Chapitre 18 - Leëla

Quand je me réveille le matin, Florida s'active dans la chambre, en attendant certainement mon réveil. Toute cotonneuse, je ne bouge pas, restant simplement allongée sur le dos, les yeux ouverts dans la lumière matinale qui passe par la fenêtre qu'elle a ouverte.

— Tu vas bien ?

— Oui, pourquoi ?

— Tu étais vachement mal quand il t'a ramené hier soir... commente-elle.

— De quoi tu parles ?

Comme mal à l'aise, ma sœur regarde autour d'elle pour vérifier que nous sommes bien seules.

— Je ne sais pas ce qu'il t'a fait après t'avoir fait prendre ces comprimés « soi-disant contre les carences », mais tu n'étais pas belle à voir, tu ne tenais pas sur tes jambes et répondais à peine aux questions que je t'ai posées, quand James est venu te ramener...

Je m'assois sur le matelas, encore grognonne.

— Je me souviens de quelques flashs... Mais rien de transcendant, et j'ai besoin d'avoir été consciente pour me rappeler.

— Donc c'est vrai ? Tu te souviens de tout en détail ?

— Comment tu sais ça ? demandé-je, étonnée.

Je ne lui ai jamais parlé de ça... Comment a-t-elle pu l'apprendre ? James doit avoir été mis au courant, mais je ne vois pas pourquoi il en aurait parlé...

— J'ai découvert quelque chose... m'avoue-t-elle, en se mordant la lèvre.

S'avançant vers moi, elle évite mon regard comme si elle avait peur que je la juge. Elle me raconte ses premiers jours, et la peur qui est née en elle quand elle a commencé à rester enfermée dans la maison sans ses affaires, jusqu'à ce qu'elle ait tellement peur qu'elle obéisse à James au doigt et à l'œil, depuis qu'il l'avait attachée à une table d'auscultation, tout comme il a dû le faire avec moi.

Elle me raconte mon état hier soir, la liste qu'elle a trouvée, les compléments qui m'ont assommée pour m'endormir totalement pendant quelques petites heures. Elle me désigne du doigt la gélule à côté de mon lit, affirme qu'elle en a enlevé la poudre pour la goûter doucement au lieu de me la donner, et que ça l'a immédiatement fait dormir.

— Leëla, il se passe quelque chose de louche mais je crois qu'il vaudrait mieux découvrir quoi... Tout ça est bien trop étrange...

— Pourquoi tu n'as pas essayé de prévenir quelqu'un alors ? lui demandé-je, en la défiant du regard. Tu aurais pu m'en parler, tu aurais dû, depuis le début. Et tu as un téléphone, non ? A quoi te sert-il ?

— Traceur GPS, et dès que je suis à l'extérieur, je suis mise sur écoute par James, murmure-t-elle d'emblée.

Je la dévisage, alors que sa lèvre inférieure tremble. Merde, elle dit la vérité. Comment peut-elle tenir encore debout comme si de rien n'était, alors qu'elle doit avoir peur sans cesse ?

— Bois un peu d'eau, tu dois être déshydratée.

J'attrape la bouteille à moitié remplie qu'elle me tend, la vide presque d'un trait et me rend compte que je suis assoiffée. Mais je n'ai pas le temps de lui demander si elle peut aller m'en chercher une deuxième qu'un léger coup sur la porte retentit. Comme personne n'entre, je hausse les épaules.

— Ces comprimés donnent soif... grimace ma sœur en désignant la gélule vide qu'elle réduit en miettes dans ses mains avant de la faire disparaître directement sur le sol.

— C'est ce que je crois aussi... Florida, si ce que tu dis est vrai, je devrais plutôt prévenir quelqu'un... Non ? Tu penses qu'il se passe quelque chose de grave ?

— Je pense surtout que personne ne dira rien, affirme James, posté sur le seuil de la porte ouverte sans que nous nous en rendions compte.

Je blêmis d'instinct en croisant son regard sombre, rivé sur ma sœur qui semble se mettre à paniquer en cherchant des yeux une échappatoire.

— Au lieu de fomenter des coups d'états et de fouiller dans mes affaires, vous allez apprendre ce qu'est que le respect de mes affaires et la docilité. Florida à l'avenir, soit soucieuse de ne pas te retrouver dans l'angle de ma caméra. Et de ne pas raconter mes petits secrets à la terre entière car je vois tout, d'où je suis.

Un frisson traverse ma colonne, alors qu'avec sa main, il nous fait signe de passer devant lui, pour nous diriger dans le couloir.

Je déglutis difficilement, mais obtempère rapidement. Si Florida a raison et que tout cela n'est pas une mise en scène, alors j'ai vraiment très peur de ce qu'il pourrait m'arriver.

— Florida, je ne me répéterai pas, gronde-t-il en voyant que ma grande sœur n'avance pas pour nous rejoindre.

Elle semble revenir à la réalité au moment où je l'appelle doucement, et elle me rejoint en me serrant le bras, en suivant James à travers la maison silencieuse. Une nouvelle fois, je ne sais pas où sont passés les enfants, mais j'imagine qu'ils sont à l'école. J'ai l'impression que le temps ne se déroule pas vraiment comme avant ici, mais j'imagine que prendre des cachets qui font dormir n'aide pas à retrouver ses repères.

Marchant d'un pas vif, il nous fait traverser l'étage, les escaliers, nous mène jusqu'à son bureau. Menaçant, il nous fait signe d'y entrer, avant de fermer la porte à clé derrière nous. Je me sens un peu prise au piège, et surtout, je n'ai pas emporté mon téléphone comme j'aurais dû le faire discrètement ! Plutôt que de dire quoi que ce soit, il appuie sur un bouton qui fait s'ouvrir un panneau caché par des plantes et une armoire remplie de classeurs, qui pivote pour laisser un passage frais qui me donne la chair de poule.

— Descendez.

— Jam... Papa, s'il te plaît... le supplie Florida, des sanglots dans la voix.

— Ne fais pas ton bébé.

— Mais je t'en prie...

— Tu me fais honte ! réagit-il, en la forçant à avancer, alors que je prends quelques pas d'avance dans cet escalier dérobé qui me mène je ne sais où sous la maison.

La cave. C'est vers ce qui devrait être la cave que nous allons. Et je ne sais pas ce que ça signifie, mais certainement pas quelque chose de positif. N'importe quel kidnappé peut nous dire que la cave est le pire cauchemar, l'endroit d'où on ne peut pas sortir.

J'avance pas à pas alors qu'une faible lumière éclaire mes pas, Florida pleurant silencieusement derrière moi. James ferme la marche sans même de moyen de pression dans la main, mais je ne suis docile que parce que ma sœur est derrière moi et pas en état de se défendre et chercher une solution pour se sortir de là. Et pour quoi faire de toute façon ? Il est devenu mon père, mon tuteur, mon foyer de référence. Vers qui se tourner pour être crues, alors même que nous ne savons rien sur ce qu'il fait et que je ne peux pas l'accuser d'être malveillant sans preuve ?

— Asseyez-vous.

Il désigne deux chaises faisant face à son bureau, je m'exécute aussitôt pour ne pas le mettre en colère. Je sais qu'en colère, quelqu'un peut devenir imprévisible, et je ne le connais pas vraiment. Tant que je ne sais rien, je dois faire profil bas et faire tout ce qu'il dit.

Il fait le tour de son bureau, s'installe dans son grand fauteuil face à nous. Alors que j'observe chaque centimètre de la pièce dans laquelle nous sommes, dont il a une nouvelle fois fermé à clé la porte d'arrivée, je ne peux que trembler. Je sais que je ne pourrais pas me sortir de là, nous sortir de là sans son accord. Accord qui me semble bien difficile à obtenir, alors que son visage impénétrable m'observe avec attention.

Il sort d'un tiroir une boite des pilules comme celle qu'il m'avait donnée hier et que Florida a également pris, me fait signe d'en avaler deux d'un coup, sans même me proposer d'eau. Je déglutis difficilement, une main sur la bouche, pour que le petit plastique réussisse à passer pour être digéré.

— Non Leëla...

— Tu vas te taire toi ?! s'énerve-t-il en la fusillant du regard car elle a osé parler. Tu ne m'es déjà pas utile et je ne sais pas quoi faire de toi, et en plus tu veux ruiner mes chances de réussir à trouver quelqu'un pour qui ma création a fonctionné ?

— Je n'ai rien voulu de tout ça...

— Mais c'était ta destinée ! dit-il en tapant du poing sur son bureau en bois vernis. Tu n'as jamais été à la hauteur, je ne vois pas pourquoi je me soucierai encore de toi !

Elle baisse la tête, je vois une larme couler sur sa joue. Je reste pétrifiée face à sa fatalité. Elle sait déjà ce qui va lui arriver, elle a tenté de me prévenir mais je n'ai pas écouté. Je n'avais pas tous les éléments en main pour comprendre et savoir qu'il fallait fuir. Mais si j'ai une opportunité, je sais que je dois sortir d'ici à tout prix.

Alors qu'ils ne font pas attention à moi, je fais glisser les deux gélules que je n'ai pas avalé et laissé dans ma main dans ma poche en les écrasant bien pour les rendre dissimulables, alors que James part ouvrir une deuxième porte de son bureau et nous faire signe d'y entrer. Me rappelant que je suis censée avoir pris les cachets, je simule un manque de force évident, et je glisse à moitié de la chaise. Florida m'aide à avancer, jusqu'à ce qu'elle ait pour ordre de m'allonger sur une table glacée disposée au centre de la pièce.

— Ne lui fais pas de mal...

— Ne rêve pas trop. Elle est si bien réalisée, cette gamine, qu'elle devrait m'être utile. Mais il faut simplement qu'elle se laisse faire et que ses cellules ne soient pas aussi fragiles que les tiennes... Va t'asseoir sur l'autre table.

Inquiète, ma conscience m'oblige à fermer les yeux pour simuler le sommeil total, même si mes oreilles sont grandes ouvertes pour entendre tout ce qu'il se passe. Je grimace en entendant le froissement d'un tissu, puis l'ordre de James à ma sœur pour me poser des électrodes sur la tête. Maintenant glacée, je me laisse faire, totalement amorphe. Je sens les mains de Florida trembler en me les plaçant comme il l'indique, et en soulevant à peine une paupière, je vois celui que je suis censée appeler Papa concentré sur un énorme écran d'ordinateur, avant qu'il ne relève la tête vers nous.

— C'est bon, laisse-la comme ça.

— Tu vas lui faire quoi ?

— Juste regarder si ma création a fonctionné.

Il n'ajoute rien malgré mon envie d'en savoir plus, et quelques bruits me donnent la chair de poule. Florida ne pleure plus, mais je l'entends renifler un peu plus loin. Alors que je respire le plus lentement possible pour ne pas me trahir en paniquant, je sens un masque se poser sur mon visage, une main passant un élastique sous mes cheveux en me les tirant. Mais je n'ai pas la force de me plaindre de ce tiraillement, alors que je lutte pour ne pas paniquer et enlever ce masque qui me fait sombrer. La voix de ma sœur semble s'éloigner, avant que tout ne se brouille et le sommeil ne m'avale définitivement, malgré l'absence de cachet pris.

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