Chapitre 26 - Leëla

On nous déverrouille la porte tôt le lendemain matin. Trop tôt, si j'en crois l'absence de lumière filtrant par la fenêtre.

— Levez-vous, dépêchez-vous !

Aie. C'est Mickaël, celui qui m'a giflé il y a quelques jours parce que j'avais vomi par terre et n'avais pas d'autre moyen de faire autrement qui patiente devant la porte, nerveux. Ses yeux se posent partout, ses mains sont agités de tics nerveux, il me donne la chair de poule.

— Allez ! s'écrit-il, en avançant d'un pas alors que je bondis du lit pour attraper mes vêtements et les enfiler rapidement.

Florida fait de même, encore à moitié endormie, alors qu'il nous jette une bouteille d'eau pleine et du pain pas si frais que ça. Mais comme nous sommes affamées à cause de l'absence de repas hier soir, nous avalons tout rapidement, au cas où on déciderait de nous reprendre cette nourriture. Quand il ne reste plus une miette, il nous fait signe de sortir de là et referme notre chambre derrière lui, et nous le suivons à travers le couloir vide de bruit. Il nous menace sans même s'en cacher, en nous désignant du canon de son arme. Ses cheveux sont en bataille, et je remarque que des cernes violets s'étalent sous ses yeux. Quelque chose me dit qu'une chose ne va pas, vu son état de nervosité.

— Avancez !

Il me pousse en avant, je suis à deux doigts de tomber dans l'escalier, mais je me rattrape à la rampe in extrémis.

— Doucement ! je grogne. T'as envie de me porter quand j'aurais mal quelque part ?

Visiblement pas car il arrête. Arrivés en bas, Florida a pour ordre de suivre Catherine ailleurs, tandis que James prend le relais et me repasse des chaines aux poignets, même si j'essaie de les éviter. Il soupire en levant les yeux au ciel.

— Oh voyons, tu ne vas pas commencer maintenant quand même ?

— Pourquoi je dois remettre ça ?

— Tu le sauras bien assez tôt.

— On sort d'ici ?

— Tu verras.

Je finis par me rendre quand il me donne un coup de poing dans le ventre qui me fait m'effondrer par terre, le souffle coupé. Il en profite pour m'enchainer à nouveau, et la chaine dans les mains, me tire à l'extérieur de la maison. Je me relève tant bien que mal en gémissant, et il s'en fiche complètement. J'ai l'impression que je lui fais perdre un temps précieux, et je suis fière de moi au fond. Mais pour l'instant, j'ai très mal à l'estomac à cause du coup encaissé.

Nous traversons la cour à toute vitesse, je dois presque courir pour suivre son allure. Je crois que si je demandais à ralentir, il ne l'entendrait même pas, tellement il semble concentré. D'un tour de clé, il ouvre la grille principale, la referme aussitôt derrière nous, alors que je fronce les sourcils. Que faisons-nous seuls de l'autre côté de la grille, alors que ça fait des jours qu'il fait tout pour que nous ne puissions pas sortir ?

Nous traversons entre les arbres qui entourent la propriété, dans les feuilles mortes d'automne qui jonchent le sol et nous font faire un boucan du diable. Un bruit d'outils d'entretien me fait peur, et James me fait signe de m'arrêter net. Je frissonne de peur, mais aussi de joie en entendant une présence humaine. Mais nous n'entendons plus rien, et James me fait signe de reprendre notre marche, en tirant sur la chaine.

— On va où ? soufflé-je, en essayant de trottiner à ses côtés du mieux que je peux pour ne pas m'attirer ses foudres.

— Voir l'océan, réplique-t-il simplement, alors qu'il me fait me diriger vers la plage dans la lueur du soleil qui se lève tout juste.

Je ne comprends pas, mais le suit. Je me rends compte peu à peu que nous aurons du dénivelé à parcourir, vu le chemin de fortune qu'il semble emprunter. Peut-être veut-il parler de quelque chose avec moi ? Ou aussi taré soit-il, il a décidé de faire une activité père-fille maintenant ? Je n'ai pas la réponse.

La descente s'arrête plus ardue encore que je ne le pensais, surtout avec mes mains qui ne sont pas disponibles pour trouver un équilibre. James lui, se débrouille plutôt bien et ne m'attend pas. Je dérape plusieurs fois sur des cailloux et de la terre en voulant me dépêcher pour ne pas tomber en étant emportée par son élan.

Quand nous arrivons sur la sorte de plage, le soleil n'est pas encore totalement levé, mais presque. Je profite pour admirer le paysage, et savourer le vent sur mon visage. Il ne fait pas très chaud, mais ça a le mérite de me revigorer et je respire un peu mieux. Ça fait vraiment du bien, de se sentir plus libre, au milieu de la nature. L'eau n'est pas très loin, et le temps d'une seconde, j'ai très envie d'aller m'y jeter, de barboter, de pense à autre chose. Même avec une chaine, cela me permettrait d'aller mieux, de décompresser. Avec Mina et Clément, je ne venais presque jamais sur la côte.

La côte ? Nous sommes partis si loin que ça ? Visiblement, si j'en crois l'étendue d'eau qui s'étendue à perte de vue, et l'absence d'habitations. Nous sommes dans un trou perdu, idéal pour ne pas se faire remarquer.

Mais je ne me laisse pas déconcentrer par tout ça, et suis James qui traverse quelques broussailles, encore et encore, jusqu'à une sorte de petite grotte renfoncée dans la roche, que nous avons descendu plus tôt.

En éclairant le sol où nous marchons à l'aide d'une lampe de poche, il continue d'avancer, alors que curieuse, je me demande ce que nous fichons ici. En plein air, il me paraît beaucoup moins menaçant. Si j'arrivais à le surprendre et qu'il en lâche la chaine, je serais libre. Elle n'est pas si lourde que ça, je serai capable de courir, et pour me sauver, je sais que je pourrai pousser plus que lors des tours de terrains au lycée.

— Que fait-on ici ?

— Je me suis dit que te sortir pourrait peut-être favoriser ta mémoire, tu as été un peu perturbée ces derniers temps et peut-être que te retrouver à l'air libre te fera du bien.

J'hoche la tête, comprenant ses motivations. Il n'a peut-être pas tort. Dans un autre contexte, tout irait bien, et je suis certaine que ma mémoire ne me jouerait plus de tours.

Mais James attache la chaine à une grosse attache plantée dans la roche, pour me lâcher.

— Je ne peux pas être lâchée ? tenté-je. Je préférerai...

— Tu es déjà à l'extérieur des murs, sois en heureuse. Nous sommes loin de Catherine, Patrick et Mickaël, tu n'as plus de pression sur tes épaules.

Je soupire en me mordant la lèvre, puis me laisse tomber sur le sol. C'est du sable, mais il est encore mouillé. Je grimace, je ne m'en étais pas rendue compte. Tant pis, je ne bouge plus. Je me changerai quand on rentrera.

— Pense à des souvenirs d'enfance et raconte-les-moi. Vas-y doucement pour ne pas brutaliser ta mémoire qui semble avoir souffert de ton anxiété de ces derniers temps.

Je ne peux retenir un petit rire mesquin, puis m'exécute. C'est sur que si j'étais tranquillement restée avec ma famille d'accueil et mes amis sans que personne ne se mette entre nous, ça serait beaucoup mieux !

Alors je réfléchis à un souvenir. Peut-être un dans lequel figure Liam, comme des sorties que l'on fai...

Mais rien ne vient.

J'ouvre les yeux que j'avais fermé pour me concentrer, suis désorientée de me retrouver dans le noir. Il n'y a plus la moindre petite lueur de lumière. La lampe de poche a disparu.

Je me relève en prenant appui sur mes mains jointes où le sable se colle et que je m'en débarrasse en les frottant à mes vêtements sans y faire attention. Je me retourne plusieurs fois comme si ça me permettait d'apercevoir mon père ou au moins de l'entendre, mais il n'y a pas un bruit, hormis celui que je fis en tirant sur la chaine qui me maintient coincé au fond de la grotte.

— James ! Pap... Papa ? tenté-je. C'est pas drôle !

Je n'ai pas spécialement peur du noir, mais c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Je ne sais pas quel type d'expérience il a encore inventé pour me punir, mais celle-là me plaît encore moins que les précédentes. En pleurant, je me mets à hurler qu'on vienne me chercher, qu'on me laisse tranquille.

— Je ferai ce que vous voudrez... Tout... J'accepterai tout mais venez me chercher... hoqueté-je. S'il vous plait...

Peut-être qu'il y a des caméras infrarouges d'installées pour me surveiller ? Peut-être que c'est seulement un test ? Un test qui me fait drôlement paniquer, mais je serais contente de les voir revenir me chercher même. Je ne demanderai plus à sortir ni à savoir ce qu'il se passe s'il accepte de me laisser retourner avec ma sœur...

J'essaie de sortir de toutes mes forces. Je tire sur la chaine, j'essaie de taper dessus de mes poings fragiles comme si elle allait s'enlever, j'essaie, j'essaie, j'essaie...

Mais le métal reste insensible, plus fort que moi. Comme si je n'avais rien fait pour tenter de m'évader.

— S'il te plait James, je ferais ce que tu veux, je suis d'accord pour tout... je ne dirais rien, je ne me plaindrais pas... Promis...

J'essaie de trouver un endroit où la roche est plus à vif, comme si en cognant la chaine, je pouvais la casser. Evidemment, ce serait trop simple si c'était le cas. Tout semble lisse, vieilli, frotté comme pour m'empêcher de réussir à m'enfuir.

Je ne sais pas combien de temps ils vont me laisser là. J'ai froid à cause de l'air frais et l'humidité qui règne ici, l'absence de soleil empêche ma peau de se réchauffer. Peut-être que c'est juste pour me stimuler ? Me faire me réveiller, pour que ma mémoire coopère ? Il faut que j'essaie.

Je finis alors par me rassoir sur le sol mouillé, ce qui me fait une nouvelle fois grimacer, mais j'oublie bien vite car j'ai d'autres priorités.

J'ai beau essayé encore et encore, à tout prix, je n'y arrive plus. Ma mémoire se défile, s'effiloche, la précision s'estompe véritablement. Vais-je perdre la mémoire ? Mes souvenirs vont-ils tous disparaître un par un jusqu'à ce que j'oublie qui je suis et ce que je fais avec cette famille ?

La panique me tord le ventre, et les larmes roulent sur mes joues alors que je me roule en boule du mieux que je peux pour contenir cette peur sournoise qui me fait trembler.

Je reste prostrée là le temps que le mal de tête passe, et je perds la notion du temps. Une crise d'angoisse monte, et je la laisse me secouer alors que je pleure tout ce que je peux en tremblant. Je n'essaie même pas de me calmer, la vague déferlante est trop forte pour que je tente de lutter contre.

Et quand elle me laisse tranquille, que la peur recule de quelques mètres et me laisse capable de respirer, je n'ose même pas ouvrir les yeux. Allongée, à moitié trempée par le sol, je respire immobile. J'ai peur de ce que la suite me réserver, et je préfère rester encore quelques instants dans le silence, dans le noir, pour ne pas avoir à affronter la véritable noirceur, celle où je serais désorientée et d'où je ne peux pas me sortir de là seule.

Quand je trouve enfin le courage d'affronter la réalité, elle n'a pas changé. Je suis frigorifiée à cause de l'humidité de mes vêtements qui ont pris l'eau, et ils me collent à la peau en la frottant inconfortablement. Je grimace.

Et tourne en rond. Je ne vois pas comment me sortir de là, mes pensées s'embrouillent en essayant de trouver une solution, n'importe laquelle. Personne ne m'entendra hurler, je n'ai pas de téléphone. Rien sur moi ne peut me sortir de là, et je suis dans le noir, incapable de trouver comment faire pour me détacher. Et j'ai beau tâter la grosse attache où James m'a laissé attachée, je ne trouve rien pour la défaire, la briser, ou toute autre chose qui pourrait me libérer. Je m'écorche les mains à force d'essayer de taper sur le métal froid et humide, pousse un cri de rage autant que de désespoir. Je tente de tirer, m'enfuir en tirant le pieu derrière moi, mais il ne bouge pas d'un pouce et je finis par tomber sur le sable. J'y reste un moment, à genoux, en pleurant sans un bruit.

Et quand j'entends le bruit des vagues qui roulent et de l'eau qui coule, mon esprit comprend ce qu'il n'avait pas mesuré tout à l'heure. Avec le sable humide, l'eau près d'ici, la roche lisse. L'eau monte.

Je suis piégée.

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