Chapitre 10 - Leëla
Plantée au milieu de la rue, j'observe la porte d'entrée devant laquelle je suis postée en inspirant profondément. J'ai décidé d'y aller seule pour ne pas me faire influencer, et surtout, parce que je ne veux pas qu'on me dicte ma conduite ou qu'on parle à ma place. J'ai récupéré les lettres que je gardais avec moi, et suis sortie tout de suite en laissant mes amis derrière moi. J'ai menti en disant que j'allais aux toilettes pour sortir seule, et le temps qu'ils se rendent compte de mon absence, ils ne pourront jamais venir me trouver ici.
Je finis par appuyer sur la sonnette où aucun nom n'est inscrit, et avale ma salive péniblement. Je regarde ce qui sera bientôt ma nouvelle maison en me demandant si j'arriverai à la considérer comme telle, alors que j'ai si longtemps vécu dans celle de Mina et Clément.
Je n'ai pas le temps de me creuser plus la tête que le battant s'ouvre doucement, alors que la tête d'une femme me dévisage. Une jolie rousse d'une trentaine d'années, qui fronce les sourcils en m'observant. Je souris, finis par me présenter.
— Bonjour, je suis L...
— Si c'est pour une œuvre caritative, ce n'est pas la peine. Nous ne donnons pas d'argent par l'intermédiaire de quelqu'un, me coupe-t-elle immédiatement.
— Ce n'est... Je suis Leëla. La fille de James. Il m'avait dit de passer pour se rencontrer avant que je vienne habiter ici...
— Oh.
Elle s'arrête net, ouvre la porte en grand pour me faire entrer dans le couloir. Je m'y faufile, découvre un couloir qui dessert des pièces de chaque côté, alors qu'elle ferme la porte, et me demande d'attendre là. Je l'entends appeler quelqu'un, sûrement James, et j'attends là en appuyant mes mains l'une contre l'autre, un peu stressée.
— Il arrive. Il était en train de travailler dans... son bureau.
Elle me sourit, puis me propose de la suivre dans le salon en attendant. Je m'installe sur le canapé en cuir en observant autour de moi les murs beiges, les plantes près des fenêtres, les cadres photos de famille. Je m'imagine en faire partie, mais je suis prise de frissons et me tourne vers celle qui m'a accueillie.
— Je m'appelle Marielle. Je suis la femme de James.
J'hoche la tête, lui sourit.
— Vous savez sans doute qui je suis mieux que moi, souris-je.
— Oui, je suis bien au courant forcément, c'est un changement de vie mais James semblait tellement y tenir que c'était important pour moi qu'il puisse réunir toute sa famille.
— C'est... gentil. Je suis désolée de ne pas m'être annoncée, j'ai fait ça sur un coup de tête.
— Voyons, il sera très heureux de te voir là.
Nous entendons du bruit en provenance du couloir, une porte qui se ferme, et mon père arrive dans la pièce. Je ne peux m'empêcher de le dévisager, d'apprendre chaque particularité de son visage pour m'en souvenir et chercher des similarités avec moi. Je suis saisie par le portrait craché que je pourrais être de lui. Il a les mêmes cheveux que moi, bruns et ondulés, et j'ai hérité de ses yeux sombres également. Je suis vraiment sa fille, aucun doute n'est possible. Il m'approche, hésite à me faire la bise avant de simplement me saluer d'un mouvement de tête.
— Bonjour Leëla. Je suis content de te voir ici.
— Moi... Moi aussi.
— Tu as dû avoir mes lettres ? Je suis ravi que tu sois passé, afin que l'on puisse vraiment se rencontrer avant que tu viennes habiter ici.
— Pourquoi maintenant ? lui demandé-je. Après si longtemps ? Je n'ai pas vraiment de souvenirs de vous... Et ça aurait été bien plus simple pour moi de rester chez Mina et Clément pour au moins jusqu'à la majorité, c'était plus stable que changer...
Il me sourit, remonte sa manche jusqu'à l'épaule pour dévoiler un tatouage qui représente des petits bonhommes en noir et blanc, relié par un fil. Seul celui de Florida est colorié, sûrement parce qu'elle vit ici maintenant.
— Vous êtes ma famille. Nous sommes tous reliés, et nous sommes beaucoup mieux en famille, que chez des inconnus, des gens qui n'ont rien à voir avec nous au commencement. Tu es ma fille et tu comptes pour moi, voilà pourquoi je te voulais à mes côtés. Je veux faire partie de ta vie.
Il me sourit, me fait signe de me lever. Il murmure à sa nouvelle femme, pas ma mère, d'aller chercher les enfants, Raphaëlle, Elias et Léna. Je souris en songeant que même si je n'ai pas tout de suite fait partie de cette famille, je découvre que j'ai des demi-frères et sœurs qui eux ont un foyer stable, et ça me fait plaisir. Evidemment que je suis un peu jalouse, mais je suis quand même heureuse pour eux.
— Plutôt que de rester formellement dans le salon à discuter formellement, je vais te faire visiter ta future maison, me dit James, en me faisant passer devant lui. Evidemment, ce sera un peu différent de chez ta famille d'accueil, puisque tu devais sûrement avoir une chambre à toi toute seule, mais ici, comme tu es déjà en internat qui plus est, tu partageras ta chambre avec ta sœur Florida. Elle a un an de plus que toi, mais je suis certain que tu t'entendras bien avec elle.
Il me fait monter un escalier, traverser un long couloir de portes fermées, sûrement les chambres, avant d'entrer dans celle de droite. Je découvre l'endroit où je vais vivre dans quelques semaines, avec deux lits, une énorme armoire poussée dans un coin, une coiffeuse et un grand bureau avec deux chaises. Tout paraît parfait, comme dans un magazine. Mais après tout, cette chambre doit avoir été faite il n'y a pas si longtemps, donc c'est normal qu'elle soit si belle. Je repère des étagères avec quelques livres, des bougies, un grand miroir.
— J'espère que ça t'ira, mais si jamais tu as besoin, Marielle pourra s'occuper de refaire ça selon tes goûts, moi je n'ai pas trop cette fibre, plaisante-t-il. Les enfants ne devraient pas tarder à arriver, ils mangent ici à midi. En tout cas, voici ta chambre pour dans une semaine, et bien entendu, tout ce dont tu as besoin, je te l'achèterai.
Je ne sais pas quoi dire, alors je n'ajoute rien. Je n'arrive pas à parler, je ne vois pas quel sujet aborder. Je renifle et détecte une odeur de cannelle, ce qui me fait m'interroger. James le voit, et sourit.
— On peut manger avec toi si tu le souhaites, tu n'as pas dû manger encore.
J'acquiesce alors qu'il me fait passer par les toilettes de l'étage, des deux salles de bains, de la salle à manger, avant d'atterrir dans la cuisine. Marielle est devant les fourneaux, en train de faire cuire le repas, alors que deux enfants sont attablés à table en attendant de manger.
En nous entendant arriver, ils se retournent, et me dévisagent sans rire.
— C'est qui ?
— Papa !!
Le petit se jette sur son père. La fille me regarde bizarrement, mais je finis par m'installer où on l'indique, autour de la table peuplée de chaises.
— Léna est chez sa nourrice pour l'instant, m'apprend mon père. Tu n'as pas d'allergies ?
— Non, aucune.
— Super. Je suis content de l'apprendre, car il n'est jamais très évident d'en avoir dans une famille, un accident peut si vite arriver...
On me fait signe de m'installer devant l'assiette pour manger, ce que je fais avec grand plaisir car mon ventre gargouille, depuis le temps que j'ai pris mon dernier repas. Purée steak, ce n'est pas très élaboré mais le tout est délicieux et je suis heureuse de savoir que j'aurais l'air de bien manger. C'est vrai que ça rapproche cette histoire, la semaine prochaine tout sera terminé...
J'ai l'impression de trahir Clément en offrant à James une marge de manœuvre pour me connaître. Mais après tout, c'est de lui dont je suis la vraie fille, et même si Clément m'a élevé, ça a toujours été écrit noir sur blanc qu'il n'était pas mon père. Pour Mina, ça me semble moins évident, car si Marielle est la nouvelle femme de James, mon père, ça ne sera jamais ma mère, mais ma belle-mère.
— Tu aimes ? s'enquit-elle justement en me voyant terminer mon assiette.
— Oui, c'était très bon, merci. Je vais devoir retourner au lycée par contre... dis-je en regardant l'heure, qui est déjà bien avancée et que je vais sûrement louper.
— Reste encore voyons, tu ne vas tout de même pas partir comme une voleuse. C'est un plaisir de t'avoir ici, et nous pourrons te parler réellement cet après-midi, je peux me prendre du repos.
J'hésite, mais finis par hocher la tête pour signifier mon accord. Après tout, manquer une après-midi ne va pas me tuer.
— Super ! s'exclame-t-il en tapant dans ses mains. On pourra même commencer par reconduire ces loupiots à l'école avant de rentrer dans le vif du sujet !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous les raccompagnons alors que Raphaëlle veut déjà me donner la main, et Elias me regarde encore un peu de loin, sans oser me parler. James affirme qu'il a fait la même chose avec Florida mais qu'il s'est vite habitué, et qu'actuellement, les différents inconnus, ils n'aiment pas les approcher de trop près.
En rentrant, tous les deux marchant côte à côte sur le trottoir, il finit par me parler, alors que je ne savais pas quoi dire.
— Arrivés à la maison, je vais te faire une liste de ce dont tu as besoin, ce que tu peux emporter... Forcément, le gel douche, ça ne serait pas nécessaire, rit-il. Mais tu vas pouvoir nous communiquer tes préférences pour qu'on puisse nous aussi nous adapter à toi, c'est important. Et je te ferais une sorte de récapitulatif sur chaque enfant, chaque habitude pour que tu ne sois pas perdue. Ça peut te sembler bizarre, mais peut-être que ça te permettra de comprendre comment on fonctionne habituellement et à prendre tes marques sans avoir l'impression d'être perdue.
Je fais signe que j'ai compris, et nous rentrons rapidement dans la maison. Je n'en ressors que près de deux heures plus tard, avec deux longues listes qui m'ont un peu fait peur au moment de leur confection. Est-ce que je vais réellement réussir à m'intégrer dans leur quotidien sans toujours avoir l'impression de gêner des inconnus ? De toute façon, je vais bien devoir m'adapter.
Quand je reviens au lycée, c'est assurément le branle-bas de combat. On me demande où j'étais passée, pourquoi je suis sortie du lycée sans autorisation, et surtout, je retrouve mes deux amis paniqués dans le bureau de la directrice. Je grince des dents. Je voulais pouvoir leur en parler calmement, pas là devant d'autres adultes au courant de rien...
— Leëla Lilhi, nous allons devoir parler. Vos deux amis sont venus nous trouver quand ils ont constaté votre disparition. Pouvez-vous nous expliquer ce qui était plus important que de devoir prévenir le lycée qui s'inquiète de l'absence d'une élève ?
— J'ai été voir mon père, annoncé-je. Mon vrai père, vu que je déménage chez lui la semaine prochaine. Je pensais juste y rester pour manger, mais nous avons beaucoup parlé et j'ai souhaité pouvoir en apprendre plus sur ma future famille recomposée.
Je vois la tête de Liam changer de couleur, celle d'Auwane devenir blanche comme un linge. Quoi, ils ont si peur pour moi ? Il se fait contrôler, si je peux partir y habiter, alors c'est que tout va bien ! Ils pourraient me faire un peu confiance quand même...
— En tout cas, vous pourrez en discuter avec vos tuteurs, car ils sont en chemin, m'informe la directrice. Je vais vous laisser rassurer vos amis pendant cinq minutes, le temps que j'annonce que vous êtes revenue de vous-même et qu'il n'y a pas lieu d'alerter la police pour la disparition d'une jeune fille.
Elle ferme la porte de son bureau, je me retrouve seule face à deux paires d'yeux qui me fixent sans ciller. Je n'ai pas le temps de prendre ma respiration que mon amie me serre dans ses bras, alors que Liam la fusille du regard, avant de revenir sur moi me demander silencieusement « pourquoi ? ».
— Je n'avais pas vraiment le choix...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top