Acte II. Rien n'est plus drôle que le malheur, je te l'accorde
— Je vais me marier.
Même l'apocalypse aurait eu un son plus doux aux oreilles de Daniel. Parce que ces mots-là, plus tranchants que des lames, lacérèrent le cœur à nu du jeune homme. Ils ont vingt-cinq ans, un diplôme en poche et la vie qui se resserre lentement sur eux. Daniel ne dit rien et devant ce silence assourdissant Henri a envie de pleurer.
— Dani...on n'aurait pas pu continuer comme ça toute notre vie, c'est déjà un miracle que personne ne s'en ai rendu compte à Oxford. Mais on aurait fini par être dénoncer un jour ou l'autre. Mon père trouve ça étrange que je n'ai jamais eu de petite amie alors il veut que j'épouse la fille d'un de ses amis.
La tête baisse, les yeux gonflés, il essaie de croire en ses justifications, il essaie de se persuader que ce sera mieux pour tous les deux. Il a envie de se mettre à pleurer mais un garçon ça ne pleure pas. Ça, on le lui a toujours dit.
— Réagit, bon sang ! Finit-il par hurler devant le mutisme de Daniel.
Ce dernier consent à lever les yeux sur lui et toute la colère prend la place sur son visage.
— Que veux-tu que je te dise ? Ce n'est pas en te mariant à une bonne femme que tu vas arrêter de mentir. Tu vas mentir toute ta vie Henri. Alors, à quoi est-ce je sers ?
À quoi sert-il d'aimer dans un monde où l'amour est prohibé ?
— À me donner la réplique.
Ils ne le savent pas encore mais leurs plus belles années viennent de s'écouler. Le bonheur qu'ils éprouvaient quand leurs yeux se rencontraient, ne sera plus retrouvé. Alors ils pleurent et même si les garçons ne doivent pas pleurer, on fera une exception pour ceux qui disent au revoir à leur amour. Leur baiser est humide et leurs yeux sont rougis. Rougis d'avoir aimé.
Daniel sera invité au mariage pour éviter tous soupçons, mais il prétextera un empêchement de dernière minute pour ne pas avoir à venir. Henri lui en sera reconnaissant.
Quand il dira oui à la femme en face de lui, en robe blanche et aux cheveux blonds regroupés en un chignon sophistiqué, il essayera de se persuader que c'était le bon choix. Elle était belle Catherine, prête à l'épouser, mais elle n'était pas Daniel. Il finirait bien par l'aimer comme il le fallait. Dans son costume trois pièces, sous le regard fier de son père, Henri eut envie de pleurer. Mais un garçon, ça ne pleure pas.
Si Clov partait, Hamm mourrait et Henri était sûr qu'il finirait par mourir à petit feu, doucement mais sûrement. Il serait mort de ne pas vivre. Quelle ironie.
Les années passeront, les Beatles se feront connaître, les premiers pas de l'homme sur la lune seront filmés, le prince Charles et Lady Diana se marieront et l'Histoire suivra son cours comme elle l'a toujours fait.
Ils ont trente ans quand leurs cœurs se remettent à battre comme au premier jour. Des rides ont commencé à se dessiner au coin des yeux et esquisser les marques du temps sur leurs peaux.
— Bonjour Dani.
Ils sont devant la station de métro, chacun allant dans un sens différent. Ils ne sont pas malheureux, pourtant le cœur d'Henri commence à battre un peu plus fort. Ils auraient pu ne pas se voir, passer la tête baissée trop pressés pour s'arrêter, mais ils sont là.
Quand Daniel le voit, la surprise se lit sur son visage puis un grand sourire s'étale sur celui-ci.
— Salut Henri. Ça fait longtemps.
Neuf ans, quatre mois et vingt-six jours. Ils le savent tous les deux, mais pour l'instant ils feront comme s'ils n'avaient pas compté.
Ils se regardent, ils se sourient un peu plus et le temps s'effacent. Ils ont de nouveau vingt ans et Henri déclame de la poésie pour lui confier ce qu'il aimerait hurler au monde entier. Autour d'eaux, la vie ne s'est pas arrêtée, les gens vont-et-viennent mais eux ne bougent pas. Ils rateront leurs métros mais ça n'a aucune importance.
Plus rien n'a d'importance à part leurs cœurs qui battent trop fort.
Alors, comme des enfants ils s'attrapent la main et se mettent à déambuler dans les rues de Londres qui commencent à s'endormir. Ils se racontent la vie manquée, celle qui est passée, sous les éclats de lune. Comme des funambules au-dessus de la Tamise, ils se raccrochent aux étoiles pour ne pas tomber. Ils rattrapent le temps perdu avant que la ville ne se réveille.
Puis les mots manquent et leurs corps se retrouvent, rentrent en collision tels des astéroïdes dont les chemins se seraient croisés. Cette nuit-là ils continuent juste leur histoire, comme un stylo qu'on reprendrait pour continuer la phrase parce que le point final n'est pas arrivé.
La tête de Daniel repose sur le torse d'Henri, leurs mains dansant ensemble.
— Et ta femme ?
Le cœur de Daniel se serre quand il pose la question mais il a besoin de savoir parce que ça fait mal de ne pas être le seul, de devoir partager la personne qu'on aime. Henri sait tout ça, il le sent dans le corps de son amant qui se tend en attente de la réponse.
— Elle est chez sa mère pour la semaine. C'est à peine si je l'ai vue ce mois-ci. Elle me fuit, je crois, depuis qu'on a appris qu'elle ne pouvait pas avoir d'enfant.
Les mots se perdent quand Daniel l'interrompt en l'embrassant. Il ne veut pas savoir. Leurs lèvres reprennent cette danse où tout l'amour et toutes les peurs du monde se mélangent. Parce que quand même tous les mots de toutes les langues connues ne suffisent plus, leurs regards prennent le relais. Les heures passent, les jours s'étirent doucement et le bonheur reprend le pouvoir.
Vous n'avez pas besoin de savoir les mots qu'ils ont chuchoté dans l'oreille de l'autre, que leurs respirations étaient saccadées à force de s'embrasser, tout ce temps passé dans la chambre d'hôtel et la nuit qui les accompagnait aux douze coups de minuit quand leurs yeux scintillaient pour deux. Je vous dirais simplement que ces sept jours en aurait fait jalouser Cupidon.
Puis, un matin Henri s'est réveillé dans ce monde qui l'enfermerait à double tour. Daniel dormait encore la bouche entrouverte, des mèches lui tombant devant les yeux. Il aurait pu se recoucher nicher sa tête dans son cou et rester-là, à l'abris pour toujours. Il aurait pu, et alors peut-être que la fin aurait été différente.
Les larmes aux yeux, le cœur au bord des lèvres, il passe une main dans les cheveux de Daniel comme il en avait l'habitude de le faire quand ils dormaient ensemble à Oxford. Il se dit que si jamais il devait mourir dans l'instant qui viendrait, il s'éteindrait avec le visage de son Dani endormi, pour l'éternité.
Il souffla un pardon qui résonna faiblement dans la pièce qu'il s'apprêtait à quitter. Il ne s'excusait pas de l'aimer, ça jamais, mais de ne pas être assez fort. Il laissa un livre, une pièce de théâtre qu'ils connaissaient bien tous les deux, comme dernier cri avant le silence.
Puis, il referma la porte au nez de l'amour qu'il aurait pu avoir.
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