Chapitre 21 - Leëla
— Il a continué avec les autres, n'est-ce pas ? murmuré-je, alors que je ne vois plus rien dans le noir terrifiant dans lequel nous sommes plongées.
— Oui... Tout le monde ici a une particularité, mais je ne vois pas comment il va s'en servir pour que tout le monde puisse se développer sur terre, si ça ne marche que sur les bébés...
— Il a réellement cru qu'on voulait ça ? Etre plus évoluée que la moyenne et finir dans une cave ? explose Athéna, alors que je la sens se lever contre nous pour marcher de long en large dans l'obscurité.
Je la sens taper du poing sur les murs, et ne dis rien. A quoi bon lui dire de faire attention à ne pas se faire mal, alors qu'elle a plus de force que nous deux réunies ? Elle peut toujours essayer de casser la porte, mais je pense que James a déjà pris ses dispositions pour l'empêcher de s'échapper.
— Pourquoi es-tu avec nous Athéna ? demande finalement Florida.
— Parce que je sais pleins de choses sur lui. Et parce que quand on est trop grand, c'est ce qu'on devient. Je ne suis plus la petite fille obéissante, je sais qu'il fait des choses horribles, et qu'on doit l'arrêter !
Son cri résonne dans le noir, alors que l'absence de meubles rend les échos lançinants. Alors que tout finit par se taire, un déclic se fait entendre, et nous bondissons toutes les trois sur nos jambes, alors que la lumière se rallume et que la porte s'ouvre.
Devant nous, se trouve James, avec une arme à la main, nous visant. Je déglutis difficilement, lève les mains comme pour prouver que je ne compte rien faire. Florida m'imite alors que notre demi-sœur le fixe droit dans les yeux, comme si elle n'avait peur de rien. J'ai envie de lui dire de ne pas jouer avec le feu, mais je n'ose pas avancer vers elle pour la tirer en arrière, de peur qu'il pense que je compte lui foncer dessus et fasse feu.
— Et tu crois vraiment que c'est ce discours qui va me faire changer d'avis et te sortir de cette pièce ? ricane-t-il.
— Je ne suis pas débile, je sais que tu ne changeras pas. Comment peux-tu faire ça à ta propre famille ? crache-t-elle, sans s'arrêter.
Elle est campée sur ses pieds, ses longs cheveux tombent n'importe comment, elle me fait penser à une folle furieuse. Il y a de quoi : Athéna a dû survivre dans cette maison à s'occuper du reste de cette famille indispensable à ses manipulations génétiques, et elle voudrait bien lui rendre les coups qu'elle a reçus.
— Athéna, assis-toi par terre. Florida et Leëla, vous vous approchez. Mais si l'une de vous tente quoi que ce soit, je tire sur la deuxième, compris ?
Nous hochons la tête avant de nous mettre à avancer. Florida fusille sa sœur du regard pour l'obliger à s'asseoir, ce qu'elle fait en maugréant, parce que c'est sa sœur qui le demande et qu'elle n'a pas vraiment le choix, si elle veut qu'il ne nous arrive rien.
— C'est bien. Florida va s'allonger et Leëla, tu serreras les sangles autour de ses chevilles et ses poignets. Puis tu iras t'installer et je ferais la même chose pour toi. Si tu sabotes les liens, elle meurt directement.
— Je pensais que vous aviez besoin de nous ? grimacé-je, en suivant pourtant ses ordres à grande peine, murmurant un « désolé » à l'intention de ma sœur qui se laisse docilement faire.
— Pas vraiment d'elle, sa particularité n'est pas incroyable, elle a simplement mal réagi quand elle était gamine, mais je ne le savais pas avant de la retrouver. Toi par contre, tu m'es précieuse et si tu essaies de te rebeller, tu vas souffrir ici jusqu'à ce que tu me sois docile.
Je recule jusqu'à la table glacée qu'il me désigne, m'allonge en surveillant ses mouvements. Une fois sanglée et incapable de bouger, je lâche un hoquet. Je déteste avoir l'impression d'être en position de faiblesse, de savoir qu'il peut me faire tout ce qu'il veut, je ne peux rien faire pour le contrer.
— Mes amis vont bientôt arriver, ils pourront procéder à tes radios pour déterminer précisément la région du cerveau que tu as développé. Ce sera pour le projet planifié dans plusieurs années. Ici, nous avons déjà tout ce qu'il faut pour mettre en place un bébé avec ce que j'ai déjà recueilli comme données, qui obtiendra toutes les particularités que vous avez réussi à développer ici. Léna, il lui en manque plusieurs, mais cette fois, je compte bien réussir là où nous avons échoué auparavant.
Je tente de cacher mes tremblements, mais il les remarque en s'approchant de moi, alors qu'une porte claque et que trois autres personnes débarquent dans la pièce. Alors que je pense souffrir, on m'endort directement, au son des pleurs de ma sœur qui les supplie de me laisser tranquille. Mais je sais aussi bien qu'elle qu'ils n'écouteront jamais.
***
Je me réveille avec un mal de crane terrible qui me fait vomir à grand-peine en me tournant sur le côté du lit, et hoquète plusieurs fois le temps que je retrouve mes esprits et que mon corps anxieux se calme doucement. J'ai un sale goût dans la bouche, je crache tant bien que mal par terre pour m'en débarrasser un maximum, mais ça ne fonctionne pas et je finis par rester allongée, à attendre qu'on me donne de l'eau, ou qu'on me détache.
S'ils sont disposés à le faire, évidemment.
Sur la table d'à côté, ma sœur est entourée d'un grand paravent en papier qui m'empêche de voir ce qu'ils lui font, mais qui me laisse entendre chacune des réflexions qu'ils font.
— J'en ai mis trois, tu penses que c'est suffisant pour qu'au moins un se développe ?
— Oui, je l'espère. En tout cas, on ne peut pas parier sur cette réussite, peut-être que son corps à elle le rejettera, ou bien cet amas de cellules ne se développera pas. Nous ne pouvons qu'espérer et sinon, on recommencera.
— Nous n'avons pas beaucoup de délai, James.
C'est la femme qui parle principalement, et se confronte à celui qui se dit être mon père. Je ne sais pas ce qu'il se passe, alors qu'il disait qu'elle lui était inutile... Alors je ne peux m'empêcher de frissonner et me remettre à vomir. Le froid transperce ma peau et se propage jusqu'à mes os en n'améliorant pas mon état.
J'entends râler de l'autre côté du paravent, quand ils comprennent que je me suis réveillée et que je viens de gerber et éclabousser tout le sol. Mais c'est bien la dernière de mes préoccupations.
Je reconnais celui qui m'a fait ma prise de sang les premiers jours, qui peste et m'engueule en voyant les dégâts. Il est habillé d'une blouse stérile, avec charlotte, masque, gants, la totale, comme s'il était médecin. Ils se prennent vraiment pour ce qu'ils ne sont pas, bien trop au sérieux.
Je n'en ai rien à faire de ses remontrances parce que s'ils me laissaient tranquille, ça n'arriverait pas, mais quand une gifle vient me dévisser la nuque, je ne peux m'empêcher les larmes de perler.
— Salope ! Tu penses sincèrement qu'on a que ça à foutre, de ramasser ta merde ? Tu vas voir !
Il me gifle une seconde fois alors que je serre la mâchoire pour endurer le coup, avant que James ne vienne intervenir. Je suis peut-être son objet d'expérience, il vient quand même me défendre. Youhou !
— Laisse-là, on se chargera de ça plus tard. Détache une de ses mains et donne lui une bouteille d'eau histoire qu'elle ne nous enquiquine pas avant la fin de... ça. Je la ferai nettoyer quand vous serez partie.
Il grommelle, finit par suivre les ordres et je bois goulument l'eau qui me faisait défaut depuis plusieurs heures. D'abord doucement, puis de plus en plus vite en constatant que mon estomac ne se rebelle pas au bout de quelques minutes, je vide plus de la moitié de la grande bouteille pour être rassasiée. Le mauvais goût a disparu, mais pas la peur. Il faut que je prenne des forces pour la suite, car quelque chose me dit que rien n'est finit.
— Et... Je pense que c'est bon !
J'entends le bruit d'instruments chirurgicaux derrière le paravent, je frissonne sans oser imaginer ce qu'il s'y passe, et ferme les yeux pour reposer un petit peu mon corps éprouvé. Je souffle pour me détendre, mais mes muscles crispés ne semblent pas disposés à prendre du repos, comme s'ils étaient tétanisés constamment, comme moi.
— Elle va se réveiller dans quelques temps, je pourrais alors la mettre au courant.
— Qu'est-ce que tu vas faire de la sœur ?
— La brune ? Elle sait trop de choses pour lui laisser la liberté de pouvoir dire quelque chose... Nous allons déménager sur la côte, pour que personne ne trouve ça louche. Je barricaderai la maison pour être certain de ne perdre aucun enfant.
— Nous y allons en avance, décide la femme d'une voix autoritaire. J'ai de quoi accueillir ta famille, une grande maison toute en hauteur, avec une seule porte d'accès à l'extérieur et des fenêtres complètement fermées, par lesquelles on ne peut pas s'échapper. Et un accès à l'océan, si on a besoin de partir d'urgence. Prends le plus important, et soyez-y dans trois jours, le temps d'emmener les enfants. Mickaël, charge-toi des camions de déménagements. Ne regarde pas le prix, prends le maximum pour qu'on puisse tout transporter. Je veux qu'on déguerpisse d'ici le plus rapidement possible.
Je n'entends personne s'opposer à son offre, ce qui doit sûrement signifier que nous allons effectivement suivre ce plan. Quand ils en ont terminé et que le deuxième homme reste pour ranger la pièce, tandis que James, la femme et le troisième s'en vont sans un regard pour moi, j'aperçois ma sœur, sous une couverture fine. Je vois un morceau d'une de ses jambes dénudée, et je frissonne. Que lui ont-ils fait qui nécessite de lui retirer son jean ?
Je suis sur le point de vomir à nouveau en n'osant pas l'imaginer, et l'odeur de la flaque sur le sol ne m'aide pas à refouler mes nausées.
Patrick, le deuxième homme, désinfecte tout après avoir lavé les instruments dans l'immense bac de lavage le long du mur, sans se soucieux de moi. Il sifflote tranquillement, avant de s'atteler au sol sans montrer le moindre signe de dégoût. Je ne bouge pas, n'ouvre pas la bouche, et bois gorgée par gorgée le contenu de la bouteille jusqu'à ce qu'elle soit vide. Mais à ce moment-là, c'est mon appétit qui se réveille. Mon ventre se met à protester en me trahissant, et l'homme semble s'en amuser, avant de sortir son téléphone, en voyant ma sœur remuer. Elle n'est pas morte au moins, mais bien vivante...
— Ta gamine se réveille. Et l'autre réclame à manger. Oui, j'ai fini de nettoyer, mais maintenant il faut s'occuper d'elles pour le trajet.
Un silence, alors que je tends l'oreille au maximum. Mais il n'est pas dupe, vu la distance qu'il met entre nous.
— D'accord, je vais chercher la voiture.
J'ai à peine le temps de battre des paupières que c'est le branle-bas de combat autour de moi. Je vois James foncer sur moi avec un paquet de gâteaux à la main, avant de me détacher de la table pour me mener à l'étage. Je profiterais bien de l'opportunité pour m'enfuir, mais mes jambes flageolent déjà sous mon poids, alors je ne vois pas comment je ferais pour me sortir du piège qu'est cette maison.
— Dépêche-toi, on monte.
— On va où ? tenté-je.
— Ne pose pas de question.
Sans que je comprenne comment, nous atterrissons dehors, au milieu de la rue. Je n'ai rien le temps de faire que je suis déjà assise à l'arrière d'une camionnette, avec Athéna. Il n'y a pas de fenêtre, et la chaine que James a serrée à mon poignet est maintenant solidement accrochée à l'armature même de la voiture. En deux minutes, c'est Arielle qui est jetée avec nous et se met à pleurer en se faisant mal. On lui a mis un gros pull, et je comprends que nous ferons route avec elle.
La pauvre petite court se réfugier dans les bras d'Athéna, qui la console du mieux qu'elle peut.
— Tu as déjà été assise dans le fond d'une camionnette ? lui demande-t-elle. Moi oui, tu verras, ça va être marrant ! Au début tu auras peur quand ils rouleront vite, mais au bout d'un moment, tu pourras même danser sur la route !
Pendant ce temps, je lui tends un biscuit qu'elle engloutit en semblant se calmer. Je ne comprends pas pourquoi on la fait venir avec nous, elle particulièrement, mais les évènements des derniers jours me prouvent que je ne dois plus m'étonner de rien.
Quelqu'un monte à l'avant, alors qu'une grille nous empêche de passer devant et de forcer le chauffeur à s'arrêter. C'est la femme. Elle ne nous jette même pas un regard, alors que la porte s'ouvre une dernière fois. Ne voulant pas brusquer Arielle, je ne tente même pas de sortir. De toute façon, je suis attachée comme un prisonnier condamné pour ses fautes.
On dépose une Florida à moitié dans les vapes dans nos bras, et elle s'effondre presque immédiatement sur nous. Je cale sa tête sur mes jambes tant bien que mal, l'allonge pour qu'elle soit confortable, et elle gémit.
— Florida... Tu as mal où ?
— Mon ventre... J'ai l'impression que je vais avoir mes règles...
Elle se roule à moitié en boule sur le sol froid, alors qu'Athéna tente de se rapprocher de nous pour l'aider à se sentir mieux. Arielle ne dit plus rien et se contente d'observer, les cils remplis de larmes, inquiète face à la tournure que prennent les évènements.
— Tout va bien se passer... murmuré-je, plus pour m'en convaincre que pour eux.
La voiture démarre rapidement, et les cahots de la route nous prennent rapidement au dépourvu. On se cogne, on grimaçe, et je finis par me décoller de la paroi pour ne pas faire souffrir mon dos. Arielle s'est allongée près de Florida pour ne pas se cogner partout, et Athéna reste complètement silencieuse. Je ne vois pas bien non plus quoi dire.
Ils nous emmènent dans un autre endroit. Je ne sais pas si c'est pour nous maintenir enfermés et mettre à l'abri leurs petits secrets, ou s'ils comptent continuer leurs machinations plus loin. J'ai la boule au ventre en constatant que si personne ne s'est mis à notre recherche avant ça, ce sera bientôt trop tard. Il sera impossible de nous retrouver s'ils nous cachent dans un endroit de leur invention. Ce sont des cinglés.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top