Chapitre 2-3

Une fois installée à la table de la cuisine, plutôt que recevoir un couteau et une planche à découper, la maman  sort un petit sachet de son sac plastique et le pose devant moi.

- Ouvre-le, c'est pour toi, me dit-elle.

J'ai toujours été une fille mortellement curieuse. Et le trépas ne m'a pas retiré ce petit défaut. Comme je raffole des cadeaux, je ne me fait pas prier, et entreprend de sortit l'objet de ma soudaine convoitise.

- Alors, ça te plaît ? demande ma nouvelle maman, avide de mes remerciements.

Je parviens enfin à sortir la petite boîte coincée dans son emballage. 

Un téléphone portable. 

- Cool, fais-je sans trop savoir comment le prendre. Merci.

C'est vrai, je suis une ado, sans doute accro aux réseaux sociaux et autre communication extra-réelle. J'aurai préféré une play-station, pour le coup.

- J'ai déjà entré les numéros de tes amies Marianne et Laura. Tu as bien entendu le mien, celui de ton père, de ton frère et les autres numéros de la famille comme Papou et Mamou. Pour les autres, il faudra que tu t'en charges. 

Je hoche la tête et allume le téléphone. C'est un Samsung de dernière génération, avec l'écran aux bords arrondi. Dans mon autre vie, je n'avais pas vraiment l'argent de m'acheter ce genre d'engin, alors je me contentais des petits smartphones un peu pourris qui remplissaient tout de même leur rôle.
Avec celui-ci, je pourrais presque me rendre sur la lune. 

- Le code c'est ta date de naissance, m'apprend-elle.

Et là, je bug complètement. Ma date de naissance ? Laquelle ? Je ne me souviens déjà plus de celle d'Andy. 

Diantre ! Que faire ? 

- Le dix-sept décembre, s'attriste le Piaf en déboulant sur la dossier d'une chaise, juste en face de moi.

- Merci, je lui réponds.

- Avec plaisir ma chérie, s'enorgueillie Christina en se mettant à laver les légumes qu'elle a rapporté.

Je grimace un sourire, me rappelant de ne plus répondre à voix haute au piaf. 

- Je ne pourrais pas toujours être là pour te donner les bonnes réponses, soupire la Piaf. Je n'ai pas que ça à faire de te seconder.

J'acquiesce machinalement, occupée à faire fonctionner un téléphone trop complexe pour mon pauvre petit cerveau de... tiens, c'est une bonne question ça : mon cerveau actuel est-il celui d'une ado de dix-sept-ans, toujours en pleine évolution ? Ou celui d'une jeune femme qui s'approche de la trentaine et dont les neurones décroissent déjà ?

- Je peux te laisser couper les courgettes ? dit Christina. 

Bien sûr que je peux, me dis-je. Est-ce que j'en ai envie ? C'est une toute autre histoire. Alors que j'abandonne le téléphone et m'attelle à la tache hasardeuse d'assister ma nouvelle maman, je repense à ce policier qui m'a fait un effet fou. 

" C'était qui ?" demandé-je au Piaf en gardant la bouche bien fermée. 

" Ton premier protégé ", déclare-t-il en comprenant aussitôt de qui je parle, sans avoir à le prononcer. 

" Alors, je suis définitivement un Ange Gardien, maintenant ? "

Je n'arrive pas encore à me faire à l'idée. Je veux dire, je suis morte, ça, c'est certain, puisque j'ai complètement changé de vie – et de corps, au passage. Mais jusqu'à présent, j'avais juste la sensation d'avoir eu une seconde chance. Avoir une mission, ç'en est une autre.

Piaf ne répond pas, mais je ressens son assentiment dans tout mon être.

" Comment je fais pour le protéger ? " fais-je, curieuse.

" Tu n'as pas lu les textes que je t'ai laissé ? " soupire le Piaf.

Je lève les yeux vers son apparition physique, mais il n'y a plus d'oiseau perché sur la chaise. Je retourne au découpage de mes carottes en grimaçant, imaginant l'une d'elle se transformer en patte de Piaf. Je m'acharne alors dessus de façon un chouïa psychotique. 
Aller, tiens, mange ça, et puis ça ! 

" Y en a tellement... " tenté-je de me justifier. 

" Tu auras donc de quoi t'occuper cette nuit. "

" Super. Et sinon, tu peux pas me faire un résumé ? " 

" La mission d'un Ange est instinctive. Chaque fois qu'il te faudra agir, tu le sauras, tout simplement."

" Mais comment je dois faire ? En le collant ? Je ne peux pas passer ma journée à ses baskets ! C'est un policier !"

" Nul besoin d'être en sa présence à longueur de temps ", m'explique-t-il, " tu as la capacité d'intervenir à chaque seconde de chaque instant, chaque fois que tu en éprouveras le désir. Ton esprit n'a de barrière que celle de ton enveloppe. Abandonne celle-ci et tout te sera possible. "

- Hein ? fais-je. C'est du charabia.

- De quoi ? m'interroge distraitement Christina.

Je me retiens de marmonner. Zut, c'est plus compliqué de parler en pensée que ce que je pensais. 

- Non, rien, je me parle à moi-même. 

" Comment je fais ça ? "

" Tu l'apprendras en temps voulu. "

Ouais, c'était toujours sa réponse. Saleté de Piaf. J'allais lire ses foutues documents ce soir et verrais bien si je trouvais un truc intéressant. 

Le reste de l'après-midi jusqu'au soir se déroule dans une monotonie tueuse d'enfants hyperactifs. A la suite de la préparation du repas, j'ai eu le droit de retourner regarder mes dramas. Ensuite, puisque la vision du Piaf se nettoyant les plumes à côté de l'écran géant devenait franchement insupportable, je suis allé passer en revu les fameux documents qu'il m'avait fourni. En fait, ceux-ci apparaissent comme par magie dans ma chambre, sous l'apparence de carnet d'écriture et de journal intime. A l'intérieur, tout est écrit à main levé. Et, croyez-le ou non, mais le style d'écriture est une réplique de la mienne. Comme si j'en étais l'auteur.

Mais soyons honnête, si j'avais écris le guide du parfait petit ange gardien, je le saurai. 

Bref, j'avais survolé le tout et pour être honnête, je n'avais ni compris ni mémorisé le quart. Lorsqu'on m'avait appelé pour passer à table, le soulagement de mettre un terme au supplice m'avait fait me précipiter dans la cuisine. Où j'avais vite déjanté.

Déjà, même si Christina et Claude sont là, le dernier lardon brille par son absence. Rien que pour ça, j'ose pas trop affronter le repas. Sans allié, j'ai le sentiment d'être jetée toute nue dans une fosse aux lions.

- Tu penses pouvoir reprendre les cours, demain ? demande Claude sans me regarder.

Je sais pas s'il a un problème avec sa fille, mais depuis que je suis revenue, j'ai l'impression que ma tête ne lui revient pas. Sent-il que je ne suis pas sa vrai fille ? C'est une excellente question que je n'irai certainement pas poser.

- C'est pas possible d'avoir deux semaines de vacances ? je demande avec des yeux de cockers.

Mais vu le froncement de sourcil que je récolte du papa, je dois plutôt ressembler à un écureuil empaillé.

- Chérie, tu ne peux décemment pas rester toute la journée à rien faire, me rabroue Christina. Tu vas prendre beaucoup trop de retard pour la fac. Pour débuter l'année, ce n'est vraiment pas recommandé.

- D'autant plus qu'on ne peut pas dire que tu sois une bosseuse, renchérit le père. 

Je les regarde tour à tour. Bande de chacal. Ils sont juste jaloux de ne pas pouvoir rester chez eux une journée durant, les doigts de pieds en éventail, sans penser à rien de plus que ce qu'ils vont pouvoir manger.

C'est difficile d'avouer que j'ai autant envie de me rendre à la fac que de me tirer une balle dans le pieds. Ne vous y trompez pas, j'ai adoré la fac quand j'y étais, et l'idée d'être à nouveau une étudiante a vraiment de quoi me séduire : mais, soyons honnête, moi, suivre des cours de biologie alors que je suis une littéraire ? On n'apprend pas aux littéraire à compter. On leur apprends à réfléchir sans jamais utiliser des chiffres. 

J'allais mourir là-bas, et me ridiculiser juste avant, quand on m'aura demandé de faire une soustraction, une division ou une multiplication. Bigre, je ne survivrai jamais plus d'une journée en ayant oublié mes tables !

- On te laisse jusqu'à mercredi, concède finalement Christina. Mercredi matin, tu reprendras les cours.

Je lis dans ses yeux la sentence catégorique : j'ai donc deux jours pour profiter d'une vie de pacha. 
Bah, fallait pas rêver Aby : ressusciter ne signifie pas pouvoir se la couler douce jusqu'à la fin de cette nouvelle vie, ce serait trop simple !

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