'observe et me critique. Pourtant, c'est elle qui est en tort, pourquoi on me blâmerait moi ? Je ne comprends rien.

Je ne comprends pas non plus pourquoi Liam refuse de venir manger avec nous au moment du petit-déjeuner. J'ai besoin de lui pour aller un peu mieux, quand tout part un peu de travers. Pourquoi m'évite-t-il ? Est-ce que ce serait à cause de ce baiser, et de la conversation que nous n'avons pas eu ?

Quand je le vois s'échapper dans les escaliers pour remonter chercher ses affaires, je bondis comme un ressort de ma chaise pour le rattraper. Auwane n'a pas le temps de me suivre que je suis déjà sortie.

J'attrape le bras de mon ami qui se retourne brutalement, et il s'arrête net en voyant que c'est moi.

— Liam ? murmuré-je.

— Ça va ?

— Pas vraiment... J'ai besoin de toi...

Aussitôt, il me serre dans ses bras, et la distance que j'avais l'impression de percevoir s'estompe. Tout va bien, il est là, il ne me reproche rien.

— Tu veux me raconter ?

— Pourquoi tu nous évites, d'abord ?

Il me lâche, se gratte l'arrière de la tête en la secouant.

— C'est un peu compliqué, j'ai dû faire quelque chose pour ma mère sur ordinateur hier, et ce n'est pas encore résolu... C'est à propos de l'arrivée du père du bébé, mais ça me stresse de voir que lui ne peut pas aider ma mère et que c'est moi qui dois le faire... Ça fait beaucoup d'un coup, m'avoue-t-il, en haussant les épaules. Mais toi, que se passe-t-il ?

Je décide de l'accompagner jusqu'à son étage pendant que je lui raconte ce qu'il s'est passé, et il ferme les yeux pendant quelques secondes en se mordant les lèvres. Je crois qu'il se retient de ne pas faire n'importe quoi pour me venger de cette peste d'Elyn.

— Mais comment cette lettre a pu être déposée sans timbre ? finit-il par me demander, songeur.

— Je pense qu'il a dû venir la donner à l'accueil en disant que c'était pour moi, mais c'est tout... Je ne vois pas trop d'autres solutions...

Il ne répond pas en attrapant son sac de cours, et nous descendons à mon étage pour que je puisse prendre mes affaires. Elyn est justement dans la chambre pour récupérer des affaires, et je tire mon sac par la lanière pour le prendre avant qu'elle ne puisse dire ou faire quelque chose. Je n'ai pas confiance de laisser mes possessions là, mais je n'ai pas trop le choix pour aujourd'hui.

Et quand nous rapprochons des bâtiments de cours, Liam se détache une nouvelle fois de moi en prétextant des amis à retrouver. Je le laisse faire, sans vraiment comprendre cette subite indifférence à ma présence. Mais mes pensées sont coupées quelques secondes plus tard par Auwane qui me rejoint pour me soutenir et faire en sorte que je ne sois pas seule.

— Tout va bien ?

— Je ne sais pas...

— Allez viens, on va penser à autre chose en faisant des maths ! ricane-t-elle.

— Super... On peut pas sécher ?

— Tu veux que je me fasse tuer ? Je n'ai pas le droit à un seul faux pas !

Son téléphone vibre dans sa poche, elle grimace et l'attrape pour répondre à un message. Elle soupire, fait craquer ses doigts, chose que je n'avais pas remarquée au début en la côtoyant. Comme elle ne dit rien, je ne peux m'empêcher de lui demander ce qu'il se passe.

— Rien... Juste des gens vont venir manger à la maison ce week-end, il faudra que je... Laisse tomber, je dois simplement m'adapter encore un peu à cette nouvelle vie, finit-elle, en esquissant un petit sourire.

J'hoche la tête en l'observant. Je serais comme elle, dans quelques semaines. Je ne sais pas encore quand je devrais partir vivre chez mon père, mais j'ai bien l'impression que ce sera bientôt.

— C'est juste un peu d'adaptation, mais franchement, c'est génial de retrouver sa famille, ne t'inquiète pas, me dit-elle en sortant son cahier, arrivée à notre place. Tu sais, je pense qu'ils ont raison de nous rendre à nos parents. Ça fait bizarre et nous n'avons plus les mêmes repères... Mais ils savent mieux que nous le lien qui peut... Unir des parents à leurs enfants et inversement. Tu es inquiète à l'heure actuelle, mais une fois là-bas... Tu sauras que c'était la meilleure chose qui pourrait t'arriver, de retrouver ta famille, qui s'est battue pour te voir revenir.

Je souris, elle aussi avant de détourner la tête pour sortir le reste de son sac sur la table. Je fais de même alors que le prof arrive pour nous faire cours. Et la journée démarre sans plus me laisser de temps pour penser à tout ça.

La semaine aussi, d'ailleurs. J'ai l'impression de ne pas voir Liam du tout, et sa stratégie pour nous éviter est remarquable. Ça me fait un peu mal, mais je crois que nous allons avoir besoin de cette fameuse discussion pour savoir ce qu'il en est de nous. Je le considère comme mon meilleur ami, même si je sais que je me leurre. Je crois qu'il faudra faire une croix sur ce titre, et décider de ce que nous sommes réellement sans jouer au chat et à la souris. Mais comme je ne le vois jamais, je ne peux pas lui parler. Et je ne veux pas jusqu'à aller m'imposer dans l'internat des garçons pour frapper à la porte de sa chambre et le trouver. Je ne veux pas avoir l'air pathétique en réclamant son attention, alors qu'il ne veut visiblement pas me la donner cette semaine. Je ne comprends pas pourquoi d'ailleurs, je ne vois pas ce que j'ai pu faire qui lui aurait déplu.

Comme les profs nous ont assommés de devoirs, je ne vois pas les heures passer en les faisant. J'ai un dossier d'une dizaine de pages à faire sur un sujet libre, un exposé, deux DMs et des exercices en plus de ça. C'est bientôt les vacances, c'est sûrement également pour ça qu'il y en a autant. J'espère que ce ne sera pas pareil pendant les vacances !

— Leëla ? m'appelle Mina, en entrant dans ma chambre.

Je relève la tête de l'ordinateur pour la regarder, et elle vient s'installer à côté de moi en attrapant un tabouret. Je comprends immédiatement ce qu'elle fait. Mais je n'ai pas envie d'en parler, pas maintenant...

— Nous avons reçu une lettre. Il ne nous laisse pas le choix, tu déménages chez ton père la semaine prochaine... Ils ont tardé à l'envoyer mais ils veulent que ça aille vite pour te faire retourner dans ta famille le plus rapidement possible. Je pense que tu ne devrais pas aller au lycée cette semaine, pour faire tes sacs et emporter ce que tu souhaites.

La semaine prochaine ? Mais c'est beaucoup trop tôt ! Je n'aurais jamais le temps de prendre mes affaires, de m'adapter, de...

Je me prends en pleine figure ce qui avançait déjà depuis plusieurs semaines. Alors ça y est. Je vais devoir aller vivre chez James, chez mon père. Je n'aurais pas le choix, et ça sera bientôt. Je n'en avais pas pris aussi conscience que maintenant.

Je ne pleure même pas. Je suis anesthésiée. Je regarde Mina bêtement, comme si elle pouvait me faire une blague, mais rien sur son visage ne trahit de joie. De toute façon, elle ne ferait jamais de blague là-dessus. Je sais qu'alors, je n'aurais pas le choix. Je vais vraiment devoir faire mes valises et partir chez un inconnu, après avoir passé presque toute ma vie ici. Comment va s'en remettre celle que je considère comme ma petite sœur ?

— Mais... Et le dossier de Clément quant à ma requête pour rester ici ? Il ne sera jamais prêt à temps ! dis-je finalement.

— Il passera après... Tu vas d'abord devoir aller là-bas, le temps que ce dossier passe en justice et qu'on nous accorde, si on y arrive, cette chance de te garder ici.

— Et si je veux y aller ?

— On abandonnera tout, évidemment. Nous voulons ce qu'il y a de mieux pour toi, me répond-t-elle en souriant, un bras autour moi pour me serrer un peu contre elle.

— Je ne sais pas trop... J'ai une amie dans le même cas et ça a l'air de bien se passer, elle dit qu'il faut s'adapter mais que tout est parfait et qu'elle est heureuse de pouvoir être avec sa famille, alors...

— Alors tu espères que ce sera la même chose pour toi, c'est normal.

J'hoche la tête sans oser la regarder, me sentant un peu coupable quand même d'insinuer que je serai mieux avec une famille que je ne connais pas encore qu'avec eux.

— D'ailleurs... J'ai reçu une lettre de lui.

— Ah bon ? Quand cela ?

— Cette semaine... Il me parlait de sa famille, la mienne aussi du coup, et me demandait si je pouvais passer les rencontrer une fois avant...

— Et tu voudrais ? Ça te rassurerait ?

— Oui, avoué-je.

— Bien sur que tu pourras y aller tu le sais bien, je suis pour que tu puisses faire tes propres choix.

— Et Ariana ? Qu'est-ce qu'elle va dire ?

— Tu devras lui expliquer... Sa petite sœur arrive dans quelques courtes semaines, et j'ai pour projet de relancer l'agence de famille d'accueil, car ils ne m'ont jamais rajouté d'enfant après toi à cause de tes capacités hors normes. Je veux pouvoir me sentir utile et oublier que tu ne seras plus là...

Elle a les larmes aux yeux, et moi aussi. Je la serre contre moi en reniflant, consciente que cette femme, qui n'est pas ma mère, m'a tout donné et a tout fait pour moi. C'est grâce à elle que je suis devenue Leëla, et que je suis heureuse de l'être.

— Je t'aime Leëla. D'un amour inconditionnel, murmure-t-elle. Tu resteras toujours comme mon premier enfant...

— Je... Je t'aime aussi, réponds-je, en enfonçant un peu plus ma tête contre son épaule.

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