L'amitié ne meurt jamais dans un bon cœur. Pierre-Claude-Victor Boiste

— Tu te sens bien ? demande ma mère torchon en action sur nos bols.


— Oui pourquoi ?


— En partant du principe que tu regardes depuis dix minutes le rouleau de sopalin, je n'ai pas l'impression que tu ailles vraiment bien.
Je me redresse et frotte mon visage des deux mains, hier soir quand je suis allé courir, je me suis retrouvé dans les gradins. Mais comment j'ai fait pour me retrouver là-bas, tout seul, comme un con? Je ne le dirai à personne, je me sens bien trop abruti pour m'en vanter.


— Ça va, je lui réponds en me levant, l'embrasse sur la joue et pars en cours.


— Mon fils qui part en cours sans cris ni sommation et sans ronchonner... À part ça tout va bien, je l'entends marmonner avant de claquer la porte.


Il y a un truc que je ne comprends pas, comment est-ce qu'un gars peut me rendre aussi mal ? Sûrement parce qu'on ne chasse pas les mêmes proies. Ouais, c'est carrément ça ! C'est ni un allié ni un concurrent voilà, j'ai trouvé allez hop, on passe à autre chose !
Au lycée, je pars directement derrière le gymnase, j'ai besoin d'un petit remontant matinal, en parlant de remontant il faudrait que je passe voir Laura.
Sur le chemin, il y a pas mal de bruit, j'entends des éclats de voix de la part des jumeaux et de Bryan. 

J'accélère le pas, c'est plutôt rare dans le genre.
Un des doubles se tient le ventre pendant que l'autre s'essuie la lèvre, Bryan tremble de tout son corps. Je pose une main sur son épaule pour qu'il me remarque et la serre un peu pour éviter qu'il leur saute dessus une nouvelle fois.
Pas pour lui, mais pour eux, faut pas croire, mais c'est une force de la nature, il est pas mal nerveux. Les jumeaux comparés à lui sont de vrais trouillards. Je me place un peu devant lui histoire de faire rempart entre eux.


— Une querelle d'amoureux ? je demande sans pour autant quitter les deux autres des yeux.


— Connard ! crache Bryan avant de se barrer.
J'irai le voir plus tard, de toute façon, il ne parlera à personne même pas à Estelle, je le connais, il est un peu con sur les bords.


— Ton pote là, c'est qu'une salope ! crache Lorris en ouvrant une bière.
Je ne lui réponds pas, mais ne le lâche pas du regard pour autant. Après un moment de silence, son double explose, tellement prévisible.


— Sérieux, il se prend pour qui ? On peut rien dire sur sa p'tite pute! C'est qu'une pouffiasse parmi tant d'autres !


Je chauffe. Sa pute?! Estelle n'a rien d'une salope qu'on baise juste comme ça, elle est juste géniale comme meuf! 


— Laisse ce con est touché par la grâce, il se croit amoureux la bonne blague !
Je fais tourner ma bière entre mes mains et soupire.


— J'suis sûr que je peux me la faire dans les chiottes sa put..
Il n'a pas le temps de terminer sa phrase que je me lève d'un bond et lui enfonce mon poing dans la gueule, le tout sans faire tomber ma cannette.
La classe, le branleur.


Son frère se jette sur moi et m'enfonce son coude entre les omoplates, ça fait mal... enfin, j'aurai mal quand je me serai calmé car pour le moment je veux juste leur en mettre plein la gueule. Dire ce genre de choses de la petite blondinette m'a chauffé un max. C'est la meuf de mon meilleur ami, et lui, je sais quand il est sérieux ou non, et là avec elle, il l'est.
C'est rare venant de nous, alors quand on l'est c'est pas du flan.
D'un mouvement d'épaule, je le dégage de sur mon dos, il tombe comme une merde sur le sol, au passage, je lui écrase le genou. C'est le pater' qui m'a montré comment faire, même si je ne l'aime pas lui, ces techniques de combat sont vraiment pas mal.
 D'ailleurs, c'est bien grâce à ça que je me débarrasse des deux cons en un rien de temps.
Je suis sûr qu'il y en a un qui a le bras cassé, j'ai un peu trop forcé sur la clef de bras. Tant pis, c'est pour la petite blonde. L'autre a un genou en kit, ça c'est pour le grand blond.


— Tu vas le payer gros con ! hurle Lorris en se tenant le bras.
Je me retourne vers lui, un sourire vicieux sur les lèvres et ouvre les bras par défi. Ils savent que lorsque je me la ferme, il ne vaut mieux pas venir me faire chier.
Ma mère dit que mes silences sont plus dangereux que mes éclats de voix, elle a peut-être raison et c'est une chose que je tiens d'elle. Quand elle se tait il vaut mieux aller se planquer et si elle en a après quelqu'un, la terre ne sera jamais assez grande pour se cacher, elle la traquera jusqu'à la trouver et cette personne finira la tête accrochée au mur.
Point barre fin de l'histoire.

Je tourne les talons et me dirige vers là où se cache Bryan, toujours le même endroit depuis notre entré dans ce lycée.

***

Je sais exactement où se planque Bryan. Dans les vestiaires.
Ça pue le mort ici, mais bon... faut faire avec.
Il est de dos, sur un banc en bois la tête entre les mains, les coudes posés sur ses jambes. Je sais qu'il essaie de se calmer. Au fond, c'est un grand sensible d'une bêtise incroyable; il a du mal à gérer.

Je me pose en face de lui et sors mon téléphone de la poche, sans lever les yeux du message que j'envoie à Laura, je le vois bouger. 


— J'ai cru que j'allais le tuer, il me souffle en serrant les dents.


- C'est peut-être tout ce qu'ils méritent.


— Ta main, il me fait remarquer qu'elle saigne un peu.


— J'ai rendu le verdict, je lui dis en haussant les épaules.
Il rit un peu.


— Ils ont pris cher ?


— Au moins un bras et sûrement un genou, le strict minimum, je hausse les épaules.
Petit temps de silence.


— Pourquoi tu n'as pas rendu la sentence ? je lui demande.

Il faut être lucide, il aurait pu faire de sacré dégâts, il est grand, fort et surtout une fois en colère, il est normalement difficile de l'arrêter.

- J'ai eu peur de ne pas pouvoir m'arrêter, il me dit les yeux dans le vague.
Ça lui est déjà arrivé, une fois, et c'était pas beau. Vraiment pas. Au final, il a été renvoyé un mois après le conseil de discipline, ce qui lui a presque coûté sa bourse, et l'autre a déménagé à l'autre bout du pays. C'était il y a deux ans dans les gradins juste après un match, je ne sais plus trop de quoi c'est parti, mais quand il a déconnecté, il était comme possédé. Je n'étais pas loin, toujours à deux, c'est une règle.
Mon pater' était à la maison, j'ai pas mal dégusté ce soir-là en rentrant.


— Je t'aurais arrêté.
Il se marre une nouvelle fois et se lève.


— Allons faire nos étudiants modèles !


— T'as quoi ?


— Math et toi ?


— Philo... J'ai l'impression d'y passer ma vie.
Finalement, je me suis retrouvé seul, l'autre abruti n'était pas là.
Le pied ! Même si j'ai bizarrement trouvé l'heure longue.

***

À midi, je rejoins le petit couple au snack, elle n'a pas l'air de faire la gueule. Elle ne sait peut-être pas encore.


— J'ai appris votre petite « discussion » de ce matin, attaque directement Estelle en appuyant bien sur le mot discussion.
Bryan et moi échangeons un regard avant que je ne prenne la parole, vaut mieux que je l'ouvre avant lui, on ne sait jamais.


— Ils ont voulu jouer, ils ont perdu, je réponds en haussant les épaules.


— Je les ai vus avant qu'ils ne partent...
Bryan serre les dents, façon personnelle et partagée pour ne pas dire de conneries

.
— Ouais... ils ont joué aux cons en t'insultant et en disant qu'ils arriveraient à te sauter dans les chiottes, je lui dis en la regardant. Comme ça mine de rien normal et le tout sur le ton de la conversation. 
Mon pote baisse le nez, non pas par honte, il se demande seulement comment elle va réagir. C'est ce que je penserais à sa place

.
— Ils n'ont pas pris assez cher alors, dit la principale concernée.
Bryan et moi échangeons un regard avant qu'un sourire n'apparaisse sur nos lèvres.
Pendant le repas, tout le monde est détendu, on se marre bien et cette connerie est déjà bien loin. Le seul problème, c'est que je n'ai toujours pas reçu de réponse de l'autre salope, pas grave, je passerai chez elle quand même ce soir.


— C'est sympa de ta part ce que tu as fait ce matin, dit Estelle pendant que son blond part se ravitailler en frites.


— De rien. À vrai dire, je ne sais pas quoi répondre d'autre.


— Tu n'étais pas obligé.


— Je sais, lui et moi, on se connaît depuis toujours, puis s'il a une merde, je le suis, c'est une règle.


— J'en déduis que si je fais de la merde, tu me le feras sentir, me questionne-t-elle en haussant un sourcil.


— Tes déductions sont bonnes, je lui réponds du tac au tac.


— Tu n'es pas un si gros salaud que ça, tout compte fait.
Je ricane doucement.


— Bryan ! Ta copine a dit que je suis un salaud, je lui dis en prenant une voix niaise, j'en profite pour me reculer sur mon siege et poser une main sur mon coeur..
Bryan qui a les mains chargées, nous regarde tous les deux une petite seconde avant de nous répondre.


— Elle n'a peut-être pas totalement tort. Il hausse un sourcil dans ma direction, ce con se fout de moi.
Je lui réponds en faisant sauter un petit paquet de moutarde sur son tee-shirt marron.


— 'Tain, mais quel con !


— Connard mon chéri, connard, reprend la blondinette tout en s'efforçant de ne pas rire.
Et moi comme le bon branleur que je suis, j'explose de rire.

***

En dernière heure, j'ai Histoire, comme d'habitude, je me mets à côté d'Idriss au fond de la classe. Je ne lui dirai pas forcément, mais j'aime bien passer les cours avec lui, déjà, il est pas mal doué dans cette matière, pratique pour les contrôles, puis on rigole bien.


— Toi et le blond, vous vous êtes battus. 

Sa phrase sonne plus comme une affirmation qu'autre chose. C'est fou ce que les rumeurs vont vite.


- Paraît ouais.


— Ils ont dit quoi ? 

Ce qui est bien avec lui, c'est qu'ils n'aiment pas les jumeaux et que donc c'est forcément de leur faute. Pour le coup, il n'a pas tort.


— Ils ont mal parlé d'Estelle. Bryan s'est énervé et je suis arrivé après.


— Tu vas me dire que tu ne leur as rien fait ?


— Tu me connais, sage comme une image, je dis en levant mes deux mains avec mon aire de ne pas y toucher.


— C'est vrai jamais un mot plus haut que l'autre, il répond en ricanant.
Le prof se jette dans un débat sur je ne sais quel événement historique, pourquoi parler du passé alors que les mêmes merdes se répètent dans le présent ?


— T'es vraiment avec la brune sexy ?


— Hein ? 

Je le regarde un peu paumé, il y a trois secondes, j'écoutais le prof complètement hystérique et là, il me parle de Jess.


— À la soirée, t'sais...


— Ah ouais... je veux dire non, c'était juste comme ça, je lui dis en espérant couper court à ses questions.


— OK... Adam ?
Quand je me tourne vers lui, il est mal à l'aise, il joue avec son stylo et tape nerveusement le sol de son pied droit, le colosse a du mal à rester en place.
 Avant que je ne puisse répondre quoique ce soit, il reprend, mais son visage a changé du tout au tout. En temps normal, il est calme et souriant, là il a les traits tendus, le regard un peu fou, c'est limite flippant.


— T'sais t'es un gars sympa on s'connaît depuis quelque temps déjà... Louis aussi est un mec cool. Je me tends aussi sec et flippe sérieusement. T'as grillé qu'il aime les gars e...


— T'as pas peur pour ton cul ? je lui demande en lui coupant la parole. Il ricane et reprend toujours avec sa tronche de psychopathe.


— Non pas du tout. C'est l'ex de mon cousin. Petite pause dramatique histoire de me tenir en haleine. Perso, je le connais depuis cinq ans, on est potes depuis autant de temps, il s'est fait jeter comme une merde par mon cousin. Il crache ce dernier mot. Écoute, je m'en tape un peu de ce que tu penses, mais lui et moi, on est un peu comme des frères, comme toi et le blond. Il sait que t'es branché filles, il ne te fera pas chier, il n'est pas aussi con, mais essaies au moins d'apprendre à le connaître. Je dois faire une drôle de tête, car il continue aussi sec. Je te dis pas que tu dois essayer avec lui non, juste être pote. T'sais c'est pas un monstre.


Ok... Ok... Ok... On prend les mêmes et on recommence ?
 Je me passe une main dans les cheveux et me frotte le visage des deux mains.
 Putain, j'aurais dû resté couché moi! 
Finalement, je sors le premier truc qui me passe par la tête.


— Qu'il arrête de me regarder comme s'il voulait me bouffer.
       

 Il se marre tout seul, ce qui lui vaut un regard noir du prof, et m'écrase le dos en « posant » une énorme paluche dessus. Je devrais peut-être lui demander pourquoi il tient tant à ce que je m'entende bien avec lui. Non, en fait, je ne veux pas savoir.


— Je lui dirais. Eh! Sois flatté, t'attire même les gars ! il me dit en me faisant un clin d'œil, un frisson me parcourt le dos, on part dans un fou rire pas contrôlé du tout.


— Ta gueule, je lui dis entre deux crises de rire avant que le prof nous demande s'il ne nous dérange pas trop. Bien sûr qu'il nous dérange et on ne se gêne pas pour le lui faire remarquer.


***

De retour chez moi, le pater' nous attend, Bryan et moi, sous le perron. On est dans la merde, il a dû avoir le lycée au téléphone.
On se regarde du coin de l'oeil avec Bryan, pas besoin de se parler, un coup d'épaule de sa part suffit pour que je comprenne; comme quand on était gosses. Toujours ensemble quoi qu'il en coûte.


— Ton lycée m'a appelé.


— Il ne t'a pas appelé, il a appelé à la maison nuance, je lui réponds en levant le nez par défi.
Il devient rouge de colère et moi, je prends mon pied.


— C'est de ma faute monsieur, tente mon meilleur ami.


— Rentre. Ni plus ni moins juste ce mot et la messe est dite, il tourne les talons et claque la porte.


— J'suis désolé vieux...


— T'inquiète à demain, je lui réponds en priant pour que ma sainte mère soit dans les parages.

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