Chapitre 25 - Florida

— Qu'est-ce qu'il se passe ? murmuré-je en voyant ma petite sœur revenir dans notre chambre, des larmes dévalant ses joues et toute ébouriffée.

Je ne dois pas être dans un bien meilleur état, mais c'est ma sista, elle passe avant le reste actuellement.

— Je... Je n'arrive plus à me souvenir bien... pleure-t-elle. James m'a dit que je perdais ma mémoire, il m'a donné un truc fort pour la stimuler et l'empêcher de se rétracter, mais il semblerait qu'elle devienne défaillante.

— C'est peut-être seulement le moins important qui disparait, ne t'inquiète pas. Et puis l'environnement est stressant, ça peut jouer, la réconforté-je, sans oser m'horrifier de la chose.

Car si elle avait raison et que toute sa mémoire se dégradait, alors c'était à une vitesse impressionnante car avant elle n'avait jamais rien mentionné de tel. Et si elle perdait la mémoire... elle ne serait plus qu'une coquille vide. Mais je n'ai absolument pas envie de penser à ça pour l'instant, je suis certaine que cinglés comme ils sont, ils trouveront un remède.

— Et toi ? Qu'ont-ils fait sur toi ? me demande-t-elle, en me voyant allongée dans mon lit, entourée de mouchoirs usagées dans lesquels je passe mon temps à pleurer depuis que Catherine m'a appris ce qu'il allait se passer.

Hoquetant encore à moitié, je finis par lui annoncer, et elle se laisse tomber sur le matelas à côté de moi, horrifiée.

— Mais tu as quoi ? Quinze ans comme moi ?

— Seize, il m'a fait redoubler pour que je me retrouve dans ta classe.

— Mais seize... Bordel, être enceinte à seize ans... grimace-t-elle, en me regardant dans les yeux comme si je pouvais lui dire que ce n'est qu'une mauvaise blague.

— Je n'ai rien fait pour ! Comme je ne lui servais littéralement à rien, il m'a trouvé une nouvelle fonctionnalité ! Je n'ai jamais demandé à être sa mère porteuse !

Le dégoût est trop fort, et en même temps, mon corps tout chamboulé décide que c'est le bon moment pour vomir l'omelette avalée ce midi.

Leëla a le réflexe de me tendre le seau, et se détourne pour ne pas me voir vomir. De toute façon, le bruit et l'odeur doivent quand même lui soulever le cœur.

— Tu as demandé qui avait conçu ce gosse ? murmure-t-elle, quand la crise est passée.

— Ouais. Catherine estime qu'elle est trop importante pour porter un gosse et mettre ses recherches en stand-by, et c'est l'autre dégénéré qui s'est portévolontaire pour qu'on utilise ses cellules reproductrices, car son mari, Patrick, est stérile.

— Tous autant qu'ils sont, ils se sont bien trouvés. De vrais psychopathes.

La porte de la chambre s'ouvre à ce moment précis, et Marielle entre dans la pièce. Je dévisage celle qui avait dû être une belle rousse fut un temps, mais qui n'est maintenant que la femme de James, et la mère de tous ces enfants. Assurément, elle a dû souffrir elle aussi.

— Tu vas bien Florida ?

— Pas vraiment, réponds-je en buvant une gorgée d'eau de la bouteille posée à côté du lit.

La mère de famille pose un carton près de nous, avant de nous observer toutes les deux.

— Je suis désolée qu'il ait réussi à vous faire venir ici, et vous fasses subir tout ça.

— Et vous ?

— Moi ? Je vais très bien, se ferme-t-elle, avant de partir précipitamment.

Je tourne la tête vers ma sœur en me mordant la lèvre.

— Je crois que tu viens de toucher un point sensible...

— En même temps, qui viendrait ici de son plein gré ? Qui resterait, à la rigueur ?

— Quelqu'un qui n'a pas le choix.

J'hoche la tête, une moue triste sur le visage. Néanmoins, il va falloir trouver une solution pour sortir d'ici, et vite. Et vu nos états respectifs, ça ne sera pas du gâteau. Leëla semble entendre mes pensées, et attrape le haut du carton pour le tirer vers elle, et découvrir ce qu'il renferme. Ce ne sont que des cahiers, des stylos, des livres, vu ce qu'elle me montre. Bon, au moins si nous devons rester ici, nous aurons de quoi nous divertir un petit peu.

Mais ce n'est pas ma principale occupation, de nous constituer une belle chambre, et pas la sienne non plus. Elle attrape le plus grand des livres, et quelques feuilles qu'elle place dessus. Cela lui crée un appui de fortune pour écrire, c'est mieux que rien. Le capuchon du stylo coincé entre les dents, elle s'attelle à l'écriture d'un récit qui commence au moment où elle arrive chez James, le premier jour, comme elle me l'explique.

— Mon mal de tête revient... se plaint-elle, alors qu'elle se concentre pour ne rien oublier, s'appliquant à être le plus fidèle possible à la réalité.

Par crainte d'oublier des choses, elle commence même à faire une liste des points importants à noter, tandis que je l'observe quelques minutes avant de décider de faire la même chose qu'elle. Moi aussi, j'en ai des choses à raconter depuis mon arrivée... A bien y réfléchir, cela fait presque un an. Un an qu'ils m'ont maté, formaté, qu'ils me contrôlent et que j'accepte tout parce que j'ai compris que la rébellion ne servait à rien sinon recevoir des coups qui font encore plus mal lorsqu'ils recommencent leurs expériences. J'ai choisi de vivre sans être battue, mais à quel prix ? J'en ai perdu toute liberté, toute force de me battre. J'obéis sans plus rien relever.

Nous sommes tellement absorbées par notre tache que nous ne voyons pas le temps passer. On ne vient même pas nous chercher au moment de manger, et on ne s'en rend compte que lorsqu'une clé vient nous enfermée à l'intérieur de la pièce. Leëla se lève en sursaut sur ses jambes pour frapper des poings contre la porte et les appeler pour avoir de quoi nous nourrir, mais personne ne vient. Malgré mes tentatives pour lui faire comprendre que ça ne sert à rien, elle continue en hurlant, avant de se mettre à pleurer doucement, s'affaissant au sol.

Je l'y rejoins pour la serrer dans mes bras, et nous pleurons toutes les deux, comme si on se rendait compte de l'absurdité de notre situation.

A travers mes larmes, j'observe ma petite sœur. Ses cheveux sont tout emmêlés, elle des cernes et a l'air d'avoir perdu cette étincelle que je lui connaissais dans les yeux. Je tente de la recoiffer, elle lâche un petit rire malgré la situation, puis s'occupe des miens en passant ses doigts pour défaire les nœuds.

Mes cheveux ne ressemblent plus à rien. La décoloration en blonde commence à vraiment se voir au niveau des pointes, je le sais d'office car cela fait longtemps que James a refusé de m'emmener chez le coiffeur pour ça. Et mes longueurs sont abimées à cause du lisseur que j'utilisais avant. Ils commencent tout juste à retrouver quelques boucles, mais elles sont désordonnées et je les repousse en arrière en soupirant. Heureusement que nous n'avons pas de miroir ici, car je n'oserai pas me confronter à mon propre reflet.

— Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire, coincées ici ? Je pensais qu'ils nous laissaient un peu de liberté... me demande Leëla, en désignant la pièce d'un mouvement de menton.

— Hé bien... Ça nous laisse du temps pour continuer notre œuvre et trouver un endroit pour cacher les feuilles pliées, afin que James ne les trouve pas.

— Tu as une idée ?

— Je l'aurais bien fait entre le matelas et le lit, mais comme nous venons de déménager, c'est la cachette trop simple et... J'avais déjà cachée une photocopie d'un document trouvé dans le bureau de pap... James, ils ont dû la trouver en déménageant.

Je bouge pour observer la pièce, hoquète quand la douleur revient dans mon ventre sans prévenir.

— Bon, toi tu vas t'asseoir sur ton lit, moi je m'occupe du reste.

J'esquisse à peine un signe pour protester qu'elle me fait les yeux noirs, et je capitule immédiatement. Je me roule en boule sous la couverture, alors que ma petite sœur se met à inspecter la pièce. Elle n'est pas très grande, mais il faut bien chercher tout de même pour qu'on ne les repère pas tout de suite voire pas du tout.

Je la vois arpenter les murs, le sol glacé, à la recherche d'un interstice.

Elle en trouve finalement un près de la porte, directement dans le mur où un peu d'isolant a disparu à cause du mauvais état du mur. Leëla roule soigneusement les feuilles où nous avons écrit le plus petit possible, puis les fait disparaitre tant bien que mal dans le trou.

Elle me fait signe que tout est ok, se relève, frotte de la poussière qu'elle a récoltée en forçant un petit peu pour les faire rentrer dans le mur totalement en grattant le fond pour avoir plus de place. Puis elle rejoint son lit comme moi, et nous ne parlons plus. Dans le silence de la chambre seulement rythmée par nos respirations qui se font plus ou moins rapidement, nous finissons par nous bercer nous-mêmes. Nos estomacs crient famine en concert, mais je tente de penser à autre chose pour réussir à dormir. J'entends la respiration de Leëla devenir peu à peu complètement uniforme, ce qui signifie qu'elle s'est endormie rapidement. Je déteste avoir l'impression d'être emprisonnée, et comme ça fait un an que je vis ça, je commence à en avoir l'habitude malgré moi. Pourtant, tout au fond, une boule d'anxiété me grignote de l'intérieur.

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