Chapitre 19 - Leëla

Quand je me réveille, je me sens toute molle. Je sens que je suis toujours sur la table qui s'est réchauffée grâce à mon corps, mais je n'arrive pas encore à bouger. Et en entendant James qui n'est pas loin, je me fige à nouveau au cas où pour être certaine qu'il ne sache pas que je peux l'entendre.

Je comprends rapidement qu'il est au téléphone avec quelqu'un, et les yeux fermés, je tends l'oreille.

— Oui je sais, je sais... Ecoute, je lui ai mis les électrodes, j'ai observé son cerveau sous stimulation pendant qu'elle était endormie, je le ferais une fois aussi quand elle sera éveillée.

Un silence, qui me fait frissonner. Je ne sais pas ce qu'il m'a fait et compte me faire, mais je n'ai pas vraiment envie de le savoir. Je tente de bouger, mais seul mon pouce réagit. Je suis encore trop endormie pour espérer me sauver. Je ne sais pas où est passée ma sœur, mais je ne la vois pas ici. Mon cœur, encore tout calme à cause de l'anesthésiant, n'arrive pas à s'emballer, et je n'éprouve pas encore de stress.

— Oui je sais Mickaël, je ne peux pas t'en dire plus maintenant. Mais déjà, elle en avait beaucoup plus sur les zones de la mémoire que tout ceux que j'ai observé... Je pense que ça a fonctionné, mais je lui poserai les questions, évidemment.

Un silence, alors que je tends l'oreille pour comprendre ce qu'il dit et savoir ce qu'il me veut.

— Oui, oui... Elle ne va pas tarder à se réveiller, je te laisse.

Je l'entends raccrocher en pestant, et me crispe en écoutant ses pas revenir vers moi. Il se plante près de la table, alors que je tente de faire paraître une immobilité totale, mais visiblement, il sait que je suis réveillée car il n'attend que quelques secondes avant de m'ordonner de me lever.

— J'ai beaucoup de choses à faire Leëla, dépêche-toi sinon je vais devoir te faire mal en t'obligeant à faire ce que je dis. Allez, mets-toi assise, je dois regarder si ton cerveau fonctionne normalement.

Il sort une sorte de casque couvert de capteurs d'une grande bassine où il trempe, alors que je bouge difficilement. Je me réveille peu à peu, me tiens au bord de la table pour être certaine de ne pas tomber face à la langueur de mes muscles.

— Je vais te mettre ça, ne bouge pas.

— Pourquoi ?

— C'est pour savoir si tout va bien dans ta tête, c'est tout.

— Mais pourquoi vous ?

— Pourquoi pas ? Au moins, tu as de la chance, tu le fais avec moi et pas un inconnu.

Je voudrais secouer la tête, mais comme il s'occupe de poser tout ça dans mes cheveux en les emmêlant, je ne dis rien. S'il pense qu'il est mieux qu'un inconnu, il se trompe lourdement. Je ne le connais pas, et surtout, il commence à me faire peur avec tous ces trucs et ses recherches sur moi. Je n'ai rien demandé !

— Ne bouge pas, j'ai dit.

Je reste le plus immobile possible, mais le liquide où était trempé son bazar me fait froid sur le crane, et je grimace. Quand il termine de farfouiller dans mes cheveux, il se plante derrière un écran et me fait signe que ça va commencer.

— Bien, je vais te poser des questions, et tu me réponds automatiquement et avec la vérité s'il te plaît.

— Comment vous pourrez savoir si je mens ?

— Hé bien assure-toi d'avoir un très bon mensonge car sinon tu le payeras très cher. Ou ta sœur, je ne sais pas encore. A moins que tu préfères que toute la maison subisse les conséquences de ton affront ?

Il me grimace un sourire qui me fait frissonner, et j'hoche la tête de suite pour signifier que j'ai compris et que je ne compte pas le tromper.

— Quel est ton premier souvenir ?

J'ai beau réfléchir, je ne sais pas répondre tout de suite. Mon cerveau, qui semble avoir fait un blocage, m'empêche d'accéder à cette partie de mes souvenirs, ceux que je n'aurais jamais dû connaître.

— Je... Je crois que c'est des cris, des pleurs, de la musique, aussi, mélangés. Un bercement, puis un choc qui me fait peur. Je ne sais plus... Je ne me souviens plus vraiment bien, je n'arrive pas à les atteindre, ils sont brouillons...

— Et actuellement ? Tu te souviens encore de pleins d'éléments inutiles ?

Et j'ai beau réfléchir à ces derniers jours et à tout ce dont j'aurais pu faire attention, non, je n'y arrive pas. Auparavant, je savais compter le nombre de cheveux que je retrouvais sur la journée, je savais retrouver un cours rapidement. Mais depuis quelques temps, sans m'en rendre compte, il est vrai que mon cerveau est moins encombré par ces petites choses. Le texte sur la bouteille de jus de fruits, la disposition des pièces dans la maison. J'ai appris facilement les prénoms des enfants, mais pas instantanément, signe que ma mémoire hypermnésique a faibli, ces derniers temps. Et étant très occupée et chamboulée ces derniers temps, je ne m'en suis pas aperçue.

— No... Non.

— Essaie de me décrire un souvenir fort de ton enfance ! tonne-t-il, alors que je le vois pianoter à toute vitesse sur sono écran.

Je m'exécute alors, en repensant à la fois où j'étais partie en colonie de vacances avec Liam. Je n'avais pas confiance avec les filles de la chambre, et j'avais fini par aller dormir avec lui dans son lit. Je m'étais fait hurler dessus par la femme qui s'occupait de nous, et ça ne m'avait pas empêché de recommencer les nuits suivantes, jusqu'à ce qu'on verrouille la porte verte qui m'a laissée enfermée et que j'ai pleuré toute la nuit en comptant les écailles de peinture sur la porte. Mais c'est tout. Je n'arrive pas à me rappeler le nombre d'écailles, ni le reste. Je sais que j'en savais plus, à l'époque, je réussissais à me distraire avec n'importe quoi. J'inventais des histoires complètes dans ma tête pour ensuite les restituer avec précision lors de mes jeux avec mes poupées et mes legos. Et alors que j'étais certaine que j'aurais pu à nouveau m'en souvenir, ma mémoire me semble vide. Littéralement, comparée à ce qu'elle pouvait faire avant.

— C'est tout ?

Il ne semble pas content, mais je ne peux rien faire de plus. Je ne me rappelle pas. Il m'attrape par le bras et me traine alors vers une autre porte, barricadée. Les jambes encore flageolantes, je le suis tant bien que mal pour ne pas me laisser me traîner sur le sol entièrement carrelé de blanc. Il déverrouille la porte, me jette presque derrière le battant avant de la refermer aussi sec.

Dans la lumière blafarde, je tourne sur moi-même pour observer cette sorte de mini campement. Il y a de grands matelas nus sur le sol, une table de salon qui semble avoir bien vécue déjà, et quelques petites couvertures dont la matière me donne directement envie de me gratter. Mais il fait froid ici, dans cette atmosphère confinée qui sent le renfermé.

— Leëla ?

Je distingue la silhouette de quelqu'un se lever d'un matelas au bout de la pièce, quasiment plongée dans l'obscurité de ce côté-ci. Puis une deuxième. Je m'approche, pas encore totalement réveillée et stable sur mes jambes, alors que les silhouettes se précisent et que je soupire de soulagement de ne pas être seule. Même si ça veut dire qu'on est toutes enfermées.

— Athéna ? Pourquoi es-tu ici ?

— Je devais surveiller Florida, mais maintenant que vous êtes deux, papa va sûrement me laisser sortir.

— Athéna, tu sais ce qu'il fabrique ?

Elle nous regarde, hésitante, et malgré la fiable luminosité, je vois ses yeux se poser partout sauf sur nous, comme si elle avait honte de nous regarder. Mais je pose une main rassurante sur son épaule, comme pour l'encourager, alors que Florida tire une couverture qu'elle étale sur le matelas, en nous faisant signe de nous asseoir. Mon cœur se serre quand je comprends que ça ne doit pas être la première fois qu'elle est ici. J'ai la terrible impression que j'aurais pu éviter cette situation si j'avais été plus attentive dès le début.

— Je... Papa m'a expliquée... Quand il a dit qu'il aurait besoin de mon aide et ma force...

— Comment ça ?

— Chaque enfant a... une particularité, une capacité plus développée que la moyenne à son âge... Moi j'ai plus de force, mais tu peux remarquer que pour les jumelles, c'est plus de pensées connectées, elles n'ont pas besoin de se parler pour se comprendre. Pour Enzo et Raphaëlle, il ne dit rien donc je crois que ça ne l'intéresse pas... Elias, c'est le charme fou qui oblige tout le monde à faire ce qu'il veut, Arielle est bien trop résistante aux microbes pour son âge. Et il dit que Léna est son bijou, sa préférée, mais je ne sais rien de plus...

— Et pourquoi on est comme ça ? C'est pas normal... murmuré-je.

Un ricanement se fait entendre, alors qu'une sorte de haut-parleur s'active dans la pièce. Nous devions être sur écoute, et résultat, il sait que nous cherchons à comprendre ce qu'il fait dans la cave de la maison.

— Si vous voulez tout savoir... Simplement pour améliorer la race humaine. Qui ne rêve pas d'être plus développée que la norme, d'être forte, d'être intelligent, d'être invincible ?

Un silence s'installe, alors que je me demande s'il est parti en nous laissant sur notre faim, maintenant que nous pensions qu'il allait nous révéler quelque chose. Mais nous avons l'agréable surprise de l'entendre continuer son histoire.

— Enfin, à la base je cherchais juste du travail qui permettrait de nourrir la tripotée de gosses que Carla faisait, avec ou sans moi, et je suis tombé sur Patrick, Mickaël et Catherine. C'était leur objectif à eux, mais à trois, ils ne pouvaient rien faire pour tenter le protocole qu'ils avaient créé et pour l'améliorer. Alors quand je suis arrivé, avec une photocopie de mon livret de famille dans les mains, ils m'ont accueilli à bras ouverts. Ils m'ont formé, ils m'ont fait signer un tas de papiers, et je suis devenu l'un des leurs.

>>A peine Carla avait expulsé le bébé à la maison qu'un gentil infirmier est venu tout contrôler et injecter quelque chose dans le cerveau de Leëla. Un stimulant, pour faire développer son cerveau plus que la norme et lui permettre d'avoir des capacités mnésiques hors du commun. Ça a fonctionné, comme nous avons pu le voir sur le scanner que nous a fait utiliser Mickael, qui pouvait nous faire entrer à l'hôpital.

>>Malheureusement, ça ne s'est pas déroulé comme prévu au début. Florida, comme d'habitude, a tout rejeté. Paniquée comme elle l'était, cette dose lui a fait peur, et depuis, elle réagissait excessivement à la nouveauté, elle faisait facilement des crises de panique, bébé.

>>Ça a fonctionné bizarrement chez Jessica. Elle avait déjà six ans quand on l'a fait, et nous n'avions pas encore de tranquillisants sous la main, alors on a fait avec les moyens du bord, directement, et deux doses. Elle... Elle n'a pas très bien réagi sur le coup, mais j'ai eu l'impression qu'elle a fini par développer une compétence quand même. Celle d'avoir comme des intuitions, de ce qui allait se passer. De sentir le futur avant de le voir arriver. Et comme par la suite mon imbécile de femme a tout fait foirer, j'ai perdu mes sujets d'études et j'ai dû rapidement trouver une solution pour tout recommencer. Cette énorme famille fait l'affaire.

— Et Maman ? s'époumone alors Athéna, les deux poings serrés et collés à son corps. Est-ce qu'elle est d'accord pour que tu nous fasses tout ça ?

— Marielle ? Disons qu'elle est en sécurité tant qu'elle reste avec moi et ne joue pas avec le feu. Et qu'elle a compris comment se taire, pas comme tes deux imbéciles de sœurs qui se pensent plus intelligentes que tout le monde.

Le haut-parleur se coupe et la lumière s'éteint. Nous nous retrouvons dans le noir, collées les unes aux autres et glacées par ces révélations.

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