Chapitre 24 - Leëla

Cela doit faire des heures que nous sommes enfermées dans une nouvelle chambre, qui n'a de cette pièce uniquement le nom. James a affirmé que les camions de déménagement devraient arriver dans la nuit si ces collègues avaient réussi à en dénicher rapidement, mais pour l'instant, nous sommes assises à même le sol dans une pièce qui semble le renfermé et me fait froncer le nez. Les chaines à nos poignets ont beau avoir disparu, je ne peux rien faire pour améliorer notre confort relatif, car la fenêtre est bloquée en position fermée par une clé que nous n'avons pas. De toute façon, nous sommes à l'étage et je n'aurais pas pris le risque de sauter de cette hauteur.

— J'ai mal au ventre... se plaint Florida, qui s'est allongée sur le sol après avoir décrété que c'était la position qui lui convenait le mieux. Et tellement faim...

Et moi, je dois aller aux toilettes. Je me retiens de le mentionner depuis tout à l'heure, mais je ne me rappelle plus depuis combien de temps on ne nous a pas laissé y aller.

N'en pouvant plus, je me mets à frapper sur la porte pour appeler quelqu'un, n'importe qui qui pourrait nous aider. Et c'est James qui finit par revenir nous voir, le front plissé par la colère d'entendre du bruit.

— Que voulez-vous ?

— De quoi être mieux installées. Aller aux toilettes. Des médicaments pour Florida qui se plaint de son ventre. A manger et à boire.

Il soupire, mais nous fait signe de sortir dans le couloir où nous n'entendons pas un bruit. Il nous fait descendre, nous désigne les toilettes où nous passons chacune notre tour.

Après ça, c'est finalement direction la cuisine, pour nous donner à manger. Celle-ci est déjà aménagée par des meubles, mais visiblement, Marielle a dû faire les courses il y a peu car de nombreux sacs en plastique sont posés sur la table et les reliefs d'un repas improvisé aussi.

— Où sont les autres ? demandé-je.

— Marielle s'en occupe dans une autre chambre. Dès que les camions arriveront, vous nous aiderez à le débarrasser et amener les affaires dans les pièces qui leur sont destinées.

— Pour ça, il faudrait nous laisser marcher, parce qu'on ne sert à rien si on est enfermée, contré-je.

Il me fusille du regard, me désigne la table en marmonnant qu'il est clément et pourrait bien décider de ne pas écouter nos requêtes, alors je m'installe à une chaise en attrapant un repas froid et tout préparé pour commencer à le manger, en imitant ma sœur dont la douleur est imprimée sur le visage.

— Je n'ai rien pour les douleurs, mais on verra ça si dans un jour ou deux ce n'est pas passé, dit-il à ma sœur avant de nous laisser seule dans la pièce.

Je me rends compte que je suis affamée quand j'avale la première bouchée. C'est froid, pas super bon, mais ça me rassasie et c'est suffisant pour l'instant. J'avale une assiette ainsi, avant de continuer sur ma lancée avec une banane, un yaourt, avant que je n'empoche deux paquets de gâteaux dans mon sweat au cas où. Florida mange presque autant que moi, nous buvons de l'eau à même le robinet de la cuisine, et repues, nous restons assises autour de la table, sans oser bouger. La nuit est tombée d'après le noir derrière les fenêtres, on va certainement venir nous chercher.

Ça ne tarde pas. Je ne sais pas si c'est grâceaux relations que James, et les autres peuvent avoir ou pour l'argent qu'ils ontpeut-être, mais toutes les affaires de la famille arrivent dans deux énormescamions de routier. Et ce qui est sur, c'est qu'on est vite mises à contribution. Les lits, les jouets, les affaires de salles de bains... Tout a été empaqueté rapidement et surtout n'importe comment. Il faut déposer tous les cartons dans la pièce la plus proche de l'entrée, mais monter les lits et autres gros meubles. Tout est trop lourd pour mon poids, mais je n'ose pas me plaindre et essaie d'être le plus efficace pour aller dormir rapidement. Je suis épuisée après tout ce qu'ils nous ont fait depuis deux jours, et je ne rêve que de dormir d'un vrai sommeil.

Au fur et à mesure de la nuit, tout le plus urgent est installé : c'est-à-dire les gros meubles et les cartons dans chaque pièce. Je vois flou et quand on m'autorise à aller me coucher avec ma grande sœur, nous nous arrêtons à la cuisine pour nous faire un bon repas avant d'aller dormir pour quelques heures. Nous avalons tout ce que nous pouvons rapidement, avant de remonter dans la chambre qui sera donc la notre, où deux lits, une commode et un bureau ont été installés. Je m'affale directement sur l'un des matelas, et Florida fait pareil en rabattant une couverture sur elle vu la température que nous trouvons peut élevée.

***

Depuis plusieurs jours, la vie prend son cours comme si c'était normal. Nous avons bien travaillé à tout mettre en place ici, et les plus jeunes des enfants ont déjà bien pris leurs marques. Je suis souvent prise de fatigue, mais pas autant que Florida, qui semble de moins en moins bien mais qui souffre en silence comme elle peut. Elle vomit, refuse de manger, et ne tient plus sur ses jambes. Personne ne s'en inquiète sauf moi, et de toute façon, je n'ai aucun moyen de l'aider, car je n'ai accès à rien. De l'extérieur, nous ne voyons qu'un rideau gris de pluie qui ne s'en va jamais, et des grilles sévèrement fermées. Pourtant, je m'efforce de passer un maximum de temps dehors, comme si ça pouvait effacer l'impression d'être prisonnière ici. Les enfants sont heureux, ils jouent au ballon dans la cour comme si de rien n'était, et je ne croise presque jamais Athéna. D'après ce que j'ai vu en la voyant à l'autre bout du couloir en me levant ce matin, elle avait toujours ses chaines aux poignets, et était escortée par son père jusqu'à sa chambre. Je ne saisis pas comment ils peuvent avoir autant peur d'elle, alors que c'est de leur faute si elle est si forte physiquement.

Je suis sur le point de rentrer dans ma chambre quand j'entends la femme, Catherine, s'adresser à James. Tendant l'oreille, j'essaie d'écouter ce qu'il se dit, car toute information est bonne à prendre. Ma mémoire me joue des tours, je n'arrive pas à me rappeler tout avec précision depuis que je suis arrivée ici, mais j'essaie d'emmagasiner des informations, qui se révèleront peut-être utiles pour sortir.

— Je l'ai ausculté et passé à l'écho, ça a l'air d'aller, il se développe bien.

— Elle a toujours des douleurs ?

— Non, ça s'est calmé. Je lui ai expliqué ce qui allait arriver, et comment elle allait vivre maintenant.

— Et le garçon que vous avez trouvé ?

— Il arrive dans quelques jours, nous les marierons et puis on pourra leur donner une aile des bâtiments non utilisée encore, ils s'installeront là et on aura le contrôle sur eux même s'ils auront le sentiment d'avoir plus de liberté. Personne ne doit aller la voir pour l'instant, elle est en pleine crise.

James n'ajoute rien, alors que mon cœur s'affole. Qu'est-ce qu'ils lui ont fait ? Je n'ose pas bouger pourtant, au cas où j'entendrais encore des informations.

— Et pour la deuxième, Leëla, tu n'es toujours pas décidé ?

— Ça ne fait pas assez de temps qu'elle est ici, elle n'est pas docile avec nous. Et sa particularité semble instable, je préfère m'occuper personnellement d'elle jusqu'à ce que je trouve le problème et comment le résoudre.

— Et si on ne peut pas le résoudre ?

— J'imagine que je trouverai un moyen de la rendre utile tout de même.

Je n'entends plus rien, et m'apprête à partir rapidement quand on me rejoint en flagrant délit d'espionnage. Mais ils n'ont même pas l'air embêté, et celui qui se dit être mon père me demande simplement de le suivre. Il m'installe dans sa chambre, vide à cette heure-ci, me demande de m'allonger sur le lit, pendant qu'il branche des électrodes à mon cerveau. Je frissonne mais le laisse faire. Je ne sais pas s'il vaut mieux pour moi de tenter de me rebeller ou juste d'être sage pour qu'ils ne me détestent pas, alors je reste immobile.

— Je dois voir si ta mémoire à haute capacité fonctionne toujours.

— Je ne crois pas.

— Je dois vérifier, s'entête-t-il.

— Je le sais, je ne me souviens pas bien ! répété-je, alors que je sais déjà ce qu'il va trouver.

Parce que oui, j'ai beau me concentrer sur mes souvenirs d'enfance en bas âge, je ne me rappelle plus. Toute la partie avant que je ne sois en famille d'accueil a disparu, je me rappelle qu'il y a eu un accident car c'est une information maintes et maintes fois apprises, mais c'est tout. Pareil pour les souvenirs de la maternelle, j'ai beau me concentrer, essayer de les invoquer, rien ne me vient. Même ceux du primaire semblent flous.

Sur sa machine, c'est comme s'il suit mes pensées. Il me voit effectuer des tentatives de rappel, mais rien ne s'affiche visiblement, car il grommelle.

Il revient vérifier mes électrodes, me somme de recommencer à penser à des souvenirs, je n'y arrive pas bien. J'ai l'impression que tout se mélange dans ma tête, et plus j'essaie, plus le mal de tête que je supporte depuis quelques jours devient assourdissant. Je ferme les yeux et serre les paupières, en appuyant mes mains sur ma tête pour l'empêcher d'exploser. Ne plus penser, ne plus penser, ne plus penser...

— Stop... murmuré-je, ça fait mal...

J'essaie de penser à une étendue calme, tranquille et apaisante, puis de ne plus réfléchir à rien et me détendre, et le tout se calme globalement, même si le mal de crane persiste.

— Calme-toi Leëla, me dit James. C'est bon ?

Je fais signe que oui sans oser bouger, les yeux à peine entrouverts.

— Tu vas essayer de penser à tes souvenirs de ces derniers jours, sans t'affoler ok ? Vas-y, m'enjoint-il.

Mais j'ai beau essayer, j'ai l'impression que cela se mélange aussi. Que fait-on là ? Pourquoi on est ici, pourquoi on ne peut pas sortir ?

Je n'arrive plus à réfléchir, et mon désarroi semble se lire sur mon visage. L'homme face à moi le voit, et me retire les électrodes avant de sortir quelque chose d'un tiroir de son meuble. Je n'ai rien le temps de voir qu'il m'enfonce une aiguille dans le coude, et que je perds connaissance rapidement pour quelques instants.

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