Chapitre 3 - Liam
Ma meilleure amie ne bouge plus depuis de longues secondes. Je n'ose pas lui demander si elle va bien car cela m'étonnerait, car elle fixe la rue où cette inconnue a disparu depuis. En tout cas, en reliant ses propos alambiqués et bizarres et leur ressemblance, je ne peux qu'en conclure qu'elles sont liées, et certainement par les liens du sang. Malgré la couleur roux flamboyant de cette Jessica, la forme de leurs boucles et celle de leur visage est identique. Et pour connaître Leëla depuis très longtemps et connaître son visage par cœur, j'en suis certain.
Ce n'était pas des menaces... mais une sorte de message préventif, dont je ne voyais pas l'intérêt. C'est ce qui avait dû faire flipper Leëla. Alors je finis par attraper sa main doucement et serrer ses doigts dans les miens pour la faire revenir au présent avec moi. Elle écarquille les yeux, sursaute à moitié, se met en marche vers le lycée, sans rien dire. J'ose croire que c'est car elle est perdue dans ses pensées à chercher des souvenirs avec cette fille, et je ne veux pas la déconcentrer. Alors je ne dis rien et la suis en portant son sac dont elle a oublié l'existence.
Je commence à m'inquiéter le soir venu, alors qu'elle mange en fixant son plateau dans la cantine, et qu'elle n'a toujours pas décroché un mot. Je l'ai laissé tranquille sur le chemin, puis nousavons rejoint nos classes. Alors je l'ai serré un peu contre moi en lui disantque ça irait, mais elle n'a rien ajouté. Et en en parlant avec sa nouvelle copine Auwane, j'apprends qu'elle est restée mutique toute la journée.
Et elle le reste toute la semaine, jusqu'au week-end. Nous rentrons en train dans notre petite ville d'origine, et je la laisse rejoindre sa famille alors que la mienne m'attend. Le copain de ma mère vient manger à la maison, alors que son emménagement chez nous se fait de plus en plus proche. Malgré ma colère et le fait que je veux protéger ma mère, je ne peux rien pour elle vu comment elle le regarde. Et si elle est heureuse, tant mieux pour elle. Alors je me promets de faire attention à Elissandre, ma petite sœur, qui n'est qu'un bébé à mes yeux, bien qu'elle ait cinq ans. Mais elle a l'air ravie aussi de se découvrir un parent masculin, et je finis par ruminer mes idées noires face à cette intrusion dans notre vie seul dans ma chambre.
C'est ma grande sœur, Belinda, qui vient finalement me rejoindre alors que la nuit tombe.
— Arrête de punir maman d'aimer quelqu'un, me reproche-t-elle. Tu n'es plus à la maison, sois heureux pour elle d'avoir trouvé quelqu'un qui l'aime et veut son bonheur. Elle ne t'est pas exclusive.
Elle relève ses cheveux noirs en chignon, sûrement pour aller prendre une douche par la suite, et je la fusille du regard.
— Ils ne sont jamais restés bien longtemps, les autres...
— Et alors ? Tu ne peux pas le blâmer pour les autres. Elissandre est heureuse, moi je suis contente de voir que maman sourit et a l'air d'aller bien, je ne vois pas le souci.
— Un autre bébé, sérieux ? lui demandé-je, en haussant les sourcils mais en chuchotant pour que personne ne m'entende hormis elle. Et quand il va la jeter car il ne voudra pas avoir un gosse à son nom, qui va la relever, alors que tu n'es jamais à la maison et moi non plus ?
— C'est la vie, elle s'en remettra. Cet enfant y sera alors un peu pour quelque chose. Grandis Liam, arrête de te croire l'homme de la maison qui doit mettre des barrières autour de ta famille de filles. Fais un peu confiance à Joris, il est amoureux d'elle et s'en occupe depuis bientôt un an sans attendre ton approbation !
Je lui fais une grimace, elle lève les yeux au ciel et sort de ma chambre. Quelques instants plus tard, j'entends l'eau couler dans la pièce d'à côté, et je me laisse tomber sur mon lit. J'espère qu'elle a raison. Car je ne lui pardonnerai jamais de briser un peu plus ma mère, comme tous les autres qui ont prétendu l'aimer.
Je m'arrange pour ne plus le croiser le lendemain, m'occupe de ma petite sœur en la questionnant pour être sûr qu'il est gentil avec elle, et surtout, scrute l'écran de mon téléphone pour savoir si ma meilleure amie m'a envoyé quelque chose, mais rien. Je ne reçois pas de nouvelles d'elle jusqu'au dimanche soir où je la vois arriver à la gare, et nous sommes repartis pour une semaine de lycée. Elle ne dit rien du tout, et je m'inquiète sérieusement. A-t-elle parlé avec ses parents et sa sœur ? Ou bien est-elle restée enfermée dans sa chambre sans que personne ne puisse comprendre pourquoi ?
Alors que je lui demande si elle veut me parler de ce qu'il s'est passé la dernière fois, elle ne réagit pas. J'imagine que c'est peine perdue et me laisse aller au fond du siège du train blindé qui nous ramène vers le lycée, quand elle ouvre enfin la bouche.
— J'ai essayé de chercher qui c'était... Mais ma mémoire sur les évènements avant mon adoption me joue des tours... murmure-t-elle, les yeux dans le vague. Pourtant... Je crois que c'est ma sœur.
— C'est ce que j'ai pensé aussi Leëla... avoué-je.
— Mais je ne comprends pas comment elle a pu nous trouver. Je ne veux pas le savoir. Je ne sais pas pourquoi elle m'a menacée, et je ne veux pas y penser. M'interrompt-t-elle. D'accord ? Je ne veux plus en parler, on fait comme si ce moment n'avait pas eu lieu.
— Lélé...
— S'il te plait Liam, c'est déjà compliqué d'être dans ma situation, je ne veux pas me creuser la tête... Je ne la reverrai sûrement jamais, nous ne retournons plus au McDo, et c'est tout. Fin de la parenthèse, on reprend notre vie normalement comme si personne n'était venu nous interrompre. De toute façon, je ne m'appelle plus comme elle m'a appelée. Cette personne n'existe plus.
Elle plante ses deux pupilles chocolat dans les miennes, pour s'assurer de ma coopération. Je n'arrive pas à déchiffrer son état d'esprit, si elle a besoin au contraire d'en parler et d'aide ou de vraiment la laisser tranquille, alors je fais ce qu'elle me demande. Elle m'en remercie d'une petite voix, avant de tenter de me parler d'autre chose, à propos des cours. Pour lui faire plaisir, je participe à la conversation et essaie de la faire sourire, mais le coin de ses lèvres ne s'animent pas du trajet. Elle est plus secouée qu'elle ne veut le montrer, car ma meilleure amie est toujours souriante, surtout lorsque nous sommes à deux. Mais je suivrai sa volonté.
***
Au lycée, ma meilleure amie file à son étage pour y retrouver Auwane, et je la laisse faire sans la rejoindre. Je rejoins mon coloc de chambre, mes amis de l'internat, et mange même sans me soucier d'elle. J'ai eu l'impression qu'elle voulait se retrouver entre filles pour ne pas y penser, alors je me mets un peu sur le côté.
Au moins, je sais qu'Auwane sera sympa avec elle. Même si je n'arrive pas à décrire ce que je ressens à son contact, je vois bien que le feeling passe bien avec Leëla, car elles sont de plus en plus fourrées à deux. Je les vois parler, sourire, rire, partager de nouvelles choses et ça me fait plaisir de la voir comme ça même si je reste loin d'elle pour lui laisser de l'espace et de quoi oublier. Même si j'avoue ne pas comprendre comment elle va faire, puisque sa mémoire beaucoup trop grande aurait plutôt tendance à sauvegarder chaque détail qu'elle aurait remarqué.
— Tu sais qu'Auwane a aussi eu une enfance difficile ? m'apprend Leëla, alors que nous faisons tous les deux la queue pour la cantine, pour nous retrouver un peu en fin de semaine.
— Non, que s'est-il passé ?
— Elle ne m'a pas vraiment dit... Seulement qu'elle a fini placée en famille d'accueil pendant longtemps avant de pouvoir retrouver sa famille... Elle a de la chance non ? me demande-t-elle.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Au final elle a pu retrouver ses repères et tout... Pas moi... Tu crois que ça pourrait être le cas pour moi aussi ?
— Je ne crois pas... lui avoué-je, malgré moi, car ma mère travaille dans une agence d'assistance sociale dédiée aux adoptions. Tu sais, c'est rare d'enlever un enfant à ses parents, ça n'arrive pas beaucoup statistiquement... Alors tu imagines bien que la proportion d'enfants qui retournent dans leur famille d'origine, c'est encore plus rare... Les parents d'Auwane ont dû s'améliorer et devenir une bonne famille, mais elle est presque un cas isolée...
— Pas la mienne, grogne-t-elle. Pas assez bien pour vouloir récupérer ses enfants...
Je ne réponds rien car ça ne sert à rien, et me contente de la serre d'un bras contre moi, avant de la libérer pour qu'elle puisse prendre son plateau et le remplir.
Leëla et moi sommes amis depuis la maternelle oui, mais ma mère et ses parents adoptifs ne se connaissent vraiment que depuis qu'ils ont ensemble entamé les procédures d'adoption pour Ariana, que Leëla considère comme sa petite sœur. Depuis, ils se voient souvent et je sais qu'avec le nouvel enfant que Mina et Clément veulent adopter, ce doit être encore plus.
— Dis Liam ? me demande mon amie en me faisant revenir au présent. C'est quoi ce qu'ils servent dans le plat du milieu ? J'arrive pas à voir.
Je relève la tête pour apercevoir de gros croque-monsieur d'où déborde abondamment du gruyère, et elle retrouve le sourire en s'en faisant servir un. Elle le mange en entier et pique même dans les frites que j'ai choisi, avant qu'on sorte et aille passer du temps dehors à se balader dans le lycée. Il y a un peu de vent, mais ce n'est pas désagréable, nous nous retrouvons seuls pour passer un moment rien qu'à deux.
— Tu sais si ça prendra encore longtemps, l'adoption dans ma famille ? s'enquit-elle, alors qu'elle sait très bien que ma mère me parle des dossiers qu'elle suit, surtout si je demande pour Leëla.
— Non, plus vraiment. Il devrait y avoir des visites chez toi mais tu ne seras pas là car c'est souvent en semaine... Mais je pense que le dossier sera bientôt validé.
— Tu le savais ? Avant que moi je ne l'apprenne ?
Je sens qu'elle a la gorge nouée, mais je secoue rapidement la tête. Celle-là, je ne l'avais pas vu arriver, comme elle. Ma mère ne m'a rien dit, sûrement parce que Mina et Clément ne souhaitaient pas que Leëla l'apprenne avant qu'ils soient prêts à lui dire également, mais je trouve ça dommage. Elle s'entend très bien avec Ariana, il n'y a pas vraiment eu de problème une fois qu'elle a compris, quand elle était plus jeune. Mais il est vrai que ça se serait encore mieux passé s'ils avaient décidé de l'inclure dans les procédures et lui dire, justement. Mais bon, ils ne sont pas moi.
Le week-end arrivant, nous sommes vite de retour chez nous. Alors que comme d'habitude, je compte rentrer à pied seul, j'aperçois ma mère et les parents de mon amie parler ensemble, mais ils se taisent à peine arrivés près d'eux.
— Ça a été cette semaine ? demande Mina à Leëla, qui hoche la tête et leur dit que ça va.
Je réponds à ma mère la même chose, que je suis simplement fatigué, et personne ne s'attarde. Ma mère semble fuir la famille dont elle est pourtant amie, et cela m'interpelle.
— Tout va bien maman ?
— Oh... Oui oui, ça va.
— Tu es sûre ? C'est Joris ?
— Quoi ? se retourne-t-elle vers moi en se garant dans l'allée de la maison. Bien sur que non, tout va bien entre nous. Et le bébé aussi, j'ai passé la première échographie et les examens qui vont avec.
J'hoche la tête, pour l'instant ce gosse n'est pas très concret pour moi. Je n'arrive pas à me dire qu'elle tiendra encore un enfant dans ses bras alors que sa fille aînée, Belinda ma sœur, a 19 ans. Ma mère en a 39 ! Je ne la vois pas du tout s'occuper d'un nourrisson maintenant.
Je décide de passer un peu la soirée en bas, dans la cuisine-salon où Elissandre joue avec ses poupées pour profiter de ma famille. D'ici, je peux bien voir que ma mère semble préoccupée. Elle a le front plissé, refuse au lieu de valider sa commande de courses, oublie les pates sur le feu en regardant pour rallumer le feu de cheminée qui meurt et ne veut pas se rallumer. Quand je me retrouve face à elle pour manger, elle est butée et ne crache pas le morceau sur la raison de son trouble. C'est Elissandre qui perce la bulle comme si de rien n'était.
— Maman, tu pourras jouer avec moi ce soir ? Comme tu as passé plein de temps au téléphone avec ta copine...
Je tourne la tête vers ma maman qui lève les yeux au ciel, et après avoir dit oui à ma petite sœur, finit par lâcher prise, face à une énième tentative de ma part pour savoir.
— La justice réclame que Leëla soit rendue à son père.
— Quoi ?
Je ne peux pas croire ce que j'entends. C'est surréaliste. Aujourd'hui encore, je lui disais que c'était rare, et il n'y avait pas d'espoir qu'elle puisse retrouver sa famille, et voilà que si ! Je ne comprends pas comment c'est possible...
— Elle va devoir quitter sa famille d'accueil Liam. Je suis désolée.
— Mais c'est pas possible ! Sa mère est morte et son père trempait dans des trucs louches et était jugé inapte !
Je le sais puisque mon amie a lu elle-même son dossier et avait besoin de se confier, pour ne pas être la seule à savoir tout ça.
— Il a muri, vieilli, et il se trouve que maintenant, si.
— Vous savez ça depuis quand ?
— Ils ont reçu le courrier hier... Et la procédure ne sera pas longue, une fois que c'est annoncé.
Elle se tait, mais je refuse de la croire. A quelques dizaines de minutes de moi, Leëla a dû elle aussi subir l'annonce de ses parents adoptifs. Est-elle heureuse que ça puisse lui arriver, ou bien va-t-elle paniquer en comprenant qu'elle va devoir quitter tout ce qu'elle connait ?
Et nous alors ? Si son père habite loin, nous ne pourrons plus jamais nous voir...
— Mais elle est majeure dans trois ans, ça sert à quoi ? craché-je finalement. A part la déstabiliser...
— Nous n'y pouvons rien Liam, soupire-t-elle, en baissant la tête.
Je ne suis pas d'accord avec ça. Il est hors de question que Leëla reparte chez son père biologique si ce n'est pas là ce qu'elle souhaite. Même si j'aimerai qu'elle reste près de moi, et pas loin...
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