Chapitre 4 - Prière

Habituellement, un monde intérieur est constitué de formes géométriques, et est très fragmenté. Il faut disposer d'un pouvoir colossal pour pouvoir y naviguer librement, en comblant les trous entre un espace et un autre, simplement car une chute dans un monde qui n'est pas le sien signifie la mort, suivie de mutations sur la personne 'visitée'. Aussi, c'est un espace chaotique, où l'endroit et l'envers peuvent s'inverser, où la gravité peut perdre tout son sens d'un moment à l'autre, où bien des choses flottent et bougent constamment. Il est également décoré de nombreuses symboliques alambiquées, un tout qui constitue l'être : ses croyances, ses faiblesses, ses doutes, en sachant quoi faire et comment, on peut facilement tout modifier pour transformer la personne comme on le désire. En bref, il faut être d'une puissance que l'on ne voit que très rarement pour espérer survivre à un passage dans un monde intérieur.

Mais dans celui-ci, il n'en est rien. Le sol est stable, couvert par une dizaine de centimètres d'eau tout du long, et s'étend à perte de vue. Aucune fissure, aucune imperfection, aucun son, aucune trace de vie.

Un spectacle terrifiant, une éventualité que jamais les enseignements d'Edelweiss n'ont mentionnés. Celes souffla un coup et releva la tête pour garder son calme. Dans le 'monde réel' son corps est parfaitement immobile et totalement vulnérable, mais Ameris est là pour gérer les imprévus. Mais il ne dispose pas de bien longtemps : la vieille femme ne tardera pas à s'impatienter, et l'état de son petit-fils est déplorable. Si Celes veut découvrir quelque chose, il doit faire vite.

Le problème étant, que faire ? L'eau et ce sol parfaitement plat doivent tout deux avoir un sens, mais lequel ?

Celes commença à avancer péniblement en ce lieu, mais constata bien vite en faisant marcher ses sens qu'il était simplement immense, si ce n'est infini.

"Ça ne va pas..."

Il pensa à nouveau. Il se sentait parfaitement capable de faire disparaître toute cette eau, ou peut-être même de faire disparaître le sol, entièrement ou en partie. Mais ce ne serait pas particulièrement prudent de le faire, car peut-être que l'un ou l'autre représentent quelque chose de vital. Non pas qu'il ai encore bien longtemps à vivre. Il souffla à nouveau pour se donner du courage.

"Que sa Divinité me guide et m'accorde la sagesse."

Dit-il en serrant son pendentif. Un pendentif commun chez les croyants, une lune entourée par des ronces qui émergent toutes d'une fleur aux 6 pétales pointus, qui elle-même émerge de cette lune.

Il serra le poing, prêt à se concentrer suffisamment de façon à faire disparaître une partie du sol, pour révéler ce qu'il se trouve en dessous.

Mais un hurlement strident brisa toute sa concentration, au point de le sortir même du monde intérieur de son patient.

Il secoua la tête et regarda derrière lui, pour voir le paravent désormais replié. Son regard le guida vers l'origine des cris stridents continus, la vieille femme se trouvait au milieu de la maison, en train de se liquéfier à une vitesse folle. Avant même de ne pouvoir produire un quelconque son, il ne restait de la dame plus qu'une masse à l'aspect liquide imparfait, dont les couleurs sont hideusement mélangées, étalées au centre de la pièce. Ameris était stoïque, mais elle savait qu'elle devait une explication à son camarade.

"C'est... Je n'ai rien pu faire. C'était trop soudain."

Il y avait une once de culpabilité dans sa voix, mais elle la réprima bien vite avant de reprendre.

"Après avoir déplié le paravent, elle a commencé à faire les cent pas dans la pièce, sans rien dire. Puis, elle est tombée... Et elle a commencé à se plaindre de son âge, et de son corps. Elle a essayé de se relever, mais elle est tombée à nouveau, mais cette fois... Sa main et son avant bras se sont dissous et étalés sur le sol, d'un coup, d'un seul. Elle a commencé à hurler, et... Tu as vu la suite."

Celes était répugné. Il se retourna, pour voir que la liquéfaction du petit-fils avait lentement avancé, de la peinture beige se mêlant à une autre blanchâtre au niveau de sa mâchoire. Comme il le craignait, os, dentition, organes, rien n'échappait à cette torture.

"Je... Je vois." Il resta silencieux quelques instants avant de reprendre. "Il n'est pas beaucoup plus jeune que moi..."

"Je sais que tu veux dire que c'est injuste. On ne peut que chercher les causes potentielles. J'espère simplement que, qu'importe là où son esprit se trouve, j'espère qu'il n'oubliera pas ce qu'il aimait."

"Ce qu'il aime est peut-être mort il y a quelques secondes de cela."

Ameris soupira, les mots de son camarade n'étant clairement pas anodins. Il le considérait encore comme vivant. Il regarda Ameris dans les yeux, mais celle-ci se contenta de hocher la tête négativement. Celes regarda les restes du petit-fils, attristé.

"Que sa Divinité te pardonne, quelle que fut ton histoire. Qu'elle t'accorde le bonheur, et puisse-t-elle te venir en aide. Que le trépas te guide vers des jours heureux."

Ameris avança en direction de la porte de sortie, et Celes en fit de même. Mais tous deux s'arrêtèrent à l'entente de la voix de la vieille dame.

"Monstres... Diables... abominations..!"

Au sommet du triste mont liquide qu'elle est devenue trônait quelques couleurs formant un œil très abstrait. Une cavité, dans laquelle coulait une peinture mélangeant un jaune infâme et un blanc impur, entourée d'une couleur un peu plus pâle semblait émettre les sons.

"Rien ne vous attend... au bout du chemin. Même la mort vous rejettera, vous serez condamnés... à la crainte, le malheur, pour... toujours. Que La Créatrice toute puissante, ô que Caelestis l'éternelle vous condamne à la perdition et la damnation !"

Elle prononça encore quelques sons, étouffés. Son visage grotesque disparut bien vite.

"Sortons d'ici, Celes."

Le duo se décida à sortir. Une jeune femme portant une auge chargée de fruits passa devant les deux, mais Ameris lui fit signe de s'arrêter.

"Mademoiselle ?"

"O-oui..? Que puis-je faire pour vous..?"

"Vous étiez collée au mur tout du long, pour écouter. Je vous ai également surprise à regarder par certaines ouvertures."

"Mes excuses, je-..."

Ameris hocha la tête négativement, à nouveau.

"Pas d'inquiétude, je ne vous en tiendrais pas rigueur. J'ai seulement deux services à vous demander."

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