Christian Bobin
D'instinct, où par pure habitude, je regarde le nombre de paires de chaussures qu'il y a dans l'entrée. Je fronce les sourcils, il en manque une.
- Il est encore au commissariat. Me répond ma sainte mère en replaçant son torchon sur son épaule. Comment va Estelle ? Elle rajoute en me souriant avec douceur.
- Elle est de retour au lycée, pour le moment ça se tient. En lui répondant, j'étire mon cou.
« Encore au commissariat... » Je ne sais pas comment je dois l'interpréter, je souffle tout l'air que j'ai dans mes poumons, remue mes épaules et me jette dans la gueule du loup en rêvant d'être partout ailleurs sauf ici. Je sens tout mon , ce qu'il en reste du moins, me quitter peu à peu, je me tourne vite fait vers la porte et essuie mes mains trempées sur mon jean. Je crois que je vais vomir.
Et si je me barrais là tout de suite maintenant, ni vu ni connu ?
Ma sainte mère, enfin, j'espère que je pourrais encore l'appeler comme ça, se racle la gorge, je me tourne vers elle au ralenti, une goutte de sueur glaciale coule le long de mon dos. Je ne sens plus mon cœur battre ... Tout va bien ...
C'est définitif, je suis totalement flippé.
Même mon côté branleur est en sommeil, j'suis pas dans la merde. J'hésite entre me pisser dessus ou vomir dans mes pompes. Je crois que je vais faire les deux.
Elle me précède dans la cuisine et part occuper sa chaise, elle prend toujours la même, celle en face de la porte, moi, c'est celle en face de la fenêtre. Toujours sans un mot, j'ouvre le frigo.
Avant de prendre une bière, ma main bute sur un reste de Margarita, je la cale dans une main et dans l'autre, je prends deux canettes, il me faut bien ça. Il faut que je respire aussi.
- Voyons mon grand, je ne vais pas boire tout ça ! Elle me jette un regard choqué, c'est vrai que la carafe est à moitié pleine. Entre nous elle fait sa timide.
- Je voulais te parler de ma vie amoureuse. Argument irréfutable. Je lui réponds un poil grimaçant, ses mots m'arrachent la gorge, non pas de douleur, mais de peur totale.
Ma vie amoureuse... Bordel, j'suis monogame, avec un mec et je vais en parler à ma mère. Je me retourne et prends une troisième bière.
- Ramène. Souffle l'unique femme de la pièce en ouvrant grand ses yeux. C'est pour ça que tu es tout vert, elle rajoute plus elle qu'autre chose.
Ouais l'heure est grave...
Je pose le tout devant elle et lui prends un verre propre dans le lave-vaisselle, elle me l'arrache presque des mains y verse son café tiède et remplis sa tasse, maintenant vide, de boisson jaune et alcoolisée. Je la regarde faire tout en décapsulant ma boisson contre le rebord de la table en bois. Tout le tour de cette pauvre table est rayé à cause de ce geste.
Cette femme est quand même étrange, elle se fout que sa table soit rayée, mais si l'ombre d'une chaussure pénètre sa demeure, elle organise une pure chasse à l'homme. Vu qu'on est que trois, enfin deux hommes, la battue se passe vite, mais elle n'en reste pas moins douloureuse.
Elle prend une grosse gorgée et pose un plus fort que besoin sa tasse sur le bois.
- Bon ? Elle m'interroge en faisant tourner sa tasse entre ses fines mains.
Ouais bon... Ouais... Ouais... Allé, une gorgée, grosse, de préférence et je dis adieu à ma vie de bon fils à sa mère. Amen mes frères.
- Tu sais les pieds de la dernière fois. Je commence péniblement.
- Oui ? Ses deux mains sont nouées entre elles autour de sa tasse, elle essaie de conserver son calme, mais ses yeux pétillants la trahissent.
- Ils appartiennent à quelqu'un...
Belle avancée Adam... Vraiment... On applaudit l'exploit, après tout je ne suis pas sa prés.
- Ha bon ? Elle me répond à peine moqueuse. Je pensais que ce n'était qu'un simple Pantin articulé du style poupée gonflable hyperréaliste, tu sais les Chinois sont hyper doué pour ce genre de choses. Elle termine en haussant un sourcil.
Je me marre comme un con et finis ma canette. Bonne occupation.
Bon, j'avoue, je patauge sec là.
– Ouais. Je grogne en me frottant le visage avec mes deux mains le tout sous le regard inquiet et surtout amusé de ma mère.
Je fais quoi maintenant ? Je crache tout d'un coup où je prends des pincettes ?
Elle reste silencieuse, elle ne bouge pas, comme si elle avait peur de briser l'instant présent. Je souffle et me redresse sur ma chaise, avale une grosse gorgée et me décide enfin de l'ouvrir utilement ce coup-ci.
- Tu préfères que j'te balance tout d'un coup où par petite dose ? je le lui demande histoire de gagner un peu de temps. Je touche ma cicatrice avec mon pouce de la main droite, j'ai besoin d'un peu de courage.
- Tout d'un coup. Elle me dit en jouant avec son alliance.
Aller... Aller... Aller... Il est temps de porter mon service trois-pièces.
J'ouvre la bouche, mais aucun son ne sort a part un petit couinement minable,
merde faux départ.
Je me frotte une nouvelle fois mes mains sur mon jean, contre ma cuisse, je sens mon portable vibrer. Je le sors rapidement, trop heureux de trouver une brève échappatoire, et le déverrouille. C'est un message de Louis qui me dit que tout ira bien et qu'il passera ce soir. Jamais il ne me demande mon avis celui-là ? Grand couillon.
Puis ce fut le déclic, comme dans les dessins animés une petite ampoule jaune a réveillé mes trois neurones, j'suis inspiré et avant que je ne flippe de nouveau, je me lance.
- Tu vois lui ? Je lui demande en lui mettant sous le nez la photo que j'ai reçue quelques minutes plutôt de la part de Bryan.
- Celui que je ne connais pas ? J'acquiesce. Et ? Elle reprend en levant ses sourcils.
Il est temps... Ça passe où ça casse. Y'a pas d'autre choix de toute façon.
- C'est mon copain. Je m'entends lui dire. Louis est mon petit ami. Je reprends en fixant mes mains qui tremblent.
Je les cache sous mes cuisses et en ressors une aussitôt pour finir ma deuxième canette, au passage, j'ouvre la troisième et essaie de respirer. C'est pas gagner.
Pas un bruit, pas une réflexion, rien, juste le bruit insupportable de nos deux respirations. Je n'ai toujours pas le courage de relever le nez. J'ai bien trop peur de voir sur
son visage toute la déception et le dégoût que je lui inspire. Pourtant on est que deux êtres humains non ?
Quand je l'entends soupirer, mes tripes se tordent douloureusement. Finalement c'était une putain de mauvaise idée, j'le savais.
- Donc c'est bien ce que j'ai vu ce matin. Elle chuchote si bas que je ne suis pas sûr qu'elle me parle vraiment.
Au cas où j'opine du chef. Je passe de nouveau mon pouce sur ma cicatrice.
- C'est cette personne pour qui tu as pris des coups quand tu étais avec Jess ?
J'opine une nouvelle fois.
- Pourquoi ?
Sans vraiment réfléchir, je lève le nez vers elle et hausse un sourcil.
- Pourquoi s'en est venu aux mains ce jour-là ? Elle précise comme si c'était normal.
Je commence à lui raconter pourquoi, au fur et à mesure ses traits se détendent. Je n'avais pas remarqué la tension qui l'habitait, j'suis sûr que je l'ai déçu. Je suis le pire gosse de cette fichue terre. Je suis une honte.
Merde.
Un autre silence.
Pourquoi est-ce que je lui ai dit ? Non pourquoi est-ce que j'ai cédé à ce besoin a la con d'être heureux ? J'avais Laura ce n'est bien pas d'attache pas d'emmerde !
J'suis pas assez fort, vraiment pas. Je recule ma chaise en faisant racler ses pieds sur le sol un son strident en sort.
- Est-ce que ça peut rester entre nous ? Je lui demande en prenant appui sur la table pour me relever.
- Assis. Je me raidis d'un coup quand j'entends son ordre, sa voix tranchante me fait l'effet d'un scalpel qui découpe ma peau sans anesthésie. J'ai envie de pleurer. Comme un gamin.
- Maman je...
- Tu sais ce qu'il me blesse ? Elle me demande en me coupant la parole tout en me fixant.
Je secoue la tête à la négative, je remplis mes poumons d'aire et attends comme un idiot ma sentence. S'ils me foutent à la porte, je pourrai squatter un peu chez Bryan et Jess après, je serais dans la merde. Pourquoi, mais pourquoi je lui ai dit moi !
Abrutis d'idiot sans cervelle !
- Tu m'as entendu ?
Pas besoin de lui répondre, elle sait que non, trop occuper à m'insulter mentalement, je n'ai pas fait attention à son couplet d'adieu... C'est peut-être mieux comme ça...
- Je te la refais en plus court : pourquoi tu ne me l'as pas dit plutôt ? Si tu oses me sortir une connerie du genre " j'ai eu la trouille que tu me renies" ferme là.
Puisque c'est demandé si gentiment, je me la ferme.
- Adam. Elle reprend au bout d'une poignée de secondes. Ce qui me blesse, c'est que tu as cru que j'allais t'abandonner. On a parlé des choses qui feront en sorte que je te lâche non ? Notre conversation me revient en mémoire.
J'opine du chef.
- Est-ce que l'homosexualité en fait partie ?
- 'Suis pas Homo ! Je réplique avec force en relevant mes yeux vers elle.
Elle me regarde et l'étonnement prend place sur son visage.
- Qu'es-tu alors ? Elle me demande le plus simplement du monde.
- C'est juste lui. Je lui chuchote, oui je me sens un poil con.
Elle me tend une main à travers la table et me sourit avec tant d'amour que j'en ai presque envie de pleurer une nouvelle fois.
- Bienvenu dans le monde de l'amour, mon fils.
Je me suis mis à rire doucement et lui rends sa poignée de main.
On en a parlé pratiquement trois heures, elle sait tout, elle ne m'a pas jugé une seule seconde. Elle a beaucoup ri quand je lui ai raconté tous nos épisodes. Au fur et mesure je me suis sentie plus léger, je peux enfin respirer librement.
- Fais-le venir ici quand tu seras prêt. Elle dit en finissant son café en regardant avec envie sa carafe désormais vide.
- Quand tu seras seule. Je lui réponds sous-entendu que je n'en parlerais pas à son mari. Elle ne m'a rien dit pour ça.
- Ho ! J'ai oublié de te dire, je pris aussi la bouche ouverte. Elle accompagne sa phrase d'un clin d'œil suggestif.
- Tu quoi... Quand mes trois neurones s'activent une nouvelle fois, je regarde me mère et lève les bras vers le ciel en montant les escaliers quatre à quatre. J'veux pas l'savoir sa m'man !
- Ba je croyais que l'on échangeait des banalités mon fils. Je l'entends me dire en bas des marches.
Oui, mais non ! Il y a des choses que je ne tiens pas à savoir ! Je tiens à préserver mon innocence ! Ce qu'il en reste du moins.
Ma mère, l'unique et la plus importante femme de ma vie, ne m'a pas abandonné. Elle l'a même carrément bien pris.
- Adam ? Je me tourne vers ma porte et l'ouvre.
- Je voulais juste te dire que je le savais quelque part. Elle me prend une main. Je vous ai vue par la fenêtre ce matin. J'ouvre la bouche, mais elle me coupe aussi sec. Pas besoin d'en parler quinze ans, ton père ne te jugera pas, tu sais. Elle me serre la main et continue son discours. Je ne le lui dirais pas, il ne le saura que quand tu l'auras décidé.
Elle me relâche la main et sort de la pièce.
S'que je peux être con !
Je me jette sur mon lit, me tourne sur le dos et souris au plafond comme un bien heureux.
Je suis heureux et libre.
Il est déjà tard quand Louis et Bryan se retrouvent sur mon balcon. Le blond ne reste pas longtemps, ce soir, il dort chez Estelle, au passage, il me dit que son père aussi a passé sa journée au commissariat. Je sais que c'est égoïste, mais je ne m'en occuperai que demain.
Mon meilleur ami s'éclipse non sans me donner une accolade.
Une fois tous les deux, il me tend un carton en cercle. En le dépliant, je me rends compte que c'est un immense poster de l'homme de Vitruve, identique à celui qu'il y a dans sa chambre. À un détail près. Un tout petit détail.
Une fine ligne noire a été rajoutée au feutre noir au-dessus de son œil droit, par réflexe, je touche la mienne. Je le regarde avec un sourire à la con il me le rend et me montre une autre tache noire sur sa hanche gauche. Un simple petit cercle foncé.
Sa tache de naissance.
- Peu de personnes l'ont vu, tu sais ?
- Encore heureux ! Je lui réponds avec une voix enrouée par l'émotion.
Il se marre et me prend dans ses bras.
- Vous avez faim les grands ? Nous demande ma mère en entrouvrant la porte de ma chambre. Je la regarde avec des yeux ronds. Appelle-moi con aussi. Elle me grogne pour la forme en ouvrant entièrement la porte.
Louis, pas gêné le moins du monde, se détache de moi et va la saluer.
Normal. Moi, je crois que je me suis finalement pissé dessus. Au passage je dis à la belle brune que je ne dormirai pas chez elle, elle m'a menacé dans une langue qui n'existe plus.
Normal.
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