Chapitre 36

[Petit croquis de Anton]

/!\ Le hasard n'étant pas de ce monde, le chapitre qui suit comprend une scène de sexe explicite. Pour celleux qui ne souhaitent pas lire ce type de contenu, je vous encourage à arrêter votre lecture de ce chapitre au trois astérisques et de la reprendre au prochain chapitre. Je vous souhaite à tout.e.s une agréable lecture ! /!\


Attends-moi ici.

Raphaël avait pris Léandre de court et avait eu l'audace d'en profiter pour filer sans demander son reste. Sans préciser non plus pourquoi il fuyait et pour combien de temps. Il avait abandonné Léandre au beau milieu de Largentière comme une valise trop encombrante.

Ce que Léandre possédait de plus dramatique s'était offusqué. Raphaël redoublait de lâcheté et il était trop conscient des répercussions de ses propres actes pour ignorer le sentiment qui embrasserait Léandre à l'instant où son vélo disparaîtrait. L'angle d'une des ruelles, dont les dédales avaient été conçus pour s'y perdre, avait englouti Raphaël sans crier gare et Léandre avait vacillé.

Ils n'étaient pas encore allés voir l'imprimeur et voilà que Raphaël choisissait cet instant pour lui fausser compagnie. Par esprit de vengeance, Léandre hésita à composer le numéro de Nayla, appris par cœur le lendemain de son arrivée en Ardèche et composé un nombre affolant de fois pour des raisons plus ou moins recevables. Il aurait pointé Raphaël du doigt comme un élève balancerait le nom d'un camarade sans l'ombre d'un remord et sans craindre les représailles qui l'attendaient forcément.

Ce jour de congé n'était pas un imprévu – bien que Léandre comprenne un peu mieux pourquoi ses jours libres, distribués par Nayla et non par son père, tombaient toujours à point nommé – mais lorsqu'il avait croisé le chemin de sa protectrice ce matin, celle-ci avait observé le silence buté auquel il s'attendait. Une part de crainte, qui pouvait basculer vers la paranoïa si on n'y prêtait pas attention, avait fait surface.

Et si Nayla lui en voulait ? Peu importait à Léandre qu'elle n'ait aucune raison apparente de le blâmer, il avait eu peur jusqu'à ce qu'elle lève sur lui un regard exigeant. Plutôt que de le noyer sous les reproches, elle lui avait servi une seule recommandation.

Sois prudent, Léandre. Surtout avec lui.

À croire qu'au fond, elle n'avait jamais pu le sentir. Que Raphaël n'avait jamais été digne de confiance. Il était plus probable que Nayla revoit ses standards en la matière.

Ici, c'était devant l'église Notre-Dame des Pommiers, au sommet d'une pente abrupte qu'il ne valait mieux pas descendre à vélo. La petite place était calme, à l'exception de quelques touristes dont un groupe de cinq jeunes femmes particulièrement enjouées. L'une d'elle prêta un regard un peu curieux à Léandre, comme si elle le reconnaissait et Léandre ne se sentit pas mal à l'aise, comme s'il la connaissait aussi. Ce fut tout.

Léandre jeta un œil à son téléphone. Il ne composa ni le numéro de Nayla ni celui de Raphaël. En revanche, il retint l'heure et regretta de ne pas l'avoir fait dès le départ, ne serait-ce que pour mesurer l'attente que Raphaël lui imposait sans l'ombre d'un regret.

Il était dix heures cinquante-quatre.

À la fois bien trop tôt et décidément trop tard.

Léandre n'avait pas la moindre idée du temps qui s'était écoulé. Une dizaine de minutes ou une heure. Plus possiblement une vingtaine de minutes.

Il en fallut près d'une dizaine d'autres durant lesquelles Léandre s'assit sur le bord d'une fontaine, l'eau arrosant le bas de ses reins, se releva, chercha de l'ombre, cala son vélo contre la façade en pierre d'une maison et salua une passante d'une voix d'enfant pris en faute.

Enfin, lorsque Raphaël fit son apparition, Léandre faillit perdre la face en l'accueillant à bras ouverts. Il se retint de justesse et se releva tant bien que mal. Il testa l'aplomb de son genou avant d'esquisser un pas qui le rapprocha inévitablement de Raphaël. Pimpant – et bien loin des incertitudes que Léandre lui avait devinées – il le rejoignit pour déclarer :

— On peut rentrer, j'ai ce qu'il faut !

Tout compte fait, Léandre songea que le seul fait d'ignorer vaguement Raphaël était trop doux. Lui renvoyer sa rose au visage et lui rouler sur le pied en s'en allant lui parut plus inspiré. Il n'en fit rien, mais la colère dut se lire sur le visage de Léandre puisque Raphaël marqua un temps d'arrêt assez long pour que l'autre saisisse l'occasion :

— Tu es passé chez l'imprimeur ?

— Oui, j'en reviens.

— Ce n'était pas ce que j'entendais dans « on va y aller ensemble ».

Raphaël pencha la tête sur le côté comme s'il n'avait pas envisagé une seconde que Léandre puisse lui en vouloir. Non loin, les premiers accords d'un morceau joué à l'accordéon s'élevèrent. Léandre pinça les lèvres pour se maîtriser. Il avait le sentiment d'avoir eu un caprice d'enfant en décidant de se rendre à Largentière sur un coup de tête.

Peut-être était-ce ce que Raphaël avait essayé de lui faire comprendre en l'abandonnant en chemin et en poursuivant sa course seul. Peut-être que le message que Léandre saisit au vol était celui qui lui était destiné, toute paranoïa oubliée.

Sous le soleil brûlant, Léandre sentit que ses joues s'empourpraient. Il avait fait preuve d'audace en formulant ce qui était, sous couvert d'ordre, une invitation. Raphaël avait le pouvoir de réduire à néant son initiative d'un battement de cils.

Léandre se rappela les mots de Nayla.

Sois prudent, avec lui surtout.

Sa gorge se noua, son cœur battit contre sa cage thoracique et, cette fois, cela n'avait rien d'agréable. Raphaël se pencha sur lui dans un mouvement vif. Il resta suspendu à un fil du visage de Léandre avant qu'il n'ait le temps de réagir. Pas de geste pour le renvoyer à sa place, pas de gifle pour éloigner Raphaël à tout prix. Léandre déglutit et un vertige le faucha lorsqu'un baiser acheva le geste.

Ce devait être l'effet de la surprise, mais une émotion brutale le saisit. Comme une main qui s'enroulerait autour de sa gorge pour le priver d'air. Un vertige sans fin. Il ne le quitta pas avant que Raphaël ne souffle contre sa bouche :

— Les photos, j'aimerais t'en faire cadeau.

Le regard de Raphaël dégringola des cheveux blonds, d'une finesse égale à celle de la soie, aux yeux grands ouverts dont la luminosité accentuait le bleu au mépris du gris, au nez discret et aux lèvres découpées finement et entrouvertes sur un souffle chaotique. L'émotion qui lui tordit le ventre mêlait le désir à quelque chose de plus dangereux encore.

— Je n'ai pas le droit de les voir, articula Léandre.

— Si je te les montre, ça ne sera plus une surprise et...

Raphaël recula d'un pas et remit de l'ordre dans ses pensées en s'ébrouant. Une mèche de cheveux noirs pendait le long de son visage et son front luisait d'une pellicule de sueur. Il évita ensuite le regard de Léandre pour ajouter :

— Et tu ferais mieux de les regarder à la fin.

— Sinon ?

— Sinon, tu les rangeras pour de bon dans la case souvenir. Jusqu'à nouvel ordre, on peut prétendre qu'ils ont eu lieu, mais que ce n'est pas encore fini, que ce n'est pas figé. Pourquoi précipiter les choses ?

— Elles sont dans la pochette ?

Une enveloppe reposait dans le porte-bagage à l'avant du vélo de Raphaël. Nul besoin d'être devin pour se douter de ce qui se trouvait à l'intérieur. Un groupe d'adolescentes passa à leur hauteur et Raphaël les laissa s'éloigner avant de lâcher :

— Oui.

Il laissa Léandre pousser sur la pédale de sa jambe droite, tendre la main pour attraper l'enveloppe avant de dévaler les rues de Largentière, ensoleillées, inoubliables, en admirant la capacité d'émerveillement de Léandre. Il s'était lancé dans une course qu'il était certain de perdre.

Pour la peine, avant qu'ils atteignent l'enceinte fortifiée de Largentière, Raphaël laissa Léandre mettre la main sur la pochette.

Il ne l'autorisa pas à découvrir ce qui se trouvait à l'intérieur.

Il devait être onze heures et ils avaient encore largement le temps.

***

— J'ai encore des choses à te montrer, à Largentière, assura Raphaël alors qu'ils suivaient la route, frôlés par les automobilistes. Je ne connais pas toutes les ruelles comme Anton, mais je dois pouvoir faire un guide pas trop pitoyable.

— Il reste neuf jours.

— Et j'ai ton autorisation pour t'emmener avec moi ?

Léandre roulait prudemment. La route, déserte la nuit où ils étaient rentrés après la soirée de Charly, n'avait plus du tout le même visage. Léandre avait beau avoir fait vœu de lâcher prise, les circonstances avaient changé depuis que Nayla avait dévoilé un jeu plus complexe que celui qu'il s'était figuré. Rouler à toute vitesse entre les virages ardéchois appartenait aux cyclistes chevronnés ou tenait du suicide. Or, Léandre avait l'intention de profiter de ces neuf derniers jours.

— Tu l'as.

Raphaël lui présenta plusieurs de ces lieux cachés, réservés aux plus avertis puisque les touristes ne s'y intéressaient pas toujours et passés devant leurs échoppes sans ralentir. Il y avait notamment une petite librairie, coincée entre deux des ruelles étroites de Largentière, qui méritait un coup d'œil. Le son du piano sonnait comme un appel devant sa librairie et le propriétaire, un vieil homme, présentait sa collection d'œuvres classiques, parfois reliées, en s'intéressait à peine au paiement. Dans un coin des tables et des bibliothèques qui semblaient appartenir à un autre temps, un chat faisait sa toilette et achevait ce décor au charme indiscutable.

Léandre freina dans la poussière, juste devant l'hôtel aux roses. Il avait le sentiment qu'ici, les lieux où le temps était susceptible de se suspendre étaient nombreux. Au fond, derrière les airs impassibles de Raphaël, il aimait l'Ardèche. Peut-être aimait-il encore davantage la sensation du temps qui retient son souffle.

Léandre fit face à Raphaël. Ou l'inverse. Sur la petite terrasse de l'hôtel, un couple prenait un verre en discutant très bas. Plus loin, un garçon rabattait les oreilles de son père. Léandre eut le temps de noter ces détails, de les décortiquer, pendant la seconde qui s'écoula. Raphaël ne laissa pas le silence entre eux prendre plus d'ampleur.

— Je n'ai pas envie de retourner là-bas.

Là-bas, c'était forcément la maison au bout du sentier. C'était Wendy, mais surtout Anton et Casimir. Tant pis si ce devait être de la lâcheté, mais Raphaël avait envie de ne voir personne. Personne qui ne soit pas Léandre.

Ce dernier s'aventura dans l'entrée de l'hôtel. Il avisa l'horloge qui trônait en haut d'une des portes et dit :

— Il va être midi. Attends une demi-heure et retrouve-moi dans mes appartements.

Sans autre indice, Léandre disparut derrière l'escalier, là où Raphaël ne pouvait pas le rejoindre au risque de croiser Nayla. Pendant près d'une minute, Raphaël resta immobile au milieu de l'entrée, à tourner et à retourner les mots de Léandre. Un ordre ou une invitation ? Il tordait les règles du jeu à sa guise et Raphaël ne pouvait pas le lui reprocher.

Raphaël saurait trouver la chambre de Léandre, mais l'heure qui lui restait mettrait à rude épreuve sa patience.

Il jouerait avec ses règles.

Il était treize heures quarante précises lorsque Raphaël toqua deux coups au battant de la porte, dans les appartements à l'écart réservés aux employés. Une seconde, puis une deuxième et Raphaël crut que Léandre allait le laisser attendre sur le palier jusqu'à treize heures. L'impatience le gifla, lui qui insistait toujours pour savourer chaque instant et pour ne rien gâcher dans la précipitation.

Il eut envie de se presser, d'entrer sans y avoir été invité. Il aurait eu toutes les occasions de le faire, mais il patienta jusqu'à ce que la porte s'entrouvre sur le visage de Léandre. Il n'eut aucun mot, pas un sourire triomphant, mais un silence presque solennel. Raphaël avait compris la teneur de l'invitation à l'instant où Léandre la lui avait prononcée. Il en comprit toute l'ampleur en examinant son visage coincé entre l'encadrement et la porte.

— Entre.

Raphaël réalisa qu'il avait retenu son souffle jusqu'alors. Il prit une grande bouffée d'air et pénétra dans la chambre. Les murs blancs auraient pu rappeler les hôpitaux, mais alliés à des draps crèmes et à des rideaux d'un beige un ton plus foncés, ils éclairaient la pièce.

Raphaël eut le sentiment d'être invité dans un lieu sacré. Peut-être l'antre d'un ange.

Ici, les mots étaient proscrits, seuls les gestes comptaient. Les silences plus que les restes.

Léandre s'assit sur le bord du lit, mais au regard qu'il adressa à Raphaël, ce dernier se sut à sa merci. Inverser les règles, se les rapproprier et les faire siennes. Le but était de les deviner avant que Léandre n'ait à les prononcer. Cela signifierait que Raphaël avait perdu. Alors, il avança jusqu'à ce qu'un mètre le sépare encore de son amant. Il sentit le regard de Léandre le dépouiller de ses vêtements, de toutes ces couches de peau qui l'encombraient.

Raphaël se déshabilla. Il retira sa chemise aux motifs brodés, bouton après bouton, et canalisa sa propre impatience. Raphaël puisa dans son esprit professionnel à toute épreuve sans en faire trop, sans chercher des actes qui le rendraient plus désirables. Léandre s'étendit au milieu des draps froissés et ne semblaient plus calculer chaque expression de son visage, chaque geste. Il détailla Raphaël pendant qu'il se soulageait de sa chemise et que son pantalon, volontairement trop court, tombait dans un bruit mou de tissu.

— Tu es en avance, fit alors remarquer Léandre, comme s'il ne s'en était pas vraiment rendu compte plus tôt.

— Je sais.

— Tu n'as pas bien regardé l'heure ?

De la provocation voilée d'innocence. Raphaël ne pouvait pas s'empêcher de penser qu'à certains égards, Léandre était le plus féroce des deux. Alanguie au milieu des draps, comme s'il somnolait, il était beau.

Son corps, à peine suggéré par un vêtement ouvert sur le devant, se découpait dans la lumière crue du jour.

Cette fois, il n'y avait pas d'ombre dans laquelle se tapir ou se dérober. Ils n'avaient plus rien à cacher, plus de mensonge de faux coupable à servir. Léandre se leva sans un mot et entreprit de se dévêtir à son tour, plus lentement encore que Raphaël et sans le quitter de ses yeux entrouverts. De la provocation subtile, une stratégie qui aiguisait l'impatience et qui se faisait solennelle.

Raphaël fit tomber son regard sur sa montre à son poignet avant de la retirer. Il la fit rejoindre le petit tas de vêtements abandonné à ses pieds.

— Treize heures quarante-six, articula-t-il.

— Il reste quatorze minutes.

Ils ne s'étaient pas touchés. Léandre retira ses chaussettes, puis son pantalon avant de poursuivre :

— Est-ce qu'on doit attendre ?

— Non.

— Vraiment ?

— C'est une vraie question ou tu as décidé de te mettre à la torture ?

Léandre avança d'un pas et inclina le visage. La brûlure de son visage heurta le piercing de Raphaël, ses lèvres, ses yeux mordorés, le tout dans un parfait désordre.

— Une vengeance, alors.

— Non.

Léandre porta sa main jusqu'à l'épaule de Raphaël et fit glisser la paume jusqu'à l'arrimer à sa nuque. Un frisson parcourut son échine. Léandre lui signifiait qu'il n'avait pas à craindre la nuit, même en plein jour. La tête de Raphaël ploya et son front reposa au creux de l'épaule pâle de Léandre. Sa bouche en embrassa le creux avec légèreté et inspira son odeur.

Celle de l'été, des instants qu'on espère éternels.

L'émotion qui étranglait Raphaël couplait le désir à une sorte de déférence. Il se demanda ce que Léandre ressentait. Une pointe de déception, derrière ses airs lascifs et ses invitations à demi-mots ? Raphaël s'était mis à nu devant Léandre, mais ils gardaient l'un pour l'autre quelques secrets. Plus suffisamment pour qu'ils puissent se cacher derrière. Alors, Léandre éclipsa les non-dits et articula :

— Je veux que ça soit vrai.

— Je te promets que je...

Raphaël s'humecta les lèvres. Il n'y avait rien de pire que de se tenir sur la défensive dans un moment pareil. Il était si proche de Léandre qu'il devinait le grain de sa peau, les veines qui couraient juste en dessous, ses cils blonds et chaque facette de son visage taillé finement. Raphaël n'aurait pas pu lui mentir droit dans les yeux.

— Je ne t'ai pas menti. Jamais.

Léandre releva le menton pour capturer la bouche de Raphaël.

Dans leurs gestes, il y avait moins de la curiosité qu'incluait la découverte. Les caresses exploraient toujours, mais elles étaient moins superficielles. Elles ne se précipitaient pas non plus à la surface de la peau, au contraire. Léandre admira le contraste de sa peau et de celle de Raphaël sans jamais s'en lasser. Il aimait sa peau, plus que son amant ne l'aimerait jamais. Il déposa un baiser sur le haut de son épaule, puis sur son torse avant de remonter jusqu'à la gorge de Raphaël. Les lèvres entrouvertes, ce dernier laissa affleurer un soupir.

Les baisers le rendaient fébriles, mais le symbole qu'il inscrivait dans chacun d'eux affolaient les battements du cœur de Raphaël. Les deux mains de Léandre pressées contre son torse l'incitèrent à reculer d'un pas, puis d'un autre. Toujours en silence, de sorte que seules leurs respirations s'épanouissent dans la clarté de la petite pièce.

Raphaël échoua au milieu des draps, à l'endroit où Léandre s'était étendu un peu plus tôt. Il ne bougea pas d'un cil lorsque son amant le surplomba. Il se contenta d'aviser ses mouvements, d'apprécier le moindre de leurs frôlements. Raphaël attrapa le poignet de Léandre et empêcha sa main de s'aventurer plus loin. Il dit :

— J'ai envie que ça soit toi.

— Tu...

Léandre sourcilla, confus.

— Tu serais le premier.

— Oh.

L'exclamation basse de Léandre précéda quelques interminables secondes de silence. Léandre finit par acquiescer et s'il avait craint que la suite ne coule pas de source, de ne pas être à la hauteur, il réussit à se convaincre du contraire. Il aima prendre le contrôle de la situation, effacer de son esprit les traces de ses propres appréhensions comme Raphaël y était parvenu. Il aima se prouver qu'il en était capable.

Léandre apposa sa marque sur le corps de Raphaël. Il embrassa sa peau, la caressa, l'embrassa encore. Il fut là où son amant ne l'attendait pas et goûta à sa surprise. Il s'employa à déconstruire, brique par brique, la forteresse derrière laquelle Raphaël était emmuré.

Le vrai Raphaël, celui qui lui avait promis de ne pas oublier.

Il avait donné son accord, son indispensable consentement, mais du reste, Léandre pouvait encore le surprendre. Il y consacra un temps qui avait cessé d'obséder Raphaël.

Léandre tomba entre ses jambes, croisa le regard de Raphaël, ravala un sourire satisfait avant d'effleurer de sa bouche la hampe érigée. Un cri étranglé résonna dans le silence de la chambre. Un courant d'air s'engouffra par la fenêtre et les rideaux s'agitèrent, comme animés d'une vie propre. Les paupières de Raphaël se fermèrent et il agrippa la nuque de Léandre de sa main.

Léandre approcha Raphaël de l'abîme. La chute le nargua, mais à aucun moment, il ne l'autorisa à tomber.

La pièce résonna des soubresauts de Raphaël, de ses halètements et des bruits de la bouche de Léandre autour du sexe de son amant. Raphaël se mordit l'intérieure de la bouche et l'ouvrit pour dire qu'il avait rarement entendu quoi que ce soit de plus obscène, de plus indécent. Une plainte passa ses lèvres, rien de plus.

La main de Léandre remonta le long de la cuisse de Raphaël et il crut qu'il allait jouir rien qu'à regarder son corps s'arquer.

— Léandre.

— Dis-moi.

Raphaël étouffa un juron. La langue de Raphaël remontait le long de son érection et les muscles de son ventre se tendaient, prêts à se rompre.

— Viens.

La peau de Raphaël était comme chauffée à blanc par les caresses, au point où il sentait les doigts de Léandre courir sur son épiderme, voyager, fuir et revenir avec une intensité qui lui coupait le souffle. Léandre s'éloigna pour chercher, dans la salle de bain adjacente, un flacon de lubrifiant et un préservatif.

Raphaël se crut sauvé. Un sourire ourla les commissures de ses lèvres. Léandre en avait fini avec la torture consciencieuse. Du moins, Raphaël se laissa bercer d'illusions jusqu'à ce qu'il le rejoigne, l'embrasse longuement pour chuchoter à son oreille :

— J'aimerais que tu le fasses ?

— Que je me prépare ?

La bouche de Raphaël s'était asséchée. Léandre recouvrit ses doigts de lubrifiants sans laisser paraître son impatience. Raphaël en vint à regretter de l'avoir provoqué sous la douche, quelques jours plus tôt. Il le regretta jusqu'à ce que la main de Léandre guide la sienne à son intimité. Là, il ne pensa plus du tout.

Raphaël déglutit et, dans le silence qu'ils nourrissaient tous les deux, seules les brèves indications de Léandre s'élevèrent.

— Doucement.

Raphaël fit pénétrer un doigt et explora la sensation. Pas douloureuse, mais étrangère. Un léger inconfort le surprit lorsqu'un deuxième doigt le rejoignit. Son visage n'exprimait aucune douleur et son corps se défit peu à peu de sa tension sous les conseils murmurés de Léandre.

— Caresse-toi.

Si Raphaël crevait d'envie d'écourter ce passage obligatoire, Léandre fouilla le regard de son amant. Espérait-il y trouver une supplication, un aveu ? La preuve que Raphaël lâchait prise et rendait les armes ? De l'abandon, peut-être, ou qu'il s'en remettait entièrement à Léandre.

La bouche entrouverte sur un souffle laborieux, Raphaël exhala :

— Prends-moi.

Les doigts de Léandre remontèrent le long des cuisses jusqu'à l'aine. Jusqu'au ventre et jusqu'à la mâchoire qu'il effleura du pouce.

— Comment ?

— Tu vas avoir mal si tu dois...

— Je ne te parle pas de ma jambe. J'aimerais savoir comment tu veux que je te prenne.

Raphaël frémit. Il aurait pu jouir juste à ces mots, à ce regard, à ce contact tout juste suggéré sur sa peau. Il se sentait inexpérimenté et c'était peut-être cela que Léandre voulait lui transmettre. La vulnérabilité, puis l'abandon.

Peau contre peau, nus jusqu'à l'âme.

— Je peux... me retourner, suggéra Raphaël, d'une voix plus rocailleuse que jamais.

— Retourne-toi.

Il tourna le dos à Léandre, se mit à genou et creusa le dos. Avant qu'il n'ait pu imaginer que la posture était humiliante, la main de son amant se posa à hauteur de ses reins. Elle redescendit le long de ses fesses et Raphaël écarta un peu plus les cuisses. Ses doigts se refermèrent sur un des deux oreillers. Il serait peut-être le premier à s'effondrer finalement.

Il ne se brisa pas la nuque à essayer de voir ce que Léandre faisait dans son dos. Il s'ébroua pour chasser ses cheveux longs de part et d'autre de ses épaules. Il douta que son cœur tienne à la lente poussée que Léandre initia. Les battements désordonnés heurtaient sa cage thoracique comme pour s'en échapper. Une légère brûlure enflamma les reins de Raphaël. Du plaisir et un peu d'inconfort. Une fois de plus, il ploya la nuque.

Ils n'eurent aucun mot. Dès que Raphaël se tendait autour de Léandre, il s'interrompait. Leurs corps ne mentaient pas et ils s'imbriquèrent avec une lenteur délibérée.

Le plaisir crut et plutôt que de céder à l'envie de se précipiter, Léandre se retira. Il invita Raphaël à le surplomber, autant parce que sa jambe fatiguée le soutenait à peine que parce qu'il voulait inscrire cette vision dans son esprit. Ne jamais oublier le visage de Raphaël prisonnier de l'extase, le plaisir qui arrachait les défenses de cet homme pour en dévoiler les faiblesses.

Léandre ne voulait rien manquer.

Raphaël passa ses jambes de part et d'autre de celles de Léandre. Il posa sa main à plat sur le ventre de son amant, se souleva pour aligner son intimité et la hampe roide de Léandre. Il s'y empala avec une lenteur exaspérante, une lenteur qui lui arracha un grondement sourd. Le visage rejeté en arrière, les cheveux détachés qui coulaient en désordre autour de son visage, sa bouche entrouverte. Léandre ne loupa rien.

Une de ses mains s'était refermée sur les draps, l'autre était posée sur la hanche de Raphaël. Ce n'était pas juste un corps qui en prenait un autre dans sa définition la plus primaire, ce n'était pas juste le désir le plus brut.

Ils firent l'amour.

Le silence se rompit pour absorber les soupirs, puis les gémissements. Les sons humides de leurs peaux moites, le froissement des draps. Le vent se prit dans les rideaux qui ondulèrent vers eux comme une révérence.

Raphaël perdit pied en premier. La main de Léandre le musela et tut le cri. Le plaisir avait enflé et il n'avait rien fait pour retenir l'orgasme qui déferlait. Comme on boit un nectar jusqu'à en être repu, Raphaël laissa les soubresauts le secouer jusqu'aux orteils. Il provoqua la chute de Léandre quelques secondes plus tard, juste avant que Raphaël s'effondre sur les draps. Ses lèvres recouvrirent celles de Léandre et dévorèrent la plainte qui sonna sa jouissance.

— Raphaël, chuchota-t-il, les yeux brillants de luxure.

Le sourire de Raphaël fut discret, un peu fatigué, mais il n'avait plus rien d'un mensonge. Son souffle court élima son sourire. Heureux et triste. Surtout heureux.

Raphaël réalisa après avoir fermé les yeux pour s'enfermer dans l'enfer de ses propres noirceurs. Il réalisa qu'il devait la lumière qui baignait leurs corps repus à Léandre et à Léandre seul.

Avec du temps, il aurait peut-être pu être sa rédemption. Si les choses avaient été plus simples, si on leur avait laissé une chance, Léandre aurait pu empêcher la chute.

L'émotion qui tordit le ventre de Raphaël, qui gonflait son cœur comme une éponge, qui éclairait ce qu'il pensait perdu en lui, lui rappela des souvenirs lointains. Ce n'était plus de l'insouciance d'enfant, mais du bonheur. Pas aussi éclatant, très imparfait, mais du bonheur quand même.

Alors, Raphaël comprit.

Ils avaient fait l'amour comme on disait adieu.


Joyeuse St Valentin ? Le timing de ce chapitre est quand même particulièrement impeccable et moi, je retrouve un semblant de ponctualité. Il s'agit également du dernier "lemon" de ce roman, parce que toutes les bonnes choses ont une fin.

Je continue mon décompte puisqu'il reste quatre parties à Adieu, demain. Deux chapitres, une courte partie, et l'épilogue. La fin approche à grands pas !

Bonnes vacances à celleux qui en profitent déjà et bon courage à tous les autres !!


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