Chapitre 13 - Leëla
J'ai au moins l'avantage d'être déjà venue voir à quoi ressemblait la maison. En arrivant, je pensais qu'il y aurait une discussion, mais pas vraiment. La dame venue me chercher a appuyé sur la sonnette, et quand la porte s'est ouverte, elle a soupiré.
— Bon, comme j'ai entendu dire que vous étiez déjà venue, j'imagine que vous vous connaissez, je peux rentrer c'est bon ?
— Et pour les papiers d'identité ? grimace mon père, en me faisant signe de rentrer, alors chargée de plusieurs sacs aussi lourds que moi.
— Dites à votre femme de voir ça avec la mairie.
J'interroge celui qui a partir de maintenant à ma garde. De quels papiers parlent-ils ?
— Juste tes papiers chérie, me dit-il. Tu vas pouvoir à nouveau utiliser ton nom de famille de naissance, et pas ton deuxième prénom que ta mère avait choisi et que je n'aimais pas du tout. Mais si tu l'aimes tant que ça, on t'appellera ainsi comme si c'était un petit nom.
La dame s'en va plus vite que je ne l'aurais cru possible, alors que James me suit avec les affaires qui restaient sur le trottoir. Ça me fait bizarre de savoir que je m'appellerai à nouveau Leëla Dufond, et pas Leëla Lilhi. Moi au contraire, je l'aimais bien.
Il doit être tout seul ici, car il n'y a pas âme qui vive... Je décide de monter mes sacs tout de suite, avant de signifier mon envie d'aller au lycée au moins cet après-midi, pour ne pas perdre de temps sur les cours.
— Chérie, ça me semble plus important que d'abord tu prennes tes marques ici, tu auras tout le temps de retourner travailler plus tard.
— Oui mais c'est important, je vais avoir de gros DS qui comptent beaucoup et je...
— Nous verrons cela.
Il coupe court à la conversation, et essoufflée sous le poids de mes affaires, je ne riposte pas. Je le laisse déposer mes affaires dans la pièce, avant qu'il ne ferme la porte derrière moi en me disant de tout ranger avant de redescendre, et de prendre mes marques.
Circonspecte, je reste les bras ballants dans ce qui sera ma future chambre. Il y a bien quelques affaires devant appartenir à Florida, mais je préfère y ajouter les miennes et ne pas me sentir trop comme une intruse.
— Qui es-tu vraiment ? murmuré-je en observant ses draps pâles, la moitié du grand bureau ordonné et la coiffeuse où rien ne dépasse.
Je ne me laisse pas abattre et commence par sortir ce qui n'est pas des habits, puisqu'il n'y a pas d'armoire ici. J'imagine qu'il existe un grand dressing derrière l'une des autres portes, ce qui permet de gagner de la place dans les chambres. Alors c'est ma brosse, mes bijoux, mes quelques livres, mon doudou, tout ce à quoi je tiens que je mets sur mon lit pour leur trouver ensuite un nouvel endroit. Il y a une étagère vide au-dessus de mon lit, et je la remplis rapidement avant de passer à d'autres choses.
Cela me prend plus de temps que je ne le pensais, et c'est finalement James, enfin mon père, qui vient me chercher pour manger. Il me demande si j'ai fureté ailleurs, et je réponds négativement. Il plisse les yeux comme pour savoir si je mens ou dis la vérité, alors je lui promets qu'il peut me faire confiance et que jamais je ne chercherai à connaître ce que l'on ne me dit pas. Ce n'est pas dans mes habitudes de fouiller chez les gens.
— Tant mieux. Florida a eu une période terrible, on la retrouvait un peu partout à chaque fois, que ce soit dans nos papiers ou nos jeux pour les enfants, elle observait tout comme une maniaque. A peine arrivée, j'ai dû la punir enfermée dans sa chambre le temps qu'elle nous fasse plus confiance, en allant la voir à petite dose. Elle a finit par comprendre que c'était mal de faire ça, et ça c'est arrêté. Mais il est vrai que je dois garder un œil sur elle, de temps en temps.
— C'est compréhensible... murmuré-je. Si elle a changé de famille plusieurs fois, que ça a été chaotique pour elle, c'est logique de vouloir trouver de la sécurité dans le savoir, pour connaître les gens qui l'entourent et qu'elle ne connaît pas encore très bien.
— Tu m'as l'air bien renseigné, toi...
Je le regarde fixement, alors qu'il sort à manger du frigo gargantuesque d'où la nourriture déborde presque. Il nous met à chauffer deux portions d'un plat de lasagnes, avant de s'asseoir face à moi.
— Dis-moi, as-tu déjà contacté ta sœur ?
— Hé bien, c'est elle qui m'a trouvé sans faire exprès...
— Tu es sûre ? Qu'a-t-elle dit ? s'intéresse-t-il, en mettant la table, mais les yeux fixés sur moi.
— Elle m'a dit qu'elle n'avait plus de nouvelles de Florida, et qu'elle espérait qu'elle allait bien...
— Qui ? me redemande-t-il, en cessant de bouger.
— Hé bien, Jessica... Elle était avec Florida dans une famille pendant leur enfance je crois...
— Tu sais d'autres choses sur elle ? Ou elle habite, comment je pourrais la contacter ? Son dossier ne peut pas m'être donné car elle a plus de dix-huit ans...
— Je... Hé bien... hésité-je. J'ai son numéro.
— Donne-le moi.
Surprise, je n'ajoute rien. Lui me fusille du regard de ne pas bouger, et je ne sais pas quoi dire. La sonnerie du micro-ondes fait interrompre ce duel de regard pendant qu'il va chercher le plat et se plaint de sa chaleur.
— Je pourrais la rassurer ainsi, et peut-être parler avec elle si elle en a envie, pour qu'elle puisse à l'occasion passer ici et voir sa sœur, ainsi que moi...
— Elle a une vie de famille vous savez ? Enfin, je ne crois pas qu'elle en a réellement quelque chose à faire, elle souhaite juste faire sa vie de son côté.
— On ne sait jamais, elle a peut-être quelques questions auxquelles je pourrais répondre, dit-il.
J'hoche la tête, lui dit que je le ferais mais que pour l'instant, mon téléphone est resté dans la chambre. Enfin, ma chambre. Je commence à manger en me brûlant un peu la langue, et je bois une gorgée d'eau pour faire cesser le feu dans ma bouche. Lui ne remarque rien et continue d'engloutir son plat comme s'il avait plein de choses à faire cet après-midi. Finalement, c'est lui qui entame à nouveau la conversation, alors que j'ai fini d'observer chaque meuble de la cuisine immaculée.
— J'ai réfléchi, tu serais peut-être quand même mieux à aller en cours, je ne veux pas qu'on mette dans ton dossier que dès tu es avec ton père, tu ne vas plus en cours. Evidemment qu'il te faudra un temps d'adaptation, mais je crois que le mieux est de ne pas interrompre la routine. Si tu veux, on peut encore arriver à l'heure.
— D'ailleurs, vais-je continuer d'aller à l'internat ? lui demandé-je, en l'interrogeant du regard.
— Je préférerai que tu sois plus à la maison pour favoriser le lien avec tes frères et sœurs, surtout pour le début. Je viendrai te chercher ce soir.
Je comprends son raisonnement. Je ne pourrais jamais vraiment m'habituer à cette nouvelle vie si je ne suis jamais avec eux, et le malaise persistera toujours. Alors j'affirme être d'accord pour tester tout ça, sous réserve de pouvoir retourner à l'internat si tout va bien et que je le préfère pour les cours. Mais James fait la moue face à l'argent mis dedans alors qu'il habite à quelques minutes, et conclus la discussion par un « on verra », avant que je ne monte chercher mes affaires pour aller au lycée.
Arrivée là-bas, j'ai beau chercher où est Auwane, je ne la vois pas. Je n'ai pas eu de messages d'elle ce matin pour me prévenir de son absence, mais après tout, nous ne nous sommes jamais rien envoyé jusque là. Et je ne veux pas aller retrouver Liam après m'être disputée avec lui rien que parce que je suis seule. Je n'ai pas besoin qu'on me prenne en pitié, et surtout, qu'on veuille décider de ma vie à ma place. Alors je reste seule toute la journée, en pianotant sur mon téléphone pour passer le temps. En classe, je suis attentive, et je travaille comme une dingue pendant l'heure d'étude qui remplace un prof absent, car je n'ai pas eu le temps de faire grand-chose ce week-end et que je dois rattraper mon retard. Dans deux jours, nous avons un DS de physique, et j'ai intérêt de m'exercer si je ne veux pas me planter.
Ce n'est qu'au moment de sortir du lycée que quelqu'un finit par m'approcher, alors que je récupère des fiches de cours photocopiées de ce matin. Je le vois arriver de loin, mais je ne bouge pas. Ses yeux marron me sondent alors qu'il dérange ses cheveux déjà un peu indisciplinés, mais je refuse de le regarder dans les yeux. Je ne veux pas qu'il puisse savoir que je suis un peu troublée par sa présence, même quand je ne voulais plus qu'il s'approche.
— F... Auwane n'est pas là ?
— Non. Tu n'as pas intérêt à cracher dessus, d'ailleurs.
— Je voulais juste savoir comment tu allais. C'était aujourd'hui, non ? s'enquit-il, en s'installant près de moi.
— Oui... Ça a été, c'était ce matin, je suis revenue cet aprèm. Et je vais certainement arrêter d'être à l'internat.
— Ah. D'accord...
Un silence. Je mets une autre feuille dans l'imprimante, lui se dandine sur place à côté de moi, comme s'il ne savait pas quoi ajouter. Quand je finis par relever les yeux vers lui, je ne vois que les cernes violets qui marquent son visage. Je suis choquée de le voir si marqué par la fatigue.
— Liam, ça va ?
— Rien de grave... Je m'en remettrais, comme toujours, coupe-t-il court.
— C'est-à-dire ?
— Rien.
J'ai l'impression de me prendre une gifle en même temps que sa rebuffade.
— Je suis désolée, m'excusé-je. Je ne peux pas tout gérer en même temps, expliqué-je, sans plus oser le regarder. Je ne peux pas supporter que tu décides pour moi alors que je ne peux rien vraiment décider moi-même. Et la haine que tu éprouves pour Auwane, je ne la comprends pas non plus. Moi je l'apprécie, je voudrais que tu fasses un effort pour la supporter également.
— C'est plus compliqué que ça... Elle n'est pas honnête avec toi, Leëla.
— Et c'est si grave que ça ?
— Je crois, oui.
— Je t'écoute, alors. Lui dis-je, en prenant mes feuilles et me dirigeant vers la porte.
— Je ne suis pas sur que ce ça soit le bon moment...
— Liam...
Il veut me parler depuis quelques temps, et maintenant, il ne veut plus rien dire ? Mais je le fixe du regard jusqu'à ce qu'il craque. Ce qu'il ne tarde pas à faire, alors que je passe la grille pour rejoindre la voiture de James garée à quelques mètres de là.
— Leëla... Promets-moi que tu m'enverras des messages quand tu seras là-bas.
— Crache le morceau, Liam.
— Auwane n'est pas celle que tu crois. Elle... bégaie-t-il, comme stressé, sans pouvoir me suivre dans la rue et devant continuer un peu plus fort. Leëla, je ne sais pas pourquoi elle n'a pas révélé sa véritable identité, mais ça me semble bizarre... Auwane, ce n'est que son deuxième prénom. Le premier... Elle s'appelle Florida.
J'atteins la voiture au moment où l'information parvient à mon cerveau. Je me retourne, choquée, pour regarder Liam dans les yeux, et je n'ai pas besoin d'autre confirmation pour savoir qu'il croit à ce qu'il dit. Mes oreilles bourdonnent, mais James m'observe et je ne peux pas faire demi-tour. Alors je grimpe dans la voiture pour rentrer avec lui, alors qu'intérieurement, une tonne de questions tourbillonnent en moi.
Mais une d'elle prend plus de place que les autres : Pourquoi ma sœur m'aurait-elle caché la vérité ?
Au fond, j'ai ma petite idée. Pour en savoir plus sur moi avant de me récupérer ? J'hoquette sous les yeux étonnés de James, mais lui assure que tout va bien. Une boule au fond de l'estomac, je ne comprends même plus rien.
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