Chapitre 4
Ses pas résonnaient en échos murmurés sous les voûtes de la salle du trône. Il avançait sans aucune hésitation, ni curiosité pour l'architecture de la pièce. Adeline, tout comme la reine, retint sa respiration, déglutit, et une sueur froide dévala l'arrière de sa nuque. Il était trop loin encore d'elles pour qu'elles pussent le distinguer correctement. Il leur semblait grand, avec une chevelure mi-longue, noire de jais ; à ses côtés, mis à part le roi, se trouvaient un grand homme, plus grand que lui encore, et un autre plus petit, à l'allure de dandy vagabond.
D'ailleurs, elle avait supposé que c'était lui, le prince, puisqu'aucun signe distinctif ne le différenciait des autres, même pas une couronne. Du reste, il ouvrait la voie et parlait avec le roi.
Toute cette clique portait à peu de détail près les mêmes vêtements. Le supposé prince, ainsi que ses compagnons, avait sur leurs épaules, en guise de cape, une longue veste bleu sombre, tachetée de terres et de boues aux extrémités. Ils avaient tous une arme accrochée à leur ceinture, que ce soit pistolet ou lame.
Enfin, quand Adeline pu le détailler davantage, une surprise l'avait saisie. Le prince de Lisigi, d'abord, lui parut plus jeune qu'elle ne l'avait imaginé. Sous sa veste, il portait une simple armure en cuir, et son pantalon en toile était lâche, finissait grossièrement dans de hautes bottes noires.
— Je suis vraiment désolé pour ce petit contretemps ! s'excusa platement le roi d'une voix forte et qui se voulait amicale.
Le prince ne répondit pas, mais regarda Adeline et la reine. Cette dernière, sentant qu'Adeline allait défaillir, lui prit la main et la serra doucement. Elle lui dit ensuite, dans un chuchotement précipité :
— Parlez le moins possible, et tout se passera bien.
— Je vous propose de faire ça au plus vite, ajouta le roi, arrivé au pied du trône. Je sais à quel point vous êtes un homme occupé, et on vous a déjà assez fait perdre votre temps.
Le prince observa Adeline d'un œil intrigué. Les mains derrière le dos, la posture bien droite, il avait sur le visage une froideur calculatrice. La peur, alors, d'être découverte, avait saisi la servante. La distance qui les séparait pouvait laisser le doute sur ce que le prince regardait, ses yeux, son visage, ses vêtements, elle ne le savait pas ; tout ce dont elle était sûre, c'est que ce dernier la détaillait avec beaucoup de soin. Et sans jamais détourner le regard, il répondit au roi, d'une voix monocorde :
— Très bien, faisons comme ça. Il est vrai que nous avons encore du chemin à parcourir.
Puis, après un silence, il monta les premières marches du trône, s'arrêta en mi-chemin, tendit la main à Adeline. Cette dernière rougit, et sous l'impulsion d'une discrète tape de la reine, elle lui tendit sa main en retour. Le prince de Lisigi compléta les dernières marches et baisa sa main.
Et malgré la douceur de ce baiser, du bout de ses lèvres humides, un froid glacial remonta le bras d'Adeline. Elle sentit le souffle chaud du prince lui caresser les phalanges ; le voir de si près lui semblait être pareil à une torture, et que son déguisement était aussi utile qu'une bougie en plein soleil. Du reste, au milieu de cet effroi, de ces griffes qui tenaient sa main en otage, elle perçut un certain charme au fond de ces yeux verts qui, depuis quelques minutes, essayaient de la sonder.
Le roi, dans une tentative de l'éloigner d'Adeline, lui dit :
— Si vous voulez bien m'accompagner dans les jardins ?
Il se tourna vers lui en lâchant la main d'Adeline, acquiesça et descendit. Le roi, après avoir eu un souffle de soulagement, loin d'être discret, ajouta avec beaucoup d'hésitation :
— Nous allons préparer les derniers détails, rassembler tous les biens de... notre fille, et je me chargerais personnellement de les faire charger dans votre roulotte !
Une certaine tension monta et l'incertitude dans les paroles du roi éveilla, peut-être, un doute chez le prince. Ni la reine, ni le roi, ni même Adeline ne pouvait dire s'il flairait là ou non la supercherie. Ses compagnons non plus ne montraient aucune émotion ; ils étaient là, simplement, par acte de présence, observaient sans dire un mot.
Adeline l'observa, essaya de déceler chez le prince la moindre émotion, mais ni ses yeux verts, ni son visage de jeune loup vagabond ne lui livraient la moindre information. Il avait cette physionomie des bustes sculptés, lisse, à l'orée de l'âge adulte, d'une finesse nubile encore, et d'un charisme sans faille ; son nez, sa bouche, ses lèvres, et ses sourcils créaient une harmonie absolue ; il avait en somme, une belle gueule d'enfant rebelle, d'un adolescent qui refuse les affres de la maturité, pleine d'une beauté arrogante.
Dans les jardins du royaume, elle suivait le roi et le prince de Lisigi qui marchaient devant eux. À ses côtés, se trouvait la reine ; d'un soutien purement intéressé, ne voulant pas faire échouer ses plans par la panique soudaine, peut-être, de la servante, elle la soutenait, lui tint le bras lors de cette balade improvisée. Dans un chuchotement, elle lui dit :
— Tout se passe comme prévu, les gardes m'ont dit que tous les biens de ma fille ont été chargés dans la roulotte du prince. Vous allez partir dans moins d'une heure...
Mais elle ne l'entendait pas parler ; non, ses pensées étaient perturbées par cet individu. Toute l'image qu'elle s'était faite de lui ne correspondait nullement à la réalité. Un sentiment de trahison commençait à poindre en elle. Pourquoi diable avait il cette réputation, une si belle personne, se disait elle, ne pouvait être l'horrible monstre qu'on lui avait si longtemps décrit. Et malgré la peur constante de se faire démasquer, les perspectives d'une union forcée avec ce prince lui paraissait en deçà de ses plus grandes craintes.
La promenade dura le temps de faire le tour des jardins ; le roi expliquait au prince de Lisigi l'étendu de ses terres, la dureté du climat et ses petits soucis de culture de céréale, il lui parlait aussi, en long en large et en travers, d'à quel point les villageois étaient bien fainéants cette année. Et, une fois de retour dans la cour principale, les affaires d'Adeline étaient toutes chargées ; il ne restait plus qu'à signer les papiers, donner la bague, les deux symboliques de cette union, qui une fois actées ne peut être réfutées.
— Et bien, voilà, conclut le roi, très pressé d'en finir. Je vous ai montré les jardins, la tour, là-haut, sera votre chambre, si jamais vous décidez de séjourner ici. Maintenant, nous sommes une seule et même famille !
— En effet, souffla le prince.
Il se tourna, jeta un œil à Adeline, puis par-dessus son épaule. La servante n'avait pas raté son regard, se demandait bien ce qu'il pouvait regarder derrière elle. La reine donna un sourire de complaisance au prince, tout en caressant, comme si c'était sa propre fille, le bras d'Adeline. Mais cette dernière, rongée par la curiosité, se tourna. Sa surprise fut telle qu'elle lâcha une syllabe aspirée ; il se trouvait, à quelques pas derrière elle, l'un des compagnons du prince.
Il la salua d'une manière bien étrange, d'une légère révérence de la tête et de la main. C'était celui qui avait l'air dandy ; une moustache fine, un regard perçant d'intelligence, il avait l'allure de ces bardes nomades qui parcourent les royaumes en quêtes d'histoire à conter. Et derrière lui, arrivant à grands pas l'autre, le grand, il se dirigea vers le prince et lui dit avec un accent chantant :
— La dote vient d'être livrée.
Puis, se tournant vers le roi :
— C'est un beau château que vous avez là !
— Je vous remercie mon brave ! rétorqua-t-il. Si vous le voulez bien...
Il leva la main vers un serviteur, à quelques mètres d'eux, qui accourut avec un parchemin et une sorte de boîte en acajou. Après avoir salué d'un respect exagéré l'assemblé, il tendit le papier au roi et ouvrit ladite boîte. C'était un nécessaire à signer ; une petite bougie pour faire fondre de la cire, deux tampons représantant chaque sigle des deux familles, une plume et un encrier.
C'était le roi qui commença par signer. Le cœur d'Adeline se serra sous sa gorge ; tout était si précipité, ni de cérémonie, ni de discours, une simple vente, ce n'était rien d'autre de plus que ça. Un dégoût profond l'avait saisi, elle n'était même pas maîtresse de sa propre vie. Et quand le prince signa à son tour, elle sentit ses jambes quelque peu défaillir, alors que la reine sautillait de joie.
— Je suis très heureux de vous donner ma fille ! ajouta le roi, quand tout fut signé et tamponné.
— Il reste encore la bague, nota le prince.
Il sortit de l'une de ses poches un minuscule sac en toile qui contenait la bague. Le prince, en invitant Adeline à se rapprocher de lui afin de clore pour de bons le mariage, dit au roi :
— Pour le moment, c'est tout ce que je peux lui offrir. C'est une bague modeste, je le sais, mais il est fait d'un alliage noble des métaux les plus précieux de nos mines.
— Je n'en doute pas, mon ami ! répondit le roi sur le ton d'une franche camaraderie.
Adeline s'avança, regarda dans le vide, sous le rire gras du roi en écho dans la cour du château, pareille à une bête de somme que l'on pousse à l'abattoir.
Le prince lui prit délicatement la main, et lui présenta la bague. Et au moment où il inséra la bague au doigt d'Adeline, tous se turent.
La taille ne correspondait pas, la bague était bien trop petite pour le doigt d'Adeline.
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