Chapitre 2

Tout habillée encore, bercée par les brumes d'une trop longue nuit de sommeil, Adeline s'était réveillée avec beaucoup de peine. Le brouhaha qui l'entourait, course effrénée, bruissement frénétique de linges traîné, parole chaotique et voix grave, ne la dérangeaient guère pourtant.

Du moins, c'était toutes ces personnes qui circulaient autour d'elle, comme dans un moulin, l'exaspéraient... comment pouvait-on faire autant de bruit à une heure aussi matinale, étant la première des servantes, elle pouvait s'accorder quelques écarts. Mais, une voix, parmi toutes celles qu'elle entendait difficilement l'avait sortie de sa torpeur d'un coup d'un seul :

- Mais qu'on la réveille ! Je ne veux rien entendre, ce qui se passe là est grave ! grondait cette voix.

Adeline s'était relevée avec hâte, la bouche pâteuse, et les cheveux en pagaille. Les mémoires de la veille ne lui revenaient pas encore, et elle ne savait pas où elle était, ni pourquoi il y avait tant d'agitation autour d'elle, du reste, le roi semblait être en colère. Elle se frotta les paupières, racla sa gorge et vit la reine elle-même debout devant une fenêtre ouverte.

Cette dernière ne portait pas sa robe de reine, était restée dans ses vêtements de couchage, laissant sa gorge libre, ses épaules nues. Elle fronça des sourcilles, se tourna vers Adeline et lui souffla :

- Enfin, vous émergez.

Une servante s'était arrêtée sur le pas de la porte, le souffle court :

- Ma Reine, elle ne se trouve pas non plus dans la tour !

- Très bien, continue de la chercher, peut-être dans les jardins, qui sait quelle idée fantasque lui a encore traversé l'esprit.

Et elle repartit aussitôt, d'un pas rapide. La Reine regarda ensuite Adeline, avec des yeux emplis de colère, d'incompréhension et de panique ; mais toute cette rage ne lui était pas destinée, elle le sentait, parce qu'il y avait dans l'atmosphère une étrangeté qu'elle n'expliquait pas. Elle jeta un œil autour d'elle, la chambre était sans dessus dessous, mais surtout, ce n'était pas la sienne de chambre.

- On ne la retrouve plus, ajouta la reine avec les bras croisés, les poings serrés. Elle a disparu.

- Comment ça ? répondit Adeline.

- Elle a disparu, répéta la reine avec plus de fiel. Cette petite peste d'Amarie s'est volatilisée.

Elle souffla longuement, regarda par la fenêtre pendant que couraient encore des gens dans les couloirs, et que le roi s'énervait de plus bel. Tout le château était en pleine révolution, un chaos s'élevait de loin en loin, traversait les larges pierres de la bâtisse, pareil aux courants d'air s'immisçant sans difficulté lors des longues nuits de tempêtes hivernales. La reine qui, dans l'apogée de sa colère, avait fini par s'asseoir, regarda Adeline, et lui dit, d'une voix sombre :

- Rendez-vous compte ! regardez ce que cette ingrate nous inflige ! et le jour de son mariage en plus ! Comment peut-on être aussi imbécile ?!

Puis, cherchant un coupable à ce coup dur, elle décida de déverser sa colère sur Adeline !

- Et vous ! vous auriez pu l'arrêter au lieu de vous endormir comme une morte ! vous non plus, n'avez aucune idée du lieu où elle se trouve, je présume ?!

Tout lui revint, d'un coup d'un seul, la confession de la princesse, cette flamme étrange de détermination qu'elle avait au fond de ses yeux, et la fiole...

- La fiole ! souffla-t-elle et tâtonnant les plis des draps.

- Je vous parle, Adeline ! s'écria la reine en haussant le ton.

- Je sais ce qu'il s'est passé, dit-elle en saisissant la fiole.

- Pardon ?!

La reine se leva, se dirigea d'un pas frénétique vers la servante ; cette dernière lui tendit la fiole, se coiffa tant bien que mal et descendit du lit. Sa respiration s'accélèra, et petit à petit, les souvenirs revinrent à la surface de sa mémoire.

- Qu'est-ce que c'est que ça ?! lui demanda la reine.

- Votre fille m'a fait boire de cette chose, hier soir, avant de...

- Avant de quoi ?!

Adeline venait de comprendre la gravité de la situation, elle murmura ensuite :

- Je me suis évanouie... Et...

- Et quoi ?! Mais parlez bon sang ! s'écria la reine en saisissant la servante par les épaules.

- Elle est partie... Elle s'est enfuie, finit-elle par dire dans un souffle mourant, le regard vide. Avec un homme, il me semble. Hier soir, elle m'a... elle m'a droguée, je pense, avec ça. Puis je l'ai vu s'en aller et c'est tout...

- Et c'est tout ?! répéta la reine avec une rage de volcan en éruption.

La reine fit les cent pas dans la chambre, une vraie tornade de furie, jurant et grondant contre le monde entier ; qu'avait elle donc fait pour que le ciel lui imposât une pareille fille. Et, attiré par les cris de sa femme, le roi, à bout de souffle lui aussi, entra dans la pièce. C'était un gros et grand homme, à la barbe longue et dorée ; il portait encore sa robe de chambre, défaite, et n'avait que ça pour cacher sa nudité. La situation critique lui avait soustrait l'entièreté de sa pudeur ; et tout son attirail d'homme, sa bourse et sa chair pandouillonnante, perdu dans les touffes blondes de sa pilosité, s'animait au même rythme que ses pas colérique.

Adeline, fortement gênée par cette vision qui s'imposait à elle, détourna le regard vers la reine, les joues empourprées de sang.

- Mais pourquoi diable cries tu autant, femme ?! demanda le roi de sa voix rauque, pleine de fureur. Qu'est-ce qu'il se passe encore ?!

- Ta catin de fille s'est enfuie avec le premier venu ! cracha-t-elle sur le même ton. Voilà ce qu'il se passe !

Un serviteur l'avait suivi de près, très-timide, cherchait un instant pour dire ce qu'il avait à dire. Mais, au milieu des cris, il resta muet et sur le pas de la porte.

- De toute manière, continua le roi, c'était une cause perdue ! Elle est aussi gâtée et pourrie que sa mère, voilà tout !

- Parce que monsieur est irréprochable, je l'avais oublié, nota-t-elle avec beaucoup de cynisme. Ce n'est pas moi qui me pavane devant toute la cour, avec mes maîtresses sous le bras, non bien sûr, non !

- Ce sont des choses normales ! se défendit-il avec beaucoup de mal, après un silence.

- Cette fille traîne, depuis sa naissance, dans le vice et la luxure, continua la reine. C'est un miracle qu'elle ne nous ait pas fait ce coup plus tôt encore !

Le serviteur racla sa gorge, se tint droit, baissa la tête.

- Qu'est-ce qu'il y a encore ?! gronda le roi en se tournant vers lui.

Il baissa d'autant plus la tête, courbant son échine, et d'une voix tremblante, il annonça :

- Le prince de Lisigi arrive, nos éclaireurs sont formels.

- Déjà ?! cria la reine en levant les bras au ciel. Qu'allons-nous faire ?! C'est le scandale assuré, le déshonneur sur notre famille !

- Allez le retenir ! ordonna le roi au serviteur. Nous devons gagner du temps...

Un calme relatif tomba sur la pièce. Adeline ne savait pas où se mettre, et son regard passa du roi à la reine ; tous deux réfléchissaient sans doute aux solutions possibles. Et, d'un coup d'un seul, ils se regardèrent droit dans les yeux ; un éclair de génie avait traversé leur esprit en même temps. Alors, sans dire un mot, ils se tournèrent vers Adeline, avec une fourberie malicieuse au fond des yeux. La jeune femme flaira là un mauvais coup, son cœur se serra, sa respiration s'accéléra.

La reine s'était mise au même niveau que la servante, doucement, sans le moindre mouvement brusque. Elle lui prit les mains ensuite, et lui dit, d'une voix mielleuse :

- Tout va bien se passer, d'accord. Tu nous fais confiance, Adeline, n'est-ce pas ?

Elle ne répondit pas. Du reste, un vent glacial, présage de mauvais augures, avait remonté son échine en un battement de cils.

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