Chapitre 2-1

- Le bisouuuuuuuu ! Aller, embrasse laaaaa ! hurlé-je à la superbe télévision écran plat 4K.

Je me tord sur le canapé en serrant très fort le coussin. Mais ce débile de feuilleton ne suit pas mes jérémiades. Encore une fois, le héro se détourne au dernier moment et laisse la fille en plan, les yeux fermés et la bouche en cul de poule.

- Naaaaaaaaaah espèce de gros débile ! J'vais pas attendre l'épisode vingt pour avoir mon bisou ! Nom d'une paire de chaussettes de grand mère !

J'ai envie de lancer le coussin sur la télé, mais je me retiens in extremis. Manquerait plus que je la casse. Mais ces dramas coréens, vraiment...
Et comme je hurle comme une pintade, forcément, y a la serpillière qui se ramène toute contente en remuant sa vieille queue puante. Je pousse un glapissement de surprise, me retranche contre le dossier du canapé et me retrouve à gueuler encore plus fort quand ce satané sac à puce pose ses deux grosses pattes puantes sur le tissu rembourré.

- Rhaaa mais pousse toi ! Non, ne me lèche pas les pieds !

Je lui donne des coups de coussins et le gros lardon recule un peu pour s'asseoir sur son postérieur. Et là, il me lance un vieux regard de chou-fleur, en mode yeux grands ouverts, tout rond, presque larmoyant, à la façon du chat poté. Il me ferait presque pitié, le pauvre.

Presque. Pas assez pour me faire oublier la frousse qu'il déploie chez moi. Et pour la troisième fois de ce début d'après midi, je me mets à maudire cette nouvelle bonne femme qui me sert de maman. Pourquoi elle l'a pas laissé sur le balcon ? Il y était très bien ! Et moi aussi, d'ailleurs.

Mais Christina a eu la bonne idée de lui ouvrir avant de m'abandonner dans ce grand appartement, avec ce diable poilu. A mon réveil, j'avais juste trouvé un post-it, laissé sur le frigidaire au milieu des magnets ramenés de villes étrangères. Comment elle a deviné que c'est là que j'irai illico ? Mystère. Peut-être que Andy et moi, on a quelques points communs, finalement.

- What's going on *?

Je sursaute violemment, la main sur la poitrine, lançant un regard éperdu à Nguyen.

- Tu m'as fichue une de ces frousses ! m'écrié-je en regardant le sac à puce se jeter gaiement sur la bonne de la famille.

Nguyen est la femme de ménage, bonne à tout faire et nounou de la famille. Je l'ai découverte en sortant de la chambre, tandis qu'elle passait l'aspirateur dans le salon. Dans les notes de Andy, Nguyen était mise en avant, comme étant la seule écoute attentive de la jeune adolescente. Au service de sa famille depuis plus de vingt-ans, elle avait d'abord joué le rôle de nounou pour Tintin, avant de devenir celle de Andy, pour finir par devenir un énième tableau décoratif de l'appartement. La pauvre femme n'avait - toujours d'après Andy - plus aucune considération aux yeux de la famille.

Maintenant que Nguyen a appris aux enfants à être de brave petits adultes - avec en prime l'apprentissage de l'anglais - , elle s'est vu recalé au second plan, devenant une "simple" femme de ménage. Mais pour Andy, elle est bien plus que sa ça. Sa relation avec elle est apparemment plus intime qu'avec tous les membres de sa famille.

Famille de barjo.

- Pardon, glousse-t-elle sans repousser le fauve qui lui griffe copieusement son tablier.

Je la regarde par-dessus le canapé, et je la trouve adorable. Joue joufflue, rondouillarde avec un visage indéniablement asiatique - probablement vietnamien -, elle a tout de la gentille madame attendrissante. Sans la connaître, je l'aime déjà. Heureusement pour moi, je parle très bien anglais, sinon, je vois mal comment j'aurai pu justifier la perte subite d'une langue apprise depuis... ben, la naissance en fait.

- Je retourne à mes affaires, poursuit-elle en anglais avec un accent atroce qui m'éccorche les tympans. Si tu as besoin de moi, tu n'as qu'à appeler.

Je la regarde s'éloigner en embarquant la tornade sur patte, plus que satisfaite. Avec un soupir à fendre les âmes, je retourne à ma désespérante série asiatique, heureuse que cette famille de dingue ait la décence de possèder Netflix. Je ne peux pas vivre sans Netflix.

Déjà, le piaf m'a bien fait comprendre que Andreas était très loin d'être une nerd, et que par conséquent je devrais très largement ralentir sur ma consommation de jeux vidéo, comme il l'a si bien dit. J'ai pas trop osé débattre sur le fait que je ne mangeais pas mes jeux et que donc, il avait employé le mauvais terme. Je suis très flemmarde dans la vie, vous l'aviez remarqué. Même lorsqu'il s'agit de parler.

Lorsque, une bonne demie-heure plus tard, la sonnette de l'entrée fait trembler les murs de son DRIIIING glaçant, j'abandonne mon épisode dans un sursaut terrible, les yeux rougies par mes larmes de crocodile et la morve au nez, me demandant qui peut bien oser me déranger dans l'une de mes activité favorite dans la vie.

- NGUYEEEEN ! je hurle sans bouger de mon confortable coussin pour mes fesses divines. LA PORTE !

J'avoue, ça fait malpoli, mais DIEU ! - pardon, sans vouloir l'offenser - j'ai toujours rêvé de pouvoir dire ça sans prendre une tarte de ma mère ! Ou de mon père. Ou de mon frère, d'ailleurs.

Sauf que, pas de bol, la nounou ne peut pas m'entendre, puisque moi j'entends l'aspirateur qu'elle passe à l'étage.

- Je suis en convalescence, fais-je remarquer à mon super méga trop cool écran de télévision où les héros poursuivent leur triste mélodrame.

Je soupire et m'auto-motive à quitter ce canapé bien trop moelleux pour mon propre bien. J'ai toujours cru que les bourgeois faisaient passer le design avant le confort. Et bien, j'avais tort pour cette famille.

- Ca va, J'ARRIVE ! je cri encore lorsque la sonnette retentit, m'arrachant un nouveau sursaut très désagréable.

Ouais, y a des sonneries qui sont comme ça, peu importe le nombre de fois où tu l'entends, elle te traumatise toujours. En fait, je crois qu'on est plus habitué à ce qu'on nous rende visite. Ou alors, avant, les gens se contentaient de toquer ? Va savoir.

- Je suis athée, j'ai pas d'argent et je suis mineure, dis-je en ouvrant enfin la porte, ré-installant correctement la bretelle de mon débardeur sur mon épaule pour ne pas passer indécente.

Voyons, ce n'est pas parce que j'ai un corps de rêve qu'il faut l'exhiber !

- Je... euh... nous sommes... Bonjour, mademoiselle... ? bredouille un flic en uniforme, installé sur notre paillasson.

Mon cerveau laggue un instant, fait une pause, puis se remets à fonctionner.

- Aby, salivé-je en découvrant les pectoraux qui me font de l'oeil, délicieusement masqués par ce délicieux uniforme. Que puis-je faire pour vous, Monsieur l'agent ?

Aussitôt, ma petite épaule mouline pour faire retomber la bretelle et dénuder ma peau nue. Je m'adosse contre le chambranle de la porte, l'air le plus naturel possible, une moue aguicheuse peinte sur les traits et les yeux papillonnants telle une biche.

Est-ce que le signal est passé, là ?

- Andréas ?

Ah, merde, c'est vrai : je suis Andy.

Je me crispe une seconde et pivote la tête vers le second flic qui se tient légèrement en retrait pas rapport au premier. Sa peau très mâte d'un teint chocolaté fait ressortir des yeux irisés dont la couleur évolue du centre aux extrémités : une noisette imprécise qui se dilue dans l'argenté, cerclée par une ligne sombre. Et, dans son oeil droit, une grosse tâche marron, qui fini de m'hypnotiser.

A cet instant où nos regards se croisent, je fond, je brûle, je me désintègre pour me reformer ensuite. Je meurs, puis je reviens à la vie avant de cesser de respirer. L'air refuse de rentrer dans mes poumons, fait blocage à l'entrée de ma trachée et entraine des bouchons chez le copain oxygène. Je suffoque simultanément, mes mains se crispent, sont prises de convulsion et là, autant dire que je ne fais plus la maligne du tout.

Mon cerveau prend un décollage express pour s'envoler dans les nuages, embarqué par la bourrasque du destin, laissant derrière lui des oreilles qui se font envahir par les nuages les plus épais de la galaxie.

Panique à bord.

Je fais un AVC ?

Putain, je peux pas faire un AVC, pas maintenant que je viens à peine de re-commencer à vivre !

- Andréas ! Ca va ? Tu vas bien ? Tu veux un verre d'eau ?

Je perds complètement pieds. Mon esprit fait un vol plané, survole les flics, la cage d'escalier, l'immeuble, puis traverse la moitié de la planète à la vitesse de la lumière. Il réintègre ensuite mon corps avec tant de violence que je sursaute et prend une inspiration aussi brusque que si je venais de faire de l'apnée dans une rivière, juste après un plongeon impromptu.

- Whaw ! je parviens à articuler, bras tendu devant moi alors que mes pupilles ont un mal fou à faire la netteté.

Le flic me tient délicatement par les avants-bas, avec cet air de cocker battu qui vient de comprendre qu'il a fait une grosse connerie. Pendant ce temps, son pote piètique, paniqué, marmonnant des "je savais qu'on aurait pas dû se pointer, putain... ".

- Whaw, je répète, scotchée par l'adrénaline qui circule dans mes veines en faisant la course avec mon sang.

Un sourire béat d'attardée vient étirer la commisure de mes lèvres, et l'inconnu soupire de soulagement en constatant que je ne fais pas une crise cardiaque dans ses bras.

- Je crois que c'est ce qu'on appelle un coup de foudre, lançai-je d'un ton essouflée, des étoiles pleins les yeux.

Mais ce que je ne sais pas encore, c'est qu'il y a un univers cosmique entre le coup de foudre et la liaison qui relit le Protégé à son Ange-Gardien.

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* Qu'est-ce qu'il se passe ?

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