Chapitre 12 - Leëla

Parler ainsi à Liam m'a fait mal au cœur, mais il devait comprendre que j'en ai assez qu'il veuille s'immiscer ainsi dans mes décisions personnelles qui sont déjà très difficiles. Je pense qu'il serait mieux de nous éloigner pour ne plus nous taper sur le système mutuellement pendant quelques jours, histoire de pouvoir nous calmer et que je puisse tranquillement prendre les décisions qui ne relèvent que de moi. Ou l'absence de décisions, vu que je vais dans tous les cas partir habiter chez mon père. Je ne comprends pas comment Liam ne veut pas comprendre que c'était important pour moi, de le rencontrer vraiment une première fois avant...

Ce matin, il n'est même pas venu me voir. Je ne l'ai pas cherché longtemps, je ne compte pas courir après lui. Auwane n'a posé aucune question sur ce qu'il s'est passé, mais je peux la voir regarder autour de nous bien souvent. Après un énième coup d'œil à son portable vide de notifications, je finis par relever.

— Il se passe quelque chose ? Tu sais que tu peux tout me dire...

— Ne t'inquiète pas, c'est rien de... Génial.

— Ça a un rapport avec tes parents ? Tout se passe bien là-bas ? Tu n'en parles pas beaucoup...

— Si si... Tout va bien. Enfin, je suis plutôt timide, alors... Disons que je reste souvent enfermée dans ma chambre. J'ai toujours... l'impression de déranger...

Je souris en lui apprenant que ça m'a fait la même sensation hier, mais alors que j'espère qu'elle puisse me rassurer, elle n'ajoute rien. C'est moi qui finis par lui poser des questions, la curiosité étant plus forte que moi.

— Tu as des frères et sœurs chez toi ? Ou demi ?

— Oui... Plusieurs.

— Tu t'entends bien avec eux ?

— Je ne sors pas beaucoup de ma chambre, alors je leur parle peu... C'est étrange.

— Mais quand même, tu as déjà dû passer du temps avec eux le week-end !

— Pas vraiment... hésite-t-elle. Ecoute, j'ai pas réellement envie d'en parler d'accord ? Je ne sais pas trop quoi te dire... Ce sera certainement différent pour toi que pour moi, alors je ne veux pas que tu te fasses de fausses idées sur ce qu'il pourrait se passer...

Je relève les sourcils, surprise. Le but n'est pas d'idéaliser, mais juste de savoir comment ça s'est passé pour elle. Mais si elle ne veut pas... Tant pis, j'imagine que je le saurais bien assez tôt.

— Désolée, m'excusé-je alors, en ayant l'impression de l'avoir poussé dans ses retranchements.

Mon amie sourit faiblement, puis m'esquive en se rendant précipitamment aux toilettes. Je ne la suis pas, pour lui laisser la paix. Je m'en veux un peu, je crois que j'ai abusé. En même temps, comment j'aurais pu savoir que ce sujet était si sensible ?

Quand ça sonne, elle finit par me rejoindre, et nous remontons dans notre classe sans dire un mot. A mi-chemin dans les escaliers, nous croisons Liam, qui darde sur Auwane un regard mauvais, avant de faire mine de m'intercepter. Je refuse qu'il m'arrête alors qu'il semble détester la fille à mes côtés sans raison valable, alors je prends sa défense.

— Si tu as un problème, tu en parles, et sans jeter des regards méchants à tout le monde.

— Mais Leëla bordel...

— Arrête de me supplier de t'écouter si tu ne parles jamais !

— C'est toi qui n'es pas venue ce matin... J'en conclus que tu ne veux plus me parler, mais ce que je dois te dire est vraiment important alors écoute-moi !

— Une autre fois, je ne peux pas être en retard à mon cours.

— Non mais...

Je continue ma route avant qu'il ne m'attrape par le bras pour me faire m'arrêter. Auwane s'en mêle en lui disant de me lâcher et me laisser m'en aller, mais il fait mine de ne pas l'entendre et me pousse dans un couloir qui s'est vidé d'élèves pour me parler. Elle ne se démonte pas et le tire pour le dégager de là, mais Liam est plus fort qu'elle et ne bouge pas d'un poil.

— Leëla, ça concerne ta putain de sœur qui ne répond plus aux messages de Jessica.

— Tu ne la connais même pas, t'es chiant ! Arrête de vouloir faire ton intéressant, peut-être que ma première grande sœur l'a tellement saoulée comme toi qu'elle est enfin tranquille dans sa vraie famille !

Je le repousse alors qu'il laisse tomber ses bras le long de son corps, comme surpris. Je n'attends pas une réponse de sa part pour me précipiter dans ma classe juste à temps, avec mon amie qui m'a suivie. Je ne veux plus entendre une seule des bêtises qui sortent de sa bouche, il dépasse les bornes.

Pendant le cours passionnant d'histoire où je n'écoute rien, je décide donc de faire un break avec lui. Ce n'est peut-être pas la solution sur le long terme, mais je n'en peux plus de me prendre la tête avec lui alors que j'ai des choses bien plus importantes à régler. Je reporte donc dans ma tête toutes les discussions que nous devrons avoir, le temps que le tout se calme.

***

Fin de semaine, je prends donc le train sans lui à mes côtés. Assise seule sur un siège, gênée par l'odeur malodorante qui provient du type devant moi, j'essaie de ne pas trop respirer et prie pour arriver vite à la gare. Je ne peux pas changer de place car ce train est bondé, et que je suis chanceuse d'avoir trouvé une place assise avec ma valise près de moi, déjà.

Si je raisonne bien, c'est d'ailleurs la dernière fois que je prends le train dans ce sens-là avec ma valise, car mon père habite dans la ville même où j'ai mon lycée. Enfin, pendant la discussion avec lui en début de semaine, j'ai appris que Marielle et lui avaient investi dans d'autres maisons ailleurs, mais je n'ai pas eu leurs adresses. Je vais d'abord me faire à une nouvelle maison avant d'en avoir encore des nouvelles à découvrir !

Je sors péniblement en bousculant les valises qui s'amoncèlent entre les sièges, alors que leurs propriétaires grognent dans leur barbe sans même la bouger pour laisser un passage. Je ne dis rien et continue mon avancée, jusqu'à réussir à approcher la porte. Je descends sur le quai, retrouve Mina, Clément et Ariana ensemble pour une fois, et ne m'attarde pas. Personne ne me fait de remarque sur le fait que Liam et moi ne nous parlons pas, et je les remercie intérieurement.

— Tu vas bien chérie ?

— Ouais...

— Ce week-end va être un peu difficile, me dit Clément, mais on fera tout pour que ça se passe bien d'accord ?

— Oui...

— Sache que si tu as besoin de nous, nous serons toujours là. Mais si tu préfères laisser une distance car il te faut réapprendre à vivre là-bas, nous comprendrons ton silence.

— Je n'ai pas envie d'en parler tout de suite...

Quand ils sont venus au lycée, ils n'ont pas râlé. Ils ont juste tenu à savoir si ça allait, si tout s'était bien passé, et à connaître mon ressenti. Quand j'ai demandé si on pouvait faire une liste de tout ce que j'aimais ce week-end, ils ont dit oui, et je sais que nous passerons notre week-end à ça. Je suis stressée et j'ai hâte à la fois, je danse sur un pied, comme en équilibre, et j'espère pouvoir définitivement retrouver une stabilité.

Quand nous arrivons à la maison, c'est Mina qui s'occupe de moi non stop. Elle écrit au stylo sur une feuille longue comme le bras mes préférences culinaires, ce que je ne supporte pas, en approfondissement chaque catégorie d'aliment si bien que je finis par faire seulement acte de présence à côté d'elle, incapable d'en supporter plus psychiquement. Elle tient bon jusqu'à la fin, puis c'est Clément et ses listes de courses interminables qui se joint à moi. Ce que j'utilise comme shampoing, mes habits et jusqu'au dentifrice... Tout y passe. Evidemment que je n'aurais pas tout ce que j'utilisais avant, mais au moins mon père sera renseigné sur ce que j'utilise et apprécie pour s'adapter à mon arrivée.

Je passe donc le week-end à faire mes valises, emporter des bibelots auxquels je tiens et enlever à ma chambre l'âme que je lui avais donné. De toute façon, comme Mina a renouvelé la procédure pour accueillir plus d'enfants placés ici, la chambre ne sera sûrement pas vide longtemps. Ça me console un peu de savoir qu'ils pourront m'oublier vite en se préoccupant d'autres enfants. Je ne veux pas qu'ils aient mal, eux qui ont tant donné pour moi.

Quand on vient me chercher, lundi matin, je ne dis rien. Je serre très fort Mina et Clément dans mes bras, de même qu'Ariana qui pleure même si elle ne comprend pas vraiment ce qu'il se trame.

Je monte dans la voiture venue me chercher tandis qu'on y monte mes affaires, la porte claque, je me tourne vers la façade de la maison qui aura été celle de mon enfance. Des larmes coulent sur mes joues, mais je les essuie vite. Je ne veux pas qu'ils me voient pleurer, afin qu'ils puissent être heureux pour moi. Nous avons déjà passé la nuit à nous réconforter, et je me sens vide, incapable de ressentir la moindre chose. Mais je sais bien qu'une fois chez mon père, cela s'estompera vite, une fois que j'aurais fait la connaissance de tout le monde et que je me sentirai à ma place.

Alors en attendant d'arriver, je regarde par la fenêtre la route et les maisons qui défilent. Je fais mon adieu à ce que je connaissais et voyais souvent, pour partir ailleurs, et me refaire une autre vie. C'est parti.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top