Acte I. Toute la vie les mêmes questions, les mêmes réponses
Adieu la vie.
Voilà ce que pensera Henri le jour où il se saura condamné, où il comprendra que finalement personne n'est immortel. Même pas lui. Surtout pas lui. Adieu la vie, bonjour celle d'après. Il n'aura pas peur de mourir, seulement de partir. Elle se cache là, souvent la nuance. Puis, il se dira qu'il aura été lâche dans un monde de peureux, que le vrai courageux ce n'était pas lui.
Lui, il était juste amoureux.
Alors oui, adieu la vie. Adieu les cons et au revoir là-haut.
Mais pour l'instant Henri rit, il a vingt ans et le monde lui appartient du haut de son verre de vin qui tangue entre ses doigts agiles. Il aurait voulu refaire l'Histoire à ce moment-là, et ses amis l'écoutaient attentifs comme s'il détenait la vérité.
La vérité du peuple, celle que tout le monde cherche, que personne ne trouve mais qui est raison de révolution.
Il était beau à ce moment-là Henri, les yeux brillants d'excitation à peine contenue. Ses amis riaient avec lui parce qu'elle était contagieuse cette ivresse-là. Ils allaient étudier à Oxford, ils étaient beaux, ils avaient vingt ans. Il y avait cette insouciance des jeunes années, celle où rien ne peut arriver.
Nous sommes en 1960 le monde est en pleine effervescence et Henri veut vivre, rencontrer des gens, grandir une bonne fois pour toute. Mais de toutes ces personnes, il n'y en aura qu'une qui restera, un seul visage qu'il se remémorera encore et toujours, un seul prénom qu'il retiendra même quand tout le désertera. Quand il mourra c'est ça qu'il emportera pour toujours.
Mais d'abord Henri doit parler poésie. Poésie et théâtre. Parce que dans cette histoire il manque un personnage qui n'est pas encore monté sur scène. Mais laissons-lui le temps d'arriver.
Le bâtiment en pierre datant de l'époque victorienne, se tient majestueusement face à la nuit qui menace de tomber sur les collèges du complexe d'Oxford.
Ils ont encore vingt ans, même si ce n'est plus pour très longtemps, et les lumières de la bibliothèque de l'université sont allumés. Henri tient un livre dans la main, d'autres sont étalés devant lui, mais ceux-là il ne les lira pas. Il est avachi sur sa chaise, essayant de terminer son devoir de littérature à rendre pour le lendemain, qu'il aurait dû avoir fini depuis longtemps. Pourtant il est encore là.
— Excuse-moi, je peux t'emprunter ce livre ?
Un jeune homme ayant sensiblement son âge se tient devant lui, des lunettes de travers et des taches de rousseur parsemant son nez et ses pommettes. Pris de surprise, Henri ne répond pas tout de suite.
— Alors ?
Suivant des yeux la main du garçon lui faisant face, il comprend que c'est la pièce de théâtre qu'il lisait dont parle son interlocuteur.
— Heu... oui, oui. Tu verras c'est génial.
— Merci.
— Je m'appelle Henri, s'exclame-t-il dans un élan avant que le garçon ne s'en aille.
Un sourire en coin apparaît sur les lèvres de ce dernier.
— Je sais, on suit le même cours de science politique. Moi c'est Daniel. Et tu ne peux pas m'appeler Dan ! Lance-t-il au dernier moment.
Un sourire amusé naquît sur le visage d'Henri. Il venait de rencontrer Daniel pour la première fois. Fin de partie de Samuel Beckett venait de sceller leur destin. Si les premiers mots de la pièce étaient : c'est fini, pour eux tout venait de commencer.
Leur deuxième rencontre se fit au milieu du campus quand des yeux bruns percutèrent un océan de nuance indigo. Daniel se trouvait devant lui, ses cheveux décoiffés et ses lunettes toujours de travers, et Henri n'aurait pas pu expliquer pourquoi mais il en était content.
— Dani, comment ça va ?
— Dani ?
— C'est ce que j'ai trouvé puisque je n'ai pas le droit de t'appeler Dan. Expliqua-t-il en haussant les épaules avec flegme. Au fait, tu comptes me rendre mon livre ?
Daniel le détailla avant de secouer la tête.
— Non désolé, j'en ai besoin pour un rituel satanique.
— Très drôle, railla Henri en levant les yeux au ciel pour la forme.
— Je l'ai bientôt fini, je te le rendrai ne t'inquiète pas. Mais c'est assez triste je trouve comme histoire.
— Triste ? Cynique plutôt, et c'est pour ça que c'est bien. Parce que toute l'intrigue finalement se résume à si Hamm va mourir ou si Clov va le quitter. C'est juste la vie.
— C'est ça pour toi la vie ?
— Personne ne sait ce qu'est vraiment la vie, c'est pour ça que c'est drôle.
Henri se souviendra toujours du regard que posa sur lui Daniel, comme s'il l'écoutait vraiment et que les mots s'alourdissaient en prenant du poids dans leurs têtes.
— Clov va partir, il en avertit Hamm pendant toute la pièce. Il ne peut pas rester, conclut-il d'une voix sans appel. Puis sans prévenir, Daniel tourna les talons et repartit dans la direction opposée.
— Dani attend ! Héla Henri dans son dos. Tu veux aller à la rivière avec moi ce week-end ?
C'est là-bas, sous les arbres, allongés sur l'herbe fraîche qu'il s'embrassèrent pour la première fois. Aucun des deux ne se souviendra de qui a fait le premier pas, mais leurs lèvres se sont trouvées et le monde s'est remis en place. Les battements affolés de leurs cœurs pulsent trop fort, pourtant aucun ne bouge. Quelqu'un pourrait arriver à tout moment mais pour l'instant ils n'y pensent pas, pour l'instant c'est juste leurs cœurs qui battent trop vite et leurs sourires trop grands.
Les inquiétudes elles viendront après, en même temps que la peur.
— Ce n'était pas dans la pièce ça, chuchote Daniel le souffle court.
— Dans la nôtre si, répond Henri le regard perdu dans les constellations qui picorent le doux visage de celui qu'il n'aurait pas dû embrasser. Pourtant, il ne regrette pas. Si Henri regrettera des choses, ce ne sera jamais celles-ci. Ce sera les erreurs d'après, celles qui font pleurer.
Ils sont cachés dans un coin sombre de la bibliothèque et Daniel est beau dans le regard d'Henri.
Ils sont dans la chambre de Daniel, leurs uniformes reposent chiffonnés par terre, enlevés à la hâte. Il est beau Henri sous les doigts amoureux de Daniel. Il partira avant que les autres ne se réveillent. Ils diront qu'ils sont amis quand on leur posera la question.
Le premier je t'aime sera à peine murmuré, les yeux baissés dans l'obscurité, tel un secret qui ferait trop de bruit prononcé plus fort.
Ils sont au lac avec des amis, ils rigolent, leurs regards ne se croisent que sous l'eau. Ils font attention à ce que leurs doigts ne se frôlent pas, ils donnent le change, ils parlent de fille.
Daniel est dans la bibliothèque, sa main droite le faisant souffrir à force d'écrire quand Henri le tire soudainement par le bras.
— Dani !
— Oui ?
— Viens, j'ai un truc à te dire.
Il se lève brusquement et Henri le tire jusqu'à sa chambre quelques étages plus haut. Ce dernier monte sur le lit et lève les bras comme pour implorer le ciel, sans jamais le lâcher du regard.
— Me taire, te regarder. Sentir ton amour en moi comme un fer rouge, ne pas crier. M'étourdir à contempler ton visage, ne pas chanceler. Suivre la ligne longue de tes mains, sans les toucher.
Un silence plane à la fin de sa déclamation, et il attend comme un adolescent timide l'approbation de celui qu'il veut impressionner.
— C'est très beau, c'est de qui ?
— Une certaine Marguerite Brunat-Provins.
— Et qu'est-ce que ça veut dire ?
Daniel le regarde d'un air mutin, les sourcils levés devant un Henri perdu.
— Tu le fais exprès ?
— Peut-être.
— Très bien.
Henri prend une grande inspiration comme s'il se préparait au grand saut.
— Je t'aime. Je t'aime, je t'aime, je t'aime cher Daniel mais je ne suis pas poète alors j'emprunte les mots des autres pour te dire ce que je ressens.
Ils se regardent sans rien dire, les mots ne suffisent plus, leur visage s'approchant doucement.
— C'était bien ?
— C'était parfait.
Ils lisent En attendant Godot ensemble, mais le livre finit abandonné sur le côté pendant que leurs corps entrent en collision, leurs bouches se cherchant avidement. Ils vivent et les saisons passent dans ces moments volés. Ces moments volés dans un monde où ils ne devraient à peine se toucher.
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