Chapitre 2 - Leëla

Le jour de la rentrée s'est plutôt bien déroulé. Liam n'est pas dans ma classe principale, mais nous sommes tous mélangés pour les options alors j'aurais certainement la chance de le voir à certains cours. En revanche, Auwane est à côté de moi, et ne décroche quasiment pas un mot. Nous sommes souvent assises sur un côté de la classe, et la jolie blonde se concentre sur tous les cours sans jamais relâcher son attention. Parfois, elle s'étonne de certaines choses pas encore vues, et des fois, je dois lui expliquer des concepts que je trouve simple. Mais bon, on se complète et sa présence est sympa à mes côtés. Au moins, je ne suis pas seule face à Marine qui me fusille du regard chaque fois qu'elle me voit à côté de Liam.

Le prof de maths par contre, semble me détester. Il m'a prise en grippe quand je n'ai pas répondu du tac au tac à une équation simple, et j'ai beau avoir essayé de faire mes preuves depuis, je crois que ça ne fonctionne pas. J'essaie alors de suivre en silence et sans me plaindre à ma voisine, qui elle, s'est fait engueuler par le prof dingue que nous avons en SVT et qui voulait la faire parler à tout prix alors qu'elle utilise une toute petite voix dans la classe.

— Dis, tu crois que d'autres filles nous parlerons ? Parce que franchement, cette Marine commence à m'énerver... se plaint-elle, quand elle se prend les cheveux blonds de cette dernière alors qu'elle tente de faire la belle dans les couloirs.

— J'espère... Entre ça et Elyn... grimacé-je.

Je n'avais aucun atome crochu avec elle. On dormait dans la même pièce et on parlait quand il le fallait, mais sinon, je n'ai rien d'autre à lui ajouter. D'ailleurs, elle a déjà commencé à se lever hyper tôt pour se lisser les cheveux, se maquiller et me taper sur le système car « il n'y a pas assez de prises », et donc elle a débranché mon chargeur sans rien me demander.

A la récré, on rejoint Liam qui lui s'est fait des amis dans sa classe mais continue heureusement de venir me voir, et on s'installe sur un châssis pendant que je déballe un gouter. En effet, si je ne fais pas ça, je vais me retrouver avec un estomac qui gargouille jusqu'à l'heure de manger.

— Ça a été ?

— Oui, mais c'était long...

— Bientôt le week-end !

Je souris, contente à l'idée de rentrer chez moi. Je ne pensais pas avoir hâte de les revoir autant le week-end, moi qui n'a pas été très proche d'eux pendant longtemps. Il semblerait que mon attachement ait changé, même si l'arrivée d'un autre enfant risque de chambouler un peu toute la famille.

Quand la sonnerie retentit, on retourne tous dans nos classes respectives. Nous avons encore maths, et je soupire. Je sens que ça ne va pas s'améliorer, mais je m'installe à côté d'Auwane qui trifouille dans son sac pour trouver son téléphone. Elle a des notifications, mais elle me cache son écran comme si c'était un secret d'état alors je me retourne. Une odeur de cannelle s'échappe de ses affaires et je fronce les sourcils. Le tout me projette dans mes souvenirs même si je ne sais pas pourquoi, et ma tête se met à me tourner. Elle me lance et je me la prends dans les mains alors que le prof commence son cours sans se soucier de personne, et surtout pas de moi.

Le cours continue, mon malaise s'intensifie, et bientôt, rester immobile sur ma chaise devient trop dur et ma voisine voit bien que je ne suis pas bien. Même si j'aimerais ne pas sortir de cours si rapidement après le début de l'année, mais Auwane demande au prof pour que je puisse sortir, et comme personne ne veut me voir dégobiller mes tripes, je suis dehors en un battement de cils. J'essaie de respirer du mieux que je peux, en inspirant de grandes goulées d'air, mais mon mal-être persiste, alors que de la sueur colle mon t-shirt à ma peau. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression d'être oppressée par des détails qui m'échappent, même si je ne sais pas quoi. Assise dans la cour à même le sol, j'essaie de me calmer et calmer mon cœur qui cogne comme un fou dans ma poitrine, alors que ma nouvelle amie envoie un message à Liam. Apparemment, ils sont devenus très proches, ces deux-là. Elle lui demande quoi faire quand je ne suis pas bien, mais il ne répond pas. Il a dû ranger sagement son téléphone pour ne pas se le faire confisquer, surtout si tôt dans l'année. Ce n'est pas le bon moment pour se faire mal voir par les profs, qui ne pourront avoir que des à prioris sur nous ainsi.

— Tu vas mieux Leëla ?

— Oui, ça va.... Désolée, ce n'était rien... Seulement des souvenirs qui reviennent en même temps qu'un vilain mal de crâne...

— Des souvenirs ? s'étonne-t-elle. De quoi ?

— De mon enfance... hésité-je. Ça m'arrive souvent.

Pas question de lui dévoiler maintenant mes aptitudes à me souvenir de tout. Déjà que je n'ai rien dit à propos de ma situation familiale...

— J'espère que ça va passer, tu n'avais vraiment pas l'air bien...

— J'étouffais, c'est tout. Ça a empiré la chose je crois. Mais on peut remonter, c'est passé.

En grande partie en tout cas. C'était surtout cette odeur de cannelle, venue d'Auwane, qui avait fait remonter bien plus que des odeurs de plats préparés par Mina. Je frissonne. Je suis passée d'avoir trop chaud à être glacée.

— Tu es certaine de vouloir remonter ? On peut encore rester ici et discuter...

— Non, tout va bien.

Je n'ai pas envie d'abuser, même si c'était tentant de sécher encore quelques minutes du cours sans être importunée. Nous remontons donc les escaliers doucement, alors que ma nouvelle copine fait un peu la discussion, moins timide qu'en début de semaine.

— C'est la cannelle qui t'a fait cet effet ?

— Oui...

— C'est l'odeur préférée dans ma famille, on en met dans tous les plats ! Mais quand tu viendras à la maison, promis le pot restera fermé alors ! Même si tout embaume dans la maison grâce à cette épice. Je la trouve super !

J'hoche la tête, pas convaincue. Malgré les souvenirs qui me sont remontés, ils restent flous, et je n'arrive pas à me souvenir correctement. Je ne comprends pas pourquoi, ça ne m'arrive jamais...

Petite, j'ai décidé volontairement de mettre de côté les souvenirs d'avant mon adoption. C'était trop compliqué à gérer à cet âge à l'époque, et mon esprit les a enfermé à double tour au fond de moi-même, je n'y ai plus accès. C'est la première fois qu'ils remontent à la surface, et volontairement surtout. Mais je n'arrive comme plus à les lire, à me rappeler... Et cela m'angoisse, car ma mémoire ne m'a jamais joué de tour avant ce moment.

Il faudra que j'en parle avec Liam ou ma famille... Ce sont les seuls au courant. Et je ne vois plus de spécialistes depuis mon enfance après que Mina ait vu comment ils semblaient intéressés par mes capacités sans se soucier de moi en dehors de cette particularité.

A nouveau dans la classe, à essayer de suivre le cours dont nous avons manqué le début, je suis sans cesse perturbée par les regards qui se posent sur moi et les chuchotis du fond de la classe. J'ai l'impression qu'on parle de moi et ça ne me plaît pas.

Les murmures indiscrets me pèsent jusqu'à la fin de la matinée, après quoi nous retrouvons Liam et un de ses nouveaux amis dans la cour. Je lui explique pour mon malaise, grimace en voyant Elyn me fixer bizarrement en me contournant pour aller manger.

— Bande de débiles... grogné-je, j'ai pas la gale !

— Bon, c'est le moment de se faire une virée McDo ! décide mon meilleur ami, enjoué. Prends ton porte-monnaie, on va manger un bout. Auwane, Yann, vous venez avec nous ?

Le garçon répond par la négative et finit par se diriger vers la cantine pour ne pas être le dernier. Auwane hésite, finit par le rejoindre car elle n'ose pas aller manger à l'extérieur alors que son père paye l'internat et la cantine. Nous passons la barrière pour marcher jusqu'au fast food le plus proche, qui n'est pas très loin d'après internet.

Installés dans un coin, nous ne seront pas dérangés et je peux enfin retrouver mon meilleur ami pour moi toute seule. J'aime avoir du temps à consacrer à lui et à lui seul, car avec l'internat, tout le monde est toujours ensemble et je ne peux plus voir Liam une fois que nous devons rejoindre nos étages respectifs.

— Tu es certaine d'aller mieux ? s'enquiert-il alors que nos repas sont arrivés.

— Oui bien sur, là c'est bon, souris-je.

J'attrape une frite, la mange alors qu'il m'imite. Nous mangeons rapidement car nous n'avons pas beaucoup de temps pour nous prélasser et manger doucement. Alors que nous sirotons le fond de nos boissons avant de nous résoudre à partir, une fille rousse entre près de la porte où nous sommes installés. Elle semble chercher quelqu'un du regard, mais c'est vers nous qu'elle se dirige. Elle est plus âgée que nous de quelques années, cela se voit. Alors je ne vois pas pourquoi elle s'arrêterait vers nous.

Mais à l'instant où nos regards se croisent, je comprends qu'elle n'est pas là par hasard.

— Leëla Dufond ? me demande-t-elle, alors qu'elle plante ses yeux marrons dans les miens et que je suis prise d'un vertige.

Depuis ce matin, les souvenirs ne me parviennent plus. Je suis incapable de savoir pourquoi cette femme semble importante, mais alors même que je ne sais pas ce qu'elle me veut et comment elle a pu me trouver sans me suivre, je sais qu'elle a un rôle à jouer là-dedans. Néanmoins, la seule chose que je sais, c'est qu'elle utilise le nom de famille que je portais à la naissance, et non celui dont j'ai hérité par mon placement et qui se résume à mon deuxième prénom, pour ne pas subir de préjudice face à mon nom de famille d'autrefois.

— Oui ? réponds-je, un peu inquiète. C'est Leëla Lilhi maintenant...

— Je suis Jessica. Jessica Dufond. Tu ne peux pas savoir comme je suis heureuse de te revoir...

Je vois que les larmes lui montent aux yeux, alors que je fais le lien entre nos noms de famille. Elle est de ma famille ?

Alors que je compte l'arrêter et lui demander ce qu'elle me veut, elle tourne les talons à toute vitesse pour sortir de là. Sauf qu'il est hors de question que quelqu'un qui pourrait connaître mon passé fasse irruption ainsi dans ma vie et disparaisse aussitôt.

Avant même d'y réfléchir à deux fois, je saute sur mes pieds et fonce la rejoindre, fouettée par l'odeur de chocolat qu'elle dégage dans son sillon. Je l'arrête en posant ma main sur son épaule, alors qu'elle se retourne et me balance ses longs cheveux roux dans la figure sans faire exprès.

— Qui êtes-vous ? lui demandé-je, en tentant malgré tout de me souvenir de quelque chose à propos d'elle, en vain.

— Je pense que c'est mieux si toi tu te rappelles de tout... Crois-moi, je ne fais pas ça de gaieté de cœur de venir te voir... Je veux seulement te demander d'être prudente. Crois-moi, il vaut mieux pour toi de te méfier de tes amis et de ne pas accorder ta confiance à n'importe qui...

Je pointe Liam du doigt, qui nous a rejoint entre temps en m'insurgeant.

— C'est mon meilleur ami, je le connais depuis l'enfance ! Je ne vois pas quel mal il pourrait me faire !

— Ce n'est pas forcément de lui dont tu dois te méfier. Je t'en prie, sois prudente...

— Si tu sais des choses, tu dois m'en informer !

Elle secoue la tête, hausse les épaules. Et au moment de s'en aller contre mon gré, elle marmonne qu'elle aurait bien aimé en savoir plus elle aussi, mais que ce sont les seules informations dont elle dispose.

— Qui êtes-vous pour moi ? insisté-je.

— Une personne qui aurait pu être ta confidente, si rien n'était arrivé. Si tu ne te souviens pas de moi... alors ce n'est pas grave.

Mais elle semble déçue tout de même.

Et avant que je ne puisse assimiler quoi que ce soit d'autre ou la retenir encore un peu pour comprendre ce qu'il vient de se passer, elle s'en va. Ne se retourne même pas. Elle disparait au coin de la rue et je n'ose plus la rattraper. A mes côtés, Liam ne dit rien.

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