Chapitre 16 - Leëla

Je ne me réveille de ma sieste qu'en plein milieu de l'après-midi, déboussolée. Pourquoi ne m'a-t-on pas secouée et fait sortir du lit ? A cause de ça, je n'ai rien fait de la journée presque...

Mais je n'ai pas le temps de paniquer que je suis déjà au rez-de-chaussée pour trouver James, en furetant un peu partout. Je le découvre à la sortie de ce qui doit être son bureau, où il est au téléphone mais me fait signe d'aller dans le salon. Docile, je lui obéis et m'installe sur un des canapés gris énormes qui peuplent le salon, en observant la décoration autour de moi. Tout est parfaitement carré, et j'ai dû mal à me représenter des enfants qui jouent ici sans rien déranger. Mais bon, j'imagine que c'est ainsi dans une grande famille, tout doit être organisé.

J'entends James, enfin mon père, raccrocher, et venir me rejoindre. Il a des plis sur le front, et semble soucieux.

— Tu vas bien ?

— Oui, j'ai juste dormi... Mais il aurait fallu me réveiller...

— C'est normal que tu sois fatiguée chérie. Mais pour l'heure qu'il est, ça ne sert à rien d'aller au lycée. Sers-toi quelque chose à manger, je m'assurerai que tu obtiennes les devoirs à faire.

— D'accord...

— D'ailleurs, j'ai reçu ton bilan sanguin... Tu as quelques carences auxquelles il faudra remédier, Marielle va passer à la pharmacie pour te chercher tout ça, pendant que mon ami qui travaille au laboratoire les analyse d'encore plus près. Je ne voudrais pas passer à côté de quelque chose de grave, tu comprends ?

J'hoche la tête, sans m'inquiéter. Je sais très bien que je n'ai rien d'important, et surtout, que des carences très faibles n'en sont pas, et qu'il réagit peut-être excessivement puisque je viens seulement de revenir à la maison.

Lui consulte sa montre, grogne pour lui-même, avant de me désigner la télé.

— N'hésites pas à trainer sur Netflix, je dois... Je dois retourner travailler.

— Quel est votr... ton métier ? demandé-je, avant qu'il ne disparaisse dans le couloir.

— Je travaille dans la génétique, me répond-il au loin, avant que j'entende la porte se claquer.

Je crois qu'il souhaite être tranquille pour travailler. Je hausse les épaules, et attrape la télécommande, en me disant que me détendre ne me fera pas de mal. Ce n'est pas aujourd'hui que je serais productive, mais tant pis. J'ai bien le droit à un peu de répit, non ?

***

— Alors, tes résultats sanguins ? me demande Florida, une fois qu'elle est rentrée à la maison et que nous sommes tous les deux dans notre chambre.

— Carences.

— Sans blague, rigole-t-elle.

— Quoi ?

— C'est comme ça qu'il fait, pour nous analyser de bout en bout, nous disséquer, chercher au plus profond de nos cellules qui nous sommes. Et tu ne feras certainement pas exception à la règle.

Je lève les yeux au ciel, sans prendre en compte ce qu'elle baragouine. J'ai décidé de lui parler à nouveau parce que c'est la seule que je connais bien ici et que la discussion avec elle est fluide, même si elle m'a menti, mais je commence à en avoir marre de ses soupçons de complot. Qu'est-ce que ça lui changerait dans la vie qu'on ait des carences à compléter ou non ?

Je ne compte pas en entendre plus et me concentre sur les feuilles de cours qu'elle m'a ramené pour tout comprendre et ne pas prendre du retard sur mes cours. En même temps, je me dis qu'elle a dû croiser Liam... Et que je devrais peut-être prendre de ses nouvelles, alors qu'il avait raison.

— Tu as vu Liam ?

— Ou... Oui.

— Il t'a dit quelque chose ?

— Il a été suffisamment désagréable avec moi pour que je ne cherche pas à le croiser, me répond-elle en me fusillant du regard.

— Il avait deviné. C'est lui qui me l'a dit.

— Je savais.

— Et ça ne te dérangeait pas ?

— J'étais morte de trouille ! Mais je n'avais pas le choix, je devais continuer d'être Auwane, la gentille petite seconde qui fait ami-ami avec sa sœur pour la ramener au bercail ! Je suis désolée, je ne voulais pas être son jouet, mais je n'avais pas le choix...

— Arrête de pleurer à chaque fois en parlant en mots codés, je comprends rien ! m'énervé-je, alors qu'elle me dévisage, muette, avant de prendre la fuite ailleurs.

Je ne cherche même pas à la suivre, car elle se repère bien mieux que moi ici. En attendant, je continue de prendre mes cours, avant d'envoyer un message à Liam, pour le rassurer.

[Tu avais raison, pour Auwane... enfin Florida. Tout va bien, je m'installe, je vais prendre mes marques petit à petit. Je serais certainement encore absente cette semaine car il y a beaucoup de choses à régler, mais tout va bien. Je suis désolée de m'être énervée contre toi.]

Et avant de le regretter, j'envoie un deuxième message avant d'éteindre mon téléphone.

[Tu me manques. Notre complicité me manque. Rien n'est plus pareil entre nous, et j'aimerais pouvoir retrouver tout ça. Mais avant ça, j'ai besoin de savoir ce que tu ressens réellement pour moi.]

Puis je tâche de ne pas surveiller l'écran de mon portable, et de passer à autre chose, jusqu'au moment où l'on m'appelle. C'est Marielle, la nouvelle femme de James, qui ouvre la porte de ma chambre. Je la détaille d'un peu plus près maintenant que je n'ai pas quinze nouveaux visages sur lesquels me concentrer. Elle est rousse, son visage est fin, et elle me sourit gentiment, alors qu'elle porte dans ses bras un bébé aux cheveux sombres, qui gigote bien. Je ne me souviens pas l'avoir déjà vu, mais ce doit être la petite dernière de la famille.

— Leëla ? Pourrais-tu venir t'occuper d'Arielle et Elias pendant que Florida s'occupe d'Eliott ? Je dois donner son bain à Léna, mais les enfants ont envie de jouer et ne doivent pas rester seuls...

—Bien sur, je peux faire ça !

— Super, tu me sauves la vie ! Ils sont dans le salon, vous n'avez qu'à jouer avec les petites voitures, la caisse est sous le canapé d'angle.

J'hoche la tête et me lève pour aller l'aider. Je ne me voyais pas lui dire non alors que je viens d'arriver, et que j'admire son courage pour avoir autant d'enfants. En voulait-elle autant aussi ? Ou bien James, notre père, a réussi à la convaincre ? Je sais que déjà quand j'étais bébé, nous étions nombreux. Je ne vois pas l'intérêt d'une si grande famille s'il ne s'en occupe pas plus que ça, sauf si c'est dans sa religion de ne pas s'opposer à la conception, mais je n'ai pas entendu parler de Dieu une seule fois...

Je descends les escaliers en admirant les cadres accrochés dans la cage, avant de traverser rapidement le couloir pour aller retrouver deux des petits dans le salon. Ils sont justement occupés à se chamailler en se battant avec des coussins. Leurs cheveux roux se mélangent sur le canapé, leurs éclats de rire aussi, avant qu'Arielle ne reçoive un coup trop fort et ne bascule en arrière, direction le tapis. Je la rattrape de justesse alors qu'elle devient muette, et son frère se laisse tomber assis en lâchant les coussins aussi vite, comme pour cacher ce qu'ils étaient en train de faire.

— Tu n'as pas mal Arielle ? demandé-je à la petite rouquine dont les cheveux sont tout ébouriffés.

Elle secoue la tête, et j'en suis rassurée. A la place de faire des batailles, je propose de jouer aux petites voitures, et heureusement, les deux sont partants.

Aussitôt dit, aussitôt fait, je me retrouve avec une caisse de voitures renversées sur le sol, et deux bambins qui se disputent la camionnette jaune à l'effigie de la poste car elle a une porte coulissante pour jouer avec. Porte dans laquelle ils coincent finalement tous les deux leurs doigts à tour de rôle, et je leur enlève pour se concentrer sur les autres. Je finis par prendre moi aussi une voiture et la faire rouler près des leurs, mais ils semblent y jouer souvent, car le parking est sous la table et que je « ne fais pas le bon circuit » d'après Elias, qui frotte les boucles rousses sur son crâne.

— On dit qu'ils font un accident ! s'exclame-t-il finalement, avant de se précipiter à quatre pattes près de moi et faire foncer sa voiture sur la mienne en un boucan infernal qu'il produit en criant des mots que je n'arrive pas à comprendre.

Cela fait éclater de rire sa petite sœur, et je me joins à l'hilarité en le voyant faire faire des roulés-boulés à sa voiture sur toute la largeur de la pièce.

— Boum boum boum la voiture est toute cassée ! Maintenant il faut appeler les pompiers !

Arielle se jette sur le tas de voitures inutilisées pour la chercher, et la ramène à son frère qui la lui prend pour continuer l'histoire, alors que je fais mine de foncer dans la voiture d'Arielle. Elle rit sans plus s'arrêter, et quand une des jumelles de 10 ans s'en mêle en lui fonçant dessus aussi, elle en hoquète de rire. Elle la soulève dans ses bras et la fait tournoyer avant de s'affaler sur un canapé, alors qu'Elias râle pour continuer de jouer. Ce que les deux sœurs font en s'asseyant à nouveau à même le sol, et que je les regarde jouer en m'écartant, souriante. Ils font plaisir à voir, mais malgré moi, j'ai une blessure dans mon cœur qui se rouvre.

Pourquoi n'ai-je jamais pu connaître ça avec ma vraie famille, moi aussi ? Je n'ai plus ni ce temps, ni cette insouciance...

Et Florida semble elle dans mes pensées quand elle ramène le petit Eliott en bas, et qu'il se met à courir partout en riant pour échapper à la deuxième sœur jumelle, qui porte un gros pull floqué à son prénom. Eva est donc celle qui a une coupe au carré, tandis qu'Erika les a longs. Eva, prénom court, cheveux courts. Voilà qui devrait m'aider à les reconnaître plus facilement et les différencier.

— Tu t'en sors ?

— Personne n'est mort... murmuré-je en riant.

— Je peux ? Tu peux venir deux minutes ?

Je me lève en acquiesçant, me rapproche d'elle en me demandant pourquoi elle veut qu'on s'éloigne alors que personne ne fait attention à nos paroles et que nous pouvons parler librement.

— Ça m'étonnerait qu'on te l'ait dit alors que tu viens d'arriver, donc je te le dis. Arielle avait un jumeau à la base. Il devait s'appeler Antony, mais il est mort à la naissance. Et parfois... Cela peut expliquer son comportement avec Elias. Il est devenu comme son jumeau malgré leur année d'écart.

— D'accord...

Cela me peine profondément pour cette petite qui devait avoir un lien avec son frère même in utero, mais heureusement, elle a une famille nombreuse qui peut le substituer.

— Mais de quoi est-il... ? demandé-je.

— A la naissance je crois... Je n'en sais pas plus, et ne dis rien aux autres à ce propos, fais comme si je ne t'avais rien dit.

Elle n'attend pas que je lui réponde, et file récupérer Eliott qui s'est assis par terre et s'amuse à attraper toutes les voitures les unes après les autres sans qu'Elias et Arielle n'aient le temps de les lui enlever. En rigolant, il finit même par les jeter sur Eva et Erika, qui se mettent à crier et les lui enlèvent rapidement. Sans comprendre pourquoi il n'a plus le droit de les toucher c'est maintenant Eliott qui se met à pleurer, et Florida le prend dans ses bras pour le calmer pendant que les jumelles empilent les voitures non utilisées dans leur caisse.

Marielle ne revient dans la pièce que quelques minutes plus tard, alors que tout le monde s'est calmé. Eliott joue avec un gros camion qui roule tout seul et les autres ont retrouvé leur circuit imaginaire.

— Merci les filles, nous dit Marielle, en déposant Léna dans un transat. Je vais aller faire à manger, vous allez pouvoir commencer à les emmener prendre leur bain.

— Mais j'ai des choses à... commence Florida, comme scandalisée.

— Tu dois nous aider Florida, je suis très heureuse de t'accueillir ici, mais tu dois faire ta part. Regarde, Leëla ne dit rien. Leëla, tu peux emmener Arielle et Elias dans la salle de bains du premier étage pour t'occuper d'eux, et Florida, tu t'occupes d'Eliott en haut. L'une des jumelles peut prendre sa douche dans la dernière salle de bains de disponible, pendant ce temps.

— Marielle, Leëla doit rester avec moi, intervient mon père, qui me fait sursauter car je ne l'avais pas entendu nous rejoindre. Je vais lui montrer ce qu'elle doit prendre pour pallier ses carences, et je vais avoir besoin d'elle encore quelques minutes j'en ai peur... Demande plutôt aux jumelles de s'occuper d'Arielle, et laisse Elias jouer tranquillement.

Elle hoche la tête, Florida doit mettre les jumelles au courant de leur mission, et moi, je me retrouve à suivre... mon père dans son bureau. Il me fait m'asseoir sur une chaise face à lui, et me tend directement un flacon rempli de comprimés, en me donnant rapidement des indications. Je n'en retiens pas la moitié, sauf au moment où il me dit qu'il faut que j'en prenne deux comprimés dès maintenant. Comme ce sont des gélules, je les avale rapidement avec un verre d'eau qu'il avait déjà prévu, sans plus y penser. A tous les coups, ce sont des plantes dedans, et rien de bien méchant. Après ça, il décide de me poser quelques questions sur comment je me sens, et je ne peux que dire la vérité.

— Bien. Je me sens légère, je suis heureuse d'être ici. Même si les mensonges de Florida ne m'ont pas plu.

— Lesquels ? m'interroge-t-il.

— Au lycée... Et puis toujours ces bobards sur cette peur de devoir partir d'ici, elle me casse un peu la tête mais elle doit être perturbée par mon arrivée.

— Oh je vois... Rassure-toi, tout va bien, d'accord ?

J'hoche ma tête devenue lourde, et alors que je me rends compte que j'ai fermé les yeux et rejeté la tête en arrière, je n'arrive plus à me reprendre.

— J'ai mal à la tête...

— Oui, c'est un des effets secondaires que je t'ai cité. Ça ne dure pas longtemps, mais ça t'assomme pendant quelques secondes. Reste tranquille, ça va bientôt passer...

— D'accord... soufflé-je.

— Je vais t'allonger, ce sera plus confortable le temps que tu reprennes tes esprits.

Je le sens me soulever dans ses bras forts, puis tout devient flou, alors que même mes pensées s'embrouillent.

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