Chapitre 18

[Une illustration de Léandre et un petit TW pour le chapitre qui suit : il comprend une scène de sexe explicite. Si ce genre de contenu vous met mal à l'aise, poursuivre avec le chapitre suivant. Ça ne devrait pas faire obstacle à votre compréhension de l'histoire. Aux autres : bonne lecture !]


Le premier réflexe de Léandre fut de fermer les yeux de toutes ses forces. Les bras de Raphaël le tenaient. Ils ne le retenaient plus, ils l'avaient même basculé dans l'eau sombre de la piscine, mais à aucun moment ils ne l'avaient lâché.

Sa main toujours posée sur la nuque de Raphaël, Léandre pinça les lèvres pour retenir les bulles nacrées qui s'en échappaient. Raphaël se laissait couler sans se débattre, comme un poids mort jusqu'au fond de la piscine. Son dos heurta le fond et Léandre ouvrit prudemment une paupière.

Il distinguait les formes vagues, à peine lisibles. Les cheveux de Raphaël formaient d'immenses arabesques autour de son visage et si l'eau chlorée piquait ses yeux, il devina l'essentiel : l'expression paisible qui figeait la figure masculine de Raphaël.

Le soulagement.

Pour peu, Léandre l'aurait cru capable de les avoir précipités dans l'eau pour qu'ils y disparaissent ensemble. Les cheveux animés dans l'eau comme des créatures étranges, quelques bulles agrippées à leurs visages, à chaque geste qu'ils retenaient volontairement, leurs vêtements qui leur faisaient comme une seconde peau.

Une peau de trop.

Raphaël était étendu sur le fond de la piscine, les paupières closes, une bulle suspendue sur le fil incurvé de ses lèvres.

Quelque chose, au fond de l'estomac de Léandre, se tordit. La sensation était plus inattendue que surprenante. La fraîcheur de l'eau l'enveloppa comme un écrin et si cela s'agitait en lui, il s'imposa une parfaite immobilité. L'onde autour d'eux se calma.

Les secondes s'égrenèrent. Assez pour que le silence vire à l'inconfortable, que le visage inexpressif de Raphaël confine à une idée plus inquiétante. Avant que la peur cède à la quiétude, l'intéressé s'anima aussi vite qu'il avait cessé de bouger. Ses bras qui piégeaient toujours Léandre sous la surface en une étreinte aussi émouvante qu'elle aurait pu être mortelle, le serrèrent un peu plus fort. Raphaël posa un baiser sur sa peau.

Bouche brûlante sur peau glacée.

D'un coup de pied contre le fond de la piscine, il les fit rejoindre la surface. Léandre ouvrit la bouche pour aspirer une grande goulée d'air. Il avait l'impression d'être resté sous l'eau des minutes entières. Raphaël haletait lui aussi et une grande mèche de ses cheveux noirs roulait sur son visage, dégoulinait de son front à son menton.

Cela ressemblait à un fil, à fil épais comme ceux dont Raphaël lui avait parlé lors de leur première discussion. Ces mêmes fils avec lesquelles il avait promis de sauver Léandre de la chute.

L'ombre prisonnière du regard de Raphaël avait décrue. Elle avait reculé et Raphaël semblait plus détendu sans exagérer le trait d'une euphorie factice. Léandre le trouva honnête. Neutre, mais vulnérable.

Neutre, mais conquérant.

Le regard vif qu'il posa sur Léandre le liquéfia. Ils s'étaient écartés d'un pas seulement et Raphaël n'avait qu'à tendre le bras pour le toucher. Son regard était déjà la plus audacieuse des caresses. Il sortit de l'eau le premier et tendit la main pour aider Léandre à la rejoindre. Il la garda solidement accrochée à la sienne tandis que l'autre murmurait :

— Tu devais m'empêcher de tomber.

— Je ne t'ai jamais lâché, rétorqua Raphaël, avec une malice qui n'avait plus rien à voir avec celle qu'il agitait sous le nez comme un étendard.

Cette malice-là était plus abrupte, vaguement amusée, mais dans une provocation que Léandre ressentait jusque dans ses os. Il resta suspendu sur ces paroles et attendit que la peur remonte à la surface. Que l'appréhension le happe. Il plongerait alors comme dans les os noirs de la piscine, sans personne pour le ramener à la surface.

Il n'y eut rien. Rien si ce n'étaient quelques bribes d'avertissements pour lester ses gestes. Ce n'était ni insupportable ni insurmontable. Il y avait surtout, inhabituellement plus forte que son anxiété, une envie prometteuse qui lui soufflait tout un tas d'audaces à l'oreille.

— Viens, souffla Léandre, à mi-voix.

Suis-moi.

Léandre avait rarement marché devant les autres. Il avait rarement eu l'occasion de guider qui que ce soit. D'ordinaire, c'était à lui de presser le pas pour rejoindre les autres, pour se déplacer dans leur ombre sans espoir de s'en détacher.

Raphaël parut stupéfait. Il ne s'était pas décomposé, mais il avait perdu un peu de sa contenance. Il le considéra un moment. Un trop long moment qui laissa à Léandre le temps de vaciller. Il passa en revue toute l'assurance qu'il venait de se bâtir. La brise nocturne hérissa sur sa peau une houle de frissons et il entendit la rumeur lointaine des cigales.

— Tu... Gifle-moi si tu ne veux pas.

— C'était quoi, l'autre jour, devant l'église ? Le lieu saint qui t'a momentanément remis sur le droit chemin ?

La mâchoire de Léandre manqua de se décrocher. Raphaël avait lancé ces deux questions simultanément, avec un tact qui laissait à désirer. En fait, la question tournait en boucle dans son esprit comme un disque raillé. Il ne comprenait pas l'ambiguïté de Léandre et le pire dans tout cela était encore de réaliser qu'il s'en serait moqué s'il avait s'agit de n'importe qui d'autre.

— De l'instinct de survie ? tenta maladroitement Léandre.

Raphaël s'ébroua. Il sembla prendre conscience de la nuit autour de lui après avoir quitté le cocon liquide qui avait éloigné un instant ses peurs. Il se ratatina un peu et sourcilla.

— Je ne sais pas, compléta Léandre en portant une de ses mains à son visage. J'ai... paniqué. J'ai dû me dire que t'avais rien à faire avec un gars comme moi et j'ai dû m'en persuader en te voyant avec la fille à la soirée.

Il n'avait pas été jaloux de la fille pour un tas de raisons. L'une d'elles était qu'il ne se sentait tout simplement pas de taille.

Léandre n'était pas tout à fait sincère. S'il s'était ravisé devant l'église à Largentière, c'était aussi qu'il avait surpris une faille derrière le visage attrayant que Raphaël présentait aux autres. Une faille, une fêlure, une balafre hideuse. Un écho à la noirceur qui terrifiait tant Raphaël. Léandre s'était senti si démuni qu'il avait freiné des quatre fers. Il n'était décidément pas de taille.

— La fille était gentille, avança Raphaël. Elle a dû me rappeler, moi, il n'y a pas si longtemps. Je n'ai pas voulu me servir d'elle et je n'ai jamais eu...

Il détourna le visage. Il était mal à l'aise, maladivement maladroit comme à chaque fois que cela devenait trop personnel. Raphaël savait écouter, attendre, mais pas parler. Il avait un goût désagréable en bouche.

— Je ne l'ai jamais regardé comme je te regarde, toi.

Raphaël avait prononcé la phrase comme un mot interminable, accrochant les syllabes entre elles et sans reprendre sa respiration. Cette fois, même le vent ne parvint pas à rafraîchir la peau de Léandre qui faillit avaler de travers.

De nouveau cette tension au fond de son ventre et quelque part en bas de son dos. L'air s'était électrifié. Raphaël s'ébroua avant que Léandre n'attrape son poignet et ne réitère, d'une voix plus ferme :

— Viens.

Raphaël le suivit. Il ne fit aucune remarque lorsque Léandre trébucha en quittant la terrasse par le petit jardin qui bordait la maison. Il esquiva une branche basse au dernier moment et guida Raphaël jusqu'au petit sentier. Comme si c'était lui, l'habitué des lieux et pas l'inverse.

Léandre resserra ses doigts sur la peau de Raphaël lorsqu'ils franchirent l'ombre de l'arbre non loin de l'hôtel. Ils pénétrèrent ensuite à l'intérieur sans un bruit. Sous la peau de Léandre, cela s'agitait toujours. C'était aussi bruyant que l'entrée de l'établissement était silencieuse. Il dut cependant se tempérer pour gravir les marches. Sa jambe gauche protesta à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'ils atteignent le premier étage. Alors, Raphaël fit sauter le verrou de sa chambre et laissa Léandre entrer d'un geste galant.

Ce dernier se retourna. Ils n'avaient pas échangé un mot et une part de lui, celle qui écoutait religieusement ses appréhensions, craignit que ces cinq minutes aient tout gâcher. Raphaël n'avait pas dû tout l'air de songer à se raviser. Avant que Léandre n'ait pu s'attarder sur la chambre, sur le désordre épars qui y régnait, il effleura le visage séraphique d'un revers de la main.

— Tu as le visage de ma prochaine erreur.

Un sourire spontané monta aux lèvres de Léandre. Le souffle de Raphaël ne sentait pas l'alcool. Ils devaient l'ivresse qu'à leur proximité, qu'à la promesse de leurs peaux qui se taquinaient l'une l'autre.

Léandre s'était rarement senti aussi intimidé.

— Je n'oublierai pas, l'avertit-il cependant, avec un sérieux qui jura avec la tension irrespirable qui les enveloppait.

Le regard de Raphaël glissa du petit front de Léandre, effacé par les cheveux à peine foncés par l'eau qui gouttait, au nez discret et harmonieux, en passant par la bouche fine, joliment ourlée, entrouverte sur un souffle tentateur et un menton pointu. Léandre était beau. D'une beauté qui ne se doutait pas encore de sa puissance, d'une beauté dont il n'avait jamais fait un atout. Il oscillait entre une assurance balbutiante et une maladresse qui bouleversa Raphaël.

Léandre n'était pas juste beau, il était humain.

Masculin dans sa manière d'avouer ses faiblesses, dans ses peurs, dans la volonté forcenée de ses engagements.

Si Raphaël n'avait pas réussi à soutenir le regard de Léandre ces quatre derniers jours, c'était parce qu'il avait compris une chose : il serait toujours le plus fort des deux. Le plus courageux, le moins lâche. Le plus admirable.

Cela, Raphaël était bien incapable de l'avouer. Alors, il se pencha sur Léandre, il ne le laissa pas se hisser sur la pointe des pieds et l'embrassa.

Un baiser qui n'avait plus rien à avoir avec le premier. Celui-ci échauffa le sang de Raphaël, brûla ses veines d'un plaisir qui se déploya comme un déluge. Il goûta à la soie des lèvres de Léandre, à son souffle, à l'empreinte de ses doigts sur sa nuque. Raphaël enfonça ses doigts dans ses cheveux trempés et laissa échapper un son à mi-chemin entre le grondement et la plainte.

Il écarta Léandre et reprit son souffle. Pantelant, ce dernier avait les yeux écarquillés sur un regard cru. Un regard d'abandon qui donna envie à Raphaël de s'enfuir à toutes jambes autant que de le serrer dans ses bras de toutes ses forces.

— Je crois que je n'ai pas envie que tu oublies, objecta-t-il, d'une voix épaisse.

Léandre, qui avait reculé d'un pas supplémentaire pour essayer de se dépêtrer de son vêtement, se statufia. Raphaël passa une main entre la peau et son t-shirt, qui adhérait à celle-ci comme un second épiderme, humide et collant et passa l'habit au-dessus de sa tête. D'apparence, il était le plus calme des deux. Ce n'était qu'une façade destinée à apaiser l'empressement de Léandre. Il tempéra ses gestes sans un moment, avec un soin attentionné.

La peau pâle, presque diaphane, apparut. Avec le dessin des veines, des os, qui apparaissaient dans l'éclairage blafard. Léandre ne portait sur lui que son short et cela lui parut définitivement trop peu. Ses joues s'empourprèrent à mesure que le regard de Raphaël dévalait son cou, ses clavicules, puis son ventre.

— Tu n'es pas à l'aise, nota-t-il.

— Je n'ai pas l'habitude de me déshabiller devant...

Léandre pinça la fin de sa phrase et renonça à l'idée de la finir. Raphaël avait très bien compris, inutile de balbutier des mots incohérents.

— Je n'ai pas l'habitude de mettre à nu non plus, dit-il.

— Tu as fait le tour du monde et tu n'as pas...

— Goûté à la cuisine locale ? s'enquit Raphaël, un sourire plus léger sur les lèvres. Si, évidemment. C'est arrivé, mais ce n'est rien dont j'ai envie de me souvenir.

Il se laissa tomber à genoux sur le sol, sans quitter le regard de Léandre. Sa main avait accompagné sa chute et avait cheminé de sa taille au milieu de sa cuisse. Intimidé, Léandre tarda à donner le change. Il se pencha pour retirer la chemise qui adhérait à la peau de Raphaël et dévoila sa peau.

Peau pâle contre peau métissée.

L'espace d'un instant, Léandre fut si absorbé par la nuance de son épiderme, qu'il en oublia sa pudeur. Il oublia aussi l'embarras de son érection évidente sous son short. Il passa une main sur les épaules de Raphaël, testa la souplesse, observa le grain de la peau avec une avidité nouvelle. Son regard ne quitta pas les muscles déliés qui jouaient à chaque infime mouvement. Les gouttes d'eau attiraient son attention. Elles luisaient sur la peau brune et Léandre se courba pour happer entre ses lèvres l'une d'entre elles. Sa langue remonta le long de la clavicule et il sentit Raphaël déglutir.

— Tu ne... me facilites pas la tâche, reconnut-il, d'une voix étranglée.

— Gifle-moi si...

— Je n'ai pas envie de te gifler, Léandre, et j'ai encore moins envie de te brusquer. Alors...

Il cala sa tête au creux de la hanche de Léandre. Il prit une profonde inspiration. Il sentit le chlore et une odeur plus délicate, moins entêtante, presque florale. Raphaël sourit.

Loin d'être un animal qui contrôlerait à peine ses pulsions – il était le premier à tourner au ridicule ceux qui peinaient à tempérer leurs ardeurs et qui rejetaient sur le sexe opposé leurs comportements déplacés – il s'octroya une seconde pour se reprendre. Puis, il ploya la nuque à son tour et embrassa le haut du genou de Léandre. Le droit d'abord. Pour le gauche, il l'effleura d'abord du pouce avant de contempler la longue cicatrice qui longeait la rotule.

— C'est pour ça que tu es mal à l'aise ? demanda-t-il.

— Entre autres, hasarda Léandre, d'une voix douloureuse.

Il avait envie d'écarter la bouche de Raphaël. Une pulsion violente le traversa jusqu'aux orteils. La vague brûlante qui le happa n'avait rien d'agréable.

Ne le laisse pas regarder.

— Raphaël... commença Léandre, d'une voix si étranglée qu'il la reconnut à peine.

Personne n'avait jamais touché ses cicatrices autrement qu'à travers des gestes impersonnels. Les infirmiers qui lui avaient rendu visite durant des mois, les kinésithérapeutes qui s'étaient chargés de sa rééducation... Ils n'avaient fait montre d'aucun dégoût. Ils étaient restés professionnels, mais Léandre conservait un souvenir cuisant des rares fois où il avait mis le nez dehors avec son genou découvert. Il y avait eu des regards insistants et déplacés, des regards de pitié au mieux et au pire, le cas d'un curieux qui lui avait demandé ce qui lui était arrivé. Un parfait inconnu.

Léandre avait en tête d'autres exemples, comme celui de sa petite sœur. La petite dernière de la famille, la plus choyée de tous, celle qu'on applaudissait quoi qu'elle fasse. Elle était partie en courant en apercevant la balafre fraîche qui déchirait la peau pure de son aîné. Elle avait hurlé comme si c'était la chose la plus laide qui soit avec la spontanéité de l'enfance.

Ne le laisse pas te regarder.

Le visage de Raphaël, au milieu de ces souvenirs brutaux qui voyaient s'accroître l'appréhension de Léandre, cherchait une réponse sur ses traits crispés. Il resta immobile d'interminables secondes durant lesquelles la poitrine de Léandre se souleva comme s'il suffoquait. Comme si la proximité de ce visage lui était physiquement douloureux.

La bouche de Raphaël déposa une nuée de baisers le long de la cicatrice. Elle mesurait près d'une quinzaine de centimètres et Raphaël ne la trouvait pas hideuse du tout.

Léandre avait pincé les lèvres comme s'il s'empêchait d'éclater en sanglots. Le regard de Raphaël n'était pas désapprobateur, à l'image de celui de sa mère. Comme s'il était responsable, comme s'il avait demandé à hériter du statut d'assisté de la famille avec tout le mépris qui l'accompagnait. Il avait une autre cicatrice, plus discrète, à hauteur de sa hanche du même côté.

Raphaël descendit le short de Léandre jusqu'aux chevilles et ce dernier l'incita à se lever. La gorge nouée par un mélange illisible d'appréhension, de désir et d'émotion, il embrassa Raphaël. Il l'embrassa jusqu'à ce que le baiser déborde de ses lèvres jusqu'à descendre sur la peau fine de son cou. Il le soulagea à son tour de son pantalon et ils se débattirent tous les deux avec le tissu au point où le sérieux éclata. Un rire échappa à Raphaël et contamina Léandre. La tension s'envola d'un coup, le poids sur sa poitrine disparut et il désamorça la peur incontrôlable qui l'avait saisi.

— Plus jamais, hoqueta-t-il.

Léandre râla lorsque Raphaël se colla à lui, l'enveloppa de ses bras encore humides et s'effondra sur le matelas en l'entraînant dans sa chute. Là, il prit finalement conscience des contours du corps de ce corps contre le sien.

Un corps d'homme, tout ce qu'il y avait de plus réel.

Il ne s'empourpra pas et Raphaël ne le laissa ni se raviser ni perdre sa contenance de la même manière qu'il s'était retrouvé nu devant lui, il le bascula de sorte à que Léandre le surplombe. À califourchon sur les hanches de Raphaël, il admira d'abord le contraste de leurs deux peaux. La manière dont l'une jurait avec l'autre. Il se pencha dans un geste élégant et embrassa la mâchoire de Raphaël.

Ce dernier frissonna et rejeta le visage en arrière, un sourire brillant sur ses lèvres. La peau de Léandre recouvrait la sienne.

Peurs contre angoisses.

Désir contre désir.

Léandre huma l'odeur de Raphaël, se familiarisa avec sa peau, avec les contours inconnus de sa peau comme s'il souhaitait les mémoriser. Il se dit qu'il n'aurait sans doute pas dû pousser aussi loin son audace, mais ses gestes le brûlaient, devançaient la pensée et il se surprit à savourer le fracas de son cœur. Ce n'était pas douloureux, mais exaltant. Au moins autant que la caresse délicate de leurs corps. Léandre caressa les épaules de Raphaël, ses côtes, son ventre sur lequel apparaissait, un peu plus bas, une toison sombre.

Encore plus bas, il y avait le sexe roide sur lequel Léandre posa pour la première fois son regard. Sa bouche s'assécha. Une goutte de sueur ruissela jusqu'en bas de ses reins. Raphaël n'esquissa aucun mouvement. Il était toujours allongé sur les draps blancs, avec une attitude de félin.

Pas un félin repu, mais affamé. Léandre savait pourtant qu'il ne bougerait pas d'un pouce, que Raphaël respecterait chaque limite qu'il lui dresserait. En accord tacite et silencieux, ils le signèrent en un regard.

Raphaël déglutit. Les draps avaient bu l'eau chlorée et il avait chaud. Chaque parcelle de son être vibrait d'une envie folle, d'un désir qui lui faisait presque peur. Il n'était plus habitué à cet appétit et si les gestes de Léandre avaient été un peu moins inexpérimentés, Raphaël aurait eu peur lui aussi. Peur de ce pouvoir qu'il avait sur lui, peur de succomber.

Ils avaient ri de la magie que Wendy exerçait, mais elle n'en était pas la seule pourvue.

La main de Raphaël escalada la hanche de Léandre et s'arrima sur sa taille. Ce n'était pas exactement une invitation, mais son amant esquissa un mouvement de bassin. Une ondulation discrète et pudique qui alourdit la respiration de Raphaël. Le contact était intime, la caresse affolante et il l'imita à son tour. Il avait le cœur au bord des lèvres.

Léandre s'était rarement senti aussi puissant.

Ils ondulèrent l'un contre l'autre dans un simulacre de pénétration. Raphaël rejeta son visage en arrière et ses boucles noires s'éparpillèrent sur les draps. Il exhala une plainte, puis une deuxième et Léandre émit un son très bas, plus mesuré. Il couvrit sa main de sa bouche et ses paupières mi-closes livrèrent un regard gris alourdi par le plaisir.

— Ça va aller ? demanda Raphaël, dans un accès de sang-froid dont il ne se serait pas cru capable.

— Je... Je ne vais pas tenir... Enfin, je...

— Moi non plus.

Il en était d'ailleurs le premier étonné. Il était rare qu'il soit aussi fébrile. Rare aussi qu'il doive se tempérer pour ne pas perdre le contrôle. Ses précédentes étreintes ne l'entraînaient pas systématiquement et lui réclamaient un effort dont Léandre n'avait sûrement pas idée. Pourtant, Raphaël sentait à la lourdeur de son souffle, aux plaintes qui lui échappaient, aux froissements des draps et au plaisir qui le surprenait, que la chute approchait. Il n'avait pas menti. Des bribes d'un orgasme s'assemblaient, féroces et inattendus. Raphaël écarquilla les yeux et un sourire ourla les lèvres de Léandre.

Puissant, incontesté, conquérant.

Digne de ces sculptures grecques, indolentes et qui appelaient à la luxure.

La jambe de Léandre s'était faite discrète, contrairement à son cœur qui frappait à grands coups contre sa poitrine. Il ne se noyait plus dans ses angoisses, mais dans un plaisir qui montait, montait et montait encore.

Raphaël se redressa et se pressa contre lui. Peau contre peau.

Il eut envie de stopper l'écoulement du temps de ses mains. Ses doigts se crispèrent autour de la taille de Léandre, pour le retenir autant que pour se gorger de sa présence.

Il avait une conscience aiguë du corps de Léandre, svelte, d'une délicatesse émouvante. Il avait une conscience tout aussi aiguë de son propre plaisir qui l'arrachait à l'apathie qui l'avait longtemps tenaillé. Le plaisir enfla encore et au moment où il atteignit son paroxysme, il planta ses dents dans l'épaule de Léandre. Juste assez fort pour y imprimer une trace éphémère et pour que la sensation l'emporte avec lui dans la chute.

Cette chute-là laissa Léandre pantelant, le dos trempé de sueur et un peu désœuvré. Il nicha son nez dans le cou de Raphaël qui reprenait son souffle. Il y cacha le dessin de son sourire et réussit à articuler, d'une voix qui lui sembla plus tout à fait la sienne :

— Je n'oublierai pas.

Plus tard, Raphaël referma ses bras autour de Léandre en un geste quasi viscéral. Ils avaient éteint la lampe et la nuit avait repris ses droits.

Pour la première fois depuis longtemps, Léandre s'endormit sans avoir le sentiment de chuter du haut de ses peurs.

Raphaël ferma les yeux sans craindre la nuit qui s'infiltrait jusque sous sa peau.

Il n'eut plus peur du noir.


C'est toujours un peu stressant de partager ce genre de passages, surtout quand c'est le premier du roman. C'est assez quitte ou double, soit ça passe, soit ça casse. J'espère donc de tout coeur que vous avez passé un agréable moment de lecture.

Je mets toujours un point d'honneur à donner une place essentielle au consentement. Je suis incapable de lire une romance où c'est bafoué. J'espère que tout ça vous a plu aussi. J'aime énormément l'alchimie qui se développe entre ces deux personnages. Je trouve qu'ils se révèlent vraiment ensemble.

Je vous souhaite une agréable fin de semaine !

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