Chapitre 32 - Ciel sans soleil
A la grande déception de Vita, Sonah n'avait pas parlé de quoi que ce soit d'intéressant à propos de La Créatrice. Cette dernière lui a simplement révélé quelques petites choses : qu'il y avait quelque chose au fin fond de l'intérieur du continent, que les lycanthropes ont bien tous une immunité à la liquéfaction, qu'elle a créé le libre arbitre, ainsi qu'elle préférait le thé plutôt que le café. Elle lui a même vivement recommandé d'essayer le thé pomme cannelle.
A bien y réfléchir, s'il avait écouté la divinité, jamais il n'aurait essayé le café... Le dicton était vrai : elle possède bel et bien une sagesse inégalée. Elle avait bien donné quelques détails sur les autres points abordés, mais Sonah a préféré ne rien raconter à Vita. Il a, cependant, bien dit que La Créatrice semblait vraiment beaucoup apprécier le thé.
Bien que cela ait l'air amusant de prime abord, le fait que cette déesse soit profondément belliqueuse et complètement mégalomane ne lui avait pas échappé. Le fait qu'aucune de ses représentations ne puisse être détruite, c'était par orgueil. Puis, l'instinct du lycanthrope était en alerte tout le long de sa discussion avec elle, et pour cause, rien ne lui était impossible. Elle semblait même considérer l'idée d'anéantir le monde, sans aucune considération pour ceux qui y vivent. Comme elle l'a dit "Personne ne le remarquerait."
Clymene avait dit exactement la même chose. Mais dans le cas de la divinité, elle pouvait simplement tout faire disparaître sans conditions ou conséquences, et à une bien plus grande échelle.
Malheureusement, Sonah ne voulait pas particulièrement la voir en action, simplement car il n'aurait juste pas le temps pour, et il n'y aurait pas de retour en arrière possible. Il se contenta de ses impressions d'elle. Caelestis avait même tout confirmé d'elle-même, un grand sourire aux lèvres.
Mais bref. Il avait décidé de laisser Edelweiss et Vita parler de leurs sujets trop complexes pour lui. Il décida de sortir. Il y avait quelques personnes dans le village, chacun vacant à ses occupations. Ce qui surprit le lycanthrope, c'est que tous avaient des attributs non-humains. Aussi, tout semblait très machinal, calculé. Ces mouvements étaient habituels, répétés sans doute depuis bien des années.
"Ohh-..!"
Sonah se tourna en direction de la voix. C'était un jeune homme d'à peu près son âge, simplement vêtu d'une tunique noire sans manches, ainsi que d'une ceinture à laquelle était accroché un sac en cuir. Il avait également une dague accrochée autour de la cuisse droite, et divers anneaux sur les bras. En revanche, ce qui ressortait le plus, c'était deux ailes noires, identiques à celles d'un corbeau, dans son dos. Ce qui troubla profondément Sonah, c'était la ressemblance frappante avec Celes. Couleur des yeux, visage, cheveux... Tout était identique.
"Tu vas bien ?"
Il reprit ses esprits. En tout cas, ce garçon avait une voix légèrement plus fluette. Bien que c'était stupide, le lycanthrope était rassuré de savoir que les deux ne sont pas la même personne.
"O-oui, excuse-moi..!"
"Mh, pas de problème ! Je disais juste être content de voir un lycanthrope pour la première fois !"
Un frisson traversa le principal intéressé. Mais comment savait-il ? Cela dit, il n'y avait pas une once d'animosité dans sa voix, il avait réellement l'air heureux de cela. Et, à en juger par ses deux ailes de corbeau, il n'était pas humain non plus... Sonah chassa ces quelques pensées trop intrusives, avant de reprendre, avec un certain manque d'assurance cette fois.
"J-je vois.."
"Oh, je ne juge pas ! Personne ne va te juger pour ça. Ici, on est tous ce que l'on veut être, et on fait ce que l'on veut ! Du moment que Vita approuve, bien sûr. Désolé si c'était rude de ma part."
Le ton chaleureux et l'honnêteté dans sa voix avaient tous deux quelque chose de rassurant. Le lycanthrope acquiesça alors.
"Moi, c'est Solis ! Enchanté !"
"Sonah. Enchanté également."
"Ohhh... Je vois ! Tu es venu avec Edel' ?"
"C'est bien ça. Puis... J'étais curieux de savoir à quoi cet endroit ressemblait..."
"C'est incroyable, pas vrai ?"
Il viendra joindre ses mains, l'air enjoué. Il était vrai que ce petit village était particulièrement beau, il semblait même irréel. Solis avait, cependant, remarqué quelque chose.
"Je peux te poser une question ?"
"Oui..?"
"Tu avais l'air... Destabilisé, quand tu m'as vu ! A cause de mes ailes ? Ou autre chose..?"
Il regarda ailleurs quelques instants, le temps de chercher ses mots.
"Non, non... Juste tu ressembles beaucoup, vraiment beaucoup, à quelqu'un que je connais."
Solis était surpris, ce qui n'était pas tout à fait la réaction attendue. Il y avait une autre émotion qui se cachait là-derrière. Mais le garçon l'écrasa derrière un enthousiasme, créé de toute pièce donc sans doute peu honnête.
"Mh, il faut de tout pour faire un monde ! Oh-, j'y pense ! Tu veux que je te fasse visiter ? C'est gratuit !"
"Hm, si tu veux !"
L'air enjoué du garçon était contagieux, tant que Sonah décrocha un sourire honnête. Il le suivait de plus ou moins près, alors que le garçon vantait les mérites du village d'un air enthousiaste. De ce qu'il avait compris, tous les habitants de ce village sont en vérité des esprits. Des esprits vengeurs, qui plus est. Vitalina se spécialisait dans leur capture et extermination mais, à terme, elle décida d'arrêter, pour au final leur offrir une renaissance.
Elle leur offre une forme de leur choix dans l'espace de ce village, et la possibilité d'exister sans danger, sans risquer d'un jour subitement disparaître. Et ça, c'était étrangement familier, encore une fois.
La petite vingtaine d'individus vivant ici sont tous des esprits vengeurs, ayant cependant perdu tout souvenir de cette période. Les parties animales sur leurs corps sont des métamorphes de leurs vies d'avant, mais il fallait sans doute du contexte pour que cela ait du sens.
Vitalina les aurait recueillis, et, en usant du pouvoir de cette épée loufoque plantée dans la grotte, elle aurait créé ce petit coin de paradis, où chacun est ce qu'il veut être. Il n'y a pas de malheur, pas de conflit, pas de maladie... Un paradis au sens pur et dur, coupé du monde extérieur. Nul ne sait ce qu'il pourrait advenir de l'un de ces esprits s'il venait à quitter les lieux.
Solis et Sonah arrivent face à l'habitation du garçon ailé. Une petite maison, qui se distinguait des autres grâce à la petite forge à côté.
"Ici, c'est chez moi !"
"C'est... charmant !"
"Comme tout le village, mh-mh !"
Il en semblait très fier, c'était plutôt adorable. Cela arracha, encore, un sourire à Sonah.
"J'ai un petit tour à te montrer, viens voir !"
Îl entraîna le lycanthrope derrière la maisonnette, dans un petit jardin, délimité par des petites barrières en très mauvais état. Il les enjamba, suivi par Sonah. Il posa ses genoux sur le sol, devant un petit bout de terre sans herbe ou feuille.
"Viens voir !"
Sonah approcha, posant un genoux à terre, alors que Solis plaça sa main droite au-dessus de ce petit bout de terre sans herbe. Une petite lueur dorée émanait de sa main.
"Tu veux quelque chose en particulier ? Peu importe quoi !"
"... Des pommes ?"
"Toi, t'as de bons goûts !"
Solis leva petit à petit la main, avant de l'éloigner. Un petit arbre doré poussa en quelques secondes à peine, et sur ses branches, il y avait déjà plusieurs pommes. L'oeil avisé constatera leur qualité d'un simple regard.
"Voilà !"
"C'est... impressionnant !"
"Les esprits qui habitent ici ont tous la capacité de créer ce qu'ils veulent en quelques secondes à peine, cinq fois par semaine. C'est pratique, si on manque de quelque chose... Mais en général, ça n'arrive jamais. Et pour ça, on dit merci maman Vita !"
Il attrapa deux pommes, et en donna une à Sonah. Il croqua dans la sienne sans attendre, suivi par le lycanthrope qui en fit de même, peu convaincu de prime abord.
Et étrangement, c'était sans doute le meilleur fruit qu'il ai pu goûter. Solis savait, et il souriait toujours, d'un air satisfait. Entre le physique, cette histoire d'esprit qui pourrait disparaître à tout instant s'il venait à quitter ce village, le blond donnait vraiment l'impression d'être Celes, en moins noble, plus familier, et plus extraverti. Et, ce n'était sans doute pas un hasard.
Quoi qu'il en soit, le duo continua à discuter pendant quelques minutes, avant que Solis ne montre sa forge à Sonah.
"Tu... es forgeron..?"
"Eh-.. Pas vraiment ! C'est surtout un passe-temps, mais oui, j'aime plutôt bien bricoler. Il faut bien s'occuper !"
Bien que ce n'était pas explicite, c'était la première critique indirecte que Sonah entendait, mais il n'y fit pas davantage attention. Ils discutèrent alors encore pendant quelques temps, il y avait une entente naturelle entre les deux.
La maison de Solis était plus grande que prévue, car il disposait d'un sous-sol très bien aménagé lui aussi. Il y avait même deux chambres. Edelweiss s'était éclipsée pour aller vérifier quelque chose dans les villages voisins, alors Sonah était forcé de rester quelque part. Bien que l'idée de dormir chez quelqu'un ne l'enchantait pas, il n'avait pas d'autre solution. Puis, il avait trop ignoré son besoin naturel de sommeil, qui le rattrapa au cours de la soirée.
Ses rares nuits de sommeil ont toujours été agitées, et d'autant plus depuis le cauchemar d'Eleutherius. Cette prestation le hantait, le chant angélique de Clymene ne quittait pas son esprit, et plus encore, il se souvenait parfaitement bien de la cité et de tous ses habitants, disparaissant sous ses yeux. Un chant si envoutant, qui était en vérité le chant du cygne d'une cité, autrefois glorieuse. Le visage déformé de celui qu'il aimait, et qu'il aime toujours malgré tout, ne quittera jamais l'esprit du lycanthrope.
Il se réveilla brutalement, en haletant. Il s'asseye pour reprendre son calme, et frotta ses yeux humides au passage. L'air qui pénétrait par la fenêtre était frais, et, à en juger par la couleur du ciel, le jeune homme s'était réveillé au beau milieu de la nuit.
Il décida de sortir pour prendre l'air. Il aperçut Solis au loin, jambes balotant dans le vide, au rebord de la falaise. Il observait l'océan, et le ciel nocturne. Sans savoir pourquoi, Sonah décida de le rejoindre. En l'entendant, le garçon, toujours aussi cordial lui souria.
"Déjà réveillé ?"
"D-désolé..."
"Ne t'excuse pas !"
"J'ai... Quelques problèmes, avec le sommeil. Mais toi ?"
Sonah viendra s'asseoir de la même façon que le garçon ailé, à ses côtés tout en maintenant une distance raisonnable. Il remarqua assez aisément ses yeux rougis, sans doute par des larmes, une réalisation qui attrista le lycanthrope. Cela dit, le blond avait remarqué la même chose à propos de son nouvel ami, bien qu'à un degré moins important que lui. Il prit quelques longues secondes avant de répondre.
"Je priais ! Comme tous les soirs. Juste, aujourd'hui... Je voulais rester plus longtemps."
La nuit porte conseil, après tout. C'était bien simple de savoir qu'il y avait autre chose de moins 'simple' derrière, simplement car Solis n'était pas vêtu pour rester dans le froid de la nuit. La température laissait déjà ses marques, sur ses joues, ses jambes, ses bras... Et même le haut de son dos, qui devait toujours être libre afin de laisser place à ses ailes.
"Tu... Peux m'en parler, si tu veux."
L'esprit vengeur tourna la tête, surpris. Son regard mélangeait surprise, tristesse et... autre chose, une émotion positive. La panique commença à envahir l'esprit de celui aux yeux vairrons.
"P-pardon, je ne devrais pas dire ça-.. On se connaît depuis-"
"Tu as quelque chose de rassurant, Sonah."
"Quoi-..?"
La surprise changea de camp, cette surprise se changea en quelque chose de plus fort : être déstabilisé, mais flatté. Solis hôcha la tête.
"Si tu veux bien m'écouter, alors... Mais ne te force pas. C'est... Ce n'est pas intéressant."
"Si ça peut t'aider."
Il inspira avant de prendre la parole.
"Quand Vita m'a récupéré pour m'amener ici, donc quand j'étais seulement un esprit sans forme... J'étais sur le point de disparaître. Les esprits sans hôtes disparaissent tous, idem pour ceux qui possèdent les autres... Mais eux, ils ont quelques années de plus. A moins de dévorer des gens, ceux sans hôtes ne survivent pas. Et moi, visiblement... Et bah je n'allais pas survivre."
Il n'était pas sûr de lui, mais ce n'était pas à cause du fait qu'il n'avait aucun souvenir de cette époque, il n'avait que les récits de Vita, c'était le fait de s'ouvrir. De se plaindre. Il a toujours cru que c'était interdit. Pour Solis, il devait toujours être bon, positif, rayonnant.
"Vita nous a sauvés la vie, à mon frère et moi. Au moment de nous accorder une forme ici, mon frère se serait enfui loin du village... Elle l'a poursuivi, mais elle ne l'a jamais retrouvé. Elle était sûre qu'il avait pris possession d'un nouveau né. Et tout comme quand tu gagnes un vrai corps... L'esprit oublie tout de sa vie précédente au moment de posséder quelqu'un. Peut-être que lui ne se souvient pas de moi, mais..."
Il secoua la tête.
"Je prie pour mon frère chaque nuit. Vita me dit toujours qu'il est sans doute mort... Enfin, qu'il a disparu, comme tous les esprits qui se sont trouvés un hôte... Donc je prie, pour qu'il aille bien, et pour qu'on se retrouve un jour... Je veux le revoir. J'ai l'impression qu'il me manque quelque chose. C'est comme un ciel sans son soleil."
Il souffla un coup.
"Je sais que prier ne fait rien. Ca ne va pas lui permettre de vivre plus longtemps, ou me permettre de le revoir... Mais c'est tout ce que je peux faire. Et... Quand tu as dit que tu connaissais quelqu'un qui me ressemblait beaucoup, j'ai... J'étais un peu perdu. J'ai préféré tout garder pour moi, pour... Mh, venir pleurer ici après. Mais... peut-être que c'est vraiment mon frère..? Peut-être qu'il est encore en vie, quelque part ?"
Il regarda ailleurs, gêné. Sonah avait déjà compris que Solis était du type à ne jamais chercher à se plaindre, au détriment de sa propre santé.
Il n'ajouta rien de plus. En vérité, il avait une dernière question, mais il n'osait pas la poser. Toutefois, elle était relativement évidente. Maintenant, il devait trouver comment aborder la chose.
"Je... Je ramènerai ton frère ici. Je te le promets."
Le lycanthrope n'avait pas envie de revoir Celes, notamment après son quasi-assassinat. Mais il le devait, à présent. Son intuition lui disait que Edelweiss avait prévu cette rencontre, et qu'il s'agissait de l'une des raisons de sa venue ici.
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