Chapitre bonus 2 - L'Ange muet

A nouveau chapitre "bonus", qui cette fois racontera une partie des événements liés à la troisième Itération, ainsi que le passé de Lorelei et Hyalis ! Pour être honnête, j'avais commencé à rédiger ça sous forme de flashback, mais ça faisait tâche et c'était long (ça l'est toujours, 7470 mots actuellement), donc j'ai décidé d'en faire un 'bonus', sur lequel je me suis peut-être trop appliqué. Je sais que c'est très long, mais je prends volontiers les retours, surtout sur ce chapitre! Bonne lecture~..

Trigger warning : Chapitre potentiellement assez difficile et violent, avec des mentions d'esclavage tout du long. Aussi : mentions de torture, manipulation par une figure parentale. 

An XX3 - Deuxième lune

"Cela fait deux lunes que Vermeil a gagné ce pouvoir. Il n'avait aucune affinité à la magie auparavant, alors naturellement, je dois le guider comme je le peux. Ses pouvoirs sont insensés, il a arraché une partie de l'île d'un revers de la main ! Il n'y a plus de soldats dans la citadelle, alors avec les autres, nous avons décidé de l'explorer par petits groupes, pour ensuite regrouper les provisions vers le château, où nous nous sommes installés. Les civils... une partie ont été changés en statues de sel. Mais qu'importe, ils sont tout autant fautifs. Que Sa Divinité ne leur accorde que damnation et malheur."

Journal de "Ivoire"

An XX3 - Troisième lune

"Un soldat était caché dans une maison, que Ebène est parti visiter seul. Il a beaucoup de mal à voir depuis toujours, je dois trouver une solution... Ebène est mon frère, je dois l'aider.       D'ailleurs, il a réussit à esquiver l'attaque surprise du soldat, mais la suivante a failli le toucher. Heureusement, un garçon s'est jeté sur le soldat, puis... Quatre ou cinq autres personnes ensuite. Cette raclure a été tabassée à mort, ce qui est encore trop peu. D'ailleurs, je suis certaine que c'est lui qui a coupé la langue de Vermeil. Tout ça parce qu'il pleurait trop... Qu'est-ce que l'on a fait pour mériter ça ?"

Journal de "Ivoire".

"La citadelle de l'île d'Orpheus est notre pour de bon. Vermeil a essayé d'installer une barrière de protection qui l'entoure entièrement, et il a réussi. Aussi, il a pu détruire tout ce qui retenait nos magies à chacun, semblerait-il que la sienne soit suffisamment puissante pour. En parlant de lui... Il serait devenu une 'Itération', un monstre selon les livres. Mais il n'a presque pas changé. Il est, certes, plus courageux qu'avant, mais il n'a pas perdu son humanité, loin de là. A chaque fois qu'il doit attaquer, il est si triste, si nerveux... Il n'aime pas faire cela, mais il le fait malgré tout. Je veux le comprendre, mais il ne peut plus parler ! Tout ça, c'est à cause d'elle, Helbell d'Orpheus. C'est elle qui nous a capturés pour faire de nous des esclaves."

Journal de "Ivoire".

"Elle nous a tous renommés, avec des noms de couleurs. Moi, je suis Ivoire. Mon frère, c'est Ebène. Une majorité d'entre nous avaient des noms avant tout cela, mais... Combien n'en ont pas ? J'ai demandé à Viride, Anis, Grenat, Indigo, Sépia et Tangelo, et ils ne connaissent pas leurs propres noms. Ils sont une partie des plus jeunes, donc cela fait sens. Quant à Saphir, Auréoline, Nacarat et Prasin, ceux de mon âge donc les plus anciens... Nous sommes d'accord pour dire qu'utiliser nos vrais noms sonne faux désormais. Quoi qu'il arrive, je resterai Lorelei, mon frère restera Hyalis. Elle ne nous volera pas nos vies, pas une seconde fois. J'aimerais tous les anéantir, pour enfin être libres, mais... Est-ce qu'il y arrivera ? Est-ce que c'est la bonne chose à faire ? Tuer des gens, ce n'est jamais juste. Leur faire subir pire que la mort non plus, mais... Eux, ceux qui nous ont utilisés, je veux les détruire, mais d'un autre côté, je sais que ce n'est pas juste... Jamais je n'accepterais de tuer pour atteindre mes buts. Jamais."

Journal de Lorelei.

An XX3 - Sixième Lune.

Devenue esclave à dix ans, Lorelei avait une certaine expérience avec la magie, elle s'était entraînée très tôt. Ainsi, elle a pu aider ceux mal entraînés, et avec l'aide des grimoires du château, nombreux sont ceux ayant commencé lentement mais sûrement à maîtriser leurs magies.

Lorelei, elle, avait la capacité de comprendre les choses sous tous leurs angles et donc d'en déduire les possibilités. Cela fonctionne aussi sur les gens, car d'un simple regard, elle peut comprendre leurs magies en détail, et avoir une idée d'où ils viennent, de qui ils sont. Une magie innée, qui n'est pas apprise, mais pas moins utile. Ainsi, elle est sans surprise la plus intelligente de tous les anciens esclaves et quelques révolutionnaires qui logent dans le château et la citadelle.

"J'ai réussi à forcer Nacarat à aider les autres sirènes comme elle à maîtriser leurs voix, afin d'exercer le contrôle par celle-ci. Quant à Auréoline, il s'entraîne. Sa magie permet d'établir des connexions entre plusieurs individus, afin de permettre des communications instantanées. Un atout capital !"

Tout en parlant, elle enroulait quelques bandages autour des plaies d'Hyalis. Lorelei est une sirène également, mais pas de naissance-, elle a été maudite. C'est bien pour cela que son frère est un humain.

"Prasin, quant à elle, semble avoir une magie capable de convertir certains éléments en d'autres. Ses capacités seront utiles, même si elles sont lentes pour l'instant."

Saphir est très doué en matière de magie de soin, il l'a apprise à une dizaine des nôtres."

"Mais moi..?"

Hyalis a deux ans de moins que sa sœur, et sa magie innée est de pouvoir dissimuler les choses, temporairement ou de façon permanente. Toutefois, sa vue lui fait défaut depuis toujours, et ce ne sont pas ses deux beaux yeux céruléens qui vont le sauver. Mais Lorelei a trouvé une solution.

"J'ai quelque chose pour toi, petit frère."

"Eh ? C'est pas parce que je déprime que tu dois te soucier de moi."

"Au contraire."

Elle dégaina une petite boîte déjà ouverte, avec à l'intérieur...

"Des lunettes ! Ma seconde création. Normalement, ça te sera utile. Essaie-les !"

"Des..? Quoi ?"

Il les attrapa, quelque peu perplexe, avant de les positionner.

"Ne pose pas de questions ! Est-ce que tu vois mieux ?"

"Oh-.. Ohh-.."

Il regarda à droite, puis à gauche, visiblement impressionné.

"Tout est... moins flou !"

"Ce n'est pas parfait, mais j'ai vraiment fait avec ce que je pouvais."

"T'es incroyable !"

"Tu remercieras Prasin, elle m'a beaucoup aidée."

C'était un projet qui tenait à cœur à Lorelei, depuis toujours. Certes, sa première invention était divers types de canons améliorés, dont certains miniatures, mais elle travaillait sur les lunettes en parallèle.

Chacun ici est uni par le malheur et, force est de constater, que celui-ci permet de forger des liens profonds entre les individus. Sans l'Itération, repousser l'entièreté de la population de cette île aurait été impensable, et, en plus du malheur, c'est un désir de survivre et récupérer sa liberté, partagé entre chaque ancien esclave, révolutionnaire et oppressé, qui les unis désormais. Chacun compte beaucoup pour l'autre, et naturellement, Hyalis est l'être le plus précieux aux yeux de Lorelei, et inversement. Tous ces misérables sont comparables à une grande famille, aux liens incassables.

An XX3 - Septième Lune

"Assez souvent, j'ai ce que Saphir appelle des 'douleurs fantômes' dans le dos, là où étaient mes ailes. Elles étaient inutilisables, et brûlées, alors j'ai demandé à ce que l'ont me les arrache lorsque les soldats ont fait cela à Vermeil. Un moyen stupide d'être solidaires, mais il a été très touché. Je pense que c'est parce qu'il est encore jeune, et désespéré que cela l'a touché, mais... Je me doutais bien qu'il était très triste en parallèle.

Je ne suis pas une sirène de naissance, j'ai été maudite, et c'est comme ça que j'en suis devenue une. Certes, je peux contrôler avec ma voix, mais en contrepartie, mon espérance de vie est drastiquement réduite. Je n'en ai parlé qu'à Hyalis. Tout ce que j'espère, c'est réussir à anéantir les restes du royaume de Scopuli. Sans quoi, nous resterons toujours esclaves."

Journal de Lorelei.

An XX3 - Douzième Lune

"Les attaques sont fréquentes, ces temps-ci. Mais Vermeil les repousse tous sans exception. Il se pose simplement sur le balcon au sommet du château, et attaque de là. J'ai proposé d'installer des tours de guet à divers endroits stratégiques, ainsi que quelques pièges dans la citadelle si jamais la barrière se brise un jour. Divers canons sont dissimulés, ou reliés par des mécanismes de ma création... J'ai aussi modifié plusieurs balistes pour permettre de tirer plusieurs munitions simultanément, au besoin.                                                                                                                 Cela va bientôt faire un an que Vermeil est devenu une Itération. J'ai lu tous les ouvrages à ce propos, et aucun élément déclencheur n'a été identifié. Ce n'est pas la douleur, donc... Le ressentiment ? Qu'est-ce qui l'aurait poussé à ressentir quelque chose de plus ce jour-là ? Ca ne peut pas être le malheur, car certains ont vécu pire que lui. Ca ne peut être le hasard, car les deux Itérations précédentes ont subi des choses horribles également. Alors quoi ?Malheureusement, il ne pourra jamais me le dire. Il ne peut plus parler, et, j'ai voulu le pousser à apprendre à écrire, mais il bloque. Sans doute les mots de Helbell qui font encore effet, "tu n'as pas besoin d'écrire, de parler, ou de penser. Tu dois m'obéir, à moi, ta mère. Je veux ton bien, je veux votre bien à tous. Ne t'avise pas de désobéir."

Si seulement je pouvais lire les pensées des autres... Je veux le comprendre, mais... C'est comme si un monde entier nous séparait désormais."

Journal de Lorelei.

An XX4 - Quatrième Lune

"Les attaques ne cessent plus. Ils ont essayé d'installer un camp non loin de la citadelle, mais Vermeil les a anéantis après coup. Je lui avais demandé de les attaquer avant qu'ils ne s'installent, ainsi, on aurait pu récupérer des ressources supplémentaires, mais... Il a hésité.

Je suis furieuse, mais sous aucun prétexte je ne dois le montrer. Il se débarrasse toujours des envahisseurs, mais, c'est assez évident que son état se dégrade. Il hésite beaucoup, il est souvent pris de tremblements, de convulsions, de cauchemars soudain, de folies passagères... Sa respiration est très irrégulière à chaque utilisation de sa magie.

Parlant de magie, la mienne est inefficace sur lui, je ne peux rien déceler. Toutefois, je n'en ai pas besoin pour savoir que son état mental n'est pas bon. Jusqu'à quand va-t-il tenir ?"

Journal de Lorelei.

An XX4 - Sixième Lune

"Les défenses de la citadelle sont enfin en place. Balises, canons, pièges, tours de guet... En parallèle, nous travaillons sur un bâteau assez grand pour nous échapper d'ici, mais les ressources manquent, et Prasin ne peut pas non plus faire de miracles. D'ici six lunes, tout sera prêt. J'ai donc tout ce temps pour créer de quoi le téléporter sur l'océan, avec tout ce qu'il y a dessus... Cela dit, les sirènes pourront s'envoler pour fuir, mais pour aller où ? La seule île proche est celle où la majorité de l'armée du royaume se cache, avec Helbell... Et malheureusement, Vermeil ne peut pas l'atteindre.

Sa magie est purement destructrice, quand bien même elle se matérialise sous forme de cristaux, la majorité du temps. Il manipule également l'eau... La glace, donc ?

Par ailleurs, plus le temps passe, moins ses attaques ont de formes précises, ses pouvoirs deviennent particulièrement instables.

Il est la seule Itération que j'ai connue, mais il est bien loin d'être un monstre. A tout le moins, Vermeil est très humain. Outrageusement humain."

Journal de Lorelei.


An XX4 - Septième Lune

"Je ne sais pas pourquoi... Il y avait quelques navires au loin et, instinctivement, il les a détruits sans prévenir. Par instinct ? Ils ne se dirigeaient même pas dans notre direction.

Forcément, j'ai haussé le ton, et... Il s'est effondré sous mes yeux. Je déteste le dire, mais je crois que Vermeil a atteint son point de rupture."

Journal de Lorelei.

AN XX4 - Onzième Lune

Lorelei observait le navire, silencieuse. Il n'était ni assez grand, ni assez solide. Plusieurs mois de ressources gâchés.

"Ce n'est pas grave."

"Comment ça pas grave ?!"

"Calme-toi, Hyalis... Il est possible de tirer quelque chose de ce bateau."

"Et comment..? Tu le dis toi-même, il ne tiendra pas un voyage ! Et il n'est pas assez grand pour supporter les sirènes et les humains !"

"... Helbell semble vouloir récupérer son château et sa citadelle au plus vite, d'où les attaques plus régulières."

Hyalis faisait les cent pas dans la pièce, relativement peu rassuré. Il n'y avait qu'eux, et Vermeil, silencieux dans un coin. Comme toujours, il ne faisait qu'écouter. D'ailleurs, Lorelei se tourna dans sa direction.

"Nous allons utiliser leurs navires, mais pour cela... Tu ne dois surtout pas les détruire."

Hyalis s'arrêta, déboussolé.

"Lorelei-..! T'es folle, ma parole ?! Sa magie est instable, il ne peut plus attaquer précisément ! La moindre attaque est un désastre ! Même s'il était stable, dans son état ? Il détruirait tout quand même !"

"Mais, est-ce que tu t'entends..? Si nous ne sommes plus esclaves, c'est grâce à lui ! Si l'on peut résister, c'est grâce à lui ! Il nous a sauvés, que tu le veuilles ou non."

"A cause de lui, oui ! J'aurais préféré crever dans les mines plutôt que d'attendre qu'il ne craque et nous bute tous ! Ah mais, mieux encore-, on crève à petit feu ! Cette 'libération', c'est juste un retour à la case départ !"

"Sombre idiot-..! Ne-.... Vermeil..?"

il regardait le mur opposé. Ses membres tremblaient tous, et ce n'était pas dû au froid. Il regarda ensuite dans la direction de Lorelei et Hyalis.

Depuis qu'il est devenu une itération, son corps a subi quelques changements : ses yeux sont vairons, l'un rouge, l'autre doré, les deux ayant un anneau noir dans l'iris. Ses cheveux sont désormais immaculés, toujours attachés en une tresse laissée sur son épaule gauche. Ses avants-bras ainsi qu'une bonne moitié de ses jambes sont désormais noirs comme la nuit, ayant toutefois quelques nuances de couleurs différentes, imitant le ciel nocturne.

Il se contente de hocher la tête négativement. S'il le pouvait, il aurait sans doute beaucoup à dire. Malheureusement, le monde lui a enlevé ce don.

An XX4, veille de l'an XX5 - Douzième Lune

"J'ai finalisé les cercles de téléportation. Plusieurs sont disposés dans la citadelle. Un cercle n'est utilisable qu'une seule fois, et n'amène qu'à un point précis. Par exemple, ceux à chacun des point cardinaux de la citadelle amènent à l'entrée du château. J'ai également créé un cercle plus puissant, capable de soit téléporter quelque chose de massif sur la rive, soit quelque chose de petit, mais bien plus loin.

J'ai amélioré les longues-vues, j'ai créé quelques canons miniatures et portatifs, nos remparts sont ornés de canons, et de la poudre à canon renforcée est dissimulée dans les zones les plus isolées et protégées du château. Suffisamment d'armement pour réaliser une percée, si besoin.

Aussi, avec l'aide de Saphir et Prasin, j'ai développé un nouveau type de longue-vue, qui possède des capacités similaires à ma magie. C'est-à-dire analyser les choses et les personnes. Le futur me fait peur... Mais il faut avancer.

J'ai relu certaines de mes anciennes entrées dans ce journal... J'ai évolué, je l'admets. Désormais, je suis prête à tuer. Une fois libres, cependant, je ne tuerais plus. Sacrifier une vie pour une autre est insensé. D'autres solutions existent toujours."

Journal de Lorelei.

"Cela fait quatre lunes que l'on se fait attaquer très régulièrement. Vermeil a pris l'initiative d'installer une barrière qui couvre toute l'île, mais cette fois... On ne peut pas en sortir, il doit forcément créer des brèches de lui-même.

Cette île est riche en métaux contenant de la magie, d'où le nombre impressionnant de mines situées sous la citadelle. Nous en avons stockés un grand nombre dans la réserve, pour permettre des offensives presque instantanées et rapides, si besoin est. J'espère sincèrement que ce sera suffisant.

J'ai aussi amélioré une longue-vue, afin d'observer ce qu'il se passe à l"horizon plus facilement et précisément, mais... Il n'y a rien. Tous les navires ennemis apparaissent de nulle part.

Quelque chose se prépare."

Journal de Lorelei.

An XX5 - Anniversaire de l'avènement de la troisième Itération, aube de la nouvelle année.

"Vermeil, maman a très mal sans toi.

Tu détruis tout ce qui approche... Au moins, tu n'as pas oublié que tu n'as pas besoin de penser par toi-même. Mais tu écoutes quand même ces chiens qui t'exploitent...

Tu as peur ? Peur d'eux ? Ne t'inquiète pas. Je suis une mère, et mon but a toujours été de t'aider. Te protéger, te secourir. Je vais t'aider à nouveau. Tout ce que je veux c'est t'enlacer... Ne t'en fais pas, ton fardeau deviendra mien. Tu me connais... Je suis prête à tout, lorsque cela te concerne. Je vais t'aider, mon bel ange.

Un ange sans ailes... Sans voix... Tu es si unique ! C'est pour cela que je t'aime tant. Parce que tu es tout ça. Aujourd'hui, plus que jamais, je t'aime profondément, mon fils."

Lettre de Helbell.

An XX5 - Second jour. 'La Chute de l'Ange Muet'

Lorelei était actuellement dans la salle du trône, alors que Vermeil, lui, n'était pas encore arrivé. Habituellement, il était toujours là en avance. Chaque matin, ils se rejoignent pour observer l'horizon, pour vérifier que personne n'arrive, mais également pour passer en revue les observations de ceux chargés de la surveillance de nuit.

Il faisait particulièrement sombre. Le ciel était d'une teinte orange sale, mêlé à du noir et du bleu nuit. Il faisait encore humide, dû à la neige n'ayant que récemment fondu. Il faisait froid, et l'air semblait pesant.

Vermeil arriva enfin, en retard. Il tremblait déjà, et sa respiration, habituellement discrète lorsqu'il n'utilisait pas sa magie, se faisait légèrement entendre. Lorelei le regarda, l'air soucieuse, avant de prendre la parole.

"Tu devrais te reposer pour quelques temps. Je m'occuperais de tout avec les autres."

Il était surpris, et, l'espace d'instant, il essaya de dire quelque chose. Sans succès. Il hocha la tête, à la négative.

"... Ton état est préoccupant, et c'est un euphémisme. Saphir essaie d'utiliser sa magie sur toi, mais ça ne fonctionne pas. La seule solution est que tu prennes l'initiative de toi-même."

Il acquiesça.

"... Les barrières risquaient de céder, dans tous les cas?.. M'enfin, comme toujours, il est l'heure de lire les rapports. Après quoi, j'aimerais que tu vérifies malgré tout l'état de la barrière de l'île, ainsi que celle de la citadelle. Après quoi, tu iras te reposer... Pour plusieurs jours."

Lorelei n'avait pas l'air sévère, malgré son discours. Mais Vermeil savait qu'il n'avait pas le choix, alors il acquiesça à nouveau.

Les deux 'sirènes' avancent alors en direction du balcon. Le ciel était particulièrement macabre aujourd'hui, et à l'extérieur, l'atmosphère était d'autant plus pesante. Un messager s'était chargé de déposer les rapports, comme chaque jour. Vermeil ne sait pas non plus lire, n'ayant jamais eu d'éducation, alors Lorelei se chargea de la lecture.

Le rapport était particulièrement étrange, plus de la moitié était griffonnée, poussant à s'intéresser au peu qui était lisible.

"Les différents drapeaux blancs disposés sur chaque rive pointent tous vers le centre de l'île, dû au vent.

Qui plus est, après utilisation des longues vues, nous avons remarqué que toutes les formes de vies aquatiques étaient éloignées, comme si elles étaient effrayées par quelque chose situé à la surface. De peur, nous avons utilisé les objets de mesure des niveaux de magie, et ils sont anormalement élevés, l'un d'eux ayant même cédé sur le champ."

Vermeil regardait Lorelei, inquiet. Celle-ci était trop absorbée pour le remarquer, alors il se décida de lui donner une tape sur l'épaule pour attirer son attention.

"Mh..?"

Il pointa du doigt le rapport, puis Lorelei elle-même. Sa voix manquait d'assurance.

"Ce que j'en pense..?"

Il acquiesça.

"... Et bien, il reste une dernière phrase sur le rapport."

Il penche légèrement la tête sur le côté, avant de joindre ses mains tremblantes ensemble, prêt à entendre la mauvaise nouvelle.

"Nos ennemis sont déjà là. Ils se sont dissimulés tout le long de leur voyage."

Au même moment, quelqu'un débarqua en trombe, manquant de tomber au passage.

"Lorelei, Vermeil ! On a un problème !"

"Anis..? Mh, parle."

"Une magie bien supérieure à la moyenne humaine a été repérée ! Elle se trouve au beau milieu du ciel !"

"... Qu'en penses-tu..?"

La maudite se retourna vers l'Itération, qui regardait en direction du ciel. Il acquiesça. Lorelei se retourna vers la jeune femme.

"Va prévenir Hyalis. Dis lui de se rendre dans nos réserves de magie. QU'il en utilise autant que nécessaire du moment qu'il parvient à rendre nos ennemis visibles."

"A vos ordres !"

Elle quitta le balcon sans attendre. Hyalis est tout à fait capable de dissimuler presque tout, et tout naturellement, il peut faire l'inverse sur les sorts de même nature.

"Maintenant... Il faut attendre."

Vermeil observait l'horizon sans un mot. Il tremblait encore, et sa respiration était saccadée. En théorie, si l'attaque est de grande ampleur, l'instabilité de ses pouvoirs sera bénéfique, si bien sûr les ennemis sont éloignés de l'île.

Soudain, divers fissures firent leur apparition, tout autour de l'île, formant un dôme. Une aura blanchâtre commença à émaner des fissures, jusqu'à recouvrir en quelques secondes la totalité du dôme, pour ensuite disparaître presque instantanément. La barrière placée sur l'île venait de se briser.

"Cette présence est déjà là, donc-..."

La magie de Lorelei est basée sur sa vue, tout naturellement, elle peut voir de plus loin si elle le désire. Et elle se concentra pour le faire, scannant la partie de l'île qu'elle avait en vue, jusqu'à finalement apercevoir une femme en armure, qui toutefois ne portait pas de casque. Ses longs cheveux blonds, disposés en une longue tresse, flottant dans le vent. Elle brandissait deux épées des plus imposantes, une couverte de flamme, l'autre de foudre.

"Cible en vue ! Elle... Marche en direction de la citadelle..?"

Elle était nonchalante, car oui, elle marchait tranquillement. Lorelei essaya de l'analyser, mais cela ne fonctionnait pas. Elle ne comprenait pas ce qu'elle voyait, il n'y avait rien à en tirer... Elle avait l'impression de nager dans le néant, c'était très similaire à ce qu'il se passait lorsqu'elle essayait sur Vermeil, mais en moins dense et douloureux.

Celui-ci lui fit une tape sur l'épaule, pour l'avertir qu'il voulait entrer dans la confidence. Elle le regarda dans les yeux.

"Elle... C'est un cas similaire au tien. Je n'arrive pas à la déchiffrer."

Le visage de son sauveur, déjà très inquiet, se décomposa de plus belle. Il comprenait bien tout ce que cela impliquait.

"Rassure-toi.. Ce n'est pas aussi extrême. Elle est loin de posséder une puissance proche à la tienne... Mais elle reste monstrueuse, qui qu'elle soit."

Une voix résonna dans l'esprit de Lorelei, celle de Auréoline, l'homme capable d'établir des connexions d'un individu à un autre. Un outil de communication précieux.

"Hyalis a terminé, leur sort de dissimulation se brisera sous peu. Je vais te lier à ceux sur les tours de guet, ils sont déjà prêts à faire leurs rapports."

"Bien."

Vermeil n'était pas dans la confidence. Même par la pensée, il ne peut plus parler. S'il parle, il sera sa seule audience.

Un voile brumeux blanc commença à s'élever à grande vitesse, partant de l'océan jusqu'au ciel, révélant petit à petit l'ombre de nombreux navires dangereusement proches. Lorelei essaya de compter ceux qu'elle avait en vue. Une vingtaine, au bas mot.

"Poste de guet ouest, il y en a une quinzaine !"

"Il y en a trentaine du côté est."

"J'ai pu en compter vingt. Vermeil commencera à les attaquer sous peu. Qu'en est-il du sud ?"

"Cinq navires, dont un bien plus impressionnant que les autres."

"Utilisez les longues-vues, et essayez de repérer les potentielles menaces !"

Elle se tourna vers Vermeil.

"... Tu veux bien ?"

Il acquiesça, avant d'approcher les rebords du balcon. Il pointa un doigt en direction d'un navire, qui, quelques secondes plus tard, se retrouva transpercé par un pilier de glace venu tout droit des profondeurs. Deux autres étaient pris soudain dans un violent blizzard, qui les bloqua sur place. Un siphon commença à entraîner trois autres navires, et six autres se faisaient bombarder par une pluie de piques de cristal, d'une taille imposante.

La scène était rapide. La distance suffisait pour ne rien entendre, mais le garçon était plus que conscient de ce qu'il faisait. Deux ans à tuer et à protéger l'ont épuisé. Ses émotions sont fortes et nombreuses, insoutenables, mais ironiquement, il ne savait pas et ne pouvait pas les exprimer. Ses tremblements et sa respiration étaient suffisants.

Mais tout n'allait pas être si simple, car alors qu'il était concentré sur cette destruction de masse, et que Lorelei profitait du spectacle non sans un plaisir sadique mal dissimulé, cette étrange femme qui avait brisé la première barrière venait d'atteindre la seconde, bien trop rapidement pour que ce soit naturel.

Tout comme la première, la seconde vola en éclat d'une simple touche. Sans que Lorelei ne sache pourquoi, la voix grave de cette femme résonna dans son esprit.

"Livre nous la bête, et on vous accordera une mort rapide."

Vermeil se retourna vers la jeune femme, ayant visiblement entendu ce qu'elle a dit. Serait-elle capable d'établir des connexions entre individus ?

"Ma patience à ses limites, chienne. Réponds."

"Va au diable, laquet d'Helbell."

La femme rigola. Un son glauque, qui témoignait à lui seul de sa confiance absolue en elle-même.

"Tu me dégoûtes... Depuis quand les larbins osent l'ouvrir ? Cette folle d'Helbell est pas foutue de bien éduquer ses cabots ! Mais il n'est pas trop tard pour vous éduquer ! Je le jure sur mon nom, Dracaena d'Asphodel, toi et toute ton engeance... Vous tomberez tous."

Elle rigola à nouveau. Son sourire s'entendait.

"Toi, la bête ! Attaque un seul de nos navires, et j'anéantirais ce château."

Elle planta sa lame enflammée dans le sol, avant de couper toute communication. L'Itération avait joint ses mains ensemble, pensif.

Pour la troisième fois, quelqu'un arriva en trombe. Cette fois, c'était Hyalis.

"Eh, vous deux..! Auréoline ne pouvait plus vous contacter !"

"... On a eu un souci. Qu'est-ce qu'il se passe ?"

"Le royaume d'Asphodel est présent aussi ! On a localisé Anemone d'Asphodel, la reine actuelle, et son roi, Gaius !"

"La reine d'Asphodel..?"

"Elle maîtrise le vent, c'est à cause d'elle que les navires sont si rapides ! Et l'autre type... Gaius, c'est un nécromancien ! Dès que la première barrière s'est brisée, il a ramené à la vie ceux morts dans cette zone. Et ça commence aussi dans le château ! Certains navires sont déjà sur les côtes."

Lorelei restait en apparence calme, mais peu importe l'angle, elle ne voyait pas d'issue, hormis éliminer cette Dracaena avant qu'elle ne riposte. Les autres ne poseraient sans doute pas de problème.

Encore et toujours, elle se reposait sur Vermeil, qui semblait être ailleurs. Encore une fois, il tremblait, et respirait de façon toujours plus saccadée. Il était nerveux, effrayé même. Malgré ses pouvoirs et son âge, il savait que tant de monde comptait sur lui, aujourd'hui plus que jamais.

"Cette femme, celle qui a détruit les barrières menace de détruire le château si Vermeil attaque à nouveau. Alors..."

"Faut se débarrasser d'elle ?!"

"... J'en ai bien peur."

Le son des canons les coupa dans leur discussion. Semblerait-il que les leurs avaient décider d'attaquer les assaillants. Les balistes s'activaient, et les sons de combat se faisaient entendre.

Lorelei regarda la citadelle depuis le balcon. Elle repéra Dracaena bien vite. Elle semblait examiner les cercles de téléportation. Sans prévenir, une connexion entre les deux femmes avait été établie.

"C'est plutôt décent, pas mal du tout pour une esclave !"

"... Ton avis m'importe peu."

"J'ai toujours aimé parler seule. Quoiqu'il en soit... Entre des mains expérimentées, ces cercles deviendront bien plus efficaces."

Lorelei restait de marbre, mais elle était quelque peu furieuse. Ses créations, utilisées par d'autres ?

"Quelqu'un vous attend. Alors bougez."

La connexion était rompue. Lorelei soupira, avant de prendre la parole.

"Nous n'avons pas de temps à perdre. Il faut fuir !"

Lorelei attrapa Vermeil, l'entraînant avec elle dans sa course, suivie par Hyalis de près. Des cris viscéraux se faisaient entendre entre les murs de cette imposante bâtisse. Quelques soldats ramenés à la vie bloquaient le passage, mais l'itération n'attaquait pas. Hyalis était alors obligé de se charger d'eux. Mais ils se relevaient à chaque fois. Les attaquer n'avait pour but que de les ralentir.

"Ça n'en finit pas ! Et où on va ?!"

"Au bâteau. Il faut fuir au plus vite."

"Mais-.!"

Il voulait protester, mais un hurlement strident le coupa. C'était une voix familière, celle de Saphir. Il se trouvait au détour du couloir. Deux soldats maintenaient une prise ferme sur ses bras, alors que deux autres en profitaient pour dévorer le jeune homme, l'un sur son torse, l'autre sur son visage, tous deux désormais ouverts et ensanglantés.

"Ahh-...Il-..!"

Lorelei jeta un regard à Vermeil, qui ne semblait toujours pas décidé à agir. Bien au contraire, des larmes roulaient sur ses joues.

"Quel cauchemar... On l'ignore, allez !"

Lorelei renforça sa prise sur le poignet de l'être supposé être quasi-divin, elle continuait à courir, suivie par Hyalis. Le groupe aperçu, au détour d'un couloir, le corps d'Auréoline, dont le crâne était dévoré par les flammes, laissant ses os apparaître. Ils ne devaient pas se laisser distraire. Entre les revenants et le danger posé par Dracaena, ils devaient fuir au plus vite.

Mais Lorelei était furieuse. Celui qui avait changé leurs vies ne faisait rien. Peut-être qu'il ne pouvait simplement pas ? Non, ce n'était pas ça. C'était des barrières qu'il s'imposait. C'était stupide. Un être, quasi-divin, capable d'anéantir des îles entières d'un revers de la main, refuserait de profiter de ses pouvoirs ? A cause de quoi, exactement ? La peur ? La honte ? Les souvenirs ? La pression ? Sa prise sur le poignet du muet contenait toute sa colère, et en conséquence, était forte. Si oui ou non c'était volontaire, jamais elle n'aura l'occasion d'en reparler.

"Lorelei... On tourne en rond !"

"Je-..."

Ses sentiments avaient obscurci son raisonnement. Mais Hyalis avait raison, l'emplacement du navire n'était pas si éloigné que cela, et les couloirs se ressemblaient tous bien trop. C'était presque comme s'ils étaient piégés dans un labyrinthe n'ayant pas de fin.

"Tu peux voir quelque chose avec ta magie ?"

"... Non. Continuons d'avancer, on trouvera une solution en chemin."

Une solution qui ne plaisait pas à son frère, mais qu'importe. Pour l'instant, il n'y avait pas de revenants, ou de corps. Pas un son, pas une âme qui vive.

Alors que le groupe continuait d'avancer, Lorelei remarqua que Vermeil tirait son bras. Elle se retourna, remarquant que sa main était toujours autour du poignet rougi du garçon.

"Qu'est-ce qu'il y a ?"

Il pointa derrière lui, de sa main tremblante disponible. Il y avait des corps, qui n'étaient pas là avant.

"Un autre chemin ! On passe par là ?"

"... Il le faut bien."

Elle lâcha le bras de l'Itération, Hyalis restant à côté de celui-ci, avant de continuer à avancer. Puis, une voix familière. Celle de Nacarat. Des cris, stridents qui plus est. Le groupe ne tarda pas à croiser le malheureux, maintenu fermement par trois revenants, alors qu'un quatrième le dévorait lentement, laissant ses entrailles à l'air libre.

"Ver-.."

Elle le regarda, pour au final perdre tout espoir en lui. Il était médusé, il en pleurait même. Un monstre, ça ? L'entité la plus proche de La Créatrice était un tel pleutre ?

"... Incapable. On bouge !"

Elle n'attendit pas, quand bien même Nacarat criait le nom des trois, en particulier celui du plus puissant des trois. A dire vrai, ce même nom résonnait un peu partout. Il avait l'impression de l'entendre constamment depuis deux ans, mais aujourd'hui en particulier, il entendait ce même mot 'Vermeil'. Son supposé prénom résonnait dans son esprit en boucle, en une cacophonie macabre.

Hyalis l'attrapa à son tour, pour le pousser à avancer. Il se contenta de quelques mots.

"Allez, viens ! Tout ira bien, d'accord ?"

Il le regarda de ses yeux brisés. Il y avait peur, honte, désespoir, confusion, terreur... Hyalis plaça un genou au sol pour pouvoir le regarder en face à face.

"On a besoin de toi, d'accord ? Et toi, tu as besoin de nous. Alors viens."

Ni l'un ni l'autre n'était convaincu, mais le plus jeune des deux acquiesça. Ils étaient dans l'obligation de courir pour rattraper Lorelei, qui ne les avait pas attendus.

Sur le chemin, Hyalis remarqua un crâne ouvert, tel une fleur en occasion, sur le sol. C'était celui de Prasin. Il priait pour que son 'sauveur' ne l'ai pas remarqué, mais il ne pouvait plus se faire d'illusions. D'un instant à l'autre, Lorelei apparut sous leurs yeux, et le décor, d'un côté comme de l'autre, changea. Les tâches de sang, les corps, l'usure des murs, des décorations... C'est presque comme si l'espace lui-même venait de changer.

"L-Lorelei..?!"

"Vous-..."

Elle lança un sourire rassuré à son frère, mais elle ne regarda pas le plus petit des deux.

"Quelque chose, ou quelqu'un, nous a piégés ici. C'est... Presque un labyrinthe."

"Mais quel genre de magie ferait ça ?!"

"Un contrôle sur la réalité."

"Tu-..!"

Elle acquiesça.

Les anciens esclaves le savent tous, leur maîtresse, Helbell d'Orpheus détient, comme tous ses ancêtres, et comme sa future descendance, un contrôle sur la réalité. Un pouvoir terrifiant, notamment dû à ses limites inconnues. Le trop-plein d'émotions fit que Vermeil ne comprenait pas, et c'était pour le mieux. Lorelei, en revanche, venait de comprendre autre chose. Ce 'quelqu'un' qui attendait, ce n'était autre que Helbell. Pour les piéger ainsi, elle doit même les surveiller de très près.

"Regardez !"

Un chemin fit son apparition sous leurs yeux, le seul actuellement disponible. Helbell était bien là quelque part. Le trio avança dans le couloir, au bout duquel se tenait un seul et unique revenant. Hyalis ouvrit les yeux en grand. Il le connaissait.

"Mais..! Lore', c'est-..."

"Je sais bien."

C'était celui qui avait tendu une embuscade à Hyalis, et qui aurait bien pu le tuer. C'était aussi lui qui avait, suite à sa demande, coupé les ailes de Lorelei. C'était lui qui avait arraché la langue de Vermeil.                                                                                                                                                                                  Ce dernier tremblait, les larmes brouillaient sa vue. Il voyait presque cette scène, et il s'entendait à nouveau. Les derniers sons qu'il a émis étaient des hurlements de douleur, il criait le nom de ses camarades, espérant de l'aide. Et voilà que cette fois, ces 'camarades' faisaient de même pour lui aujourd'hui, mais il était impuissant. Il était seul ce jour-là, et il l'était tout autant aujourd'hui. Il ressentait presque leurs regards partout autour de lui, leurs attentes suffisantes pour briser son corps, ses os, son âme même.

Ces deux dernières années se bousculaient à une vitesse folle dans son esprit brisé, alors que le soldat approchait lentement, un sourire malsain décorant sa mâchoire arrachée et ensanglantée. La bénédiction de cette divinité absentéiste lui a conféré un pouvoir sans égal, et bien qu'il en ai profité, ce n'était jamais car il le voulait, mais car il le devait ; car ils attendaient cela de lui. Peut-être que finalement, il est destiné à rester esclave.                                                      Vermeil repensait à ce mot, 'incapable'. C'était bien vrai. S'il pensait avoir atteint le fond, ne pas pouvoir aller plus bas, alors ce simple mot avait creusé un abysse infini sous ses pieds. Il était trop conscient de ses propres pouvoirs, il savait bien ce dont il était capable, mais ce quelque chose l'en empêchait.                                                                                                                                                  

Mais cette fois, quelque chose le poussa à lever le bras. Il pointait du doigt ce soldat, une autre émotion confuse guidait son acte. Des ronces de jais jaillirent alors, accompagnées d'une déferlante d'énergie d'un or crade. Sans surprise, il ne restait rien de cet infâme soldat ramené d'entre les morts, et tout ce qui se trouvait dans le rayon de cette attaque, sur une distance de bien des kilomètres, fut réduit à néant également.

Lorelei regardait, non pas choquée, plutôt agréablement surprise. Tout naturellement, elle n'avait pas oublié sa rancune.

"... Ce n'est pas trop tôt..."

"Lorelei-..!"

Elle regarda son frère avec dédain.

"Dois-je le féliciter pour avoir fait le minimum ?"

"Mais-..! Qu'est-ce qu'il t'arrive ?!"

"Je suis simplement réaliste. Il est le seul capable de nous sauver, et il ne fait rien ! Combien sont déjà morts ?"

Le sujet de leur conversation voulait tant parler, mais il ne pouvait finalement que penser, supporter, écouter. Mais... Celle qui les attendait entra en scène.

"Vous entre-déchirer ainsi devant un enfant ? Monstres éhontés que vous êtes."

A nouveau, les alentours se sont transformés. A présent, il y avait de la lumière venant de derrière le trio; c'était la sortie. Mais entre eux et cette sortie se trouvait une femme vêtue d'une queue de pie, aux longs cheveux noirs, et aux yeux émeraudes perçants. Une noble comme l'on en voit peu, dotée d'une grande prestance et élégance. C'était elle, Helbell d'Orpheus, maîtresse de tous ces esclaves.

Et derrière cette sortie se trouvait l'autre femme, Dracaena d'Asphodel. Elle était bien plus imposante de près, sans doute qu'elle avoisinait les deux mètres vingt. Son iris est noire, mais loin d'être circulaire, elle ressemblait à un amas de veines qui couvre la surface de son œil, avec une pupille fendue rouge vif en son centre, et ce, des deux côtés.

Le frère et la soeur reculaient tous les deux, mais Vermeil, lui, restait en place, médusé.

"Te voilà enfin... Tu as été un vilain garçon ces deux dernières années. Tu le sais, n'est-ce pas ?"

Elle avançait très longtemps. Son regard sévère se changea en quelque chose de plus doux.

"N'ai pas peur... Je ne t'ai jamais voulu de mal, d'accord ? Ces gens... Ils t'ont utilisé, tout ce temps. Mais moi, je suis là pour toi. Savoir que tu avais si mal me rendait malade... Et je ne supporte pas de te voir souffrir ainsi."

Elle avança, posant délicatement une main sur la tête du garçon. Lorelei ne supportait pas ce qu'elle voyait.

"Toi... C'est de ta faute que nous sommes esclaves, Vermeil y compris ! Tu ne supportes pas de le 'voir souffrir', ce que tu ne supportes pas, c'est qu'il a obtenu la grâce d'une divinité !"

Elle posa son autre main sur l'épaule de son 'précieux'.

"Les ignorants sont toujours ceux qui aboient le plus fort. Je l'ai recueilli en lieu et place de celle lui ayant donné vie. Je suis, et serai toujours sa seule et unique mère. Et Ragna, sera pour toujours mon fils bien-aimé."

Lorelei ne savait pas cela. Comment elle l'avait trouvé, ni le véritable nom de 'Vermeil'. Mais rien ne prouvait qu'elle disait la vérité.

"C'est bien pour cela que tu lui a coupé les ailes et arraché la langue, n'est-ce pas ? Parce que tu l'aimes tant, c'est exactement ce qu'une mère ferait !"

"Sombre ignorante. Suffit-il donc de donner vie, pour être mère ? J'ai fais ce que je jugeais juste ! Il n'avait pas besoin de ces excroissances, qui finalement ne feraient que le séparer des autres. Il n'a pas besoin de parler-, les autres ne lui apporteront que douleur ! Tout ce dont Ragna a besoin, c'est de moi."

"Il était un esclave, autant que Hyalis, moi, Auréoline, Anis, Grenat..! Tu nous as tous renommés d'après des couleurs, et pourquoi ? Tu ne veux pas que l'on soit nous-mêmes, ce n'est pas pour le protéger que tu as fait tout ça, c'était simplement pour satisfaire tes fantasmes ! Ce que tu lui infliges est pire que la mort."

"Ohh, en voilà des mots grandiloquents ! Ce serait encore mieux s'ils n'étaient pas entièrement dénués de sens, ne penses-tu pas ? Je lui ai toujours donné tout ce dont il avait besoin. Et je continuerais."

"Tu t'intéresses à lui uniquement parce qu'il a obtenu la bénédiction de La Créatrice ! Auquel cas, il serait mort depuis longtemps !"

Un sanglot. C'était 'Vermeil', ou plutôt Ragna.

"Tu es un monstre, Lorelei."

Lorelei avait envie de faire quelque chose, de même pour Hyalis, mais avec Dracaena si proche, attaquer serait du suicide.                                                                                                                                    Helbell se baissa, posant un genoux sur le sol, entourant Ragna de ses bras dans une tendre étreinte.

"Chhht... Tout ira bien. Je ne te ferais pas de mal. Je ne t'utiliserais pas. Tu n'auras plus à tuer pour le compte de qui que ce soit, tu pourras rester seul autant que tu le veux, plus personne n'aura d'attentes écrasantes à ton égard... Je t'aime tant, mon fils."

Il ne le voyait pas, mais le sourire de cette femme était suffisant pour tout révéler sur ses intentions.

Et quand bien même, Ragna n'était pas d'accord : il n'était simplement plus en état de s'opposer, il avait atteint son point de rupture. La revoir elle, son visage, ses yeux, ses beaux discours, ses mouvements, ressentir son toucher, tout cela lui glaçait le temps, tant et si bien que désormais, il était absent, il était étranger à son propre corps, et plus que jamais à ce monde qui n'a jamais voulu de lui. Cela faisait bien longtemps que le garçon ne résistait plus, mais cette fois-ci, l'abîme dans lequel il était tombé s'était refermé sur lui.                                                              Son corps, ses désirs, ses sentiments, sa vie, son passé et son futur n'étaient pas les siens. Ce n'est pas qu'il voulait vivre pour lui-même, il voulait simplement exister. Pourquoi diable La Créatrice lui accorderait tant de pouvoir si la peur et les mots d'une humaine étaient suffisants pour l'arrêter ? Cette bénédiction n'en a jamais été une, elle n'a rien changé. Ce pouvoir divin, cette ascension à un stade qui transcende l'humanité, ce n'est qu'illusions.

Il était esclave et prisonnier, encore et toujours.

"Ta respiration... Calme-toi, mon garçon. Calme-toi. Je suis là, tout ira bien..."

Lorelei et Hyalis étaient impuissants. La jeune femme a bien essayé d'utiliser ses pouvoirs de sirène pour contrôler Dracaena ou Helbell, ou même les deux, mais cette tentative avait échoué. Ses pouvoirs étaient simplement inefficaces.

Tant que la femme en armure était là, ils ne pourraient rien faire. Ils ne pouvaient qu'assister à cette abominable douceur, ces manipulations mielleuses, ces mots creux, abritant le mal le plus pur.

"Je t'ai tout donné, mais je ne te prendrais rien en échange. Avec moi, tu pourras vivre en paix. Tu ne seras jamais forcé à quoi que ce soit. Tu n'auras plus à tuer, tu n'auras plus à vouloir parler, tu n'auras plus mal. Tu pourras profiter de la vie, tranquillement. Qu'en penses-tu ?"

Sa respiration se faisait moins saccadée. Il ne tremblait plus autant. Helbell caressait son dos avec tendresse. Elle s'assurait que ses mains restent loin de l'emplacement des ailes arrachées du garçon.

"Je parle tant... Peut-être veux-tu du silence ?"

Sa prise sur lui faisait qu'il ne pouvait pas suffisamment bouger pour exprimer son désaccord, et pourtant, elle conservait sa douceur. Une véritable prison de velours.

"Que penses-tu de cela... Une petite clairière, silencieuse, où seul le chant des oiseaux résonne. Une petite maisonnette, bénie chaque instant par la douce odeur de la rosée, et une lumière douce, offerte par le soleil. Un endroit chaleureux, paisible, où rien ne te fera de mal. Tu n'as jamais entendu les oiseaux, tu n'as jamais vu le soleil... Tu n'as jamais pu sentir la rosée du matin, l'odeur de la bruine, les douces odeurs de la nature... Tu n'as jamais goûté à la paix..."

C'était glaçant.

Lorelei et Hyalis ne supportent plus ce qu'il se passait, mais au moindre geste, Dracaena les tuerait.

"C'est un peu de ma faute... Accorde-moi cette chance, et je t'offrirais tout ce dont je viens te parler. Je me rachèterais, je t'accorderais le bonheur. Qu'en penses-tu ? Une simple clairière, paisible, où nul ne te voudra de mal. Est-ce cela que tu veux ?"

Il acquiesça. Elle amena délicatement une main au niveau de son cœur, avant d'appuyer très légèrement.

"Tu es toujours un aussi bon garçon... Je suis très fière, Ragna."

Elle appuya d'un coup sec, au point de transpercer son corps, pour saisir le cœur du garçon, avant de brutalement l'extraire de celui-ci. Dracaena avança pour trancher les quelques liens qui connectaient encore les deux morceaux.

"Enfin débarassées de cette triste abomination..."

"Tu-..!"

Ni Lorelei, ni Hyalis n'avaient les mots. Leur sauveur était sans vie, sur le sol, dans une marre de son propre sang.

"Plaît-il ? La peur vous cloue le bec ? Oh pitié, vous n'avez tout de même pas cru à cette grotesque farce ?"

Ce cœur ressemblait davantage à un orbe qu'autre chose. Il était doté de veines, de vaisseaux sanguins encore actifs. Ce "coeur" battait encore.

"Ne me regardez pas ainsi. Il n'était qu'une chose. Par un heureux hasard, il est devenu une Itération... Qui diable n'en profiterait pas ?"

Elle tourna les talons, avant de claquer des doigts, altérant encore la réalité. Ou plutôt, pour la rétablir à la normale.

"Dracaena... Extermine-les, tous. Ne laisse aucun survivant."

"Eh..? La récompense vaut pas le coup. Donc non."

"Ahh... Alors, que dis-tu de cela : tu auras la récompense initialement prévue, et en prime... Le corps de la troisième Itération."

L'épéiste souria.

"C'est bien pour ça que j'déteste les femmes d'affaires comme toi."

Elle regarda le corps. Elle fronça les sourcils. Un tel détail ne lui échapperait pas : une quantité croissante de magie dansait dans le cadavre, et cela ne présageait rien de bon.

Hyalis se souvient s'être caché avec sa soeur dans l'une des anciennes mines, pendant bien des heures.                                                                                                                                                                                Tant d'heures durant lesquelles les seuls sons étaient des impacts, des explosions, des cris. Le son du vent, des flammes, d'une pluie diluvienne.                                                                                            En ressortant de cette mine, il ne restait plus rien de la citadelle ou du château, si ce n'est un monstre difforme démesuré prenant son envol, et quelques bâteaux déjà bien loin.                             Le frère et la soeur avaient fait une promesse ce jour-là : tuer Helbell et Dracaena, éteindre leurs lignées respectives, venger tous leurs camarades morts ce jour-là, et offrir à celui qu'ils ont connu sous le nom de Vermeil la vie qu'il méritait, peu importe que cela les force à vaincre la mort elle-même.

Ils n'avaient plus rien, ce monde n'était plus le leur. Et c'est en acceptant ce fait que naquit l'Itération aux deux visages, la quatrième. 

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