"How can I say this without breaking ?

How can I say this without taking over ?

How can I put it down into words

When it's almost too much for my soul alone ?"

Hurts Like Hell - Fleurie.

La brise fraîche de décembre fait gigoter les longues boucles noires qui tombent en cascade sur de frêles épaules recouvertes d'une simple veste en laine bleu nuit. Mes prunelles se baladent sur le visage pâle de la jeune fille qui reste plantée devant moi, les bras croisés sur sa poitrine comme pour se réchauffer. Ses yeux sombres me sondent, et la peur m'abandonne.

— Tu n'as pas froid comme ça ? la questionné-je sans réfléchir aux mots qui sortent de ma bouche sèche.

La petite brune se met à rire, tandis que je fronce les sourcils.

— C'est si drôle que ça de voir un mec parler tout seul dans un cimetière le soir de Noël ?

— Non, ce qui est étonnant, c'est de voir un garçon en tee-shirt, dehors, le soir de Noël, demander à une fille qui se balade seule dans un cimetière si elle n'a pas froid avec sa petite veste, répond-elle avec un rictus.

Je m'attarde un instant sur son sourire et me rends compte qu'il est sincère, qu'il atteint ses pupilles un peu mélancoliques ; je me suis défendu avant même qu'elle n'ait envie de me battre. Elle fixe mon tee-shirt gris un long moment, avant de se reconcentrer sur mon visage fatigué.

— Mon meilleur ami me mettait toujours son blouson sur les épaules, alors je me dis que si je sors sans me couvrir...

Son regard s'accroche à la pierre tombale blanche qui juxtapose celle de Hisae, et je comprends ce qu'elle cherche à dire sans qu'elle ait besoin de terminer sa phrase.

— Je me dis que... Enfin...

— Tu te dis que si tu sors sans manteau pour te réchauffer, il sera obligé de revenir vers toi pour que tu n'aies pas froid, murmuré-je la gorge serrée.

Toute triste, elle hoche la tête, puis lâche des yeux la photo en noir et blanc qui orne la tombe de son meilleur ami.

— C'est pour ça que tu es en tee-shirt alors que les flocons de neige cherchent à t'alerter du froid ?

— C'est joliment dit, la complimenté-je avec un faible rictus. Ouais, je suis en tee-shirt parce que je peux pas m'empêcher de me dire que ça la ferait venir, qu'elle pourrait pas résister à l'idée de m'engueuler, et pas que pour la température qu'il fait.

— Elle aurait raison de t'engueuler, les Beatles, c'est bien mieux que les Rolling Stones.

Je la fusille du regard en caressant exagérément le logo des Rolling Stones qui recouvre sur mon vêtement gris.

— Ne dis pas n'importe quoi, enfin. Les Beatles ne peuvent pas rivaliser. Et puis je t'interdis de lui donner raison.

Elle fait la moue, un air de défi pétillant au travers du voile qui masque le peu de joie que renferment ses prunelles.

— Tu as peut-être simplement de mauvais goûts musicaux, affirme-t-elle, joueuse. Faisons quelques tests simples...

Elle s'agenouille sur l'herbe humide entre la tombe noire de Hisae et la blanche de son meilleur ami puis me fait signe de prendre place à côté d'elle. D'abord en pleine hésitation, je ne bouge pas. Mais après quelques secondes de réflexion, je finis par m'asseoir face à elle, trop curieux de savoir ce qu'elle peut bien manigancer.

— Voyons voir... Of Mice & Men ou Bring Me The Horizon ?

Un petit rire s'échappe de mes lèvres alors que je jette un coup d'œil à la photo de Hisae qui semble observer la scène avec amusement, comme pour m'autoriser à me prendre au jeu.

— Of Mice & Men, sans aucune hésitation. Les autres sont bons, mais leur style n'est plus celui que j'ai pu affectionner par le passé.

— Hum, intéressant. Sleeping With Sirens ou Panic! At The Disco ?

— Panic! At The Disco, personne ne peut résister à Brendon Urie.

Elle s'esclaffe, et continue de comparer plusieurs groupes de musique sans jamais me donner son avis sur mes choix. Elle passe des 5 Seconds Of Summer à ACDC, pour revenir sur Metallica et finir avec les One Direction. Sa culture musicale éclectique et son euphorie m'arrachent des sourires que je n'avais plus esquissés depuis la mort de Hisae. Après quoi, un soupir bruyant s'échappe de ses lèvres pulpeuses, et elle lève les yeux au ciel, visiblement exaspérée.

— C'est officiel, ton amie avait raison, t'as des goûts de chiottes.

Je baisse la tête quelques secondes avant d'éclater d'un rire franc. C'est exactement ce que disait Hisae à chaque fois que nous parlions de chansons. Mon interlocutrice lève un sourcil.

— C'est mot pour mot ce qu'elle disait, m'expliqué-je. Elle répétait sans cesse que j'avais des « goûts de chiottes » alors je me vengeais en lui sautant dessus pour la chatouiller. Elle essayait toujours de se justifier pour que j'arrête de la torturer, mais je la faisais taire en posant mes lèvres sur les siennes.

Bouleversé par les souvenirs qui m'ensevelissent, je lance un regard vers le ciel obscur parsemé de diamants pour oublier la boule qui se forme dans ma gorge. Je ne sais pas pourquoi je lui ai raconté ça. Peut-être que j'ai bien plus besoin de parler de Hisae que je ne le pensais, ou peut-être que je me suis laissé porter par le cœur battant de cette inconnue que je ne reverrai de toute façon jamais. C'est comme si les syllabes s'étaient entassées sur ma langue sans que je ne puisse les ravaler, comme si la peur de m'écrouler s'était un instant dissipée. Après tout, que cette fille voie le trou béant que l'amour a creusé à l'intérieur de ma poitrine n'a aucune importance. Ce n'est qu'une fille de passage, une ombre qui disparaîtra au soleil levant, une silhouette qui apparaît au loin et qu'on n'aperçoit qu'une fois. Demain, elle ne sera plus qu'un souvenir, elle m'aura déjà oublié.

— Vous n'étiez d'accord sur aucun groupe ? demande l'intéressée.

— Linkin Park, chuchoté-je. On adorait tous les deux Linkin Park.

Ses prunelles se mettent subitement à briller d'une lueur dangereuse, et deux petites perles dégoulinent en silence le long de ses joues pâles. Une fine traînée humide se dessine sur son visage et mon corps s'immobilise. Sa tristesse inattendue me paralyse ; je me rends compte que son enthousiasme était aussi éphémère que le mien. Comme si la mort nous avait volé notre souffle. Touché, je n'ajoute rien. Je me contente de l'observer avec toute la bienveillance dont je suis capable pour l'inciter à ouvrir les vannes. À se libérer de la douleur qui semble lui lacérer les entrailles.

— Il s'appelait Calum. Mon meilleur ami, il s'appelait Calum. Il est mort il y a trois ans, et sa plus grande passion dans la vie, c'était la musique. Il a fait des dizaines de festivals avec son groupe ; quand ils performaient, ils reprenaient toujours un morceau de Linkin Park, toujours.

Elle déglutit avec difficulté et tente tant bien que mal de contrôler sa voix qui s'effrite.

— C'était son groupe préféré, il m'en parlait sans cesse. Il m'avait même traînée à l'un de leurs concerts. Il était tellement excité ce jour-là que je l'ai plus regardé lui que le groupe qu'on était venu voir. Leur musique le transcendait, l'emportait, l'aidait à tenir le coup. Il s'est acheté un tee-shirt d'ailleurs, une espèce de machin gris qui ressemble à ce que tu portes en ce moment. Il le mettait si souvent que j'avais l'impression qu'il ne le lavait jamais. Avant de mourir, il me l'a donné et je me rappelle lui avoir lancé un regard d'incompréhension : j'ai jamais aimé ce groupe, je ne voyais pas ce qu'il voulait que je fasse d'un tee-shirt déformé à leur effigie. Et puis il a été emporté par cette leucémie de merde et je me suis mise à écouter Linkin Park tous les jours, tant et si bien que je suis sûre de pouvoir rivaliser avec lui sur les paroles, maintenant.

Elle s'oblige à rire par-dessus ses sanglots, mais mon cœur se serre quand même violemment.

— Je suis désolée, je ne sais pas trop pourquoi je te dis tout ça, c'est un peu con... T'es juste un mec en tee-shirt qui parle tout seul dans un cimetière le soir de Noël, après tout.

Malgré moi, mes lèvres se relèvent et je passe un bras autour de ses épaules. Elle se blottit contre mon torse et, pendant un court instant, j'ai l'impression que le vide de ma cage-thoracique se remplit petit à petit d'une sensation indescriptible. 

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Et vous, quel est votre groupe favori ?