Chapitre 14 - Florida
Nous avons pu nous promener dans la maison comme on voulait l'après-midi. Et je n'ai pas pu m'empêcher de me demander si Leëla trouvait mon absence bizarre, sans prévenir ainsi. Je ne peux m'empêcher d'avoir peur de la voir rentrer, et comprendre qui je suis réellement. Je ne mérite absolument pas sa compassion, son amitié. Et je sais qu'à la seconde où elle passera la porte, tout disparaitra. Je ne serai qu'une traitre, celle qui a réussi à la faire revenir au bercail alors qu'elle aurait été bien mieux loin de nous. J'espère quand même au fond de moi qu'elle pourra comprendre que je n'avais pas le choix...
— Florida, emmène Arielle et Raphaëlle à la salle de bains jaune !
J'acquiesce, peu surprise par les directives de celle qui m'a demandé de l'appeler maman au bout de quelques jours, en arguant que de toute façon, je n'avais presque pas connu ma réelle mère et qu'elle était morte, autant que j'en ai une autre pour s'occuper de moi ! Résultat, je ne l'appelle jamais et me débrouille pour ne pas avoir besoin de son aide. Elle n'est pas méchante, mais cette remarque ne m'a pas plu.
J'interpelle Raphaëlle une fois arrivée au premier étage dans les escaliers, avant d'aller chercher Arielle dans sa chambre. Elle est occupée à jouer seule sur son tapis aux legos, avec Elias. Je la prends par la main en lui disant qu'il est l'heure de passer à la douche, mais elle s'énerve en refusant d'y aller. J'arrive à la calmer en lui promettant de mettre un peu de mousse dans son bains, et réussis à la déshabiller pour la mettre dans l'eau chaude qui coule abondamment. Pendant ce temps, Raphaëlle a déjà eu le temps de s'insérer dans la cabine de douche, et se lave les cheveux frénétiquement, alors que je lui dis d'y aller doucement pour ne pas les abimer.
Je savonne une Arielle qui s'éclate dans l'eau maintenant que sa colère est passée. Elle fait plaisir à voir, à jouer avec ses petits canards, et quand elle est toute propre et commence à grelotter, je la fais sortir en l'enroulant dans sa serviette attitrée. Je la frotte pour la sécher et la réchauffer, avant de lui enfiler son pyjama et ses chaussons. Je lui brosse rapidement ses cheveux, avant de l'emmener dans la cuisine. Entre temps, Raphaëlle a eu le temps de s'habiller elle aussi, et de descendre aider Marielle pour le gargantuesque repas.
Comme je me doute que je vais également devoir m'occuper du passage à la douche des garçons, je n'attends pas qu'on me le demande, malgré mon dos qui me fait un peu souffrir à force d'être penchée sur la baignoire. J'appelle Enzo, qui a un an de plus que Raphaëlle, avant d'aller chercher Elias. Le tout se répète alors que le plus petit m'envoie de l'eau sur les vêtements, mais je rigole au lieu de me fâcher, puis le sors avant que ça ne tourne au vinaigre. Quand je les ramène tous les deux également au niveau du salon, tout le monde y est déjà rassemblé. Athéna s'occupe de mettre la table pour le régiment d'enfants que nous sommes, et Eva et Erika, des jumelles de 10 ans, servent les assiettes. Je n'ai pas encore vu James rentrer avec Leëla, mais ça ne devrait plus tarder. Et je commence à stresser, même si je ne peux rien dire.
J'installe mes demi-frères et sœurs à leur place, pour qu'ils commencent à manger. C'est au moment où Marielle arrive dans la pièce pur nous rejoindre, alors que je porte ma fourchette à ma bouche, que la porte d'entrée s'ouvre. Malgré la joyeuse cacophonie d'il y a quelques secondes, tout le monde se tait. Je me souviens que pour moi aussi, c'était la même chose.
James m'avait fait parvenir des lettres, pour me parler un peu, avant. Il m'avait présenté seulement deux ou trois de tous ses enfants. Et quand je suis arrivée et les ai tous découverts, j'ai failli faire une syncope. Car non, mon père ne vient pas tout juste de refaire sa vie. Mais il a bien neuf autres enfants après nous. Athéna a 12 ans, Eva et Erika les jumelles indissociables, Enzo et Raphaëlle, âgés de respectivement 8 et 7 ans. Mais ensuite, il y a Elias, 4 ans, Arielle, 3 ans. La petite Léna vient de fêter ses 3 mois et elle n'était pas encore née quand je suis arrivée, et Eliott a 1 an et demi. J'ai failli m'évanouir en en découvrant autant, mais j'ai fini par m'y faire. Alors j'imagine que Leëla aura la même réaction que moi à l'époque. Je m'arrête de manger, baisse inconsciemment la tête.
Quand James arrive, Leëla est derrière lui, son sac de cours sur une épaule. Et quand elle aperçoit la table d'enfants qui la regardent en retour, je vois sa mâchoire se décrocher. Elle n'ose pas faire un pas de plus, mais personne ne semble inquiété plus que de mesure.
— Chérie, voici tes frères et sœurs, lui annonce-t-il sans préambule.
— Mais... Vous aviez dit qu'il n'y en avait que trois...
— Pour ne pas te perturber, ça peut être compliqué d'arriver dans une si grande famille, répond-il très simplement, sans plus de malaise.
Il lui fait signe de passer devant lui dans la grande pièce, et elle s'exécute d'une démarche hésitante. Je la vois dévisager chaque enfant, reconnaître ceux qui ont dû être là la semaine passée quand elle est venue, découvrir les autres... Son regard avance inexorablement vers moi, sans s'arrêter. Quand il finit par me reconnaître, je vois ses yeux me dévisager sans manifester une quelconque surprise. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi. Est-ce qu'elle savait déjà ?
— Bonjour... finit-elle par dire, sans savoir quoi ajouter.
— Tu comprends maintenant pourquoi la maison est si grande ! Après manger, chaque enfant pourra se présenter à toi en quelques mots, tu ne retiendras pas tout mais l'important c'est juste que tu puisses tous les voir aujourd'hui. Il y a une place pour toi à côté de Florida, que tu connais bien, tu ne seras pas perdue.
Elle avance vers moi à pas mesurés, enlève son manteau pour le poser sur le dos de sa chaise avant de s'installer à mes côtés, sans jamais me jeter de coups d'œil. Je n'ose pas engager la conversation, je ne peux pas faire comme si ce n'était rien. Elle doit se sentir terriblement trahie par moi, mais aussi notre père qui n'a pas dit la vérité sur le nombre d'enfants qu'il avait, et je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie.
— Les enfants, continuez de manger avant que ce soit froid ! tonne-t-il, alors que tous les autres se remettent à manger et à parler normalement.
Personne ne fait plus attention à moi, et je continue de manger même si j'ai la mauvaise impression que ma gorge est bloquée et que je déglutis difficilement.
— Pourquoi tu ne m'as pas dit ?
— Je n'en avais pas le droit...
Elle me regarde avec des yeux ronds, et j'hausse les épaules en espérant ne pas attirer l'attention de notre père. Je sais qu'il doit être occupé à nous surveiller, car même au bout de la table, rien ne lui échappe. Je termine rapidement mon assiette car je sais que je vais devoir beaucoup aider ici. Il y a tellement de monde que tout est bien rodé et que chacun a des obligations ici. Et je n'oserai même pas imaginer ce qu'il pourrait m'arriver si je refusais de m'y plier.
Je vais chercher les desserts à l'aide de Raphaëlle dans le frigo du garde-manger, et nous ramenons une danette à la vanille pour tout le monde. Là encore, je dois être la première à la finir, et Raphaëlle s'occupe de passer la poubelle de table pour débarrasser, tandis que je m'occupe de la vaisselle. Leëla cherche à m'aider, mais James l'interrompt en disant que c'est mon jour et que pour l'instant, elle ne participera pas à ces tâches. Cela viendra plus vite qu'elle ne le pense...
Elle part donc s'asseoir dans un canapé, malgré son malaise évident, puisqu'elle se tient droite au lieu de se laisser affaler. C'est à ce moment-là que nos frères et sœurs décident de se présenter à elle chacun leur tour, en se laissant la parole.
— Salut, moi c'est Eva, j'ai 10 comme ma sœur Erika !
— Je m'appelle Enzo.
— Moi c'est Raphaëlle mais on s'est déjà vu...
Cela continue alors que je les perds de vue, et quand j'ai enfin fini de nettoyer les tâches de sauce tomate qu'on a laissé sur la table avec Arielle et Elias, tout le monde a disparu dans les salles de bains certainement, sauf James qui discute avec Leëla à voix basse.
Je sais que je n'ai pas le droit de les écouter, ils ont le droit de parler en privé, alors je grimpe au premier étage et vais me brosser les dents avec Athéna, Arielle et Elias. Je les emmène se coucher alors que Marielle est occupée à l'étage du dessus, puis retourne dans ma chambre me mettre en pyjama. Quand Leëla me rejoint enfin, je suis tournée vers le mur, les yeux ouverts, mais je respire faiblement. Je ne sais pas si elle pense que je dors ou que je suis juste immobile, mais elle s'avance vers moi pour fixer mon dos jusqu'à ce que je craque et me tourne vers elle.
Son regard semble furieux. J'hésite, je bégaie, le tout en silence car nous devrions dormir. Elle ne semble pas s'en soucier.
— Comment tu as pu ? murmure-t-elle, des larmes de colère brillantes aux coins de ses yeux. Je te faisais confiance... Et toi tu t'es servi de ça pour m'approcher et...
— C'est lui qui se servait de moi... Je n'ai pas eu le choix... plaidé-je, en m'asseyant sur mon lit, alors qu'elle se tourne vers une valise laissée là pour enfiler un pyjama.
— On a tous le choix Auwa... Florida je veux dire ! Mais comment j'ai pu être aussi conne...
Elle se fustige, avant de s'asseoir sur son lit, les bras croisés sur sa poitrine. Je sais qu'elle attend des réponses de moi, mais je ne sais pas ce qu'elle veut, alors il va falloir me poser des questions.
— Pourquoi tu ne réponds jamais à Jessica ? me demande-t-elle finalement, alors que c'est à mon tour d'être suprise.
— Tu la connais ?
— Oui, je l'ai rencontré... par hasard. Elle s'inquiétait pour toi.
— Elle ne va pas tarder à s'inquiéter pour toi aussi... marmonné-je.
— Moi je ne vais pas la laisser sans nouvelles ! D'ailleurs, j'ai donné son numéro à James, enfin papa, pour qu'il puisse la contacter si elle le souhaite.
Je ne sais même pas quoi lui répondre. Ebahie par sa connerie, je me rallonge dans mon lit en fermant les yeux, en luttant contre les larmes qui menacent de couler.
Elle vient de jeter une troisième de nos sœurs dans la gueule du loup.
— Leëla... Si tu le peux, reste loin d'ici...
— Comment ça...
— Pars, enfuis-toi tant que tu peux... Mais ne reste pas ici, tu ne sais pas ce qu'il va t'arriver... murmuré-je.
— Arrête un peu madame la rabat-joie ! s'exclame-t-elle. C'est bien toi qui m'a dit de retrouver ma famille, parce que la tienne était trop géniale !
— C'était ce que je pensais au début... gémis-je.
Si elle savait comme j'aurais voulu pouvoir revenir en arrière...
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