Chapitre 4 - Leëla
Je ne pensais pas que ça pourrait m'arriver. Et je ne sais pas si je dois être heureuse ou triste de tout ça.
J'ai ma vie ici. Ma famille, comme je l'appelle. Mon meilleur ami sans qui je ne suis personne, aussi.
Mina et Clément n'ont pas vraiment tourné autour du pot. Ariana est chez les parents de Mina pour le week-end, alors ils n'ont pas tardé à me demander de m'asseoir autour de la table de la cuisine. Malgré l'odeur du repas préparé par Mina, je n'ai absolument pas faim. Je suis restée stoïque pendant tout le temps de l'annonce, et c'est seulement à la fin que je me suis effondrée en me repliant sur moi-même dans ma chambre. Je ne suis pas descendue manger, et j'ai refusé de parler. Je ne vois pas comment on peut autant chambouler ma vie, après toutes ces années ici.
Je ne suis pas dupe, je sais qu'ils ont dû pleurer eux aussi. Qu'ils ont dû se sentir mal, et se demander comment ils vont y arriver. Après autant d'années chez eux, je les considérai comme ma famille, je ne me vois pas les quitter.
Mais c'est une obligation. Je pourrais peut-être demander à mon père, James, de revenir ici ? Pour voir grandir Ariana, pour passer du temps avec ceux qui m'ont élevée et que j'aime ? Je ne sais pas. Mon avenir, que je pensais tracé pour au moins jusqu'à ma majorité, vient d'être balayé d'un coup de vent. Tout est flou maintenant, je ne sais pas où je finirai l'année.
J'enviais encore ce midi Auwane, mais au final, je ne connais pas grand-chose de sa situation. Peut-être qu'elle n'a passé que peu de temps loin de ses parents. Mais moi, je ne le connais pas...
— Leëla ?
On m'appelle d'en bas, mais je ne réponds pas.
— Tu peux descendre s'il te plait ? Liam est là.
Je ne dis rien, essuie mes larmes. Je sors de ma chambre, descends les escaliers, me jette dans les bras de mon meilleur ami qui semble déjà connaître la nouvelle. Il me serre à m'en rompre les os contre lui et une nouvelle salve de larmes me secoue. Ma tête contre son cou, je pleure sur son épaule sans pouvoir m'arrêter, alors qu'il passe son bras sur mon dos pour me réconforter, sans savoir quoi dire. Il n'y a rien à dire, de toute façon.
On finit par aller s'asseoir dans le salon, puis Liam me lâche à regret quand Clément l'appelle. Sonnée, je n'écoute même pas ce qu'il se dit. Je pense simplement à ce qu'il vient de me tomber dessus, sans comprendre comment je vais pouvoir faire.
— Il faut que tu manges ma puce, me dit Mina, qui m'apporte une assiette dans le canapé et s'assoit à côté de moi.
Je me tourne vers elle, remarque ses yeux rouges, à elle aussi.
— Comment... Comment tu fais pour aller bien ? demandé-je, d'une voix enrouée par les larmes.
— On le savait, qu'il y avait un risque de te voir partir... Il y en a toujours un, répond-t-elle. Nous l'avons oublié au fur et à mesure que les années passaient car rien n'est jamais arrivé pour toi, on a oublié qu'aux yeux de la loi, tu n'es pas notre fille mais que tu es placée ici. Ça ne change rien à notre amour pour toi.
Je renifle, avale un peu d'hachis parmentier qui passe difficilement dans ma gorge serrée.
— Tu pourras toujours nous appeler, venir nous voir. Ça ne s'arrête pas là.
— Ça ne sera plus comme avant...
— Mais c'est une chance de pouvoir retourner dans ta famille biologique Leëla, me sourit-elle malgré sa peine. Tu as de la chance d'avoir des parents qui se battent pour retrouver leur fille et pouvoir enfin vivre une vie de famille avec toi pendant toutes ces années. D'autres enfants en rêvent...
— Pas moi, la coupé-je. Je ne le connais pas.
— Comme nous au début, tu apprendras. Ça va aller, j'ai confiance en toi.
Je mange mon assiette petit à petit, même si je sens mon cœur battre n'importe comment dans ma poitrine. Je ne me sens pas très bien à cause des montées de stress qui me secouent, mais j'imagine que c'est normal et logique.
Quand Mina quitte le salon pour laisser la place à Liam, une idée a déjà germé dans mon esprit. Je pourrais aller voir Jessica. Lui en parler. Savoir si elle aussi, elle a eu des nouvelles de lui. Je mets Liam au courant alors qu'il secoue la tête, pas convaincu, mais c'est plus fort que moi. Je sais qu'il faut que j'aille la voir, lui en parler. Après tout, je me sentirai peut-être déjà mieux si j'ai une sœur que je connais non ?
Mais c'est décidé, je vais aller la voir. Je ne sais pas comment la contacter, mais comme elle a dit qu'elle le saurait, j'imagine que je vais devoir lui faire confiance...
— S'il te plaît Liam, il faut que j'aille la voir !
— Mais comment on va faire ça ?
— On peut demander à aller dormir chez toi... Et toi chez moi, et on part là-bas ce soir ?
— Tu penses qu'il y a encore des trains ?
Je vérifie en deux minutes sur mon application, et le ton est sans appel : dans ce sens, le dernier passe dans quinze minutes.
Et comme Liam est mon ami et accepte de me suivre dans mes aventures car il est toujours là pour moi, nous sautons sur nos pieds. Après avoir rapidement demandé à Mina et Clément si on peut aller dormir chez mon ami, celui-ci appelle sa mère pour demander la même chose de mon côté, alors que nous sommes sur la route en train de courir vers la gare. Nous arrivons à peine une minute en avance, et nous prenons deux places. Pendant le trajet d'une trentaine de minutes, nous ne décrochons presque pas un mot. Lui comme moi devons penser à cette histoire de repartir vivre avec mon père. Et même si Liam n'est pas le premier concerné, cette nouvelle le concerne aussi car nous serons alors éloignés... Et je ne sais même pas où vit réellement mon géniteur.
A peine arrivés au McDo, on s'achète un café chacun avec les quelques pièces que l'on a pour dire de rester là tranquillement jusqu'à la fermeture. J'espère qu'elle ne tardera pas trop et saura que nous sommes ici, car nous ne pouvons pas rester indéfiniment. Comme nous n'avons rien à faire, on évoque nos souvenirs ensemble, depuis que nous sommes tout petits. La soirée y est propice, avec la menace d'un éloignement qui plane au-dessus de nous.
Comme j'ai une mémoire qui fonctionne du tonnerre, c'est moi qui me souviens le plus de tous les détails, et quand Liam s'amuse à dire des bêtises, je peux le rappeler à l'ordre en étant sûre qu'il dit n'importe quoi ! En tout cas, ça nous permet de décompresser un peu.
Penchés l'un près de l'autre, on chuchote, on rit un peu, on se rapproche pour se sentir mieux.
— Tu es vraiment une personne incroyable, tu le sais j'espère ?
— Liam ? demandé-je, alors qu'il se tourne vers moi et que ses yeux marrons foncés s'ancrent aux miens pour ne plus les lâcher.
— Même si on doit être loin, tu dois savoir que tu comptes énormément pour moi. Tout ce qu'on a pu vivre ensemble a renforcé notre amitié, et jamais je ne pourrai te laisser tomber. C'est moi qui te consolais quand ça n'allait pas dans ta famille, mais tu as fait pareil à la mort de mon père et je t'en remercie, de ne pas m'avoir laissé tomber.
Je ne réagis plus, alors qu'il continue sa tirade.
— C'est vrai, tu fais partie de moi Leëla, et je m'en suis vraiment rendu compte quand j'ai compris que je ne pouvais pas partir dans un autre lycée que toi car sinon j'aurais une trop grande pièce manquante en moi.
Je renifle sans faire exprès, alors que des larmes me sont montées aux yeux. Son regard ne trompe pas, il me couve d'amour et j'hoquète en me jetant sur lui, un sourire de bonheur sur les lèvres. Je sais que je peux compter sur lui pour ne jamais me laisser tomber. Il sera toujours là pour me rattraper.
— Toi aussi tu es la meilleure chose qui me soit arrivé Liam... Merci d'être là...
Je me colle un peu plus dans ses bras, murmure un « je t'aime » étouffé auquel il répond bien plus vite que je ne le pensais. Ses bras croisés dans mon dos, il refuse de me lacher, et quand je relève la tête vers la sienne, je ne vois que son regard foudroyant, qui me dévore toute entière.
Et sans savoir pourquoi je le fais, je le fais. Je pose mes lèvres sur celles de mon meilleur ami, alors même que nous ne pourrons plus nous voir autrement après ça. Mais au lieu de reculer, il répond à mon baiser en m'embrassant une seconde fois. Quelques secondes d'éternité, de bonheur dans ses bras. Je ne sais plus où je me trouve, seulement que je suis avec lui et que ça me suffit.
Le charme se rompt quand Liam me relâche et marmonne :
— Elle est là. Je ne sais pas si quelqu'un te suit, mais en tout cas, il va falloir faire attention à toi.
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