CHAPITRE 10 : L'AIDE PROVIDENTIELLE
Le premier jour fut consacré aux palabres. Mais le lendemain matin...
Assise au bord du lit d'Emma, Joanie s'entretenait à voix basse avec les adolescentes. Emma et Chloé avaient décidé de prendre la route afin de remettre à Maelrhys les précieux objets confiés par Hedelwyddan. La nouvelle donna lieu à une discussion houleuse avec Joanie. Mais après que sa fille lui eut décrit sa rencontre avec Hedelwyddan, et surtout fit part des révélations de l'elfe, les certitudes de la mère furent grandement ébranlées. Ne pouvant plus camper sur ses positions, celle-ci contacta son cousin Jean Michel. Ce chauffeur de poids lourd acheminait des palettes de fruits et légumes dans toute la banlieue bordelaise. Heureux hasard du calendrier, le jour de livraison du grand marché de Bègles, passage obligé pour les marchandises et les gens voyageant vers l'Enclave, avait lieu le dimanche. C'est-à-dire aujourd'hui.
— Jean Mi sera là dans une demi-heure, annonça Joanie. Bon. Répète-moi les consignes, Emma.
— Ouiii, Maman. On reste dans le camiooon... On ne parle avec persooonne... Et le conducteur doit toujours nous voooir.
— On ne te propose pas une simple promenade, mon trésor. Même si le trajet ne durera pas très longtemps, les routes seront probablement semées d'embûches. Et jalonnées de gens peu recommandables.
Emma haussa les épaules en esquissant une moue contrariée. Sa mère l'invita à se regarder dans un miroir afin qu'elle se rappelle ses ennuis de l'autre soir. La jeune fille maugréa une menace entre ses dents. « Si elle le rencontrait à nouveau, elle tuerait le scélérat qui lui avait massacré la figure. »
Cessant de trépigner sur place, Chloé se rapprocha de Joanie.
— Et si quelqu'un nous agressait quand même, supposa-t-elle en se croisant les bras. Pas sûr qu'on puisse le repousser à coup de sac à main.
— Mes pauvres chéries, gémit la mère. Je reviens.
Joanie se leva prestement et quitta la pièce. Les adolescentes se regardèrent d'un air perplexe. Emma baissa la tête puis fouilla dans son fourre-tout. Prenant place à ses côtés, Chloé ramena une mèche rebelle derrière l'oreille de son amie. Les yeux rivés au petit miroir de son poudrier, celle-ci examinait le triste état de son visage. Lui déformant le front, trois grosses bosses commençaient à prendre un teint jaunâtre parsemé de quelques touches indigo.
— Tu devrais remettre de l'Arnican, conseilla Chloé.
— Bof ! Je n'y crois pas à cette crème. J'en ai appliqué cette nuit et maintenant ça empire.
Emma ferma les paupières en hoquetant. Une larme se faufila entre ses cils et tomba sur le parquet. Son amie frotta son menton sur son épaule tout en lui tapotant le dos affectueusement.
Des bruits de petits pas pressés résonnèrent dans le couloir. Les jeunes filles braquèrent aussitôt leur regard vers la porte.
Une poche en plastique dans une main, son arme d'autodéfense dans l'autre, Joanie entra dans la pièce et se planta devant les adolescentes.
— Tiens, Emma. Mets mon Taser dans ton fourre-tout.
La mère s'assit à côté de Chloé puis déposa sa poche sur ses genoux.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda celle-ci.
Joanie esquissa une grimace. Intriguée, la jeune fille ouvrit le sac et en ressortit un aérosol.
— Une bombe au poivre. Comme ça, si l'une d'entre vous se trouve agressée, la seconde pourra voler à son secours.
— Du... poivre ?
— Un jet de ce produit dans le visage de ton ennemi, et celui-ci aura les yeux et le nez en feu. Cela vous laissera le temps de vous enfuir.
Le regard d'Emma passa plusieurs fois de l'aérosol à sa mère. Suspicieuse, elle leva un sourcil. On dirait celle que Papa cachait dans son armoire ? Joanie déclara que c'était le seul spray qu'elle avait pu garder, Adanhael ayant fait disparaître tous les autres. Surtout les insecticides, car ils étaient trop dangereux pour les p'tites bêtes.
— Mais ? Et l'été ? gémit Chloé. Les moustiques.
— Ben..., on se gratte.
Une musique carillonna joyeusement au rez-de-chaussée. La maîtresse de maison se leva brusquement et se précipita dans le couloir.
Lorsque les filles rejoignirent Joanie à la porte d'entrée, un homme d'une quarantaine d'années se trouvait sur le seuil. Avec les vêtements crasseux et sa moustache hérissée, l'individu ne semblait guère engageant. Il salua les adolescentes d'un vague grognement et embrassa la mère sur les joues.
— Je te confie mes deux trésors, Jean Mi. Prends bien soin d'elles, s'il te plait.
Son cousin la fixa d'un air interrogateur.
— La deuxième se nomme Chloé. C'est... C'est ma fille adoptive, ajouta-t-elle en adressant un clin d'œil à celle-ci.
Jean Michel lâcha un soupir en levant les yeux au plafond. Joanie poussa un petit gloussement et le fit pénétrer dans le couloir. Ensuite, elle referma la porte derrière lui, s'appuya contre son épaule, et murmura ses consignes... Chaque fois que le camion s'arrêtera, les filles devront rester dans la cabine. Sauf, bien sûr, si elles apercevaient leurs amis, car elles devraient remettre à ses inconscients les papiers d'identité qu'ils avaient oubliés chez elle. En outre, elle comptait sur lui pour les ramener saines et sauves à la maison.
Stupéfaites, Emma et Chloé n'en croyaient pas leurs oreilles. Les adolescentes découvraient une autre Joanie. Celle-ci mentait avec un naturel et un aplomb impressionnant. Même sa gestuelle semblait parfaite tant elle rajoutait de l'authenticité dans ses affirmations.
— Ne les emmènent pas au-delà de l'ancienne piscine municipale de Bègles, reprit-elle.
— Évidemment ! Il faudrait avoir l'esprit dérangé pour batifoler plus loin. De toute façon, toute la zone est bouclée par la Milice. Maintenant, ce joyeux tapage s'est transformé en un énorme marché alimentaire.
Tandis que l'une des mains de Jean Michel tournait la poignée de la porte d'entrée, la seconde esquissait un geste significatif aux adolescentes. La mère les accompagna jusqu'au camion, un vieil Iveco qui ne payait pas de mine. Nerveuse, elle embrassa Emma avec émotion. Quelque peu embarrassée, Chloé baissait la tête et se balançait d'un pied à l'autre. Joanie la tira subitement vers elle et enlaça les jeunes filles.
— Soyez prudentes, toutes les deux.
— C'est promis, Mada... Maman, répondit Chloé.
Lorsqu'elles s'approchèrent de la portière du passager, cette dernière s'ouvrit brusquement. Un individu, grand et maigre, à l'aspect encore plus négligé que celui du chauffeur, sauta sur le trottoir.
— Je vous présente le Robert, déclara le cousin de Joanie. Il m'aide à surveiller la marchandise.
— Jour, les Dames, lâcha l'intéressé.
Emma se pencha en avant et, découvrant une carabine posée en travers du siège, recula subitement. L'autre ricana bêtement puis se courba vers l'adolescente.
— C'est ma bonne vieille 22 Long Rifle, lui confia-t-il. Le premier qui nous casse les pieds, j'le transforme en passoire.
Les deux amies prirent place aux côtés du conducteur. Le dénommé Robert monta à son tour et ferma la porte d'un coup sec. Chloé sursauta sur la banquette et lui jeta un regard torve. Feignant l'indifférence, celui-ci se roula une cigarette. Leurs sacs posés sur les genoux, les filles se serrèrent l'une contre l'autre.
Soudain, le camion se démena, hoqueta, puis rugit de rage sous les brusques accélérations de Jean Michel. Celui-ci laissa l'engin redescendre en régime, ce qui engendra d'affreuses vibrations à l'intérieur de la cabine. La tête baissée, Chloé se boucha les oreilles. Le sourire crispé, Emma agita sa main en fixant sa mère à travers le pare-brise. Clac ! Une vitesse fut enclenchée. Le moteur vrombit à nouveau, arrachant le lourd véhicule à son inertie. Ce dernier remonta la rue des Marronniers en se traînant pesamment.
Joanie s'adossa au mur de sa maison tandis qu'un flot de larmes ruisselait sur ses joues. D'abord Adanhael... Et maintenant Emma.
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